Complete Works of Gustave Flaubert

Home > Fiction > Complete Works of Gustave Flaubert > Page 492
Complete Works of Gustave Flaubert Page 492

by Gustave Flaubert


  i9. Iation (l), il s’était habillé lentement et comme pour aller aux noces, sans qu’aucune aiguillette manquât d’être attachée”.

  Cette surprise de Saint-Malo qui fit tant de mal au roi n’aida en rien le duc de Mercœur. Il désirait fort que les Malouins acceptassent un gouverneur de sa main, son fils, par exemple, un enfant, c’est-à-dire lui-même, mais ils s’obstinèrent à ne vouloir personne. II leur envoya des troupes pour les protéger, ils les refusèrent, et les troupes furent contraintes de loger hors la ville.

  Ils n’en devenaient pas cependant plus royalistes pour cela ; car quelque temps après ayant arrêté le marquis de La Moussaie et le vicomte de Dénouai, il en coûta pour sortir douze mille écus au marquis et deux mille au vicomte.

  Puis craignant que Pont-Briant n’interrompit le commerce avec Dinan et les autres villes de la Ligue, ils s’en emparent.

  Supposant que leur évêque, seigneur temporel de la ville, pourrait bien les dépouiller de la liberté qu’ils venaient d’acquérir, ils le mettent en prison et ne le relâchent qu’au bout d’un an.

  On sait enfin à quelles conditions ils acceptèrent Henri IV : ils devaient se garder eux-mêmes, ne

  M Josselin Frotet, sieur de La Landelle, chez qui les conjurés se donnèrent rendez-vous avant de tenter l’escalade. Voyez dans la coll. des Bénédictins, dom Tallandier, t. II, de l’Histoire civ. et ecclés. de Bretagne, p. 386 et sq. (Note du manuscrit de Gustave Flaubert. ) pas recevoir de garnison, être exempts d’impôts pendant six ans, etc.

  Placé entre la Bretagne et la Normandie, ce petit peuple semble avoir à la fois : de la pre- mière, la ténacité, la résistance granitique ; de la seconde, la fougue, l’élan. Marins ou écrivains, voyageurs de tous océans, ce qui les distingue surtout c’est l’audace ; violentes natures d’homme, poétiques à force d’être brutales, souvent étroites aussi à force d’être obstinées. II y a cette ressem- blance entre ces deux fils de Saint-Malo, Lamen- nais et Broussais, qu’ils furent toujours également extrêmes dans leurs systèmes, et qu’ils ont, avec la même conviction acharnée, employé la seconde partie de leur vie à combattre ce qu’ils avaient soutenu dans la première. Dans l’intérieur de la ville vous passez par de petites rues tortueuses, entre des maisons hautes, le long de sales boutiques de voiliers ou de marchands de morue. Point de voiture, aucun luxe ; c’est noir et puant comme la cale d’un vaisseau. Ça sent Terre-Neuve et la viande salée, l’odeur rance des longs voyages.

  “Le guet et ronde s’y fait chaque nuit avec de gros chiens d’Angleterre, dits dogues, lesquels on met au soir hors la ville, avec un martre qui les mène, et ne fait lors bon s’y trouver à I’entour. Mais, venant le matin, on les ramène en certain lieu de la ville où ils déposent toute leur fureur qui, de nuit, est étrangement grande11’ ».

  (1) D’Argentré, Hist. de Bretagne, p. 62. (Note du manuscrit de Gustave Flaubert. ) A part la disparition de cette police quadru- pède qui dévora jadis M. du Mollet, et dont voilà l’existence constatée par un texte contemporain, l’extérieur des choses a peu changé, sans doute, et même les gens civilisés qui habitent Saint-Malo prétendent qu’on y est fort arriéré.

  Le seul tableau que nous ayons remarqué dans l’église est une grande toile représentant la ba- taille de Lépante et dédiée à Notre-Dame des Victoires. Elle plane, en haut, dans les nuages. Au premier plan, toute la chrétienté est à genoux, parlements, princesses et rois, couronnes en tête. Au fond, les deux armées s’entrechoquent. Les Turcs sont précipités dans les flots, et les chré- tiens lèvent les bras au ciel.

  L’église est laide, sèche, sans ornements, presque protestante d’aspect. J’ai remarqué peu d’ex-voto, chose étrange ici en face du péril. II n’y a ni fleurs ni cierges dans les chapelles, pas de sacré-cœur saignant, de vierge chamarrée, rien enfin de ce qui indigne si fort M. Miehelet.

  En face des remparts, à cent pas de la ville, I’flot du Grand-Bey se lève au milieu des flots. Là se trouve la tombe de Chateaubriand ; ce point blanc taillé dans le rocher est la place qu’il a destinée à son cadavre.

  Nous y allâmes un soir, à marée basse. Le so- leil se couchait. L’eau coulait encore sur le sable. Au pied de l’île, les varechs dégouttelants s’épan- daient comme des chevelures de femmes antiques le long d’un grand tombeau. L’île est déserte ; une herbe rare y pousse où se mêlent de petites touffes de fleurs violettes et de grandes orties. II y a sur le sommet une case- mate délabrée avec une cour dont les vieux murs s’écroulent. En dessous de ce débris, à mi-côte, on a coupé à même la pente un espace de quelque dix pieds carrés au milieu duquel s’élève une dalle de granit surmontée d’une croix latine. Le tom- beau est fait de trois morceaux, un pour le socle, un pour la dalle, un pour la croix.

  II dormira là-dessous, la tête tournée vers la mer ; dans ce sépulcre bâti sur un écueil, son immortalité sera comme fut sa vie, déserte des autres et tout entourée d’orages. Les vagues avec les siècles murmureront longtemps autour de ce grand souvenir ; dans les tempêtes elles bondiront jusqu’à ses pieds, ou les matins d’été, quand les voiles blanches se déploient et que l’hirondelle arrive d’au delà des mers, longues et douces, elles lui apporteront la volupté mélancolique des hori- zons et la caresse des larges brises. Et les jours ainsi s’écoulant, pendant que les flots de la grève natale iront se balançant toujours entre son ber- ceau et son tombeau, le cœur de René devenu froid, lentement, s’éparpillera dans le néant, au rythme sans fin de cette musique éternelle.

  Nous avons tourné autour du tombeau, nous l’avons touché de nos mains, nous l’avons regardé comme s’il eût contenu son hôte, nous nous sommes assis par terre à ses côtés.

  Le ciel était rose, la mer tranquille et la brise endormie. Pas une ride ne plissait la surface im- mobile de l’Océan sur lequel le soleil à son cou- cher versait sa couleur d’or. Bleuâtre vers les côtes seulement, et comme s’y évaporant dans la brume, partout ailleurs la mer était rouge et plus en- flammée encore au fond de l’horizon, où s’éten- dait dans toute la longueur de la vue une grande ligne de pourpre. Le soleil n’avait plus ses rayons ; ils étaient tombés de sa face et noyant leur lu- mière dans l’eau semblaient flotter sur elle. II descendait en tirant à lui du ciel la teinte rose qu’il y avait mise, et à mesure qu’ils dégradaient ensemble, le bleu pâle de l’ombre s’avançait et se répandait sur toute la voûte. Bientôt il toucha les flots, rogna dessus son disque rond, s’y enfonça jusqu’au milieu. On le vit un instant coupé en deux moitiés par la ligne de l’horizon, l’une des- sus, sans bouger, l’autre en dessous qui tremblo- tait et s’allongeait, puis il disparut complètement ; et quand, à la place où il avait sombré, son reflet n’ondula plus, il sembla qu’une tristesse tout à coup était survenue sur la mer.

  La grève parut noire. Un carreau d’une des maisons de la ville, qui tout à l’heure brillait comme du feu, s’éteignit. Le silence redoubla ; on entendait des bruits pourtant : la lame heurtait les rochers et retombait avec lourdeur ; des mou- cherons à longues pattes bourdonnaient à nos oreilles, disparaissant dans le tourbillonnement de leur vol diaphane, et la voix confuse des enfants qui se baignaient au pied des remparts arrivait jusqu’à nous avec des rires et des éclats.

  Nous les voyions de loin qui s’essayaient à nager, entraient dans les flots, couraient sur le rivage.

  Nous descendîmes l’îlot, traversâmes la grève à pied. La marée venait et montait vite ; les rigoles se remplissaient ; dans le creux des rochers la mousse frémissait, ou, soulevée du bord des lames, elle s’envolait par flocons et sautillait en s’enfuyant.

  Les jeunes garçons nus sortaient du bain ; ils allaient s’habiller sur le galet où ils avaient laissé leurs vêtements et, de leurs pieds qui n’osaient, s’avançaient sur les cailloux. Lorsque voulant pas- ser leur chemise le linge se collait sur leurs épaules mouillées, on voyait le torse blanc qui serpentait d’impatience, tandis que la tête et les bras restant voilés, les manches voltigeaient au vent et cla- quaient
comme des banderoles.

  Près de nous passa un homme dont la cheve- lure trempée tombait droite autour de son cou. Son corps lavé brillait. Des gouttes perlaient aux boucles frisées de sa barbe noire, et il secouait ses cheveux pour en faire tomber l’eau. Sa poitrine large où un sillon velu lui courait sur son thorax, entre des muscles pleins carrément taillés, haletait encore de la fatigue de la nage et communiquait un mouvement calme à son ventre plat dont le contour vers les flancs était lisse comme l’ivoire. Ses cuisses nerveuses, à plans successifs, jouaient sur un genou mince qui, d’une façon ferme et moelleuse., déployait une fine jambe robuste ter- minée par un pied cambré à talon court et dont les doigts s’écartaient. II marchait doucement sur le sable.

  Oh ! que la forme humaine est belle quand elle apparaît dans sa liberté native, telle qu’elle fut créée au premier jour du monde ! Où la trouver, masquée qu’elle est maintenant et condamnée pour toujours à ne plus apparaître au soleil ? Ce grand mot de nature que l’humanité tour à tour a répété avec idolâtrie ou épouvante, que les phi- losophes sondaient, que les poètes chantaient, comme il se perd ! comme il s’oublie ! Loin des tréteaux où l’on crie et de la foule où l’on se pousse, s’il y a encore çà et là sur la terre des cœurs avides que tourmente sans relâche le ma- laise de la beauté, qui toujours sentent en eux ce désespérant besoin de dire ce qui ne se peut dire et de faire ce qui se rêve, c’est là, c’est là pour- tant, comme à la patrie de l’idéal, qu’il leur faut courir et qu’il faut vivre. Mais comment ? par quel chemin ? L’homme a coupé les forêts, il bat les mers, et sur ses villes le ciel fait les nuages avec la fumée de ses foyers. La gloire, sa mis- sion, disent d’autres, n’est-elle pas d’aller toujours ainsi, attaquant l’œuvre de Dieu, gagnant sur elle ? II la nie, il la brise, il l’écrase, et jusqu’en lui, jusque dans ce corps dont il rougit et qu’il cache comme le crime.

  L’homme étant ainsi devenu ce qu’il y a de plus rare et de plus difficile à connaître (je ne parle pas de son cœur, ô moralistes !), il en est résulté que l’artiste ignore la forme qu’il a et les qualités qui la font belle. Quel est le poète d’au- jourd’hui, parmi les plus savants, qui sache ce que c’est que la femme ? Où en aurait-il jamais vu, le pauvre diable ? Qu’en a-t-il pu apprendre dans les salons, à travers le corset ou la crinoline empesée, ou dans son lit même, s’il y a songé, pendant les entr’actes du plaisir ?

  La plastique cependant, mieux que toutes les rhétoriques du monde, enseigne à celui qui la contemple la gradation des proportions, la fu- sion des plans, l’harmonie enfin ! Les races anti- ques, par le seul fait de leur existence, ont ainsi détrempé sur les œuvres des maîtres, la pureté de leur sang avec la noblesse de leurs attitudes. J’entends confusément dans Juvénal des râles de gladiateurs ; Tacite a des tournures qui ressemblent à des draperies de Iaticlave, et certains vers d’Ho- race ont des reins d’esclave grecque avec des balancements de hanche, et des brèves et des longues qui sonnent comme des crotales.

  Mais pourquoi s’inquiéter de ces niaiseries ? N’allons pas chercher si loin, contentons-nous de ce qui se fabrique. Ce qu’on demande aujour- d’hui, n’est-ce pas plutôt tout le contraire du nu, du simple et du vrai ? Fortune et succès à ceux qui savent revêtir et habiller les choses ! Le tailleur est le roi du siècle, la feuille de vigne en est le symbole ; lois, arts, politique, caleçon partout ! Libertés menteuses, meubles plaqués, peinture à la détrempe, le public aime ça. Donnez-lui-en, fourrez-lui-en, gorgez cet imbécile !

  m II se ruera sur la gravure et laissera le tableau, chantera la romance et dormira à Beethoven, saura tout Béranger par cœur et pas un vers d’Hugo.

  C’est plaisir de le voir à sa table comme il s’em- piffre des plus lourdes marchandises et se grise des plus frelatées. Les mets communs lui vont vite, et demain, encore du Scribe, du Vernet, de l’Eugène Sue, quelque chose de digestion facile et qui ne tienne pas de place au ventre pour qu’on en puisse manger davantage.

  L’homme des champs particulièrement se dé- lecte dans le mauvais avec une ténacité édifiante. Son mauvais à lui est plus sincèrement sot, plus sauvagement bête ; il y met moins de finesse que le citadin qui au moins change de modes s’il ne change pas de goût. A combien de miliers d’exem- plaires se vendent annuellement dans les cam- pagnes l’Amour conjugal et Faublas ! sans compter l’Europe et l’Asie, égrillardes demoiselles aux re- gards gluants qui décorent toutes les chaumières.

  Mais il faut avoir vu les belles images de l’au- berge de Cancale pour savoir comment le laid, le niais et le vulgaire peuvent prendre forme sur du papier.

  Imaginez dans une salle basse cinq cadres de bois noir accrochés aux murs, et dans ces cadres, du rouge, du bleu, du jaune, une mosaïque de

  ‘*’ Inédit, pages 300 à 310. grosses couleurs qui tranche comme une tache bigarrée sur la blancheur du mur de plâtre.

  On s’approche du premier cadre et on lit au- dessous : La Demande en mariage. C’est un salon ri- chement meublé, tapis vert, papier rouge, beaux cordons de sonnette des deux côtés de la chemi- née qui est enrichie d’une pendule représentant le Temps avec sa faulx. Un jeune homme, — Quel jeune homme ! l’idéal du jeune homme : habit bleu à boutons luisants, cravate rose tirée droit entre les deux revers à schall d’un gilet de velours, et piquée d’une épingle en diamant, pan- talon gris d’un collant très mythologique, jolies cuisses, petite bouche, charmante chevelure, sou- riant et l’air timide, — est présenté par son père à une dame assise dans une bergère et à une jeune personne plantée sur un tabouret. La mère enhar- nachée de dentelles a l’air un peu malade, un peu souffrant et sourit avec ce charmant sourire de la vieillesse indulgente contemplant l’amour ; le père du futur est un homme tout à fait bien, croix d’honneur, cravate blanche, air cossu, beaucoup de paquet. Quant au père de la jeune personne, c’est un vieux, tout ce qu’il y a de plus caduc et de plus vénérable, considérablement de cheveux blancs, bonne redingote jaune d’œuf à collet très haut, bombé comme “ *e gouttière. Tous sourient à la fois, l’émotion, l’amour, les amours pater- nelles, maternelles, filiales, la joie, l’espérance, la satisfaction bien douce et le trouble inconnu se par- tagent, déchirent, agitent et charment les cœurs. Le second cadre représente Le Mariage. Nous sommes à l’église, le prêtre, l’autel, la fiancée en blanc, l’anneau qu’on se passe au doigt ; la mère pleure, le père du jeune homme dans un coin est attendri, mais sourit ; toutes les femmes ont des chapeaux à plumes ; le marié en noir, frisé dur comme du fer, pantalon encore bien plus collant, bottes très pointues : c’est un chérubin.

  Troisième tableau, Le Bal. Réunion du grand monde, luxe somptueux ; deux lustres, brillants quadrilles, perspective de pieds chaussés d’escar- pins très pointus dont la file se prolonge indéfini- ment, chaînes de montres partout, pluie d’écharpes et de turbans, éblouissement complet. Cependant le marié tire à part sa compagne et lui dit d’une voix enflammée : « Mon amie, qu’il me tarde que tu partages ma demeure et ma couche, je te pos- sède, viens ! veux-tu connaître des fêtes plus ai- mables que celle où nos conviés assistent pour nous plaire ? l’hymen va te l’apprendre...”, etc.

  Quatrième tableau, Le Coucher de la mariée. On la déshabille, le lit est là tout ouvert, avec la table de nuit, le bougeoir et les allumettes chimiques. La mère glisse à l’oreille de sa fille « des mots mystérieux sur les nouveaux devoirs qu’elle a à remplir » ; par la porte entrebâillée on voit le ma- rié « brûlant d’amour » qui veut à toute force en- trer, mais les demoiselles d’honneur le repoussent et « font pour un moment obstacle à ses vœux », tout dévoré qu’il est « de la plus légitime, de la plus pure, de la plus touchante des impatiences ». Cinquième tableau, Le Lever de la mariée. “Le mystère de Vénus est accompli, le sein de l’épouse a reçu le germe créateur qui dans neuf mois doit combler les époux d’un bonheur nouveau » ; le lit est défait ; sur le marbre de la table de nuit on voit les restes d’un pâté et une bouteille de vin entamée ; en dessous, dans l
’intérieur, on aperçoit le pot de chambre, et une bonne jette du linge sale dans une armoire ; les parents arrivés dès l’aurore se précipitent dans les bras de leurs en- fants ; les traits de la mariée sont abattus, ses ban- deaux tout dénoués et sa chemise de nuit entr’ou- verte. L’explication la déclare d’ailleurs « un peu lasse peut-être des nouveaux assauts de l’hymen, mais heureuse et le cœur plein d’une félicité su- prême ». Le marié radieux, en robe de chambre azur à revers rouges avec une cordelière d’or, et des pantoufles de velours violet extra-pointues, confie à son père qui sourit encore “les charmes de la nuit passée”, et la mariée confie à sa mère “l’ivresse qu’elle a ressentie” ; celle-ci l’engage “à cette pureté, à cette chasteté qui sont la base des États et qui font le bonheur d’une famille pendant les siècles entiers”.

  Nous allâmes prendre l’air sur le quai où luisait un beau soleil ; la grève découverte était toute grise à cause de la vase qui la recouvrait et, sur sa couche lisse, glacée comme une crème, les barques vides, échouées dans toutes les postures du monde, avaient leurs filets suspendus qui séchaient au haut des mâts. Sur le bois des canots le gou- dron suintait en gouttelettes noires. Dans la brume pénétrée de soleil, seul au milieu de la mer, se levait le Mont Saint-Michel, dôme bleu- âtre aux sommets découpés ; à droite, les côtes de Normandie continuant, de leur ligne mamelon- neuse, la coupe immense de la baie, allaient gra- duellement s’abaissant et confondaient à l’horizon le vague de leurs contours dans la blancheur des nuées légères.

  Nous glissions sur la vase tiède où nos pieds nus enfonçaient jusqu’à la cheville ; de place en place, dans des flaques d’eau encloses de carrés de galets, quelques huîtres dormaient dans leurs vertes coquilles comme des gens qui font la sieste, les jalousies fermées.

  Pour aller au rocher de Cancale nous mon- tâmes en chaloupe, on hissa la voile qui s’étendit dans toute sa hauteur et nous couvrit de son ombre, elle se mirait sur l’eau, nous allions dou- cement, sans bruit, lentement.

 

‹ Prev