Les secrets de l’’immortel Nicolas Flamel
Tome 4.5 : La mort de Jeanne d’Arc
Auteur : Michael Scott
Traduction non officielle : Azawaks
Ps : Police : Pieces of Eight
Je suis convaincu que ce physicien est en train de me tuer avec ses traitements qui m’affaiblissent plutôt que me guérissent. Chaque matin, le même rituel se répète : Il vient avec ses cataplasmes et ses potions et me permet d’avancer, chaque jour davantage, sur le chemin de la guérison. Mes enfants, eux, m’apportent un certain confort dans ma vie quotidienne- excepté Richard, mon fils aîné qui paie le médecin chargé de me garder en vie. Mon fils aîné imagine sans doute que lorsque je quitterai cette Terre, il héritera de toute ma fortune mais il se trompe. Ma fortune sera léguée à mon fils cadet qui m’a suivi dans les rangs de l’armée d’Angleterre puis, ensemble, nous avons combattu les armées françaises.
En vérité, si l’on oublie les soixante-dix années qui se font ressentir lourdement sur mes os et mes douleurs qui se manifestent surtout par temps humide, je souffre de bien peu de maux.
J’ai quelques regrets : Cette fille que je n’ai pas épousé, cette guerre à laquelle je n’ai pas participé, cette miche de pain que je n’ai pas voulu partager, ce mensonge que je n’ai jamais écouté.
Mais surtout, une histoire que je n’ai jamais raconté. Et il est grand temps que je le fasse.
Nul doute que vous avez entendu parler de la mort de la Pucelle d’Orléans. J’ai entendu ce récit de la bouche de personnes qui n’avaient pas combattu lors de cette guerre terrible, soit parce qu’elles étaient trop jeunes ou alors trop lâches pour fouler les champs de bataille. J’ai écouté leurs fanfaronnades et leurs mensonges mais jamais je n’ai été tenté de les interroger ou de les insulter de menteurs.
Peut-être aurais-je dû ?
Je sais ce qui s’est réellement passé en ce dernier jour de mai 1431 à Rouen.
J’y étais.
Du dernier testament de William d’York
13 octobre 1481
William d’York entendit le gémissement de la foule derrière lui, puis une grande inspiration. Il savait que le prisonnier devait avoir été extrait de sa cellule mais il ne voulait pas le regarder. Il avait combattu toute sa vie et ne voulait pas voir un autre condamné. Surtout pas ce prisonnier.
- Soyez vigilants, dit-il sèchement aux deux gardes devant la porte du prisonnier.
Il leur lança un regard noir puis, dociles, les gardes se retournèrent pour surveiller la longue route droite menant à la ville française, Rouen.
- S’il y a une attaque, ce sera aujourd’hui, pendant que le prisonnier sera à l’air libre, ajouta William.
- Il n’y aura pas d’attaque, affirma un des gardes, un Hollandais maussade, dans un accent anglais prononcé. Les français veulent se débarrasser d’elle autant que nous le voulons aussi.
- Certains peut-être, mais pas tous, contredit William. J’y étais à Orléans lorsqu’elle a remporté sa première grande victoire. Je l’ai vue se battre à Jargeau et je suis un des rares archers à avoir survécu à Patay. Les français- les vrais français- lui vouent un culte.
Sur ces mots, William tira son lourd manteau de cuir et le maintint serré autour de son corps. Puis, il s’abrita près de la porte avant d’aller au centre de la piste. Il doutait des paroles prononcées précédemment à l’attention des gardes : Qui irait sauver la jeune femme que les gens surnommaient la Pucelle d’Orléans ?
William savait que cette opération serait un suicide : Rouen était devenue une forteresse impénétrable. L’effectif des gardes avait été doublé, d’autres vinrent se joindre à ce nombre déjà important, le jour prévu de l’exécution de la jeune femme. Les archers anglais scrutaient les alentours du haut des murs tandis que des mercenaires allemands et autrichiens patrouillaient au sol aux côtés des sauvages écossais qui surveillaient les champs.
Une vague de joie monta des niveaux inférieurs de la forteresse et William se retourna pour regarder en arrière, en direction des gardes de la ville. Les bruits les avaient distraits et ils se rendaient au centre de la piste, où un immense bûcher avait été construit.
- Soyez vigilants, répéta William.
- Mais ils vont brûler la sorcière ! s’exclama Thomas, un jeune garde, avec enthousiasme.
- Elle n’est pas plus sorcière que moi, dit William d’un ton cassant. On parle d’une jeune fille de dix-neuf ans.
Immédiatement, il regretta ses paroles qui pouvaient faire de lui un potentiel sympathisant français ou un hérétique. Dans tous les cas, il serait signalé à ses commandants ou tatoué sur le bras. Ou les deux. La sœur de William, Anne avait le même âge que la condamnée et, chaque fois qu’il pensait à cette dernière, le visage de sa sœur s’imposait dans son esprit.
Non loin de la lisière de la forêt, les oiseaux virevoltaient dans le ciel du matin avant de soudainement disparaître vers le sud. William, parfaitement immobile, regardait droit devant lui. Chaque archer connaissait l’importance de la vision périphérique et en ce moment, un élément important demeurait invisible.
Quelque chose avait effrayé les oiseaux, mais quoi ?
Le gros homme tourna lentement son visage et huma l’air autour de lui : Le vent chaud du sud portait le parfum de la forêt, parsemé d’exotisme et de vigne, vers ses narines. Il ferma ses yeux et sa bouche et ne devint que respiration.
Non, il ne respirait pas, il traquait. Le gros homme devint chasseur.
Lui, le soldat surentraîné devait être capable de percevoir l’odeur fétide d’hommes massés sous les arbres situés au loin. Or, à ce moment, il ne perçut qu’un mélange de sueur, de vêtements n’ayant pas été lavés depuis plusieurs jours, de la viande de cheval et l’odeur de la rouille présente sur les armures. Rien à signaler.
William détendit ses épaules. Si aucun désagrément n’était à signaler- et il commençait à douter maintenant- alors, une petite armée, représentée par quelques individus, ne représentait aucune menace. Il caressa son arc sur toute sa longueur. William avait été archer toute sa vie et il pouvait donc décocher entre dix et douze traits en seulement une minute sur tout ce qui avait le malheur d’être sur son passage.
Il disposait de trente flèches dans son carquois et, derrière lui, se tenaient une douzaine d’archers près à faire pleuvoir des flèches. Commettre un attentat ce jour relèverait du suicide. Les archers ne feraient pas de quartiers et il n’y aura aucun survivant.
Derrière lui, la foule scandait :
- Sorcière ! Sorcière ! Sorcière !
William frissonna et songea que mourir faisait partie du quotidien des soldats foulant les champs de bataille. Puis, il songea à cette Jeanne qui avait combattu avec vaillance.
Elle méritait de mourir pour avoir tué un soldat.
Jeanne ne bénéficierait pas d’une mort rapide et sans souffrance.
Elle méritait de souffrir comme jamais personne n’avait souffert jusqu’à présent.
Puis, soudain il fut arraché à ses pensées par un scintillement trahissant un mouvement. Très vite, ses réflexes reprirent le dessus et il encocha une flèche.
- Quelqu’un arrive ! hurla-t-il tandis que les deux gardes accouraient vers lui.
- Je ne vois personne, commença le garde Hollandais.
- Ici ! s’exclama Thomas.
- Je le vois ! cria une sentinelle du haut de sa tour. Un seul cavalier qui se déplace rapidement.
William bénéficiait d’une vision exceptionnelle, capable de distinguer avec une incroyable clarté les objets les plus éloignés bien que sa vision de près soit souvent f
loue. Il se tourna vers la forme qui se dirigeait vers eux : Le cavalier solitaire, juché sur un grand cheval noir, portait une armure noire et blanche, démodée depuis plusieurs décennies et semblait mince, malgré la présence de cette dernière, constituée de métal et de cuir. William constata que les mêmes plaques de métal protégeaient le cheval, de sorte qu’il fut incapable de distinguer le cavalier de la monture.
- Combien ? demanda-t-il à la sentinelle.
- Un. Juste un.
- Une bannière ? Un drapeau ?
- Non, aucun.
William leva son arc et ramena la corde près de sa joue. Il attendrait que le mystérieux cavalier soit assez près pour tirer en arc de cercle, de manière à ce que la flèche se dirige légèrement vers la droite, droit vers la poitrine du cavalier, ce qui transpercerait aisément son armure puisque la pointe de la flèche avait été conçue à cet effet.
- On nous attaque ? demanda le Hollandais qui venait de rejoindre l’archer anglais. C’est impossible n’est-ce pas ? Il est seul !
Puis, il se pencha légèrement en avant et mit sa main en visière afin de se protéger du soleil avant de plisser les yeux et murmurer :
- C’est une femme ?!
- Une femme, confirma William dans un murmure.
Initialement, il pensait que le cavalier portait un foulard ou une cape sur sa tête puis, lorsqu’il vit la femme se rapprocher, il vit également une crinière rouge qui ruisselait derrière elle. L’archer plissa les yeux et vit qu’elle n’avait pas de bouclier et qu’elle se tenait en équilibre sur son cheval sans avoir besoin de prendre les rênes. La cavalière tenait une épée légèrement incurvée dans chaque main. William décocha la flèche sans se soucier de connaître l’identité de la cavalière car, si elle galopait vers lui, sur son cheval lourdement blindé et aussi rapidement, elle ne pouvait pas être une amie. Le trait se dirigea vers la cavalière avec grâce et élégance. William savait qu’elle atterrirait droit dans la poitrine de la cavalière avant de la renverser. Puis, avant qu’elle n’arrive près de lui, William et les autres gardes accoururent et…
La main droite de la cavalière bougea, l’épée déchira l’air… et trancha la flèche en deux.
- Impossible, murmura Thomas, abasourdi.
William tira à nouveau. Deux traits rapides. Puis, les autres archers entrèrent dans la danse et ce furent six flèches qui se dirigèrent vers la cavalière. Assise sur sa selle, la cavalière dégaina ses deux épées et trancha les six flèches avant même qu’elles ne puissent l’atteindre.
- Démon ! hurla le Hollandais en accourant vers elle.
La femme était désormais assez proche pour qu’il puisse la détailler : teint pâle, yeux verts qui brillaient scandaleusement sous sa crinière rouge vif. Puis, William vit ses lèvres et constata que la femme souriait, ce qui l’effraya davantage.
William décocha une nouvelle flèche. Mais cette fois, il visait les flancs du cheval. Cependant, la femme, anormalement rapide, trancha la flèche. L’archer entendit alors l’épée déchirer l’air puis l’impact avec la lourde flèche qui tomba au sol. Il courut alors vers la garde en hurlant :
- Fermez les portes ! Fermez les portes !
Il entendit les mécanismes des portes s’enclencher lors de leur fermeture mais il savait que la cavalière serait sur eux avant même que les portes soient hermétiquement closes. Ils devaient l’arrêter avant qu’elle n’entre dans la ville. Le Hollandais apparut soudainement devant William, un long crochet à la main qu’il enfonça dans le sol et qu’il positionna de telle sorte à ce que le cheval galope droit vers lui. Le jeune archer, Thomas tirait flèche après flèche sans que ça ne semble entraver la mystérieuse cavalière qui continuait d’approcher et de trancher les flèches qui se dirigeaient vers elle. William prit le crochet et se positionna devant le Hollandais, certain qu’elle ne serait pas en mesure de ralentir voire de s’arrêter sans se faire transpercer. Thomas tirait, encore et encore sans que la progression de la femme ne soit entravée :
- Qui est-elle ? s’exclama-t-il d’une voix effrayée.
- Qu’est-elle ? murmura William.
Contrairement au reste de la population, l’archer anglais ne croyait guère aux superstitions mais il en avait suffisamment vu au cours de sa vie notamment lors de ses combats dans les Highlands écossais ou les déserts irlandais pour comprendre que d’autres créatures, plus ou moins humaines, foulaient les sols terrestres. La cavalière était désormais si proche qu’il pouvait compter les taches de rousseur présentes sur son nez. Alors, il réalisa qu’elle avait environ le même âge que la Française condamnée. William faillit se perdre dans l’herbe, envoûtante et brillante, de ses yeux et seuls ses réflexes lui sauvèrent la vie.
Au dernier moment, la cavalière se pencha sur l’encolure de sa monture qui allongea elle-même son cou. Le cheval bondit alors dans les airs et esquiva William, le Hollandais et le crochet. Le soldat se retrouva seulement avec une emprunte de fer à cheval, demi-cercle parfait, sur son armure. William vit l’épée se diriger vers lui. Alors, il brandit son arc entre lui et l’extérieur afin de se protéger. La lame trancha l’if épais avec tellement de force que l’archer fut propulsé en arrière sur le sol boueux. Le cheval, quant à lui, atterrit sur le sol sans aucun souci. Thomas se jeta sur le côté afin de ne pas être piétiné puis le cavalier aux cheveux rouge vif galopa sous les portes à moitié fermées et se dirigea vers la place.
- Arrêtez-la ! cria William.
Le Hollandais et le jeune archer le regardaient comme s’il était devenu fou avant de courir dans la direction opposé. William saisit l’arc abandonné de Thomas et courut après la cavalière. Peut-être que cette Jeanne était une sorcière et cette cavalière, un démon venu la secourir ? Mais il n’avait jamais entendu parler d’un démon avec des taches de rousseur auparavant. Et pourquoi un démon aurait besoin de galoper vers la ville alors qu’il pourrait simplement se matérialiser directement à l’intérieur ? Il en déduisit que la jeune femme aux cheveux rouge était humaine. La cavalière était rapide, mais chaque archer savait que les êtres humains pouvaient mourir d’une flèche, et ne semblait pas avoir besoin de bride pour garder le contrôle de son cheval. Puis, William vit des chevaliers se joindre dans la bataille, une épée dans une main et une masse dans la seconde. Ils contrôlaient leurs étalons avec les genoux.
Pourquoi se donnerait-elle la peine de trancher les flèches si elles ne représentaient aucune menace pour elle ?
William suivit la femme et vit le carnage qu’elle avait laissé derrière elle : Au travers des rues sales et étroites, de nombreux fantassins et archers anglais gisaient sur le sol aux côtés d’un chevalier dont l’armure était cabossée, marquée par les pieds du cheval. Il semblait avoir été piétiné sur la route boueuse. Un autre chevalier, dont la cotte de mailles avait été déchirée comme du vulgaire tissu, gisait contre une porte cassée, dans une position invraisemblable. Un mercenaire allemand, livide, assis dans une mare d’eau sale, tenait entre ses mains la garde de son épée. Le second morceau se laissait ensevelir par la boue sous ses pieds.
William tourna et se retrouva sur la place de la ville. Des centaines de personnes s’étaient entassées sur la place du Vieux-Marché à Rouen afin d’assister à l’exécution de la sorcière. Les gardes, armés de baïonnettes et de bâtons les tenaient à l’écart de l’énorme bûcher tandis que des soldats patrouillaient à la recherche de fauteurs de troubles. Des archers scrutaient les environs du haut des toits environnants tandis que des chevaliers surveillaient les rues secondaires. Et malgré l’exécution annoncée, l’atmosphère semblait à la fête avec des jongleurs, des ménestrels, des poètes ou encore des vendeurs de nourriture.
Mais maintenant, c’était le chaos.
Pendant un moment, William avait cru que la jeune femme était humaine.
Maintenant, il était persuadé du contraire.
*
* *
Le cheval blindé se fraya un chemin dans la
foule jusqu’au centre de la place. Jeanne avait été attachée et se leva, les yeux fermés tandis que Geoffroy La Rage, le bourreau, entassait les fagots de bois autour d’elle. La feu avait été allumé, les flammes crépitaient tandis que de la fumée noire commençait à s’élever autour de la Française. Ses vêtements avaient commencé à se consumer. La guerrière aux cheveux rouge sauta de son cheval et se fraya un chemin au travers des soldats assez audacieux pour lui interdire le passage. William ne vit pas ses épées tellement la guerrière était rapide mais il vit les traits de lumière matinaux qu’elles laissaient sur leur passage. L’archer anglais vit Jeanne ouvrit les yeux et regarder vers le bas. Puis, son visage s’illumina et elle adressa un sourire éclatant à la guerrière. Ses lèvres formèrent un mot, un nom. Plus tard, il apprit par Geoffroy La Rage, qu’elle avait prononcé le mot : « Scathach ».
L’archer regarda le bourreau se jeter aux genoux de la jeune femme aux cheveux rouge. Cette dernière lui envoya une bourrade qui le propulsa au loin, comme s’il n’était qu’une mouche. L’épée dans la main gauche de la guerrière trancha les menottes de Jeanne, qui tombèrent immédiatement dans le bois en combustion. Scathach tendit une épée à Jeanne. William entendit le rire de la guerrière, un son délicieux. Puis, cette dernière attaqua les chevaliers qui s’étaient rassemblés autour des deux femmes. L’archer, impressionné et horrifié, les vit se frayer un chemin au travers des hommes assez audacieux pour bloquer leur chemin.
Rien ne pouvait leur résister.
Malgré sa faiblesse évidente due à son séjour en prison, Jeanne d’Arc repoussait avec vaillance les chevaliers anglais tandis que Scathach tranchait les flèches envoyées par les archers et tuait les personnes s’aventurant trop près d’elles.
La mort de Jeanne d'Arc (trad. privee) Page 1