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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 448

by Gustave Flaubert


  M. CASIMIR, professeur de gymnastique

  M. le Vicomte DE RUMPIGNY

  Valentine DE GRÉMONVILLE

  Thérèse, sœur de Valentine

  Mme de GRÉMONVILLE

  Mme DUVERNIER

  La Vicomtesse DE MÉRILHAC

  Victoire

  Une domestique de Mme DE MÉRILHAC

  Un domestique de Mme DE SAINT-LAURENT

  Une fille de basse-cour

  Une nourrice

  Le spectacle a été créé à la Comédie de Genève,

  le 20 mars 1984

  Mise en scène : Benno Besson

  Décor et costumes : Ezio Toffolutti

  Avec :

  Jacques Amiryan, Carlo Brandt, Evelyne Buyle, Franck Colini, Danièle Devillers, Catherine Eger, Hélène Friedli, Dominique Gay, William Jacques, Laurence Montandon, Roland Sassi, Ma thé Souverbie.

  Assistants de mise en scène : Sima Dakkus et Dominique Serreau.

  ACTE I

  Scène 1

  Mme DE MÉRILHAC

  Amédée !

  AMÉDÉE

  Ma tante ?

  Mme DE MÉRILHAC

  As-tu fini d’écrire les noms de nos invités pour ce soir ?

  AMÉDÉE

  Oui, et de ma plus belle main ! en ronde superbe ! Brard et Saint-Omer auprès de moi...

  Mme DE MÉRILHAC

  Tu es capable d’avoir commis encore quelque bévue !

  Voyons.

  AMÉDÉE

  Voyez ! (Il se lève tendant un des billets.)

  Et d’abord notre nouveau ministre, Monsieur des Orbières...

  Fallait-il mettre Son Excellence ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Certainement !

  AMÉDÉE

  En toutes lettres ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Non ! un S et un E, puis ministre : Son Excellence le ministre de...

  (Pendant qu’Amédée, qui s’est rassis, écrit à part.)

  Il l’est enfin ! il l’est...

  AMÉDÉE

  (donnant les autres billets au fur et à mesure)

  Maintenant, voici les autres : Madame de Grémonville, Mademoiselle Valentine de Grémonville, Mademoiselle Thérèse de Grémonville, la considérable Madame Duvernier, son fils Monsieur Paul, et l’oncle, le vieux de la vieille, l’excellent général Varin des Ilots !

  Mme DE MÉRILHAC

  Parfait !

  AMÉDÉE (ironiquement)

  Vous croyez ? mais il manque quelqu’un.

  Mme DE MÉRILHAC

  Qui donc ?

  AMÉDÉE

  Et Gertrude ? Mademoiselle Gertrude ! est-ce que notre général peut s’en passer ? Ne faut-il pas qu’elle soit là pour le garantir du vent, de la pluie et du soleil, le forcer de mettre sa calotte de peur des rhumes et lui faire avaler son bouillon dès cinq heures, juste ? Il la mène, ou plutôt elle l’escorte partout, si bien qu’au jour de l’an je l’ai rencontré sur le boulevard en train de faire ses visites, côte à côte dans un cabriolet mylord avec sa bonne ; rien de plus folichon que leurs deux profils !

  Mme DE MÉRILHAC

  Faiblesse de vieillard ! N’importe ! Il nous a rendu service, un vrai service ; sans lui, Monsieur des Orbières ne serait pas maintenant au pouvoir ; c’est par son influence dans le comité de la Madeleine et les voix de ses vieux compagnons d’armes dont il dispose.

  AMÉDÉE

  Et où faut-il le placer, notre grand homme ? en face de vous n’est-ce pas ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Pourquoi cela, en face ?

  AMÉDÉE

  Mais... Chère tante, sa longue habitude de venir ici tous les jours... l’autorité qu’il y possède... enfin, c’est comme le maître de la maison !

  Mme DE MÉRILHAC

  Je n’aime pas ce genre de plaisanteries, tu sais !

  AMÉDÉE

  Cela va de soi-même, pourtant ! et le rapport de vos deux personnes n’a rien que de naturel. Lui, c’est un homme de tribune et de gouvernement ; vous, vous êtes une femme...

  académique, diplomatique et politique. Oh ! ne niez pas !

  Plus d’une motion importante est sortie du boudoir de la rue Bellechasse !... Et quels raouts, miséricorde ! Des messieurs, convenables comme des domestiques du GrandHôtel, et qui dissertent sur la fusion des Centres, l’esprit du dernier cabinet, ou la meilleure assiette des impôts !

  Le tout, bien entendu, d’après la direction du célèbre orateur, publiciste et homme d’Etat, Monsieur des Orbières...

  et on appelle la comtesse de Mérilhac (il salue) son Egérie...

  ce qui est un grand honneur pour vous, ou plutôt pour lui, chère tante.

  Mme DE MÉRILHAC

  Tu auras soin de te placer auprès de Valentine.

  AMÉDÉE

  Moi ? je veux bien.

  Mme DE MÉRILHAC

  Et tu tâcheras, n’est-ce pas, de surveiller un peu tes manières ? je tiens à ce que tu plaises.

  AMÉDÉE

  Je plais toujours ! Dans quel but, ce soir, tout particulièrement...

  Mme DE MÉRILHAC

  Je trouve qu’il faudrait quitter enfin la vie de garçon ; à cinquante ans, il n’est pas trop tôt de s’établir, de se marier.

  AMÉDÉE

  Moi ! me marier ! allons donc ! Un mariage, des enfants !

  D’abord, je déteste les enfants, et quant à subir le joug d’une femme...

  Mme DE MÉRILHAC

  Fais ce que je te dis... Et tu mettras ton ami Paul près de Thérèse.

  AMÉDÉE

  Auriez-vous également, à son endroit, des intentions d’hyménée ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Pourquoi pas ?

  AMÉDÉE

  Celui-là, je l’avoue, est de naissance prédestiné au mariage ; sa mère le gouverne comme un marmot, jusqu’à régler la longueur de sa barbe, interdiction de la cigarette, défense du bal masqué et privation de sortie après minuit ! Et, comme elle le contrecarre dans tous ses goûts, sans qu’il regimbe ! Avec Thérèse ce sera bien pire, car je la trouve, moi, une petite personne désagréable ; elle tient cela peutêtre de son père que l’on dit fou ? Ce bonhomme Grémonville ne vit pas avec sa femme.

  Mme DE MÉRILHAC

  Tu ferais mieux de ne pas répéter des cancans., pareils !

  Du reste, je partage ton opinion sur Valentine (geste d’étonnement d’Amédée), elle est charmante, tandis que Thérèse, entre nous, me semble un peu nigaude, sans compter un caractère boudeur, avec un entêtement !

  AMÉDÉE

  Eh bien ! au lieu d’un maître, le pauvre garçon en aura deux ! Sera-t-il assez inspecté, et grondé, tiraillé, surmené !

  Avant six mois il est fourbu, je parie ! (riant) Très drôle !

  très drôle !

  Scène 2

  Mme DE MÉRILHAC

  Exact comme un simple mortel !

  M. DES ORBIÊRES (lui baisant la main)

  C’est bien le moins, chère Madame. Depuis longtemps déjà j’aurais dû...

  AMÉDÉE

  Croyez, Monsieur le Ministre, que, pour ma part, je m’estime fort heureux...

  M. DES ORBIÈRES

  Bien, bien, mon jeune ami ! mais entre nous...

  AMÉDÉE (prenant son chapeau de paille pour sortir)

  On se comprend, Monsieur le Ministre, et comme je sais le prix de vos instants, j’aurais peur...

  M. DES ORBIÈRES

  Non !... pas le moins du monde !

  AMÉDÉE

  Si fait ! permettez ! D’ailleurs, il faut que j’aille pour ma tante...

  M. DES ORBIÈRES

  Oh ! alors...

  AMÉDÉE (à part, en se retirant)

  Que j’aie de très mauvaises manières, c’est possible ! mais je ne manque pas d’une certaine délicatesse ! (sur le seuil, au fond) Bénissez-moi, donc, vieux tourtereaux !

  Scène 3

  Mme DE MÉRILHAC

  Eh bien ?

  M. DES ORBIÈRES

  Ah !... la
transition est jugée... un peu brusque ! on m’appelle renégat, on crie.

  Mme DE MÉRILHAC

  Laissez crier.

  M. DES ORBIÈRES

  Us ne veulent pas comprendre que mon entrée au pouvoir ne change en rien mes convictions, et que je suis toujours aussi libéral qu’auparavant.

  Mme DE MÉRILHAC

  C’est ce qu’il faut dire.

  M. DES ORBIÈRES

  Et même encore plus, peut-être.

  Mme DE MÉRILHAC

  Sans doute !... aussi je m’applaudis de vous avoir montré indirectement le chemin, et enlevé des scrupules qui prenaient leur cause, non pas dans l’insuffisance de votre coup d’oeil, grâce au ciel, mais dans l’exagération d’une probité...

  M. DES ORBIÈRES

  Une fois de plus, je m’incline. Et d’ailleurs, n’ai-je pas d’innombrables motifs pour admirer l’excellence de vos conseils ? Vous avez été pour moi un secours, une lumière, un dévouement continu, si bien qu’à chaque pas dans ma carrière, à chaque échelon de ma fortune j’ai senti se développer ma reconnaissance et grandir... ma tendresse.

  Mme DE MÉRILHAC

  Eh ! j’ai soixante-trois ans, mon ami !

  M. DES ORBIÈRES

  Pour moi, vous êtes toujours à la trentaine.

  Mme DE MÉRILHAC

  Flatteur !

  M. DES ORBIÈRES

  Non pas ! et vous calomniez votre âge ; c’est à cause de lui que je vous adore. Il faut que les caprices de la jeunesse soient disparus si nous voulons trouver dans une femme le plus fidèle, et le plus intelligent des amis !

  Mme DE MÉRILHAC

  Je ne suis qu’un reflet, le vôtre, vous le savez ; avocat, journaliste, député, j’ai suivi, j’ai partagé orgueilleusement tous vos triomphes, et à présent que vous êtes le Pouvoir, ce ne sont plus des paroles et des écrits que j’attends, mais des œuvres, de grandes choses ! Vous les ferez (geste de des Orbières), oh ! j’en suis sûre ! Pardon, une misère, j’oubliais ! avez-vous pensé à cette place d’inspecteur des Beaux-Arts pour le jeune Duvernier ?

  M. DES ORBIÈRES

  Toutes, malheureusement, sont prises.

  Mme DE MÉRILHAC

  Faites-en une autre !

  M. DES ORBIÈRES

  Il n’y a pas d’argent au budget !

  Mme DE MÉRILHAC

  Trouvez-en !

  M. DES ORBIÈRES

  Je vous répète que c’est impossible !

  Mme DE MÉRILHAC

  Ah ! n’importe, il me la faut !

  M. DES ORBIÈRES

  Mais, chère amie, quel est là-dedans votre intérêt ?

  Mme DE MÉRILHAC

  C’est que je marie mon neveu Amédée Peyronneau à Valentine de Grémonville.

  M. DES ORBIÈRES (d’un air maussade)

  Tiens ! pourquoi ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Cela vous choque ? cependant la fortune de Valentine...

  M. DES ORBIÈRES

  Sans doute ! mais ce qui s’est passé autrefois à Toulouse ?

  Madame de Grémonville, malgré ses grands airs de vertu...

  (Geste de Mme de Mérilhac comme pour dire : je m’en moque.’) Permettez, je connais parfaitement l’histoire, et même, comme avocat, j’ai donné à Monsieur de Grémonville une consultation.

  Mme DE MÉRILHAC

  Alors, vous savez que Valentine a été avantagée par son père ?

  M. DES ORBIÈRES

  Oui ! je le sais ; mais quel rapport entre les demoiselles de Grémonville et une place pour Monsieur Duvernier ?

  Mme DE MÉRILHAC

  C’est afin de reconnaître dans la personne du neveu les services rendus par l’oncle.

  M. DES ORBIÈRES

  Eh ! le général n’est pas homme...

  Mme DE MÉRILHAC

  Pardon ! le général Varin des Ilots, soit embarras ou délicatesse, n’a pas osé vous la demander lui-même, mais il en a envie, j’en suis sûre, il me l’a dit. (à part) De cette façon-là, mon maître, vous serez bien forcé...

  M. DES ORBIÈRES (se grattant l’oreille)

  Diable ! diable !...

  Mme DE MÉRILHAC

  Cette place n’est pas considérable, la dot de Thérèse non plus, mais la place et la dot réunies donneront aux jeunes époux Duvernier un revenu fort honnête ; c’est un moyen d’équilibrer les choses, de rendre la position des deux sœurs égale, et, puisque je marie mon neveu à Valentine, de faire entrer Paul dans ma famille. D’ailleurs, cet exemple moralisera Amédée, et je ne vois pas, mon cher Ministre, que le Gouvernement serait bien malade quand vous dénicheriez dans les Beaux-Arts...

  M. DES ORBIÈRES (avec empressement)

  Il s’y connaît ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Eh ! tout le monde s’y connaît !

  M. DES ORBIÈRES

  D’accord, mais...

  Mme DE MÉRILHAC

  Savez-vous ce qui vous retient ? la peur des journaux ! Ah !

  quelle faiblesse !

  M. DES ORBIÈRES

  Il n’y a pas de faiblesse à respecter la loi. Est-ce que je peux, moi...

  Mme DE MÉRILHAC

  Ce que vous pouvez ? vraiment ! et vous êtes un homme !

  Il faut avoir l’audace de sa faiblesse, mon ami, et le dédain brutal de l’opinion est parfois de l’habileté... Moi, quand je me suis vu des cheveux gris, j’ai poudré à blanc tout le reste, hardiment, ce qui m’a rendue plus jeune. Osez tout, et on vous trouvera fort... Ah ! vous êtes loin des grands modèles ! Le Cardinal de Richelieu, Monsieur de Talleyrand, et même Mirabeau, n’y auraient pas tant regardé !

  M. DES ORBIÈRES (à part)

  Quelle femme !

  Mme DE MÉRILHAC (remontant)

  Ce sera fait bientôt, n’est-ce pas ? On peut compter...

  M. DES ORBIÈRES (derrière elle)

  Ah ! je ne promets rien.

  Mme DE MÉRILHAC

  Allons donc ! vous vous moquez !

  Scène 4

  Mme DUVERNIER (minaudant)

  Ah ! comtesse, quelle délicieuse résidence vous avez là !

  Des fleurs, une pelouse, un étang, qui est un lac !... A

  chaque détour d’allée un site nouveau, jusqu’à la façade de la maison !... Comme on reconnaît aux moindres choses...

  (à Paul) Tu pourrais bien, par convenance, renforcer ce que je dis d’agréable, (haut) Non ! véritablement tout a un cachet !...

  Mme DE MÉRILHAC

  Vous me comblez ! (à M. des Orbières) Madame Duvernier, une de mes bonnes amies... Son fils, Monsieur Paul... (à Mme Duvernier) Permettez-moi de vous présenter notre ministre, Monsieur des Orbières.

  MME DUVERNIER

  Lui ! le ministre ! Ah ! Monsieur, quel immense honneur pour moi que de me trouver face à face avec un homme...

  de votre capacité ! (à M”“ de Mérilhac, de manière à être entendue) un génie, et si simple !

  M. DES ORBIÈRES (s’inclinant)

  Madame !

  Mme DUVERNIER (à Paul)

  Trouve donc un compliment pour Son Excellence... l’occasion !

  PAUL

  Mais tout de suite, ce serait...

  Mme DE MÉRILHAC (désignant Paul)

  L’ami de mon neveu, le jeune homme dont...

  M. DES ORBIÈRES

  Ah ! fort bien ! Vous n’êtes pas un inconnu pour moi, Monsieur, et soyez persuadé...

  (Il le prend par le coude et remonte avec lui doucement vers le fond ; les femmes restent au premier plan.)

  Mme DE MÉRILHAC

  Dépêchons-nous, pendant qu’ils causent plus loin ! Et d’abord, notre grand projet, que devient-il ?

  Mme DUVERNIER

  Le général a promis de tâter le terrain, j’aurai sa réponse prochainement, peut-être même aujourd’hui.

  Mme DE MÉRILHAC

  Monsieur votre fils doit être d’une impatience !

  Mme DUVERNIER

  Pourquoi ?

  Mme DE MÉRILHAC

/>   Amoureux comme il est !

  Mme DUVERNIER

  Mais non ! Je ne lui ai encore rien dit !

  Mme DE MÉRILHAC

  Alors que savez-vous si Thérèse...

  Mme DUVERNIER

  Oh ! il ne refusera pas une femme de ma main !

  Mme DE MÉRILHAC

  Voilà un fils modèle, chère Madame, recevez-en mes compliments.

  Mme DUVERNIER

  Pour être dans le vrai, certains indices, de ces petits détails peu importants par eux-mêmes, mais qui, réunis, ont leur signification, me donnent à croire que la jeune personne ne lui est pas indifférente. Pendant les visites que nous faisons aux dames de Grémonville, j’ai remarqué qu’il avait de la pâleur, avec des yeux !... Ah ! comtesse ! Quels yeux !

  Ça me rappelle son pauvre père quand il était dans la même position, et je vous avoue que, à sa place, moi aussi c’est bien Thérèse que je choisirais... un agneau, du bon sens, pas évaporée, pas artiste, avec le goût naturel de l’économie, enfin une vraie femme d’intérieur, tout ce qu’il faut pour gagner la confiance d’une mère de famille, en être une elle-même !

 

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