Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 342

by Gustave Flaubert


  Quand Rabelais vint à naître, c’était l’année 1483, l’année de la mort de Louis XI. Luther allait venir. Le roi avait abattu la féodalité, le moine allait abattre la papauté, c’est-à-dire tout Je moyen âge, Je guerrier et le prêtre. Mais le peuple lassé de l’un et de l’autre n’en voulait plus. Il s’était aperçu que l’homme d’armes le mangeait, que Je prêtre l’exploitait et le trompait de son c6té. Longtemps il s’était contenté d’inscrire ses railleries sur la pierre des cathédrales, de faire des chansons contre le seigneur, de lâcher, comme dans Je Roman de ta Rose, quelque mot mordant sur Le pouvoir ou la noblesse. Mais iI fallait quelque chose de plus : une révolte, une réforme. Le symbole était vieux, et même dans le symbole le mystère, la poésie ; et c’était -un besoin général de sortir des entraves, d’entrer dans une autre voie. Besoin de la science, même besoin dans la poésie, dans ‚la philosophie. Dès 1473, une caricature représentant I’Eglise avec un corps de fèmme, des jambes de poule, des griffes de vautour, une queue de serpent, avait couru l’Europe entière. C’était l’époque de Commines, de Machiavel, de l’Arétin. La papauté avait eu Alexandre VI, elle avait Léon X qui ne valait guère mieux. L’orgie intellectuelle allait venir. Elle sera longue et finira avec du sang. Au xviii8 siècle elle s’est renouvelée et a fini de même.

  C’était donc au milieu de tels événements, dans une telle époque que vivait Rabelais. Ne nous étonnons plus alors si en présence de cette société toute chancelante sur ses bases, toute haletante de ses débauches, devant tant de choses démolies et devant tant de ruines, il se soit élevé un immense sarcasme sur ce passé hideux du moyen âge qui palpitait encore au XVI8 siècle, et dont le xvi8 siècle avait horreur lui-même.

  Qu’est-ce donc que Rabelais ? (1)

  Essayons de le dire.

  La mère de Gargantua Le met au monde dans une indigestion qu’elle eut pour avoir mangé trop de fouace, car les héros sont de terribles mangeurs ; ils mangent, ils mangent si bien qu’ils affament le monde ; provinces, duchés, royaumes sont ravagés par leur vorace appétit. Voilà donc Gargantua qui vient au monde, et dès qu’il voit le jour il demande : ((A boire ! à boire !)) Son enfance est robuste, une enfance de géant. A un an, il chante des rondeaux, ses gouvernantes Le corrompent, il est tout couvert d’habits de cour, c’est un vrai gentilhomme. On lui apprend la philosophie, il controverse avec Les sophistes, lit Pline, Athénée, Dioscoride, Galien, Aristote, Ehen ; il apprend La géométrie, la musique, La médecine ; il joue à tous les jeux, s’amuse de toutes les façons, boit vigoureusement. Après La guerre qu’il soutint pour son père Grangousier contre PicrochoLe, quand il vint à se peigner iI faisait tomber de ses cheveux des boulets d’artillerie, et il avala dans une salade six pèlerins qu’il retira avec son cure-dents.

  Mais ce qu’il y a de plus beau dans le roman, ce ne sont point les inventions, les aventures, ni ce style si naïf, à l’expression si pittoresque, àla phrase si bien ciselée en relief, c’est le dialogue, le comique des caractères, les longues causeries philosophiques de Gargantua et du moine, qui lui explique pourquoi les moines sont exclus du monde, pourquoi les demoiselles ont les cuisses fraîches, pourquoi les uns ont le nez plus plat que les autres, etc. Après tout, Gargantua est un bon

  Inédit, page 149 A page 154, ligne 5.

  diable, il fait grâce à ces ennemis, et sur ses vieux jours il se retire dans le manoir des Thélémites.

  Dans Je roman de Gargantua le caractère du héros domine presque exclusivement, les autres sont accessoires et vaguement définis. C’est surtout la force et la vigueur qui prédominent : ce sont de joyeux buveurs aux propos libertins, à la saiLlie franche, avec moins de malice sceptique et de satire mordante que dans Pantagruel ; Gargantua, c’est tout entier l’homme de guerre tel qu’il pouvait L’être vers 1520, il commence à abandonner l’épée pour la plume, la cuirasse pour Le bonnet.

  Pantagruel a une généaLogie avouée, inscrite, iL est fils de tous les rois : tous les géants, tous les grands hommes mèdes, persans, juifs, romains, grecs, héros antiques, paladins du moyen âge, tous sont ses pères ; son propre père, Gargantua, avait, lors de sa naissance, quatre cent quatre-vingt-quatre et quarantequatre ans. Sa femme mourut en mal d’enfant ; pour baptiser Pantagruel on employa l’eau de tout le pays, qui fut 36 mois 7 semaines 4. jours 13 heures et queLque peu davantage sans pluie.

  Gargantua ne sait s’il doit se réjouir de la naissance de son fils ou se désoLer de la mort de sa femme ; tour à tour il rit, il pleure, il s’écrie : “Ah pauvre Panta “gruel ! tu as perdu ta bonne mère, ta douce nour “rice, ta dame très aimée. Ha faulse mort ! tant tu “me es malivole, tant tu me es outrageuse de me “tolLir celle à laquelle immortalité appartenait de “droit” ; et ce disant pleurait comme une vache, mais tout souldain riait comme ung veau quand Pantagruel lui venait en mémoyre. “Oh ! mon petit-fils, disait-il, “mon couillon, mon peton, que tu es joly, tant je suis “tenu à Dieu de ce qu’il m’a donné ong si beau fils ((tant joyeux, tant riant, tant joly ! Ho ! ho ! ho ! que “je suis ayse, buvons, ho ! laissons toute méLancholye, “apporte du meilleur, rince Les verres, boutte la “nappe, chasse Les chiens, souffle ce feu, allume La “chandelle, ferme cette porte, taille ces soupes, envoie “ces pauvres, baille-leur ce qu’ils demandent ; tiens “ma robe, que je me mette en pourpoint pour mieux “festoyer les commères.)) Puis il ajoute : ((Ma femme “est morte, je ne la ressusciterai pas par mes pleurs, “il faut mieux pleurer moins et boire davantage.))

  Pantagruel, dans son enfance, humait chaque jour le lait de 4,600 vaches ; on lui donnait sa bouillie dans un poeslon auqueL furent occupés tous les pesliers de Saulmur en Anjou, Villedieu en Normandie, Bramont en Lorraine ; il le brisa avec ses dents et mangea du cuivre.

  Il part à Paris, lit tous Les livres de l’abbaye de Saint-Victor, devient docteur ; il prononce des jugements, se lie d’amitié avec Panurge, Lequel “estait malfaisant, pipeur, buveur, batteur de pavé, riMeur s’il en estait à Paris”. Au demeurant le meilleur fils du monde.

  “Et toujours machinait quelque chose contre les sergents et contre le guet”. Il obtient des pardons, marie les vieilles femmes, guérit les vaches ; il aime les grandes dames et fait le haut seigneur ; il accompagne Pantagruel et Lui dit mille choses inconnues, il tromphe pour lui sur un clerc d’Angleterre venu exprès de son pays pour arguer. Panurge va à la guerre contre les Dipsodes ; après la victoire on lui accorde un éveché, mais il s’y conduit en laïque, mange son bled en herbe, puis il veut se remarier, mais il a peur. Il se conseilLe à Pantagruel, il interprète Les songes, les vers de Virgile, va consulter la Sibylle de Panzout, PUis Un poète nommé Raminagrobis, se consulte à tous ceux qui l’entourent, ses amis, les passants, tout le monde ; il rencontre frère Jean des Entommeures qui J’en détourne, il demande des avis Lt Hippotadée, théologien, à Rondibihis, médecin, à un philosophe platonicien, à un philosophe pyrrhonien, il finit par en demander à TribouLet, et, ne sachant que faire, il s’embarque pour aller consulter l’oracle de la Dive Bouteille. Il se munit de force provisions de bouche et part ; mais survient une tempête et il a peur, il se rccommandc à Dieu et à tous les saints, il pleure, sanglote, gémit, fait des vœux ; les nauchiers euxmêmes se démontent et abandonnent Je navire au fort de la tempête. Après l’ouragan Panurge fait le bon compagnon et soutient qu’il n’a pas eu peur, il se raille de Dieu et se moque de L’Océan.

  Ils visitent toutes les nations, et nulle part ils ne rencontrent ce qui est bon. D’abord ils voient le pays de Chicanous, de là celui dc Quaresme prenant, puis ils arrivent dans la contrée des Ar1douilles commandées par Riflandouille et Tailleboudin, ensuite ils vont dans l’ue des Papefigues, puis dans celle des Papimanes ; ils vont toujours et jamais ils ne s’arrêtent.

  Pantagruel descend au manoir de Messire Guaster, premier maître ès arts du monde ; celui-là est Je tyran universel, et nos héros lui obéissent encore plus qu’à d’autres

  Ils passent successivement dans l’ue Sonante, où lusage du carême deplait souvera
inement à Panurge et où les Papigots règnent absolument. Ils restent quelque temps, mais comme à toute heure, jour et nuit, on venait les réveiller pour boire, Pantagruel lui-même en est ennuyé. Ils s’enfuient des terres dc Rome, arrivent dans le pays de Quinte essence, et ce n’est enfin qu’après avoir passé dans he pays de Satin, où ils virent Ouïdire, qu’ils arrivent enfin à la Dive Bouteille, terme du voyage.

  Et dans toute cette longue course effrénée à travers Je monde, ce qui domine, ce qui brille, ce qui retentit, c’est un éternel rire, immense, confus, un rire de géant, qui assourdit les oreilles et donne Je vertige ; moines, soldats, capitaines, évêques, empereurs, papes, nobles et manants, prêtres et laïques, tous passent devant ce sarcasme colossal de Rabelais, qui les flagelle et les stigmatise, et ils ressortent de dessous sa plume tous mutilés et tous saignants.

  Il y avait derrière Rabelais tout un moyen âge sombre et terrible ; les longues douleurs du peuple, ses haines contre le seigneur et contre le prêtre étaient vieilles, depuis longtemps les croyances et les servitudes pesaient également ; mais La vieille société vivait encore avec ses tyrannies pour Le corps, ses entraves pour la pensée, le seigneur était encore dans son donjon, le prêtre dans sa riche et grasse abbaye, le pape dans sa monstrueuse ville de Rome. Mais tout à coup il survient un homme (et pour que la raillerie soit plus forte, un moine !) qui se met à écrire un livre, un livre sans suite, sans formes, à la pensée vague, peut-être sans plan prémédité, sans idée fixe, mais plein de railleries mordantes et cruelles contre le seigneur malgré son armée, contre le prêtre malgré sa sainteté, contre le pape malgré ses bulles ; la vieille cathédrale gothique est toute dègradée, toute salie, toute souillée ; tout ce qu’on a jusqu’alors respecté depuis des siècles, philosophie, science, magie, gloire, renommée, pouvoir, idées, croyances, tout cela est abattu de son piédestal, l’humanité est dépouillée de ses robes de parade et de ses galons mensongers ; elle frémit toute nue sous le souffle impur du grotesque qui la serre depuis longtemps, elle est laide et repoussante, Panurge lui jette à la tête ses brocs de vin, et se met à rire. Et au milieu de tout cela, Les aperçus les plus fins sur la nature de l’homme, les nuances les plus délicates du cœur, les analyses les plus vraies, des scènes qu’eût avouées MoLière et qui ont fait pâmer de rire nos aïeux, qui avaient plus d’esprit que nous et qui lisaient les bons auteurs du bon vieux temps. Ce n’est ni la pointe acérée et aiguisée de Voltaire, avec son rire perçant, sa bile recuite, sa morsure envenimée, ni la colère naïve et déclamatoire de Jean-Jacques, ni les sanglots étouffés de Byron, ni la douleur réfléchie de Goethe, c’est le rire vrai, fort, brutal, le rire qui brise et qui casse, ce rire-là qui, avec Luther et 93, a abattu le moyen âge.

  Ceux qui ont prétendu donner de Rabelais des clefs, voire des allégories à chaque mot, et traduire chaque lazzi, n’ont point, selon moi, compris Je livre. La satire est générale, universelle, et non point personnelle ni Locale. Une attention suivie dément vite cette vaine tentative.

  Citerai-je tout ce que Je xvi0 siècle a fait dans ce sens-là et toute la boue qu’il a jetée sur le moyen âge dont il était sorti ? Ainsi, sans même parler de l’Arioste, Falstaff, Sancho, Gargantua ne forment-ils pas une trilogie grotesque qui couronne amèrement la vieille société ?

  Falstaff est à lui seul l’homme de l’Angleterre, le John Bull bouffi de bière forte et de jambon, gros, sensuel, se relevant d’entre les cadavres, tirant de sa gibecière un flacon de vieux vin d’Espagne. Ce n’est point le grotesque terrible d’lago, ni l’immoralité raisonnée du Maure Hassan de Schiller. Sa seule passion c’est de s’aimer. Il la porte au plus haut degré ; elle est sublime. C’est l’égoïsme personnifié avec un certain fonds d’analyse et de scepticisme qu’il fait tourner à son profit.

  Quant au pacifique Sancho Pança, monté sur son baudet, avec sa figure basanée et paresseuse, soufflant la nuit, dormant le jour, l’homme poltron, l’homme qui ne conçoit pas l’héroïsme, l’homme des proverbes, l’homme prosaïque par excellence, n’est- ce pas la raison criant de toutes ses forces à don Quichotte d’arrêter et de ne pas courir après les moulins à vent qu’il prend pour des géants ? Le gentilhomme y court, mais il s’y casse Je bras, s’y meurtrit la tête. Son casque est un plat à barbe, son cheval, Rossinante. Et l’âne du laboureur se met à braire devant son blason. Placée entre ces deux figures, celle de Gargantua est plus vague, moins précise. Les formes en sont plus amples, plus lâchées, plus grandioses. Gargantua est moins glouton, moins sensuel que Falstaff, moins paresseux que Sancho, mais il est plus buveur, plus rieur, plus criard. Il est terrible et monstrueux dans sa gaieté.

  (‘)Au reste, Rabelais est une longue étude à faire, il faut Je connattre tout en entier pour l’apprécier, des analyses et des extraits Le mutilent et le gâtent ; c’est en l’approfondissant que l’on verra tout ce qu’il y a de sève, de vigueur, d’imagination, de génie sous cette forme triviale et grossière, on s’étonnera de tant de diamants ensevelis, des forces de l’Hercule sous l’habit du bouffon.

  Une dernière réflexion qui termine. Rabelais n’a sondé que La société telle qu’elIe pouvait être de son temps. Il a dénoncé des abus, des ridicules, des crimes, et, que sais-je, entrevu peut-être un monde politique meilleur, une société tout autre. Ce qui existait de lui faisait pitié, et, pour employer une expression triviale, le monde était farce. Et il l’a tourné en farce.

  Depuis lui, qu’est-ce qu’on a fait ? Tout est changé. La réfirme est venue. Indépendance de la pensée. La Révolution est venue. Indépendance matérielle.

  Et encore ?

  Mille questions ont été retournées, sciences, arts, philosophies, théories, que de cho….s seulement depuis vingt ans ! Quel tourbillon ! Où nous mènera-t-il ?

  Voyez donc : où êtes-vous ? Est-ce le crépuscule ? est-ce l’aurore ? Vous n’avez plus de christianisme. Qu’avez vous donc ? des chemins de fer, des fabriques, des chimistes, des mathématiciens. Oui, le corps est mieux, la chair souffre moins, mais le cœur saigne toujours. L’âme, h’àme, la sentez-vous se déchirer, quoique l’enveloppe qui la renferme soit calme et bienheureuse ? Voyez comme elle s’abtme dans le septicisme universel, dans cet ennui morne qui a pris notre race au berceau, tandis que la politique bégaye, que les poètes à peine ont le temps de cadencer leur pensée et qu’ils la jettent à demi écrite sur une feuille éphémère, et que la balle homicide éclate dans chaque grenier ou dans chaque palais qu’habitent la misère, l’orgueil, la satiété !

  Les questions matérielles sont résolues. Les autres le sont-elles ? Je vous Je demande. Dites-Je-moi. Et tant que vous n’aurez pas comblé cet éternel gouffre béant que l’homme a en lui, je me moque de vos efforts, et je ris à mon aise de vos misérabLes sciences qui ne valent pas un brin d’herbe.

  Vienne donc maintenant un homme comme Rabelais ! Qu’il pUiSSe SC dépouiller de toute colère, de toute haine, de toute douleur ! De quoi rira-t-il ? Ce ne sera ni des rois, il n’y en a plus ; ni de Dieu, quoiqu’on n’y croie pas, cela fait peur ; ni des jésuites, c’est déjà vieux.

  Mais de quoi donc ?

  Le monde matériel est pour le mieux, ou du moins il est sur la voie.

  Mais L’autre ? Il aurait beau jeu. Et si le poète pouvait cacher ses larmes et se mettre à rire, je vous assure que son Livre serait Je plus terrible et le plus sublime qu’on ait fait.

  NOTE.

  Cette étude sur RaMais a paru pour la première fois dans Pox tes Champs et pox les Grèves, Paris, Charpentier, éditeur, i886.

  Le manuscrit n’est pas daté, mais une allusion y est faite dans la Correspondance en 1839.

  MADEMOISELLE RACHEL.

  Mlle Rachel, hélas ! a pris congé de nous, hier soir. L’adieu que nous lui avons donné (est-ce bien vraiment le dernier adieu ? espérons que non et qu’elle consentira à reparaître au moins dans Bajazet, où nous avons encore tant envie de l’applaudir), cet adieu, triste pour nous, était plein d’enthousiasme et de regrets. On l’a rappelée comm
e de coutume, on lui a jeté des couronnes, Les plus rustres se sont sentis émus, les plus grossiers étaient touchés, les femmes applaudissaient dans les loges, le parterre battait de ses mains sans gants, la salle trépignait ; et à l’heure où j’écris ceci à la hâte j’en suis encore tout troublé, tout ravi, j’ai encore la voix de la grande tragédienne dans les oreilles et son geste devant les yeux.

  Je me la rappellerai longtemps, ainsi qu’une statue grecque largement drapée qui eût ouvert les lèvres et dit des vers d’Euripide, car c’est là de l’art grec, et du plus pur et du plus simple ; en l’écoutant on se prend à rêver à je ne sais quel profil idéal et classique, c’est en effet ce qui d’abord saillit dans son jeu. Mais il n’y a pas seulement la pose forte de la Muse antique, le geste accablant, le mot bien dit, il n’y a pas seulement profil pur et ligne découpée, il y a avant tout Je cœur qui anime chaque mot, fait part bis d’un vers toute une scène, toutes les qualités de diction et de jeu, en un mot, également et habilement menées, sous une inspiration toujours conduite et retenue, inspiration intime et qui palpite bien plus dans le cœur de l’artiste qu’elle ne s’étale complaisamment aux yeux du spectateur ; et de ce jeu si varié, si nuancé, où tant de qualités éclatantes font trait, saillissent à l’œil et nous prennent d’admiration, de cette poésie dramatique où chaque hémistiche a son accent particulier, il en résulte néanmoins quelque chose d’harmonieux, de complexe et d’exquis ; on se laisse aller à un étonnement mêlé d’extase, qui va droit au cœur, sans fracas et sans éblouissement, et vous êtes captivé, charmé, même aux gestes les plus simples, même aux mots les plus ordinaires.

 

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