Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 68

by Gustave Flaubert


  Sans répondre, il continuait à marcher d'un pas rapide, et déjà madame Bovary trempait son doigt dans l'eau bénite, quand ils entendirent derrière eux un grand souffle haletant, entrecoupé régulièrement par le rebondissement d'une canne. Léon se détourna.

  — Monsieur !

  — Quoi ?

  Et il reconnut le Suisse, portant sous son bras et maintenant en équilibre contre son ventre une vingtaine environ de forts volumes brochés. C'étaient les ouvrages qui traitaient de la cathédrale.

  — Imbécile ! grommela Léon s'élançant hors de l'église.

  Un gamin polissonnait sur le parvis :

  — Va me chercher un fiacre !

  L'enfant partit comme une balle, par la rue des Quatre-Vents ; alors ils restèrent seuls quelques minutes, face à face et un peu embarrassés.

  — Ah ! Léon !... Vraiment..., je ne sais... si je dois... !

  Elle minaudait. Puis, d'un air sérieux :

  — C'est très inconvenant, savez-vous ?

  — En quoi ? répliqua le clerc. Cela se fait à Paris !

  Et cette parole, comme un irrésistible argument, la détermina.

  Cependant le fiacre n'arrivait pas. Léon avait peur qu'elle ne rentrât dans l'église. Enfin le fiacre parut.

  — Sortez du moins par le portail du nord ! leur cria le Suisse, qui était resté sur le seuil, pour voir la Résurrection, le Jugement dernier, le Paradis, le Roi David, et les Réprouvés dans les flammes d'enfer.

  — Où Monsieur va-t-il ? demanda le cocher.

  — Où vous voudrez ! dit Léon poussant Emma dans la voiture.

  Et la lourde machine se mit en route.

  Elle descendit la rue Grand-Pont, traversa la place des Arts, le quai Napoléon, le pont Neuf et s'arrêta court devant la statue de Pierre Corneille.

  — Continuez ! fit une voix qui sortait de l'intérieur.

  La voiture repartit, et, se laissant, dès le carrefour La Fayette, emporter par la descente, elle entra au grand galop dans la gare du chemin de fer.

  — Non, tout droit ! cria la même voix.

  Le fiacre sortit des grilles, et bientôt, arrivé sur le Cours, trotta doucement, au milieu des grands ormes. Le cocher s'essuya le front, mit son chapeau de cuir entre ses jambes et poussa la voiture en dehors des contre-allées, au bord de l'eau, près du gazon.

  Elle alla le long de la rivière, sur le chemin de halage pavé de cailloux secs, et, longtemps, du côté d'Oyssel, au delà des îles.

  Mais tout à coup, elle s'élança d'un bond à travers Quatremares, Sotteville, la Grande-Chaussée, la rue d'Elbeuf, et fit sa troisième halte devant le Jardin des plantes.

  — Marchez donc ! s'écria la voix plus furieusement.

  Et aussitôt, reprenant sa course, elle passa par Saint-Sever, par le quai des Curandiers, par le quai aux Meules, encore une fois par le pont, par la place du Champ-de-Mars et derrière les jardins de l'hôpital, où des vieillards en veste noire se promènent au soleil, le long d'une terrasse toute verdie par des lierres. Elle remonta le boulevard Bouvreuil, parcourut le boulevard Cauchoise, puis tout le Mont-Riboudet jusqu'à la côte de Deville.

  Elle revint ; et alors, sans parti pris ni direction, au hasard, elle vagabonda. On la vit à Saint-Pol, à Lescure, au mont Gargan, à la Rouge-Mare, et place du Gaillard-bois ; rue Maladrerie, rue Dinanderie, devant Saint-Romain, Saint-Vivien, Saint-Maclou, Saint-Nicaise, – devant la Douane, – à la basse Vieille-Tour, aux Trois-Pipes et au Cimetière Monumental. De temps à autre, le cocher sur son siège jetait aux cabarets des regards désespérés. Il ne comprenait pas quelle fureur de la locomotion poussait ces individus à ne vouloir point s'arrêter. Il essayait quelquefois, et aussitôt il entendait derrière lui partir des exclamations de colère. Alors il cinglait de plus belle ses deux rosses tout en sueur, mais sans prendre garde aux cahots, accrochant par-ci par-là, ne s'en souciant, démoralisé, et presque pleurant de soif, de fatigue et de tristesse.

  Et sur le port, au milieu des camions et des barriques, et dans les rues, au coin des bornes, les bourgeois ouvraient de grands yeux ébahis devant cette chose si extraordinaire en province, une voiture à stores tendus, et qui apparaissait ainsi continuellement, plus close qu'un tombeau et ballottée comme un navire.

  Une fois, au milieu du jour, en pleine campagne, au moment où le soleil dardait le plus fort contre les vieilles lanternes argentées, une main nue passa sous les petits rideaux de toile jaune et jeta des déchirures de papier, qui se dispersèrent au vent et s'abattirent plus loin, comme des papillons blancs, sur un champ de trèfles rouges tout en fleur.

  Puis, vers six heures, la voiture s'arrêta dans une ruelle du quartier Beauvoisine, et une femme en descendit qui marchait le voile baissé, sans détourner la tête.

  II

  En arrivant à l'auberge, madame Bovary fut étonnée de ne pas apercevoir la diligence. Hivert, qui l'avait attendue cinquante-trois minutes, avait fini par s'en aller.

  Rien pourtant ne la forçait à partir ; mais elle avait donné sa parole qu'elle reviendrait le soir même. D'ailleurs, Charles l'attendait ; et déjà elle se sentait au coeur cette lâche docilité qui est, pour bien des femmes, comme le châtiment tout à la fois et la rançon de l'adultère.

  Vivement elle fit sa malle, paya la note, prit dans la cour un cabriolet, et, pressant le palefrenier, l'encourageant, s'informant à toute minute de l'heure et des kilomètres parcourus, parvint à rattraper l'Hirondelle vers les premières maisons de Quincampoix.

  À peine assise dans son coin, elle ferma les yeux et les rouvrit au bas de la côte, où elle reconnut de loin Félicité, qui se tenait en vedette devant la maison du maréchal. Hivert retint ses chevaux, et la cuisinière, se haussant jusqu'au vasistas, dit mystérieusement :

  — Madame il faut que vous alliez tout de suite chez M. Homais. C'est pour quelque chose de pressé.

  Le village était silencieux comme d'habitude. Au coin des rues, il y avait de petits tas roses qui fumaient à l'air, car c'était le moment des confitures, et tout le monde à Yonville, confectionnait sa provision le même jour. Mais on admirait devant la boutique du pharmacien, un tas beaucoup plus large, et qui dépassait les autres de la supériorité qu'une officine doit avoir sur les fourneaux bourgeois, un besoin général sur des fantaisies individuelles.

  Elle entra. Le grand fauteuil était renversé, et même le Fanal de Rouen gisait par terre, étendu entre les deux pilons. Elle poussa la porte du couloir ; et, au milieu de la cuisine, parmi les jarres brunes pleines de groseilles égrenées, du sucre râpé, du sucre en morceaux, des balances sur la table, des bassines sur le feu, elle aperçut tous les Homais, grands et petits, avec des tabliers qui leur montaient jusqu'au menton et tenant des fourchettes à la main. Justin, debout, baissait la tête, et le pharmacien criait :

  — Qui t'avait dit de l'aller chercher dans le capharnaüm ?

  — Qu'est-ce donc ? qu'y a-t-il ?

  — Ce qu'il y a ? répondit l'apothicaire. On fait des confitures : elles cuisent ; mais elles allaient déborder à cause du bouillon trop fort, et je commande une autre bassine. Alors, lui, par mollesse, par paresse, a été prendre, suspendue à son clou dans mon laboratoire, la clef du capharnaüm !

  L'apothicaire appelait ainsi un cabinet, sous les toits, plein des ustensiles et des marchandises de sa profession. Souvent il y passait seul de longues heures à étiqueter, à transvaser, à reficeler ; et il le considérait non comme un simple magasin, mais comme un véritable sanctuaire, d'où s'échappaient ensuite, élaborées par ses mains, toutes sortes de pilules, bols, tisanes, lotions et potions, qui allaient répandre aux alentours sa célébrité. Personne au monde n'y mettait les pieds ; et il le respectait si fort, qu'il le balayait lui-même. Enfin, si la pharmacie, ouverte à tout venant, était l'endroit où il étalait son orgueil, le capharnaüm était le refuge où, se concentrant égoïstement, Homais se délectait dans l'exercice de ses prédilections ; aussi l'étourderie de Justin lui paraissait-elle monstrueuse d'irrévérence ; et, plus rubicond que les groseilles, il ré
pétait :

  — Oui, du capharnaüm ! La clef qui enferme les acides avec les alcalis caustiques ! Avoir été prendre une bassine de réserve ! une bassine à couvercle ! et dont jamais peut-être je ne me servirai ! Tout a son importance dans les opérations délicates de notre art ! Mais que diable ! il faut établir des distinctions et ne pas employer à des usages presque domestiques ce qui est destiné pour les pharmaceutiques ! C'est comme si on découpait une poularde avec un scalpel, comme si un magistrat...

  — Mais calme-toi ! disait madame Homais.

  Et Athalie, le tirant par sa redingote :

  — Papa ! papa !

  — Non, laissez-moi ! reprenait l'apothicaire, laissez-moi ! fichtre ! Autant s'établir épicier, ma parole d'honneur ! Allons, va ! ne respecte rien ! casse ! brise ! lâche les sangsues ! brûle la guimauve ! marine des cornichons dans les bocaux ! lacère les bandages !

  — Vous aviez pourtant..., dit Emma.

  — Tout à l'heure ! – Sais-tu à quoi tu t'exposais ?... N'as-tu rien vu, dans le coin, à gauche, sur la troisième tablette ? Parle, réponds, articule quelque chose !

  — Je ne... sais pas, balbutia le jeune garçon.

  — Ah ! tu ne sais pas ! Eh bien, je sais, moi ! Tu as vu une bouteille, en verre bleu, cachetée avec de la cire jaune, qui contient une poudre blanche, sur laquelle même j'avais écrit : Dangereux ! et sais-tu ce qu'il y avait dedans ? De l'arsenic ! et tu vas toucher à cela ! prendre une bassine qui est à côté !

  — À côté ! s'écria madame Homais en joignant les mains. De l'arsenic ? Tu pouvais nous empoisonner tous !

  Et les enfants se mirent à pousser des cris, comme s'ils avaient déjà senti dans leurs entrailles d'atroces douleurs.

  — Ou bien empoisonner un malade ! continuait l'apothicaire. Tu voulais donc que j'allasse sur le banc des criminels, en cour d'assises ? me voir traîner à l'échafaud ? Ignores-tu le soin que j'observe dans les manutentions, quoique j'en aie cependant une furieuse habitude. Souvent je m'épouvante moi-même, lorsque je pense à ma responsabilité ! car le gouvernement nous persécute, et l'absurde législation qui nous régit est comme une véritable épée de Damoclès suspendue sur notre tête !

  Emma ne songeait plus à demander ce qu'on lui voulait, et le pharmacien poursuivait en phrases haletantes :

  — Voilà comme tu reconnais les bontés qu'on a pour toi ! voilà comme tu me récompenses des soins tout paternels que je te prodigue ! Car, sans moi, où serais-tu ? que ferais-tu ? Qui te fournit la nourriture, l'éducation, l'habillement, et tous les moyens de figurer un jour, avec honneur dans les rangs de la société ! Mais il faut pour cela suer ferme sur l'aviron, et acquérir, comme on dit, du cal aux mains. Fabricando fit faber, age quod agis.

  Il citait du latin, tant il était exaspéré. Il eût cité du chinois et du groenlandais, s'il eût connu ces deux langues ; car il se trouvait dans une de ces crises où l'âme entière montre indistinctement ce qu'elle enferme, comme l'Océan, qui, dans les tempêtes, s'entrouvre depuis les fucus de son rivage jusqu'au sable de ses abîmes.

  Et il reprit :

  — Je commence à terriblement me repentir de m'être chargé de ta personne ! J'aurais certes mieux fait de te laisser autrefois croupir dans ta misère et dans la crasse où tu es né ! Tu ne seras jamais bon qu'à être un gardeur de bêtes à cornes ! Tu n'as nulle aptitude pour les sciences ! à peine si tu sais coller une étiquette ! Et tu vis là, chez moi, comme un chanoine, comme un coq en pâte, à te goberger !

  Mais Emma, se tournant vers madame Homais :

  — On m'avait fait venir...

  — Ah ! mon Dieu ! interrompit d'un air triste la bonne dame, comment vous dirai-je bien ?... C'est un malheur !

  Elle n'acheva pas. L'apothicaire tonnait :

  — Vide-la ! écure-la ! reporte-la ! dépêche-toi donc !

  Et, secouant Justin par le collet de son bourgeron, il fit tomber un livre de sa poche.

  L'enfant se baissa. Homais fut plus prompt, et, ayant ramassé le volume, il le contemplait, les yeux écarquillés, la mâchoire ouverte.

  — L'amour... conjugal ! dit-il en séparant lentement ces deux mots. Ah ! très bien ! très bien ! très joli ! Et des gravures !... Ah ! c'est trop fort !

  Madame Homais s'avança.

  — Non ! n'y touche pas !

  Les enfants voulurent voir les images.

  — Sortez ! fit-il impérieusement.

  Et ils sortirent.

  Il marcha d'abord de long en large, à grands pas, gardant le volume ouvert entre ses doigts, roulant les yeux, suffoqué, tuméfié, apoplectique. Puis il vint droit à son élève, et, se plantant devant lui les bras croisés :

  — Mais tu as donc tous les vices, petit malheureux ?... Prends garde, tu es sur une pente !... Tu n'as donc pas réfléchi qu'il pouvait, ce livre infâme, tomber entre les mains de mes enfants, mettre l'étincelle dans leur cerveau, ternir la pureté d'Athalie, corrompre Napoléon ! Il est déjà formé comme un homme. Es-tu bien sûr, au moins, qu'ils ne l'aient pas lu ? peux-tu me certifier... ?

  — Mais enfin, monsieur, fit Emma, vous aviez à me dire... ?

  — C'est vrai, madame... Votre beau-père est mort !

  En effet, le sieur Bovary père venait de décéder l'avant-veille, tout à coup, d'une attaque d'apoplexie, au sortir de table ; et, par excès de précaution pour la sensibilité d'Emma, Charles avait prié M. Homais de lui apprendre avec ménagement cette horrible nouvelle.

  Il avait médité sa phrase, il l'avait arrondie, polie, rythmée ; c'était un chef-d'oeuvre de prudence et de transitions, de tournures fines et de délicatesse ; mais la colère avait emporté la rhétorique.

  Emma, renonçant à avoir aucun détail, quitta donc la pharmacie ; car M. Homais avait repris le cours de ses vitupérations. Il se calmait cependant, et, à présent, il grommelait d'un ton paterne, tout en s'éventant avec son bonnet grec :

  — Ce n'est pas que je désapprouve entièrement l'ouvrage ! L'auteur était médecin. Il y a là-dedans certains côtés scientifiques qu'il n'est pas mal à un homme de connaître et, j'oserais dire, qu'il faut qu'un homme connaisse. Mais plus tard, plus tard ! Attends du moins que tu sois homme toi-même et que ton tempérament soit fait.

  Au coup de marteau d'Emma, Charles, qui l'attendait, s'avança les bras ouverts et lui dit avec des larmes dans la voix :

  — Ah ! ma chère amie...

  Et il s'inclina doucement pour l'embrasser. Mais, au contact de ses lèvres, le souvenir de l'autre la saisit, et elle se passa la main sur son visage en frissonnant.

  Cependant elle répondit :

  — Oui, je sais..., je sais...

  Il lui montra la lettre où sa mère narrait l'événement, sans aucune hypocrisie sentimentale. Seulement, elle regrettait que son mari n'eût pas reçu les secours de la religion, étant mort à Doudeville, dans la rue, sur le seuil d'un café, après un repas patriotique avec d'anciens officiers.

  Emma rendit la lettre ; puis, au dîner, par savoir-vivre, elle affecta quelque répugnance. Mais comme il la reforçait, elle se mit résolument à manger, tandis que Charles, en face d'elle, demeurait immobile, dans une posture accablée.

  De temps à autre, relevant la tête, il lui envoyait un long regard tout plein de détresse. Une fois il soupira :

  — J'aurais voulu le revoir encore !

  Elle se taisait. Enfin, comprenant qu'il fallait parler :

  — Quel âge avait-il, ton père ?

  — Cinquante-huit ans !

  — Ah !

  Et ce fut tout.

  Un quart d'heure après, il ajouta :

  — Ma pauvre mère ?... que va-t-elle devenir, à présent ?

  Elle fit un geste d'ignorance.

  À la voir si taciturne, Charles la supposait affligée et il se contraignait à ne rien dire, pour ne pas aviver cette douleur qui l'attendrissait. Cependant, secouant la sienne :

  — T'es-tu bien amusée hier ? demanda-t-il.

  — Oui.

  Quand la nappe fut ôtée, Bovary ne se leva pas, Emma non plu
s ; et, à mesure qu'elle l'envisageait, la monotonie de ce spectacle bannissait peu à peu tout apitoiement de son coeur. Il lui semblait chétif, faible, nul, enfin être un pauvre homme, de toutes les façons. Comment se débarrasser de lui ? Quelle interminable soirée ! Quelque chose de stupéfiant comme une vapeur d'opium l'engourdissait.

  Ils entendirent dans le vestibule le bruit sec d'un bâton sur les planches. C'était Hippolyte qui apportait les bagages de Madame. Pour les déposer, il décrivit péniblement un quart de cercle avec son pilon.

  — Il n'y pense même plus ! se disait-elle en regardant le pauvre diable, dont la grosse chevelure rouge dégouttait de sueur.

  Bovary cherchait un patard au fond de sa bourse ; et, sans paraître comprendre tout ce qu'il y avait pour lui d'humiliation dans la seule présence de cet homme qui se tenait là, comme le reproche personnifié de son incurable ineptie :

  — Tiens ! tu as un joli bouquet ! dit-il en remarquant sur la cheminée les violettes de Léon.

  — Oui, fit-elle avec indifférence ; c'est un bouquet que j'ai acheté tantôt... à une mendiante.

  Charles prit les violettes, et, rafraîchissant dessus ses yeux tout rouges de larmes, il les humait délicatement. Elle les retira vite de sa main, et alla les porter dans un verre d'eau.

  Le lendemain, madame Bovary mère arriva. Elle et son fils pleurèrent beaucoup. Emma, sous prétexte d'ordres à donner, disparut.

  Le jour d'après, il fallut aviser ensemble aux affaires de deuil. On alla s'asseoir, avec les boîtes à ouvrage, au bord de l'eau, sous la tonnelle.

  Charles pensait à son père, et il s'étonnait de sentir tant d'affection pour cet homme qu'il avait cru jusqu'alors n'aimer que très médiocrement. Madame Bovary mère pensait à son mari. Les pires jours d'autrefois lui réapparaissaient enviables. Tout s'effaçait sous le regret instinctif d'une si longue habitude ; et, de temps à autre, tandis qu'elle poussait son aiguille, une grosse larme descendait le long de son nez et s'y tenait un moment suspendue. Emma pensait qu'il y avait quarante-huit heures à peine, ils étaient ensemble, loin du monde, tout en ivresse, et n'ayant pas assez d'yeux pour se contempler. Elle tâchait de ressaisir les plus imperceptibles détails de cette journée disparue. Mais la présence de la belle-mère et du mari la gênait. Elle aurait voulu ne rien entendre, ne rien voir, afin de ne pas déranger le recueillement de son amour qui allait se perdant, quoi qu'elle fît, sous les sensations extérieures.

 

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