Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 487

by Gustave Flaubert


  Sous le porche il y a douze apôtres maigres, avec des mines assez naïves, et l’intérieur, quoique roman (mais plus blanchi, hélas ! que la face de Pierrot), n’a rien, que de gros œufs d’autruche suspendus en ex-voto à la statue de la Vierge et qui rappellent ceux que mettent les musulmans dans les mosquées. Si cela arrête une minute et fait sourire en notre esprit la poésie des rappro- chements, vous en êtes puni bientôt par la vue d’un ossuaire du goût le plus horripilant qu’il soit possible de souffrir.

  Dans la crainte de nous perdre en chemin, et comme nous voulions arriver de bonne heure à Brest, nous nous enquîmes d’un guide.

  — Voilà un monsieur qui vous y mènera bien, il y retourne lui-même, nous dit notre hôtesse en nous désignant du doigt un bourgeois accoudé sur la table de la cuisine et qui trinquait avec un maréchal ferrant.

  Quand la bouteille fut vidée, le monsieur se leva, prit une prise dans une tabatière en écaille et se tournant vers nous :

  — Vous allez à Brest, messieurs ?

  — Oui. — Moi aussi. Nous allons donc faire route en- semble, nous pourrons causer, ça nous distraira.

  II était petit et commençait à prendre du ventre ; ses cheveux noirs, coupés ras par derrière, fri- saient sur la tempe gauche en une boucle qui s’avançait jusqu’au coin de la paupière, et son cha- peau, s’en allant sur l’oreille droite, découvrait un front rétréci qui paraissait plus fuyant encore à cause de sa mâchoire allongée. Malgré ses joues pendantes, sa figure était maigre. II clignait sou- vent des jeux et n’arrêtait pas de sourire. Une redingote de Iasting, trop courte de taille, couvrait son dos voûté, et de ses manches trop petites sor- taient deux grosses mains rouges, mains pares- seuses, plus grasses que fortes, et dont la peau semblait humide. Sous un gilet de satin noir à schall, brodé de bouquets vert tendre, s’étalait une chemise de coton fort blanche, durement em- pesée, sur laquelle filaient les deux rubans blonds d’une chaîne de sûreté en cheveux qui retenait dans un large gousset sa belle montre d’or. Sur sa cravate affaissée, son cou engoncé tournait à l’aise, et son pantalon à grand pont, éraillé aux boutonnières et bombé aux genoux, s’arrêtait à mi-jambe sur la tige d’une forte botte dont le cuir dur ne ployait pas. II marchait vite, regardant à terre, baissant la tête et relevant l’épaule droite sous laquelle il serrait un formidable gourdin fait d’un bois des îles garni dans toute sa longueur de piquants aigus.

  Et il causait ! il causait ! il parlait toujours, nous narrant les anecdotes de gens inconnus, nous rap- portant des dialogues entiers, nous entretenant de ses opinions politiques, de ses goûts en cuisine, de sa santé, de son commerce, de ses relations, du prix des denrées, de sa femme,de son beau-père, de son petit chien, de son poêle qui fume. II s’ap- pelle monsieur Genès, it est fixé à Brest, il fait pour soixante mille francs d’affaires par an ; il a été successivement armurier, soldat, mouchard, inspecteur des filles, concierge du dispensaire et il est maintenant établi, marié, propriétaire et agent d’affaires, c’est-à-dire marchand d’hommes, comme ils appellent ça en Bretagne.

  On présumerait qu’une telle existence a dû détremper ses vases sur celui qui l’a traversée et qu’on va s’amuser à les y ramasser à la cuillère, mais non ! rien n’est plus plat, plus nul, plus in- colore et plus insipide que M. Genès. II est bête comme un juge et aussi assommant que la bio- graphie des hommes utiles. Sans se douter le moins du monde de la saleté de son industrie, il se croit fort honnête homme, car il passe tous les marchés qu’il fait par-devant notaire. II est chaste dans ses propos et rangé dans sa conduite. Son seul goût est l’argent, sa seule prédilection le vin, et sans doute qu’il doit à l’habitude d’en boire cet air somnolent et débraillé dont la bonhomie superficielle atténue l’astuce de ses petits yeux gris et la dureté de ses lèvres minces.

  II n’a pas de vices, il regarde le jeu comme dangereux, les femmes comme pernicieuses. « On ne sait pas où ça vous mène, tandis qu’avec une vieille bouteille on s’arrête où l’on veut. » C’est un homme d’ordre, actif, malin, prudent et qui a peur des voleurs. II parait flatté de la considé- ration qu’on lui montre ; il respecte beaucoup les lois et vénère les gens de justice, notaires, avoués, huissiers ; il porte un couteau-poignard et jamais n’ôte son chapeau.

  Chemin faisant, il raccrochait les jeunes gens qu’il rencontrait et leur proposait de se vendre. Le remplaçant est d’ailleurs pour lui le type ac- compli du soldat parce qu’il ne craint rien, ne tient à rien, donne sa peau pour quelques cen- taines de francs, en un mot parce que « le rempla- çant est comme un forçat », définition qui satisfe- rait peu les défenseurs de l’honneur militaire.

  M.Genès n’aime pas le spectacle, c’est une des causes, entre autres, pour lesquelles il est sorti de la police ; cela l’ennuyait fort d’être obligé tous les soirs d’aller au théâtre. Puis, on lui disait aussi : « M. Genès vous avez tort ! un homme comme vous ne doit pas être attaché à la police.” Du reste il ne fréquente pas davantage les églises, il nous a déclaré n’y avoir pas mis les pieds trois fois en sa vie ; il est voltairien, d’ailleurs, et ami du progrès, mais toutefois plus ami du gouver- nement encore. II souhaite la guerre, « ça ferait aller le commerce ».

  A Plougastel cependant il s’arrêta comme nous, pour que nous puissions voir le calvaire, petit monument de granit, carré, dont chaque face représente un tableau de la vie de Jésus-Christ, et dont les quatre coins sont occupés par les évan- gélistes dans leurs attributions. Les personnages, un peu lourds, n’en sont pas moins mouvemen- tés, vivants, amusants : les hommes qui tiennent le Christ le lient de toutes leurs forces, à faire éclater leurs muscles ; celui qui lui grimace au nez en tirant la langue grimace si bien qu’il fait rire ; l’âne qui porte Notre-Seigneur entrant à Jérusalem a une vraie mine d’âne, bonasse et pa- cifique ; les soldats qui le mènent au calvaire, en soufflant de la trompe et battant du tambour, sont précédés d’un officier chevauchant, la figure en l’air, avec une arrogance sublime ; aux pieds de la croix la Madeleine en pleurs répand sa belle che- velure tressée. Mettez à tous ces personnages les costumes des tableaux deTeniers, les petits cha- peaux ronds retroussés, les bons pourpoints ser- rant de grosses bedaines, de grandes manches, des hautes chausses, de larges visages, des yeux ouverts, et vous aurez un ensemble d’une fantaisie solide, quelque chose de très naïf, de très élevé et d’une poésie toute moyen âge, quoique le mo- nument n’ait été construit qu’en 1602 en acquit- tement d’un vœu fait quatre ans auparavant à propos de je ne sais quelle épidémie qui rava- geait la Basse-Bretagne.

  Tout cela, du reste, fut complètement perdu pour M. Genès. Il ne se doutait même pas de ce que ça voulait dire ; en regardant la Cène il prit les plats pour des cartes, les coupes pour des dés et il dit, fort ébahi : « ils jouent ». C’est farce.

  De Plougastel au bord de la mer on dévale au milieu des bois par une pente rapide d’où l’on découvre une partie de la rade, celle du moins qui s’étend depuis Brest jusqu’à la rivière de Lan- derneau. A vos côtés se dresse une falaise de ro- chers blancs, rayée horizontalement par des couches de silex à pic et nue du côté des flots, mais par derrière, sur le plateau, couverte de chênes et de hêtres, surchargée de feuillages, et qui, lorsque vous descendez par le vallon entr’ou- vert dans son flanc, est d’une crâne tournure.

  Ici l’on s’embarque, on s’évite ainsi, comme à Landévennec, de décrire le circuit de l’anse, les découpures inégales de la rade s’avançant dans les terres en mille golfes capricieux dont il faudrait quelquefois toute une journée pour faire le tour.

  Avant de se mettre en mer, M. Genès eut soif et nous invita à entrer avec lui dans un cabaret de sa connaissance où, trouvant qu’on ne le ser- vait pas assez vite, il alla chercher lui-même le vin dans le cellier et tira les verres du buffet. Comme nous redoutions fort qu’il ne payât à boire, car la revanche eût été inévitable, nous nous empressâmes de solder, d’avaler et de dé- camper au plus vite.

  M. Genès, au contra
ire, voulait s’asseoir, s’at- tabler un peu, se rafraîchir ; il demandait des fraises et s’informait s’il y avait du café ; cepen- dant le batelier nous attendait, la marée était haute, il fallait partir. Les vagues sautaient sur le pavé de la cale où le bateau bondissait en cognant sa quille, leur écume rejaillissait sur les passagers qui s’embar- quaient, une casquette tomba à l’eau, et les bottes de M. Genès furent mouillées.

  La mer roulait, la brise était forte. Cahotée par les flots et tourmentée par un vent de nord- ouest qui nous poussait au fond de la baie, la lourde chaloupe n’avançait guère. Pendant le temps qu’on ramenait les avirons, elle se levait de l’avant, et pivotait arrêtée sur la pointe des vagues. Elles étaient blanches à leur crête, vertes dans leur courbure, bruissantes, nombreuses et se poussaient l’une sur l’autre avec un délire folâtre. Un brick devant nous qui prenait des bordées passait les voiles pleines, bouffi de vent, arron- dissant son ventre et s’en allait doucement, cou- pant l’eau qui clapotait contre sa carène.

  A l’horizon Brest apparaissait comme un point gris. Tout à I’entour, dans un cirque de 20 lieues bâti de rochers blancs, la mer s’étalait. A mes pieds, par terre, au fond de la chaloupe, était une cage d’oiseau qui contenait un merle pris le matin et que l’on apportait à la ville ; il criait de peur en entendant le bruit des flots.

  A côté de la cage, par terre aussi, se cachant le visage de ses mains, une jeune femme était assise dans une attitude désespérée ; elle sanglo- tait, elle priait Dieu, elle suppliait tout le monde de la sauver, elle jurait de ne jamais retourner à Plougastel, elle s’écriait qu’elle allait mourir. C’était une petite femme brune, grasse, sale, mal peignée, mal vêtue, dont les pieds larges, chaussés de bas bleus, s’épataient dans des souliers sans cordons, et qui portait un tablier noir usé sur son ventre rebondi par une grossesse avancée. A mesure que l’on s’écartait du rivage, sa terreur croissait et elle se rapprochait de plus en plus de moi pour s’accrocher à quelqu’un, pour saisir quelque chose. Dans le mouvement d’une vague plus forte elle se jeta à mes pieds et, m’étreignant aux flancs, elle s’enfonça la tête dans mes cuisses sans en vouloir sortir ; ses boucles d’oreilles frot- taient mes mains, je sentais ses seins haleter sur mes genoux et tout son corps frissonnant de ter- reur qui se serrait sur le mien.

  J’y prenais plaisir, pourquoi donc ? est-ce parce que nous nous aimons davantage quand nous nous sentons plus forts que les autres ? ou n’était-ce point plutôt parce que la virilité de l’homme se complétant de la faiblesse de la femme, s’en rehaussait de vanité, et y aiguisait son appétit ? II y avait ainsi, dans ce simple attouchement, tout le rapport d’un sexe à l’autre et comme la com- munication de leurs caractères mêmes. Quoi qu’il en soit, cela ne manquait pas de douceur et j’aurais voulu que la traversée fût plus longue.

  Et elle avait la crotte aux jeux !

  Nous épions le moment du débarquement pour sauter avant tout le monde afin de planter là M. Genès, dont la société nous était devenue tout à fait intolérable. Au lieu de rester un quart d’heure encore avec lui, nous eussions renoncé à Brest et couché à la belle étoile ; la mesure était comble, nous en étions ahuris, abrutis. II fut ce- pendant le premier hors du bateau, et comme il y avait sur le rivage un bouchon, il voulut nous y rendre notre politesse et nous offrit tout de suite son éternelle bouteille de vin.

  — Merci, il fait trop chaud.

  — Alors un peu de bière.

  — C’est trop lourd, ça empêche de marcher.

  — Un petit verre ?

  — Jamais nous n’en prenons.

  — D’anisette ?

  — Mille grâces, nous sommes pressés.

  — Un café ! ah ! un café !

  — Non, non, non, bien sûr non, adieu.

  II s’arrêta, hésitant un moment, puis avec un geste sublime : « Eh bien j’en prendrai tout de même, allez toujours ! je vais vous rejoindre ».

  De quel train nous filâmes ! ce n’était pas cou- rir, mais voler ! plus légers qu’une plume, la peur du Genès et la joie d’en être délivrés nous traî- naient en avant avec la vitesse d’un wagon em- porté par une double locomotive. A tout instant il nous semblait l’entendre derrière nous et nous n’osions point tourner la tête de peur d’apercevoir son chapeau.

  Brest, cependant, n’arrivait pas. Nous avions beau suer, nous hâter, la route s’allongeait tou- jours, la côte montait sans fin. On rencontrait quantité de promeneurs, des marins, des soldats, des enfants aux bras de leurs bonnes, des bour- geois qui prenaient l’air ou allaient dîner à leur maison de campagne dans une petite voiture de fa- mille ; tout annonçait pourtant les approches d’une ville, mais la ville reculait. Enfin n’en pouvant plus, nous sommes entrés dans un champ de blé où nous nous sommes laissés tomber par terre, fourbus, comme des rosses à bout d’haleine. Un nuage qui creva sur nous nous obligea bientôt à reprendre le sac et un quart d’heure après, Brest, grâce au ciel, montra ses toits. Le premier homme que nous varies en y entrant, ce fut M. Genès. II nous avait dépassés, sans doute pendant que nous faisions halte, et il causait avec un gendarme, mais cette fois nous ne le craignions plus, nous étions arrivés, à peu près du moins, car avant d’être aux portes de Brest il faut encore descendre un fau- bourg, longue rue continuant la grande route et que bordent de place en place des boutiques de charcutiers ou de marchands de vin, dont les enseignes patriotiques brillent à côté de grands cabarets délabrés qui ont des salons de réunion de ioo couverts, avec des guirlandes peintes à tous leurs étages.

  On s’arrêtait pour nous voir, nous en valions la peine. Poitrine nue et la chemise bouffant à l’air, la cravate autour des reins, le sac à l’épaule, blancs de poussière, hâlés par le soleil, avec nos habits déchirés, nos chaussures usées, rapiécées, nous avions une belle allure vagabonde, insolente et pleine d’orgueil ; le fer de nos souliers sonnait sur le pavé, sur nos dos nos sacs battaient la mesure, nos bâtons retombaient d’accord, et la fumée de nos pipes s’échappant sur le bord de nos cha- peaux se tordait comme un panache.

  Messieurs les officiers, ébahis de cette tenue, nous regardaient d’un air stupéfait, quelques ga- mins nous suivaient de loin et on nous arrêta pour nous demander nos passeports.

  II nous fut néanmoins fort agréable, arrivés à l’hôtel, de pouvoir nous rincer à l’eau chaude, de dormir enfin dans un lit propre et de nous asseoir dans un fauteuil. Nous nous plongeâmes dans les délices de la civilisation, nous prîmes un bain et ne mangeâmes point de veau.

  Lorsqu’on n’est pas ingénieur, constructeur ou forgeron, Brest ne vous amuse pas considéra- blement. Le port est beau, j’en conviens ; magni- fique, c’est possible ; gigantesque, si vous y tenez. Ça impose, comme on dit, et ça donne l’idée d’une grande nation. Mais toutes ces piles de canons, de boulets, d’ancres, le prolongement indéfini de ces quais qui contiennent une mer sans mouve- ment et sans accident, une mer assujettie qui semble aux galères, et ces grands ateliers droits où grincent les machines, le bruit continuel des chaines des forçats qui passent en rang et travaillent en silence, tout ce mécanisme sombre, impitoyable, forcé, cet entassement de défiances organisées, bien vite vous encombre l’âme d’ennui et lasée la vue. Elle se promène à satiété sur des pavés, sur des obus, sur les rochers dans lesquels le port est entaillé, sur des monceaux de fer, sur des madriers cerclés, sur des bassins à sec renfermant la carcasse nue des vaisseaux et toujours se heurte aux mu- railles grises du bagne, où un homme penché aux fenêtres éprouve le scellement de leurs bar- reaux en les faisant sonner avec un marteau.

  Ici la nature est absente, proscrite, comme nulle part ailleurs sur la terre, c’en est la négation, la haine entêtée, et dans le levier de fer qui casse la roche, et dans le sabre du garde-chiourme qui chasse les galériens.

  En dehors de l’arsenal et du bagne, ce ne sont encore que casernes, corps de garde, fortifications, fossés, uniformes, baïonnettes, sabres et tambours. Du matin au soir, la musique militaire retentit sous v
os fenêtres, les soldats passent dans les rues, re- passent, vont, reviennent, manœuvrent ; toujours le clairon sonne et la troupe marche au pas. Vous comprenez de suite que la vraie ville est l’ar- senal, que l’autre ne vit que par lui, qu’il déborde sur elle. Sous toutes les formes, en tous lieux, à tous les coins, réapparaît l’administration, la disci- pline, la feuille de papier rayé, le cadre, la règle. On admire beaucoup la symétrie factice et la pro- preté imbécile. A l’hôpital de la marine, par exemple, les salles sont cirées de telle façon qu’un convalescent, essayant de marcher sur sa jambe remise, doit se casser l’autre en tombant. Mais c’est beau, ça brille, on s’y mire. Entre chaque salle est une cour, mais où le soleil ne vient ja- mais et dont soigneusement on arrache l’herbe. Les cuisines sont superbes, mais à une telle dis- tance, qu’en hiver tout doit parvenir glacé aux malades. II s’agit bien d’eux ! les casseroles ne sont- elles pas luisantes ? Nous vfmes un homme qui s’était cassé le crâne en tombant d’une frégate et qui depuis dix-huit heures n’avait pas encore reçu de secours ; mais ses draps étaient très blancs, car la lingerie est fort bien tenue.

  A l’hôpital du bagne j’ai été ému comme un enfant en voyant sur le lit d’un forçat une por- tée de petits chats qui jouaient sur ses genoux. II leur faisait des boulettes de papier et ils cou- raient après sur la couverture en se retenant aux bords avec leurs griffes pointues. Puis il les re- tournait sur le dos, les caressait, les embrassait, les mettait dans sa chemise. Renvoyé au travail, plus d’une fois, sans doute, sur son banc, quand il sera bien triste et bien las, il rêvera à ces heures tranquilles qu’il passait, seul avec eux, à sentir dans ses mains rudes la douceur de leur duvet et leurs petits corps chauds se tapir sur son cœur.

  J’aime à croire cependant que le règlement in- terdit ces récréations et que c’était, sans doute, une charité de la religieuse.

  Au reste, pas plus là qu’ailleurs, la règle n’est sans exception, outre que d’abord la distinction des rangs ne s’efface pas, quoi qu’on dise ( l’égalité étant un mensonge, même au bagne). Car du bonnet numéroté sort parfois quelque chevelure finement parfumée, comme sur le bord de la che- mise rouge se relève souvent un bout de man-

 

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