TENTATION

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TENTATION Page 5

by Stephenie Meyer


  — Tu me crois capable d'ouvrir le couvercle ? bougonnai-je.

  Il ignora le sarcasme. À l'intérieur, je découvris un bout de papier cartonné surchargé de petites inscriptions. Il me fallut un moment pour saisir.

  — Nous allons à Jacksonville ?

  Malgré moi, j'étais ravie. Deux billets d'avion, un pour lui, un pour moi.

  — C'est l'idée.

  — Je n'en reviens pas. Renée ne va plus se tenir. Tu es sûr que ça ne t'embête pas ? Il fait grand soleil, là-bas, tu devras rester à l'intérieur toute la journée.

  — Ne t'inquiète pas, j'y arriverai. Si j'avais deviné que tu réagirais aussi bien, je t'aurais obligée à l'ouvrir devant Carlisle et Esmé. J'avais peur que tu protestes.

  — Naturellement, c'est beaucoup trop. Mais comme tu seras avec moi...

  — Tu me donnes des regrets de ne pas avoir dépensé d'argent. Je ne savais pas qu'il t'arrivait de te montrer raisonnable.

  Écartant les billets, je voulus m'emparer de son présent, soudain très désireuse de voir ce qu'il m'avait offert. Une fois encore, il le déballa à ma place, puis me passa un boîtier en plastique transparent qui contenait un disque dénué de titre.

  — Qu'est-ce que c'est ? demandai-je, perplexe.

  Sans répondre, il sortit le CD et le glissa dans l'appareil posé sur la table de nuit. Il appuya sur la touche Play, et nous attendîmes en silence que la musique commence. Éberluée, j'entendis résonner les premiers accords. Lui guettait ma réaction. J'étais bouche bée. Les larmes me montèrent aux yeux, et je les essuyai avant qu'elles débordent.

  — Tu as mal au bras ? s'inquiéta-t-il.

  — Non, ce n'est pas ça. Oh, Edward, c'est si beau ! Tu n'aurais pu trouver mieux. C'est merveilleux.

  Je me tus pour jouir de la mélodie. La sienne. Celle qu'il avait composée. Ma berceuse.

  — Je me suis dit que tu n'accepterais pas que j'achète un piano pour te la jouer ici, expliqua-t-il.

  — Et tu as eu raison.

  — Comment te sens-tu ? ajouta-t-il en désignant le pansement.

  — Très bien.

  En vérité, la blessure commençait à me brûler férocement. De la glace aurait été idéale. J'aurais bien posé la main d'Edward dessus, mais je me serais trahie.

  — Je vais te chercher un calmant, annonça-t-il.

  — Je n'ai besoin de rien, protestai-je.

  Il m'avait cependant déposée sur le lit et se dirigeait déjà vers la porte.

  — Charlie ! soufflai-je.

  Mon père n'était pas exactement au courant qu'Edward restait souvent, la nuit. L'aurait-il su, qu'il aurait succombé à une attaque. Certes, je n'avais pas trop de vergogne à lui mentir. Après tout, ce n'était pas comme si nous nous adonnions à des pratiques répréhensibles. Vu les règles que m'imposait Edward...

  — Il ne m'entendra pas, promit ce dernier en disparaissant sans bruit dans le couloir.

  Il revint aussitôt, avant même que la porte ait eu le temps de se refermer. Il tenait le verre à dents et un flacon de cachets. J'avalai ceux-ci sans objecter — à quoi bon ? j'étais sûre de perdre cette bataille. De plus, j'avais vraiment mal, maintenant.

  À l'arrière-plan, la berceuse se poursuivait, tendre, somptueuse.

  — Il est tard, souligna Edward.

  Il me souleva d'un bras tout en tirant la couverture de l'autre, puis il me borda. Ensuite, il s'allongea près de moi, sur la couette, de façon à ce que je ne gèle pas, et m'enlaça. J'appuyai ma tête contre son épaule et lâchai un soupir de contentement.

  — Merci encore, murmurai-je.

  — De rien.

  Un long moment, j'écoutai mon morceau sans rien dire. Un deuxième le remplaça, et je reconnus la musique préférée d'Esmé.

  — À quoi penses-tu ? chuchotai-je.

  — Au bien et au mal, répondit-il après une brève hésitation.

  Je me raidis.

  — Tu te souviens que je t'avais ordonné d'oublier mon anniversaire ? m'empressai-je de lancer, en espérant que ma tentative de diversion ne serait pas trop évidente.

  — Oui, admit-il, circonspect.

  — Eh bien, j'ai changé d'avis et je crois que, vu l'occasion, j'aimerais que tu m'embrasses de nouveau.

  — Tu es bien exigeante, ce soir.

  — C'est vrai. Mais bon, ne te force surtout pas.

  Il s'esclaffa.

  — Dieu me garde de jamais rien faire contre mon gré, marmonna-t-il sur un ton étrangement désespéré.

  Sur ce, il me prit par le menton et attira mon visage contre le sien. Le baiser débuta à peu près comme d'ordinaire — Edward toujours aussi prudent, et mon cœur s'emballant, comme d'habitude. Puis quelque chose changea. Brusquement, ses lèvres se firent plus pressantes, sa main libre fourragea dans ma chevelure en maintenant ma tête fermement en place. Et, alors que, de mon côté, j'ébouriffais également ses cheveux et franchissais sans doute aucun les limites imposées par la sagesse, pour une fois, il ne m'en empêcha pas. Son corps avait beau être glacé, je me pressais contre lui avec avidité.

  Lorsqu'il interrompit le baiser, ce fut abrupt. Il me repoussa, doucement mais fermement. Je retombai sur l'oreiller, haletante, en proie au vertige. Quelque chose titillait ma mémoire, fugitif, flou.

  — Désolé, murmura-t-il, hors d'haleine lui aussi. C'était déraisonnable.

  — Ça m'est complètement égal ! affirmai-je, essoufflée.

  — Tâche de dormir, Bella.

  — Non, je veux que tu m'embrasses encore.

  — Tu surestimes mes capacités à me contrôler.

  — Qu'est-ce qui t'attire le plus, mon sang ou mon corps ? le défiai-je.

  — C'est du pareil au même, répondit-il en souriant malgré lui. Et maintenant, ajouta-t-il en redevenant sérieux, si tu cessais de jouer avec le feu et dormais, hein ?

  — D'accord, cédai-je en me nichant près de lui.

  J'étais épuisée. De bien des façons, la journée avait été longue. Pourtant, je n'étais nullement soulagée qu'elle se terminât. Presque comme si je pressentais que le lendemain serait pire, prémonition idiote — il ne pouvait y avoir plus horrible que les heures qui venaient de s'écouler. Ce devait juste être le contrecoup des événements, songeai-je.

  Mine de rien, je glissai mon bras blessé contre son épaule, comptant que sa peau fraîche apaiserait la brûlure de la mienne. J'en fus tout de suite soulagée.

  Je sommeillais à moitié lorsque le souvenir que le baiser avait éveillé s'imposa à moi : au printemps dernier, lorsqu'il m'avait laissée pour tenter d'arrêter James, Edward m'avait quittée en m'embrassant, ni lui ni moi ne sachant quand ou si nous nous reverrions. Ce baiser avait eu la même saveur, presque douloureuse, que celui que nous venions d'échanger. C'est en grelottant que je perdis conscience, comme si, déjà, je sombrais dans un cauchemar.

  3

  LA FIN

  Le lendemain matin, je me sentais hideuse. J'avais passé une mauvaise nuit, mon bras était douloureux, et j'avais la migraine. L'impassibilité et la distance dont fit preuve Edward en m'embrassant rapidement sur le front avant de filer par la fenêtre n'arrangèrent pas ma morosité. J'avais peur de ce qui avait pu se produire durant mon sommeil ; peur qu'il eût repensé au bien et au mal en me regardant dormir. L'angoisse semblait augmenter d'autant les élancements qui me vrillaient le crâne.

  Comme d'ordinaire, Edward m'attendait sur le parking du lycée. L'expression qu'il affichait ne me rassura pas. Ses iris dissimulaient une chose sur laquelle je n'arrivais pas à mettre le doigt et qui m'effrayait. Je ne tenais pas tellement à reparler de l'incident de la veille, bien que je ne fusse pas sûre que l'ignorer valût mieux. Il me tendit la main pour m'aider à descendre de voiture.

  — Comment vas-tu ?

  — Bien, prétendis-je, tandis que la portière qui claquait déclenchait une vibration atroce dans ma tête.

  Nous avançâmes en silence, lui veillant à ne pas me distancer. Des tas de questions me brûlaient les lèvres — elles devraient attendre que je
retrouve Alice. Dans quel état était Jasper ? Que s'étaient-ils dit, moi partie ? Comment, notamment, avait réagi Rosalie ? Par-dessus tout, qu'est-ce que les visions d'Alice, étranges et imprécises, promettaient comme avenir ? Avait-elle deviné les réflexions d'Edward et les raisons de sa mauvaise humeur ? Mes craintes instinctives, ténues et pourtant obsédantes, étaient-elles légitimes ?

  La matinée s'écoula lentement. Il me tardait de voir Alice, même si je risquais de ne pas réussir à lui parler en présence d'Edward. Ce dernier restait distant ; de temps en temps, il prenait des nouvelles de mon bras, et je lui mentais. D'habitude, Alice nous précédait à la cantine — aucune traînarde dans mon genre ne l'empêchait de marcher à son rythme, elle. Ce jour-là cependant, à notre arrivée, elle n'était pas installée devant un plateau de nourriture qu'elle ne mangerait pas. Edward ne fit aucun commentaire sur son absence. Son dernier prof avait-il pris du retard ? Mais j'aperçus Conner et Ben, qui suivaient son cours de français.

  — Où est ta sœur ? finis-je par m'inquiéter auprès d'Edward.

  — Avec Jasper, répondit-il en contemplant la barre de céréales qu'il émiettait entre ses doigts.

  — Il va bien ?

  — Il a préféré s'éloigner quelque temps.

  — Quoi ? Où ça ?

  — Il n'a pas arrêté de destination particulière.

  — Et Alice l'a accompagné.

  Évidemment. Dès qu'il avait eu besoin d'elle, Alice n'avait pas hésité. Le désespoir me submergea.

  — Oui. Elle sera absente un moment. Elle voulait le convaincre d'aller à Denali.

  La ville où habitait l'autre clan de ces vampires si spéciaux — des gentils, comme les Cullen. J'avais parfois entendu parler de Tanya et des siens. Edward s'était enfui là-bas l'hiver précédent, quand ma présence à Forks avait compliqué son existence. Laurent, le plus civilisé des membres ayant constitué la meute de James, avait préféré s'y rendre aussi, plutôt que s'allier avec son chef contre les Cullen. Qu'Alice encourageât son compagnon à partir pour Denali était compréhensible.

  Je tentai d'avaler la boule qui, soudain, obstruait ma gorge. Accablée de culpabilité, je me tassai sur ma chaise, tête basse. J'avais forcé Jasper et Alice à s'exiler. À l'instar d'Emmett et Rosalie. J'étais un fléau.

  — Tu as mal au bras ? s'enquit Edward avec sollicitude.

  — Oublie cet imbécile de bras cinq minutes, veux-tu ? le rembarrai-je, dégoûtée de moi-même.

  À la fin des cours, le silence qui s'était instauré entre nous frôlait le ridicule. J'aurais préféré qu'il le rompe, lui, mais il était clair que si je ne m'en chargeais pas, je risquais de ne plus jamais entendre le son de sa voix.

  — Tu passes, ce soir ? l'interrogeai-je tandis qu'il me raccompagnait — sans mot dire — à ma voiture. Pas trop tôt, précisai-je.

  Il ne manquait jamais ces visites quotidiennes.

  — En quel honneur, ce délai ?

  Sa surprise me réjouit.

  — Je travaille. J'ai échangé ma journée d'hier avec Mme Newton.

  — Ah, c'est vrai.

  — Mais tu me rejoins dès que je suis à la maison, hein ?

  Il m'était soudain insupportable de ne plus en être certaine.

  — Si tu veux.

  — Tu sais bien que oui ! m'écriai-je avec un tout petit peu plus d'enthousiasme que ne l'exigeait le ton de cette conversation.

  Je m'attendais à ce qu'il rît, sourît, réagît. Rien.

  — À tout à l'heure alors, se borna-t-il à répondre, indifférent.

  De nouveau, il se limita à mon front quand il m'embrassa, puis se dirigea d'une démarche élégante vers sa voiture. Je parvins à me contrôler jusqu'à ce que je sorte du parking, mais c'est dans un état d'affolement total que je gagnai le magasin.

  Il avait seulement besoin de temps, me serinais-je. Ça n'allait pas durer. Il était juste triste de voir sa famille se déliter. Mais Alice et Jasper reviendraient bientôt. Emmett et Rosalie aussi. Si ça pouvait aider, je resterais à l'écart de la grande maison blanche près de la rivière. Je n'y remettrais plus jamais les pieds. Aucune importance. Je continuerais à fréquenter Alice au lycée. Parce qu'il faudrait bien qu'elle reprenne les cours, non ? Quant à Carlisle, aucun doute que j'aurais de nombreuses occasions de le croiser aux urgences.

  Finalement, il ne s'était pas passé grand-chose, la veille au soir. Il ne s'était rien passé, même. D'accord, j'étais tombée ; sauf que ça m'arrivait tout le temps. Une broutille, comparé aux événements de Phoenix. James m'avait bien amochée, et j'avais failli mourir après avoir perdu tout ce sang ; pourtant, Edward avait supporté mes interminables semaines de convalescence à l'hôpital beaucoup plus facilement que les soins d'hier. Était-ce parce que, cette fois, il n'avait pas dû me défendre contre un ennemi mais contre son frère ?

  Il valait peut-être mieux qu'il m'emmène loin plutôt que les siens se séparent. La perspective d'être seule avec lui me ragaillardit un peu. Si Edward tenait jusqu'à la fin de l'année scolaire, Charlie ne pourrait s'y opposer. Nous partirions pour l'université ou ferions comme si. Edward devait être capable d'attendre un an. Qu'est-ce que c'était, un an, pour un immortel ? Même à moi, ça ne semblait pas si long.

  Ces réflexions me rassérénèrent suffisamment pour descendre de ma Chevrolet et entrer dans la boutique. Ce jour-là, Mike Newton était arrivé avant moi et, lorsque j'entrai, il me salua de la main en souriant. Je hochai vaguement la tête tout en attrapant ma blouse, encore dans les limbes de mon imagination débridée qui me voyait m'enfuir en compagnie d'Edward pour diverses contrées exotiques. Mike interrompit mes fantasmes.

  — Comment c'était, ton anniversaire ?

  — Beurk ! Je suis contente que ça soit fini.

  Il me jeta un coup d'œil surpris, comme si j'étais folle.

  Le travail me pesa. J'avais hâte de retrouver Edward, tout en priant pour que la crise fût passée. Ce n'était rien, ne cessais-je de me répéter. Tout allait rentrer dans l'ordre.

  Le soulagement qui s'empara de moi quand je bifurquai dans ma rue et aperçus sa voiture argentée garée devant la maison fut énorme, vertigineux. Ce qui me contraria. Je me précipitai à l'intérieur.

  — Papa ? Edward ? appelai-je avant même d'avoir refermé la porte.

  Je reconnus le générique musical de la chaîne sportive.

  — On est ici ! lança Charlie.

  Je suspendis mon imperméable dans le couloir et m'élançai dans le salon. Edward était assis dans le fauteuil, mon père sur le canapé. Tous deux avaient le regard rivé sur la télévision. Ce qui était normal pour l'un, beaucoup moins pour l'autre.

  — Bonsoir ! murmurai-je, douchée.

  — Salut, Bella, répondit Charlie sans quitter le poste des yeux. On vient juste de finir les restes de pizza. Elle doit encore être sur la table.

  — Très bien.

  J'attendis sur le seuil. Edward finit par daigner lever la tête et m'adressa un sourire poli.

  — J'arrive tout de suite, promit-il avant de retourner aussi sec à son écran.

  Sous le choc, je ne réagis pas tout de suite. Quelque chose, de la panique peut-être, commençait à oppresser mes poumons. Je me réfugiai dans la cuisine. Ignorant le dîner, je m'assis sur ma chaise, bras passés autour de mes genoux. Ça clochait, encore plus que ce que j'avais soupçonné, sans doute. Du côté de la télévision, les braillements d'amitié virile se poursuivaient. Je m'efforçai de ne pas craquer et me raisonnai. « Que peut-il arriver de pire ? » Je tressaillis — je n'aurais su choisir plus mauvaise question. Ma respiration se fit haletante. Je recommençai. « Quel est le pire truc auquel je serais capable de survivre ? » Hum, cette deuxième question ne me plaisait pas beaucoup plus. Je m'obligeai toutefois à repenser aux possibilités que j'avais envisagées un peu plus tôt dans la journée.

  Ne pas m'approcher du clan. Il allait de soi qu'Alice échapperait à la règle, même Edward devait comprendre ça. Certes, à cause de Jasper, elle et moi nous verrions moins. J'opinai — ce n'é
tait pas la mort.

  Partir. Il ne voudrait peut-être pas attendre jusqu'à la fin de l'année scolaire. Et s'il exigeait que nous fuyions maintenant ? Devant moi étaient alignés les cadeaux de mes parents ; je ne les avais pas rangés la veille. L'appareil dont je n'avais pas eu l'occasion de me servir chez les Cullen et, à côté, l'album. J'en caressai la belle couverture et soupirai en songeant à Renée. Paradoxalement, avoir vécu loin d'elle aussi longtemps ne rendait pas plus supportable l'idée d'une séparation définitive. Quant à Charlie, il resterait seul ici, abandonné. Tous deux allaient être tellement blessés... Mais je reviendrais, n'est-ce pas ? Nous leur rendrions visite, non ? Malheureusement, je n'avais aucune certitude à ce sujet.

  Je posai ma tête sur mes genoux et contemplai les preuves matérielles de l'amour que me portaient mes parents. J'avais choisi une voie difficile, j'en avais conscience. Mais bon, j'étais en train de lister les pires solutions qui s'offraient à moi ; les pires situations que je me sentais à même de surmonter... J'effleurai de nouveau l'album, l'ouvris. Des coins métalliques étaient déjà collés à l'intérieur, prêts à accueillir le premier cliché. Finalement, ce n'était pas une mauvaise idée de garder un souvenir de ma vie ici. Je ressentis soudain une bizarre urgence à m'y mettre. Si ça se trouvait, mes jours à Forks étaient comptés.

  Je tripotai la lanière de l'appareil et m'interrogeai sur la photo qui inaugurait la pellicule. Saurait-elle rendre la perfection de l'original ? J'en doutais. En même temps, Edward n'avait pas l'air de s'inquiéter qu'elle ne donnât rien. Je souris en me rappelant son rire insouciant puis me renfrognai. Tout était bouleversé. Tout avait été si vite. J'en avais presque le vertige, comme si je m'étais tenue au bord d'un précipice beaucoup trop haut.

  Ne voulant plus y penser, je m'emparai de l'appareil et m'engouffrai dans l'escalier. Ma chambre n'avait guère subi de modifications depuis le départ de ma mère, dix-sept ans plus tôt. Les murs étaient du même bleu pâle, les fenêtres étaient protégées par les mêmes rideaux de dentelle jaunie. Le berceau avait été remplacé par un lit, mais Renée en aurait reconnu l'édredon que j'avais tendu dessus à la va-vite — un cadeau de grand-mère. Sans m'appliquer, je pris une photo de la pièce. Mes possibilités étaient plutôt limitées, ce soir-là — il faisait trop sombre dehors. Le sentiment d'urgence était de plus en plus fort, cependant, presque compulsif. J'allais mitrailler Forks avant d'être obligée d'en partir. Car un changement était inévitable, je le pressentais, perspective déplaisante quand l'existence que je menais me semblait parfaite.

 

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