Cheri

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Cheri Page 9

by Colette


  Il s’assit sur le tapis, renversa sa tête sur les genoux de Léa.

  “Je ne les vaux donc pas?”

  Il s’étalait en plein jour, tournait la nuque, ouvrait tout grands ses yeux qui semblaient noirs, mais dont Léa connaissait la sombre couleur brune et rousse. Elle toucha de l’index, comme pour désigner et choisir ce qu’il y avait de plus rare dans tant de beauté, les sourcils, les paupières, les coins de la bouche. Par moments, la forme de cet amant qu’elle méprisait un peu lui inspirait une sorte de respect. “Etre beau à ce point-là, c’est une noblesse”, pensait-elle.

  “Dis-moi, petit. . . . Et la jeune personne, dans tout ça? Comment est-elle avec toi?

  Sitting up straight in her armchair, she spoke dryly, not raising her voice. He intended to make a clever retort; he defied her beautiful face, which was a little battered-looking beneath its powder, and her eyes, which were bathing him in such a sincere blue light; then he gave way and yielded in a manner that wasn’t customary with him:

  “Nursie, you’re asking me to explain it to you. Don’t you think we should wrap things up? Besides, there are major interests at stake.”

  “What interests?”

  “Mine,” he said without smiling. “The girl has a fortune of her own.”

  “From her father?”

  He rocked back and forth, his feet in the air.

  “Oh, I don’t know. The questions you come up with! I think so. The lovely Marie-Laure isn’t about to pay out a million and a half francs from her own moneybox, is she? A million and a half francs, plus some serious jewelry.”

  “And you?”

  “Oh, me, I’ve got more,” he said with pride.

  “In that case you don’t need any money.”

  He shook his smooth hair, in which the daylight created bluish ripples.

  “Need, need . . . You know very well that we don’t share the same conception of money. It’s a thing we don’t agree on.”

  “I’ll say this much for you: you’ve spared me that topic of conversation for five years.”

  She leaned over and put a hand on Chéri’s knee:

  “Tell me, boy, how much have you saved from your income the last five years?”

  He played the clown, laughing and rolling on the floor at Léa’s feet, but she pushed him away with one foot.

  “Tell me honestly . . . Fifty thousand a year, or sixty? Come on and tell me: sixty? Seventy?”

  He sat down on the rug, leaning his head back on Léa’s knees.

  “Am I not worth that much?”

  He stretched himself out in full daylight, turning his neck and opening wide those eyes which looked black, but whose dark brown and russet color Léa knew so well. With her index finger, as if to choose and point out the rarest features of all that beauty, she touched his eyebrows, his eyelids, and the corners of his mouth. At moments the physique of that lover, for whom she had a touch of contempt, inspired a kind of respect in her. “To be that handsome is a sort of nobility in itself,” she thought.

  “Tell me, boy . . . Where does the girl come in, in all this? How does she act with you?”

  — Elle m’aime. Elle m’admire. Elle ne dit rien.

  — Et toi, comment es-tu avec elle?

  — Je ne suis pas, répondit-il avec simplicité.

  — Jolis duos d’amour”, dit Léa rêveuse.

  Il se releva à demi, s’assit en tailleur:

  “Je trouve que tu t’occupes beaucoup d’elle, dit-il sévèrement. Tu ne penses donc pas à toi, dans ce cataclysme?”

  Elle regarda Chéri avec un étonnement qui la rajeunissait, les sourcils hauts et la bouche entrouverte.

  “Oui, toi, Léa. Toi, la victime. Toi, le personnage sympathique dans la chose, puisque je te plaque.”

  Il avait un peu pâli et semblait, en rudoyant Léa, se blesser luimême. Léa sourit:

  “Mais, mon chéri, je n’ai pas l’intention de rien changer à mon existence. Pendant une huitaine, je retrouverai de temps en temps dans mes tiroirs une paire de chaussettes, une cravate, un mouchoir. . . . Et quand je dis une huitaine . . . ils sont très bien rangés, tu sais, mes tiroirs. Ah! et puis je ferai remettre à neuf la salle de bains. J’ai une idée de pâte de verre. . . .”

  Elle se tut et prit une mine gourmande, en dessinant du doigt dans l’air un plan vague. Chéri ne désarmait pas son regard vindicatif.

  “Tu n’es pas content? Qu’est-ce que tu voudrais? Que je retourne en Normandie cacher ma douleur? Que je maigrisse? Que je ne me teigne plus les cheveux? Que madame Peloux accoure à mon chevet?”

  Elle imita la trompette de Mme Peloux en battant des avant-bras:

  “L’ombre d’elle-même! l’ombre d’elle-même! La malheureuse a vieilli de cent ans! de cent ans!” C’est ça que tu voudrais?”

  Il l’avait écoutée avec un sourire brusque et un frémissement des narines qui était peut-être de l’émotion:

  “Oui”, cria-t-il.

  Léa posa sur les épaules de Chéri ses bras polis, nus et lourds:

  “Mon pauvre gosse! Mais j’aurais dû déjà mourir quatre ou cinq fois, à ce compte-là! Perdre un petit amant . . . Changer un nourrisson méchant. . . .”

  Elle ajouta plus bas, légère:

  “J’ai l’habitude.

  —On le sait, dit-il âprement. Et je m’en fous! Ça, oui, je m’en fous bien, de ne pas avoir été ton premier amant! Ce que j’aurais voulu, ou plutôt ce qui aurait été . . . convenable . . . propre . . . c’est que je sois le dernier.”

  Il fit tomber, d’un tour d’épaules, les bras superbes.

  “Au fond, ce que j’en dis, n’est-ce pas, c’est pour toi.

  “She loves me. She admires me. She says nothing.”

  “And how are you with her?”

  “I’m not there at all,” he answered simply.

  “Fine love duets!” said Léa thoughtfully.

  He straightened himself somewhat and assumed a cross-legged position.

  “It seems to me you’re worrying about her a lot,” he said severely. “Aren’t you thinking about yourself in this catastrophe?”

  She stared at Chéri with an astonishment that made her look younger, her eyebrows raised and her mouth slightly open.

  “Yes, you, Léa. You, the victim. You, the sympathetic character in the affair, since I’m jilting you.”

  He had turned a little pale and, by bullying Léa, seemed to be striking at himself. Léa smiled:

  “But, darling, I have no intention of making any changes in my way of life. For a week or so, I’ll occasionally find a pair of socks in my dresser drawers, or a necktie, or a handkerchief . . . And when I say a week . . . You know, my dresser drawers are in very good order. Oh! And then I’ll remodel my bathroom. I’m thinking about a glass-composition facing . . .”

  She fell silent and assumed a greedy expression, drawing a vague sketch in the air with her finger. Chéri didn’t let up his vindictive gaze.

  “You’re not satisfied? What would you like me to do? Go back to Normandy to hide my grief? Get thin? Give up dyeing my hair? Have Madame Peloux hasten to my bedside?”

  She imitated Madame Peloux’s trumpet tones, flapping her forearms:

  “‘A ghost of herself! A ghost of herself! The poor thing has grown a hundred years older! A hundred years older!’ Is that what you’d like?”

  He had listened to her with a sudden smile and a quivering of his nostrils that perhaps betokened some emotion.

  “Yes!” he cried.

  Léa placed her smooth, bare, heavy arms on Chéri’s shoulders:

  “Poor kid! But, at that rate, I would have already died four or five times! To lose a young lover . . . To exchange a nasty infant . . .”

  She added more quietly, lightly:

  “I’m used to it.”

  “I know,” he said harshly. “And I don’t give a damn! Yes, you heard me, I don’t give a damn that I wasn’t your first lover! What I would have liked, or, rather, what would have been fitting . . . proper
. . . is to have been your last.”

  With a twist of his shoulders he shook off her magnificent arms.

  “After all, what I’m saying is for your sake, isn’t it?”

  — Je comprends parfaitement. Toi, tu t’occupes de moi, moi je m’occupe de ta fiancée, tout ça, c’est très bien, très naturel. On voit que ça se passe entre grands cœurs.”

  Elle se leva, attendant qu’il répondît quelque goujaterie, mais il se tut et elle souffrit de voir pour la première fois, sur le visage de Chéri, une sorte de découragement.

  Elle se pencha, mit ses mains sous les aisselles de Chéri:

  “Allons, viens, habille-toi. Je n’ai que ma robe à mettre, je suis prête en dessous, qu’est-ce que tu veux qu’on fasse par un temps pareil, sinon aller chez Schwabe te choisir une perle? Il faut bien que je te fasse un cadeau de noces.”

  Il bondit, avec un visage étincelant:

  “Chouette! Oh, chic, une perle pour la chemise! une un peu rosée, je sais laquelle!

  — Jamais de la vie, une blanche, quelque chose de mâle, voyons! Moi aussi, je sais laquelle. Encore la ruine! Ce que je vais en faire, des économies, sans toi!”

  Chéri reprit son air réticent:

  “Ça, ça dépend demon successeur.”

  Léa se retourna au seuil du boudoir et montra son plus gai sourire, ses fortes dents de gourmande, le bleu frais de ses yeux habilement bistrés:

  “Ton successeur? Quarante sous et un paquet de tabac! Et un verre de cassis le dimanche, c’est tout ce que ça vaut! Et je doterai tes gosses!”

  ILS devinrent tous deux très gais, pendant les semaines qui suivirent. Les fiançailles officielles de Chéri les séparaient chaque jour quelques heures, parfois une ou deux nuits. “Il faut donner confiance”, affirmait Chéri. Léa, que Mme Peloux écartait de Neuilly, cédait à la curiosité et posait cent questions à Chéri important, lourd de secrets qu’il répandait dès le seuil, et qui jouait à l’escapade chaque fois qu’il retrouvait Léa:

  “Mes amis! criait-il un jour en coiffant de son chapeau le buste de Léa. Mes amis, qu’est-ce qu’on voit au Peloux’s Palace depuis hier!

  —Ote ton chapeau de là, d’abord. Et puis n’invoque pas ta vermine d’amis ici. Qu’est-ce qu’il y a encore?”

  Elle grondait, en riant d’avance.

  “I understand perfectly. You’re worried about me, I’m worried about your fiancée. All that is very good, very natural. Obviously nothing but the noblest hearts are at work here.”

  She got up, expecting him to make some churlish reply, but he remained silent, and she was pained to see a sort of discouragement on Chéri’s face for the first time.

  She leaned over and put her hands under Chéri’s arms:

  “All right, come on, get dressed. I only need to put my dress on, I’m all set underneath. What would you like us to do, with the weather the way it is, except to go to Schwabe’s and pick out a pearl for you? I must give you a wedding present.”

  He jumped up, his face shining:

  “Terrific! Oh, swell, a pearl for my shirt! One with a slight pink tinge, I know the one!”

  “Not on your life! A white one, something masculine, come on now. I know the one, also. Wiped out again! All the money I’m going to save when you’re gone!”

  Chéri resumed his reticent air:

  “That depends on who my successor is.”

  Léa turned around on the threshold to her boudoir and flashed her brightest smile, showing her strong, voracious teeth and the clear blue of her skillfully shadowed eyes:

  “Your successor? Two francs and a pack of cigarettes! And a glass of cassis on Sundays, he won’t be worth more than that! And I’ll give dowries to your children!”

  BOTH of them became very cheerful during the weeks that followed. Chéri’s official status as an engaged man kept them apart for a few hours every day, and occasionally for a night or two. “I must make her trust me,” Chéri would declare. Léa, whom Madame Peloux kept away from Neuilly, was succumbing to curiosity and plying Chéri with a hundred questions. He was self-important, chock-full of secrets that he divulged the second he arrived, and feeling like a truant each time he rejoined Léa:

  “My friends!” he cried one day, putting his hat on Léa’s sculptured bust. “My friends, what doings in Peloux’s Palace since yesterday!”

  “First of all, take your hat off there. Second, don’t mention your filthy friends here. What’s going on now?”

  She was scolding him, but already laughing.

  “Y a le feu, Nounoune! Le feu parmi ces dames! Marie-Laure et Mame Peloux qui se peignent au-dessus de mon contrat!

  — Non?

  — Si! c’est un spectacle magnifique. (Gare les hors-d’œuvre que je te fasse les bras de Mame Peloux. . . .) “Le régime dotal! le régime dotal! Pourquoi pas le conseil judiciaire? C’est une insulte personnelle! personnelle! La situation de fortune demon fils! . . . Apprenez, Madame. . . .”

  — Elle l’appelait Madame?

  — Large comme un parapluie. “Apprenez, Madame, que mon fils n’a pas un sou de dettes depuis sa majorité, et la liste des valeurs achetées depuis mil neuf cent dix représente. . . .” Représente ci, représente ça, représente mon nez, représente mon derrière. . . . Enfin, Catherine de Médicis en plus diplomate, quoi!”

  Les yeux bleus de Léa brillaient de larmes de rire.

  “Ah! Chéri! tu n’as jamais été si drôle depuis que je te connais. Et l’autre, la belle Marie-Laure?

  —Elle, oh! terrible, Nounoune. Cette femme-là doit avoir un quarteron de cadavres derrière elle. Toute en vert jade, ses cheveux roux, sa peau . . . enfin, dix-huit ans, et le sourire. La trompette de ma mère vénérée ne lui a pas fait bouger un cil. Elle a attendu la fin de la charge pour répondre: “Il vaudrait peut-être mieux, chère Madame, ne pas mentionner trop haut les économies réalisées par votre fils pendant les années mil neuf cent dix et suivantes. . . .”

  — Pan, dans l’œil . . . dans le tien. Où étais-tu, pendant ce tempslà?

  — Moi? Dans la grande bergère.

  — Tu étais là?”

  Elle cessa de rire et de manger.

  “Tu étais là? et qu’est-ce que tu as fait?

  — Un mot spirituel . . . naturellement. Mame Peloux empoignait déjà un objet de prix pour venger mon honneur, je l’ai arrêtée, sans me lever: “Mère adorée, de la douceur. Imite-moi, imite ma charmante belle-mère, qui est tout miel . . . et tout sucre.” C’est là-dessus que j’ai eu la communauté réduite aux acquêts.

  — Je ne comprends pas.

  “It’s war, Nursie! War between the two mothers. Marie-Laure and Ma’me Peloux are scrapping over my marriage contract!”

  “Really?”

  “Yes! It’s a magnificent spectacle. (Woe to the hors-d’œuvres if I imitate Ma’me Peloux’s arm gestures for you!) ‘Protection for her money! Protection for her money!6 Why not appoint a legal guardian for him?! It’s a personal insult! Personal! My son’s financial situation! . . . Let me inform you, madame . . .’”

  “She called her ‘madame’?”

  “Right to her face. ‘Let me inform you, madame, that my son hasn’t incurred one cent of debt since he’s been of age, and the stock portfolio acquired since 1910 amounts to . . .’ Amounts to this, amounts to that, amounts to my nose, amounts to my ass . . . In short, she’s a Catherine de Médicis, but more diplomatic!”

  Léa’s blue eyes were gleaming with tears of laughter.

  “Oh, Chéri, you haven’t ever been this funny since I’ve known you. And the other one, the lovely Marie-Laure?”

  “She? Oh, a terror, Nursie. That woman must have left two dozen corpses in her wake. All dressed in jade green, with her red hair, her complexion . . . well, like an eighteen-year-old’s, and that smile. My revered mother’s trumpet didn’t make her bat an eyelash. She waited until the attack was over, then replied: ‘Dear madame, it might be better not to speak too loudly about how much money your son saved during 1910 and
the years following . . .’”

  “Pow, right in the eye! . . . Your eye. Where were you all that time?”

  “I? In the big easy chair.”

  “You were right there?”

  She stopped laughing and eating.

  “You were right there? And what did you do?”

  “Said something witty . . . naturally. Ma’me Peloux was already taking hold of some objet d’art in order to avenge my honor, but, without getting up, I stopped her. ‘Gently, mother dear, gently! Follow my example, follow the example of my charming mother-in-law, who is all honey . . . and all sugar.’ Thereby I regained community property of all wealth acquired after the wedding.”

  “I don’t understand.”

  * * *

  6. To be more precise, a régime dotal was a legal arrangement by which a husband could avail himself only of so much of his wife’s money as she brought him in her dowry.

  — Les fameuses plantations de canne que le pauvre petit prince Ceste a laissées par testament à Marie-Laure. . . .

  — Oui. . . .

  — Faux testament. Famille Ceste très excitée! Procès possible! Tu saisis?”

  Il jubilait.

  “Je saisis, mais comment connais-tu cette histoire?

  — Ah! voilà. La vieille Lili vient de s’abattre de tout son poids sur le cadet Ceste, qui a dix-sept ans et des sentiments pieux. . . .

  — La vieille Lili? quelle horreur!

  — . . . et le cadet Ceste lui a murmuré cette idylle, parmi des baisers. . . .

  — Chéri! j’ai mal au cœur!

  — . . . et la vieille Lili m’a repassé le tuyau au jour de maman, dimanche dernier. Elle m’adore, la vieille Lili! Elle est pleine de considération pour moi, parce que je n’ai jamais voulu coucher avec elle!

  — Je l’espère bien, soupira Léa. C’est égal. . . .”

  Elle réfléchissait et Chéri trouva qu’elle manquait d’enthousiasme.

  “Hein, dis, je suis épatant? Dis?”

  Ilse penchait au-dessus de la table et la nappe blanche, la vaisselle où jouait le soleil l’éclairaient comme une rampe.

 

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