Legacy- an Anthology

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Legacy- an Anthology Page 19

by Regina Calcaterra et al.


  “The appetizer: a vol-au-vent.” With pride, Antoine presented three plates to his guests. “Mademoiselle, since you’re the food critic, will you do us the honor of tasting? After all, this dinner was your idea.”

  Obviously, Camille couldn’t refuse. Lifting her fork and knife, she set to work and sampled the first dish. Her companions tried to read her reaction, but this proved impossible. She wouldn’t reveal a single emotion.

  “I’ll give you my verdict at the end of the meal,” she said simply as Antonin served the men.

  The architect and the negotiator, understanding that they were losing control of the situation with each passing minute, ate without appetite.

  A short while later, Antonin served the lobster, cooked to perfection. Golden boulangères potatoes glowed with a beauty untarnished by the dinginess of the setting. The guests finished the main course in silence.

  Antonin took his time assembling the peach Melbas, adding a verbena leaf under the poached fruit. He carried dessert, along with a piece of white tile from the kitchen wall, into the dining room on a tray.

  “Peach Melba, or maybe I should say Auguste Escoffier’s authentic peach Melba. I might not have an opera voice like Nellie, the namesake of this dessert, but I think my raspberry sauce will be enough to impress you.”

  “And that white piece there—is that meringue?” the negotiator asked.

  “No,” Antonin replied, “it’s a tile from my kitchen wall. And that, too, is authentic!”

  The two men, annoyed and astonished by such audacity, exchanged glances. Antonin caught a whisper of a smile on Camille’s lips.

  “In more than twenty years in business I’ve never seen such behavior!” the negotiator exclaimed, rising to his feet along with his associate. “Consider our offer officially rescinded. You can keep your debts, these crumbling walls and your cafeteria cooking.”

  “So that’s how you see things?” Antonin said with a laugh. “You know the way out. And don’t worry. Dinner is on me.”

  As the two men retreated, Antonin sat down facing Camille while she tranquilly finished her dessert.

  “The tile… Was that planned or just improvisation?” she asked.

  “Later. First, tell me: What did you think of the menu?”

  Camille extricated a small notebook from her bag, consulted it, then looked Antonin straight in the eye.

  “You added lemon juice to your forestière sauce, horseradish with mustard to your lobster and infused your peaches in a verbena syrup. I would be a pitiful critic if I didn’t guess the secret ingredient in the dessert since you did leave a clue with that leaf in the presentation. My question is: Why did you decide to rework these classics?”

  “You didn’t like it?”

  “Everything was perfect, and you know it. Don’t try to be humble when you don’t mean it.”

  “I didn’t exactly rework the classics,” Antonin said. “It’s actually the contrary. I reproduced the original recipes.”

  “How can you be sure of such a thing?” Camille asked. “And the tile. What’s that all about?”

  Antonin took her by the hand and led her into the kitchen.

  “Tell me what you think of this.” He pointed to the writing on the wall. “Who’s lacking modesty? Do you still consider the dishes I served tonight pretentious?”

  Camille, who had finished reading the handwriting, didn’t reply. She understood the importance of this discovery.

  “Le Petit Moulin Rouge didn’t find a new owner tonight,” she said, turning to Antonin, “but it found its spark, its soul and its reason to continue.”

  “And this time, I don’t think renovations can be avoided.” Antonin smiled, his gaze remaining on the crumbling wall.

  “Renovations and debts—I’ll take care of those,” added Camille. “Let’s start with a new menu in Escoffier’s memory and go from there!”

  NOTE

  On the following pages, we present to you “A.E.” in its original French version.

  A.E.

  Didier Quémener

  Ce soir, c’était la dernière. Les dettes, les créanciers aux allures de vautours, les découverts bancaires... Tout cela ne serait bientôt plus qu’un mauvais souvenir. Antonin, regard perdu dans le vide devant des fourneaux éteints, attendait son repreneur. Le Petit Moulin Rouge, jadis établissement prisé du beau Paris et de ses mondains, allait changer de propriétaire, faute de clients. Malgré tous ses efforts, malgré toute sa volonté, la salle se désemplissait de mois en mois et les différents changements de menus n’avaient pas réussi à enrayer cette cruelle chute libre. Ce furent d’abord les critiques gastronomiques qui lui avaient assené le premier coup. Prétextant le manque d’originalité d’une cuisine un peu trop « facile », la presse de la capitale avait pris le relai pour s’en faire des gorges chaudes et tirer à boulets rouges sur les talents du chef. Antonin ne se cherchait pas d’excuses. Son échec portait les cicatrices de bien des maux dont il s’était fait une raison : la concurrence, la frivolité des clients, l’inconsistance de sa brigade dont les meilleurs éléments étaient souvent démarchés par les propriétaires d’autres restaurants du quartier. Le Petit Moulin Rouge avait perdu ses lettres de noblesse et lui seul était responsable de ce désastre. Encore une petite demi-heure et il pourra rendre son tablier comme on dit dans le métier. Les faits s’étaient enchaînés si vite, seul dans sa cuisine Antonin en avait le tournis. L’odeur du peu de plats servis quelques heures auparavant, la chaleur persistante du four et l’idée même de laisser ces lieux pour toujours dans très peu de temps suffisaient à faire monter en lui in sentiment de nausée mêlée à de la colère. Une bouteille de cognac à la main, Antonin porta le goulot proche de ses lèvres et avala une bonne gorgée.

  — Toi au moins, tu ne me critiques pas ! Et tu ne me réclames pas d’argent non plus... dit-il à voix haute s’adressant à l’alcool dans un rire grave, plein de désespoir.

  Antonin essuya sa bouche avec la manche de sa veste usée et se dirigea en salle pour attendre ses derniers visiteurs. L’entrevue se devait d’être brève. Il n’avait pas l’intention de s’éterniser devant ce panel de rapaces. Ils arriveraient avec leur offre, Antonin signerait rapidement les documents et partirait, sans se retourner. Le lendemain, il quitterait certainement Paris. La province, changer d’air pour se ressourcer, faire une pause et puis peut-être recommencer ailleurs.

  Assis sur l’une des chaises de la grande table, posture nonchalante, Antonin allongeait et croisa ses jambes. Il alluma une cigarette, se faisant la promesse qu’elle serait la dernière, qu’elle aussi ferait partie du passé dans une poignée de minutes et que demain il arrêterait de fumer.

  La porte d’entrée du restaurant grinça un instant. Antonin distingua trois silhouettes qui avançaient lentement, regardant de part et d’autre et s’arrêtant par moment pour pointer du doigt et échanger quelques mots. Il observait le trio sans rien dire, écrasant son mégot dans une assiette vide.

  — Bonsoir monsieur, prononça l’un d’eux. Vous connaissez mon associé et architecte, Robert Plontant ?

  — Ne tardons pas, répliqua Antonin fixant la jeune femme qui accompagnait les deux hommes. Vous avez le contrat ?

  — Tout est là, répondit l’homme sortant une longue enveloppe de sa sacoche. Je vous laisse le consulter, ajouter vos initiales et parapher chaque page.

  — Pas la peine de le lire, seule la somme compte, rétorqua sèchement Antonin. Que fait-elle ici ? demanda-t-il impoliment en parlant de la femme restée en retrait.

  — Je suis...

  Elle n’eut pas le temps de finir sa phrase qu’Antonin l’interrompit aussitôt.

  — Je sais très bien qui vous êtes ! Vous êtes l’une des raisons pour laquelle ils sont là avec leur proposition. Vous êtes l’une des causes de cette faillite, vous et vos articles de merde !

  Elle restait immobile, bouche bée, ne sachant que dire sur le moment. Après un court moment, elle reprit ses esprits, décidée de ne pas se laisser insulter de l
a sorte.

  — Vous vous trompez ! Je n’ai jamais écrit sur Le Petit Moulin Rouge. Je suis Camille et…

  Il lui coupa la parole une nouvelle fois.

  — Vous non mais votre patron, lui, ne s’est pas gêné, lança Antonin.

  — Effectivement mais je ne travaille plus pour lui. D’ailleurs je ne travaille plus pour personne eut-elle envie d’ajouter. J’ai quitté mon poste de critique gastronome depuis plusieurs semaines déjà. Je suis venue comme consultante pour mes clients, rien de plus.

  Antonin ouvrit l’enveloppe et sortit le contrat.

  — Peu importe, conclut-il en soupirant, tout ça n’a plus d’importance aujourd’hui.

  Les deux hommes murmuraient. L’architecte avait étalé des plans sur l’une des tables, traçant sporadiquement des coups de crayons çà et là.

  — Qu’est-ce que c’est que ces conneries ? ironisa Antonin en lisant la dernière page.

  — Comment ça ? s’offusqua l’homme, regard fermé et sourcils froncés.

  — Cette offre : c’est quoi cette somme ridicule de rachat ? continua Antonin. Enfin merde, le restaurant a quand même vu le grand Escoffier dans ses cuisines à ses heures de gloire ! C’est quand même pas rien !

  Le négociateur jeta un coup d’œil en direction de son collaborateur. Froidement, il s’adressa à Antonin sans même le regarder.

  — Nous avons bien réfléchi depuis notre dernière rencontre et la somme de travaux est conséquente afin de remettre ce restaurant sur pieds. Auguste Escoffier jadis ou pas, c’est notre offre : considérez-la comme unique et non négociable. De plus, jamais personne n’a pu confirmer si réellement il était passe par cet établissement il y a presque un siècle et demi. La nouvelle clientèle se fout de toutes ces légendes !

  Un silence glacial s’était installé. Les yeux écarquillés, Camille ne disait rien. Touché dans son orgueil, Antonin était partagé entre le désir de déchirer les pages du contrat, chasser à coups de pieds dans le derrière cette troupe hors de, ce qui était encore pour le moment, « son » restaurant et la dure réalité des chiffres dans le rouge ajoutés aux interdits bancaires.

  — Tenez, dit-il balançant la dernière page en direction de Camille. Regardez ! Faites votre travail de consultante et dites-moi si cette somme vous fait rire, termina Antonin d’un ton sarcastique.

  — Je... Je ne sais pas... C’est que...

  — Allez-y, continuait-il. Ne soyez pas timide : dites-moi si Le Petit Moulin Rouge est tombé aussi bas que ça ?

  Camille prit la feuille, lut l’offre proposée et reposa la page sur les dessins devant les deux hommes.

  — C’est vrai que ce n’est pas très généreux de votre part, dit-elle maladroitement. En considérant l’endroit et dans un effort de...

  L’acquéreur reprit le document et le tendit de nouveau à Antonin avec un stylo, stoppant net Camille dans son élan.

  — A prendre ou à laisser, c’est aussi simple que cela. Nous ne sommes pas là pour nous apitoyer sur son sort, nous sommes là pour faire affaires finit-il durement. Ni plus, ni moins.

  Ce ne fut pas l’envie d’aller en cuisine et de se saisir de quelques couteaux qui manquait à Antonin. Mais la raison devait l’emporter et la difficulté de la situation dans laquelle il était depuis des mois avait raison de son irritation. Il se leva et s’apprêtait à signer lorsque Camille reprit le contrat.

  — Attendez ! cria-t-elle. Malgré ce que vous pensez, j’ai mon mot à dire ! Ce n’est pas moi qui suis sur le point d’investir plus de 60% de la somme totale dans cet établissement mais je suis sûre que mon père, qui se trouve en position de force en apportant presque les deux tiers du financement, n’apprécierait pas beaucoup vos méthodes. Et je ne pense pas que vous aimeriez qu’il soit mis au courant ni de cette offre de misère, ni de vos petites magouilles, n’est-ce pas messieurs ?

  Camille fixait les deux hommes qui ne bronchèrent pas.

  — Nous allons calmement étudier la situation comme il se doit et voici ce que nous allons faire : mes compétences sont dans le monde gustatifs et culinaires. Les siennes, ajouta-t-elle parlant d’Antonin ébahi par la tournure des évènements, sont en cuisines. Les vôtres ? Eh bien, les vôtres seront de faire une offre équitable en fonction de ce qui va suivre.

  Camille marqua une pause. Ses interlocuteurs ne se doutaient pas un seul instant de ce qui allait prendre place. Elle continuait :

  — Antonin, vous allez en cuisine. Nous sommes trois dans votre salle, vous avez une heure pour nous présenter un menu original. Comme je l’ai dit, il s’agit principalement du portefeuille de mon père, argent parlant, alors je serai seule juge de ce que vous nous présenterez et moi seule prendrai la décision finale de rachat ou non du Petit Moulin Rouge.

  Malgré la gravité du moment, Antonin ne put pas s’empêcher d’esquisser un sourire. Cette jeune-femme a du répondant se dit-il, et elle ne manque pas d’air.

  — Pas besoin d’aller en cuisine pour vous créer un menu, lança-t-il, je peux vous en composer un tout de suite au dos de cette page en moins de dix minutes.

  — Nous ne nous sommes pas compris je pense, réfuta Camille. Messieurs, prenez place, dit-elle aux deux autres qui se tenaient tout droit, bras tombants. Une heure, vous avez une heure pour nous servir... Et nous surprendre. Ne perdez pas de temps !

  Comme revigoré par ce défi, Antonin se leva et ne dit rien. Il se dirigea dans ses cuisines et tira la porte derrière lui. Seul une nouvelle fois devant son plan de travail, il fit le tour de qu’il lui restait à disposition.

  — Cette fille est folle et je suis un idiot de ne pas avoir accepté leur offre, aussi ridicule soit-elle ! dit-il haut et fort en riant, les mains posées sur la planche à découper. Dans quelle pétrin t’es-tu encore mis mon pauvre Antonin ? termina-t-il nerveusement.

  Vacillant sur ses jambes, le mélange de fatigue, d’alcool et de tensions eurent raison de son équilibre. Antonin s’écroula a moitie sur la table qui glissa le long du mur et arracha un morceau de carreaux de faïence.

  — Allez tiens, rajoutez ça sur la note : un peu plus ou un peu moins, on n’est plus à un carreau près ! dit-il regardant le trou dans le mur.

  Comme dégrisé par enchantement, il s’approcha de la marque laissée vide par le morceau de céramique tombé sur le sol. Antonin frotta du bout des doigts, laissant apparaître de vieilles inscriptions sous le plâtre sec et granuleux. Il lisait à haute voix :

  — Raifort râpé... Jus ½ citron dernière min...

  Il lui était impossible de continuer la lecture qui se retrouvait masquée par les autres carreaux toujours accolés au mur. Pris d’une frénésie sans contrôle, Antonin attrapa une louche sur le comptoir, se servant du manche comme levier pour faire tomber les carreaux blancs du mur les uns après les autres. Frottant vigoureusement avec un torchon, il reprit la lecture des inscriptions sur le mur :

  — Jus ½ citron dernière minute sauce blanche (vol-au-vent ris de veau A.E.)... 1 cuiller soupe raifort râpé avec moutarde (homard Thermidor A.E.)... Infuser pêches 10 minutes sirop verveine (Melba A.E.)... Incroyable ! s’écria-t-il. C’était donc vrai : Auguste Escoffier a bien cuisiné dans ces lieux ! Et ces mots écrits à la main sur le mur, ces lignes... Ce sont ses notes, des ingrédients-clefs pour parfaire ses recettes !

  Le sang d’Antonin ne fit qu’un tour : il chercha dans ce qu’il lui restait du garde-manger afin de composer un menu en fonction des notes laissées par le chef sur le mur. Il se précipita dans la salle du restaurant où attendaient les trois convies et s’exclama en brandissant un menu écrit à la hâte sur un des tabliers de cuisine :

  — Une heure et demie, peut-être un peu moins... C’est d’accord ? dit-il s’adressant à la tablée. Au menu ? Lisez vous-même :

  Vol-au-vent au ris de veau, sauce financière

  Homard Thermidor, pommes boulangères

  Pêche Melba

  Puis il disparut en cuisines, riant fort et claquant la porte. Le trio, se retrouvait autant intrigué par le comportement d’Antoni
n que par son menu qui, à leurs yeux, n’inspirait aucune originalité de la sorte.

  De son côté, Antonin s’activait d’arrache-pied, comme en témoignaient les différents sons s’échappant de temps à autre de son antre. Il suivit à la lettre l’intégralité des recettes pour la composition de son menu. Comme indiqué par les notes d’Auguste Escoffier inscrites sur le mur, il ajouterait le jus d’un demi-citron dans la sauce forestière de son vol-au-vent avant la mise ne place, il inclurait le raifort râpé avec la moutarde en plus de la béchamel pour son homard Thermidor et laisserait infuser ses pêches dans le sirop de verveine fraîche avant de composer les desserts à la dernière minute. Antonin se sentait revigorer, guidée par une force intérieure naissante qui lui dictait faits et gestes. Une heure s’était presque écoulée et son entrée était prête pour le service. Il finit le dressage des trois assiettes et sorti enfin des cuisines.

  — L’entrée : le vol-au-vent, présenta Antonin non sans une certaine fierté d’accomplissement. Mademoiselle la critique culinaire, nous feriez-vous l’honneur de goûter en premier ? Car après tout, ce dîner improvisé, il s’agit bien de votre idée, n’est-ce pas ? railla-t-il.

  Camille ne pouvait évidemment pas refuser. Elle prit ses couverts, coupa un morceau et dégusta. Les deux hommes essayaient de lire une quelconque expression dans son visage en la regardant fixement. Rien. Pas la moindre remarque ni réaction de sa part.

  — Je tirerai mes conclusions à la fin du repas, dit-elle simplement en guise d’acquiescement alors qu’Antonin servait les autres assiettes.

  L’architecte et son acolyte dégustèrent leur met du bout des lèvres, comprenant que ces récents évènements commençaient à prendre une tournure qui ne leur était plus favorable et dont ils perdaient peu à peu le contrôle.

  Quinze minutes plus tard, Antonin apporta les homards cuits à la perfection. La garniture de pommes boulangères renvoyait des éclats de lumière, comme scintillante, et ce malgré l’atmosphère tamisée de la table. Les invités finirent leur plat principal dans un silence total. Antonin prit le temps pour dresser ses pêches Melba, prenant soin de placer une feuille de verveine sur les fruits pochés. Il les apporta sur un plateau, sur lequel il avait posé un morceau de carreau blanc du mur de la cuisine.

 

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