Poems

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  de quelque maison calme et perdue sous les branches,

  À travers mes lointains, mes enfantins étés,

  ceux qui rêvaient d’amour

  et qui pleuraient d’enfance,

  Vous êtes venue,

  une après-midi chaude dans les avenues,

  sous une ombrelle blanche,

  avec un air étonné, sérieux,

  un peu

  penché comme mon enfance,

  Vous êtes venue sous une ombrelle blanche.

  Avec toute la surprise

  inespérée d’être venue et d’être blonde,

  de vous être soudain

  mise

  sur mon chemin,

  et soudain d’apporter la fraîcheur de vos mains

  avec, dans vos cheveux, tous les étés du monde.

  *

  Vous êtes venue..

  Tout mon rêve au soleil

  n’aurait jamais osé vous espérer si belle..

  et pourtant, tout de suite, je vous ai reconnue.

  Tout de suite, près de vous, fière et très demoiselle,

  et une vieille dame gaie à votre bras,

  il m’a semblé que vous me conduisiez, à pas

  lents, − un peu, n’est-ce pas, un peu sous votre ombrelle −,

  à la maison d’été, à mon rêve d’enfant ..

  .. à quelque maison calme avec des nids aux toits

  et l’ombre des glycines, dans la cour, sur le pas

  de la porte.. quelque maison à deux tourelles

  avec, peut-être, un nom comme les livres de prix

  qu’on lisait en juillet, quand on était petit..

  Dites, vous m’emmeniez passer l’après-midi

  Oh! qui sait où!… à «La Maison des Tourterelles».

  *

  Vous arriviez, là-bas,

  dans tout le piaillement des moineaux sur le toit,

  dans l’ombre de la grille qui se ferme.. Cela

  fait s’effeuiller, du mur et des rosiers grimpants,

  les pétales légers, embaumés et brûlants,

  couleur de neige et couleur d’or, couleur de feu,

  sur les fleurs des parterres et sur le vert des bancs,

  et dans l’allée comme un chemin de Fête-Dieu.

  Je vais entrer.. Nous allons suivre, tous les deux,

  avec la vieille dame, l’allée où doucement

  votre robe, ce soir, en la reconduisant,

  balaiera des parfums couleur de vos cheveux.

  Puis recevoir, tous deux,

  dans l’ombre du salon,

  des visites, où nous dirons

  de jolis riens cérémonieux.

  Ou bien lire avec vous auprès du pigeonnier

  sur un banc de jardin, et toute la soirée,

  aux roucoulements longs des colombes peureuses

  et cachées, qui s’effarent de la page tournée,

  lire avec vous, à l’ombre, sous le marronnier,

  un roman d’autrefois, ou «Clara d’Ellébeuse».

  Et rester là jusqu’au dîner jusqu’à la nuit,

  à l’heure où l’on entend tirer de l’eau au puits

  et jouer les enfants rieurs dans les sentes fraîchies..

  *

  C’est Là – qu’auprès de vous, ô ma lointaine,

  je m’en allais..

  et vous n’alliez,

  avec mon rêve, sur vos pas,

  qu’à mon rêve, Là-Bas,

  à ce château dont vous étiez, douce et hautaine,

  la châtelaine..

  C’est Là − que nous allions − tous les deux, n’est-ce pas,

  ce dimanche, à Paris, dans l’avenue lointaine

  qui s’était faite alors, pour plaire à notre rêve,

  plus silencieuse, et plus lointaine, et solitaire…

  Puis, sur les quais déserts des berges de la Seine…

  et puis après, plus près de vous, sur le bateau,

  qui faisait un bruit calme de machine et d’eau…

  CHANT DE ROUTE

  «… des grandes routes où nul ne passe»

  J. Laforgue.

  Un conquérant, puis tous, chantent:

  Nous avons eu la fièvre

  de tes marais.

  Nous avons eu la fièvre et nous sommes partis.

  Nous étions avertis

  qu’on ne trouvait

  que du soleil

  au plus profond de tes forêts.

  Nous avons eu des histoires

  de brancards

  cassés,

  de fers perdus,

  de chevaux blessés,

  d’ânes fourbus

  et suants qui refusaient d’avancer.

  Nous avons perdu la mémoire de ces histoires

  que l’on raconte à l’arrivée;

  nous n’avions pas l’espoir

  d’arriver.

  Nous avons pris les harnais

  pour nous en faire

  des souliers.

  Nous sommes repartis, à pied dans tes genêts

  qui font saigner les pieds

  et nos pieds ont saigné,

  et nos pieds ont séché

  dans ta poussière,

  en marchant,

  et nous avons guéri leurs plaies

  en écrasant,

  en marchant,

  le baume et les parfums sauvages de tes bruyères.

  Nous aurions pu asseoir

  au revers des fossés

  nos corps fumants et harassés.

  Nous n’avions rien à dire: nous n’avions pas d’espoirs.

  Nous n’avions rien à dire; nous n’avions rien à boire.

  Nous avons préféré la déroute

  sans fin

  des horizons et des routes,

  des horizons défaits qui se refont plus loin

  et des kilomètres qu’on laisse en arrière

  dans la poussière

  pour attraper ceux qu’on voit plus loin,

  avec leur bornes

  indicatrices de villes aux noms lointains

  aux noms qui sonnent

  comme les cailloux de tes chemins

  sous nos talons.

  Nous n’atteindrons jamais les villes de merveilles

  qui ne sont que des noms

  qui sonnent,

  les noms des villes qui sont mortes au soleil.

  Mais nous, nous voulons vivre au Soleil

  de tes cieux

  avec nos crânes en feu,

  et faire sonner sans fin les étapes de gloire

  avec nos pieds d’étincelles.

  Nous avons pour chanter des gosiers de victoire

  et nous avons nos chants pour nous verser à boire

  et nous avons la fièvre

  de tes marais séchés au grand soleil

  de tes routes de poussière

  de tes villes de mirage.

  Nous avons eu la fièvre

  de tes forêts sans ombre – et tes bruyères des sables

  avec leurs regards roux et leurs parfums sauvages

  nous ont donné la fièvre.

  SOUS CE TIÈDE RESTANT …

  2 septembre

  Sous ce tiède restant

  de soleil,

  par ce beau temps

  doux de septembre

  parfumé, clair et doré comme une abeille,

  je songe à celle

  qu’était, dans le verger, à petits pas pressés,

  dix ans passées,

  la petite vieille.

  Et je voudrais, comme l’autre année,

  entrer là-bas secouer les poires,

  dans son verger abandonné,

  et la croire,

  son mouchoir noué autour des tempes,

  son visage

  ridé tendu, tout à sa tâche de Septembre,

  là, sous les poiriers,

  à emplir son tablier,

  ou à étendre

  de toute sa vieille petite âme villageoise

  des
linges frais lavés sur les haies de framboises.

  Je sais qu’elle est, par ces derniers beaux temps,

  une âme, là-bas, dans les jardins,

  à mi-chemin

  de la côte et qu’elle m’attend.

  Puisqu’il y a toujours des histoires à dire

  sur des bancs

  des histoires anciennes de son jeune temps,

  sous le vieux ciel doux de Septembre,

  et des poires à cueillir

  dans les jardins de ses enfants

  des poires qui sentent comme son armoire, il y a dix ans,

  le miel et l’ambre.

  Peut-être que là-bas

  personne ne sent

  que tout cela c’est son âme qui bat

  doucement.

  Il n’y a que moi.

  Personne ne saurait

  ouvrir la barrière,

  entrer,

  sans troubler la prière

  de l’enclos silencieux et du verger désert

  où son âme se plaît.

  Personne au village

  ne sait, personne.

  Et c’est moi, tous les ans, qui fais ce pèlerinage

  avant que le grand vent fou d’automne

  de ses grandes mains brutales et folles

  secoue, en hurlant, les vergers,

  casse les branches et fasse sauter

  les poires oubliées

  et souffle – comme un soir, il y a dix années,

  et comme chaque année,

  après mon départ,

  souffle, en hurlant, la chandelle

  et l’âme de la petite vieille,

  un soir,

  par les vallons et par le ciel.

  PREMIÈRES BRUMES DE SEPTEMBRE …

  «Crois-moi, c’est bien fini jusqu’à l’année prochaine.»

  J. Laforgue.

  Premières brumes de septembre

  sur les fougères, les bruyères, dans les landes,

  par les chasses, dans les sapins.

  Premiers feux dans les bourgs, flambées de grand matin

  qui craquent et luisent dans les salles

  obscures des auberges, des fermes et des chaumières

  matinales.

  Venu de loin par les frais grands chemins

  dans sa voiture couverte,

  l’épicier ambulant s’arrête

  pour causer, vendre et se chauffer les mains,

  et laisse son attelage qui grelotte

  et fume aux portes

  entr’ouvertes.

  Et j’aperçois aux murs, par éclats de lumière,

  avant qu’on ait ouvert

  les volets,

  les images et les chromos qu’on verra tout l’hiver

  rougeâtrement illuminés,

  représenter au-dessus de la cheminée,

  dans les salles obscures

  et basses des chaumières, des fermes et des auberges,

  de belles dames avec des manchons et des fourrures

  dans des paysages de neige.

  Et j’entends: «Pas chaud, ce matin! – Voilà les froids.

  − Il a dû geler blanc, cette nuit, dans les bois.»

  − Oh! nous étions si bien partis pour les étés!

  va-t-il falloir

  ce soir

  fermer encore toutes les portes des châteaux

  et s’en retourner?

  s’en revenir, enveloppés dans les manteaux,

  le long des routes en châtaignes

  dégringolées,

  gelés,

  dans les voitures à ânes et les calèches toutes pleines

  de consternés et petits désespoirs,

  avec les vacances finies qui s’en reviennent.

  ET MAINTENANT QUE C’EST LA PLUIE …

  Et maintenant que c’est la pluie et le grand vent

  de Janvier

  et que les vitres de la serre

  où je me suis réfugié

  font, sous la pluie, leur petit bruit de verre

  toute la journée,

  et que le vent, qui rabat la fumée des cheminées,

  dégrafe et soulève

  les vignes vierges de la tonnelle,

  Je ne sais plus où Elle est… Où est-elle?

  *

  À pas pleins d’eau, par les allées,

  dans le sable mouillé

  du jardin

  qui nous fut à tous deux notre rêve de Juin,

  Elle s’en est allée…

  et la Maison

  où nous avions, tout cet été,

  sous les feuilles des avenues qu’on arrosait,

  imaginé

  de passer notre vie comme une belle saison,

  la Maison,

  dans mon coeur, abandonnée, est froide

  avec son toit

  d’ardoise luisant d’eau,

  et ses nids de moineaux

  dénichés et pourris qui penchent aux corniches

  et traînent dans le vent…

  *

  Il va bientôt faire nuit,

  et le grand vent bruineux tourne les parapluies

  et mouille au visage

  les dames qui reviennent du village

  et ouvrent la grille…

  Mon amie

  Ô Demoiselle

  qui n’êtes pas ici,

  cette heure-ci

  passe, et la grille ne grince pas,

  je ne vous attends pas,

  je ne soulève

  pas le rideau

  pour vous voir, dans le vent et l’eau,

  venir.

  Cette heure passe, mon amie,

  Ce n’est pas une heure de notre vie…

  et nous l’aurions aimée, pourtant, comme toutes celles

  de toute la vie

  apportée simplement dans vos mains graves de dame belle.

  *

  Vous êtes partie…

  Il bruine

  dans les allées

  qui ont mouillé

  vos chevilles fines.

  Il bruine dans les marronniers

  confus et sombres

  et sur les bancs où, cet été, à l’ombre,

  avec l’été

  vous vous seriez assise, blonde!

  Il bruine sur la maison et sur la grille et dans les ifs

  de l’entrée

  que, pour la dernière fois

  peut-être je regarde, en songeant à mi-voix

  peut-être pour la dernière fois:

  «Elle est très loin… où est-elle… son front pensif

  appuyé à quelle croisée?»

  *

  À la tombée de la nuit,

  je vais fermer, aux fenêtres d’ici,

  les volets qui battent et se mouillent,

  et j’irai sur la pelouse

  rentrer

  un jeu de croquet oublié qui se rouille.

  DANS LE CHEMIN QUI S’ENFONCE …

  Dans le chemin qui s’enfonce à la ferme

  au soleil taché d’ombre, entre deux haies

  d’où sortent, pour rentrer, des poulets –

  Apparue

  à la barrière d’un champ,

  venue à travers blés,

  tenant d’un geste négligent

  la robe fraîche et l’ombrelle qui traînent –

  Vous voici revenue,

  par le chemin de noisetiers,

  vers la maison de notre amour abandonné.

  Ô cérémonieuse amie lointaine, vous ne trouverez plus

  la Maison-Belle de l’été passé:

  l’autre été, l’autre amour

  sont passés – et revenus

  au soleil dur, parmi les paysans grossiers,

  vers les pauvres maisons d’autrefois et de toujours,

  Et pourtant,

  ô ma sérieuse amie, ma silencieuse, ma fidèle

  lointaine amie, n’ayez pas peur pour venir, pour me suivre

  chez les paysans graves, silencieux et lents,

  dans la cour où l
’on attelle

  la jument,

  pour vous asseoir sur la planche de cuir

  brûlante qui balance,

  attachée par deux cordes derrière le siège

  de la voiture.

  Ouvrez votre ombrelle

  comme ça…

  là.

  Le paysan va vous dire: Mademoiselle

  vous auriez été mieux sur le devant.

  Dites-lui doucement

  comme si vous existiez, que non.

  Et restons,

  balancés, secoués, à regarder…

  On s’arrête… ho…

  − là! sur la route devenue,

  après des côtes et des descentes et des tournants dans le petit pays, la rue

  où le charron

  a mis sécher une voiture;

  où, du côté de l’ombre,

  les femmes cousent au bord des fenêtres obscures:

  on s’arrête en plein soleil,

  devant une maison.

  N’ayez pas peur pour passer sur le pont

  du fossé;

  J’enlève le loquet

  de la barrière blanche; et, sous la treille,

  dans la petite cour aux murs de bouquets,

  enfin, malhabilement, enfin!

  voici vos mains

  sur la poignée noire de la porte dure.

  On ne nous attend pas.

  Personne n’est sorti, la main sur les yeux,

  pour nous voir arriver. La voiture s’en va.

  Nous sommes là, tous deux, n’osant pas

  ouvrir, ou pousser le volet qui coupe en deux

  la porte paysanne, et apparaître aux vieux.

  N’ayez pas peur… que de ne pas assez

  follement

  aimer la folle impossible journée…

  Et repartons… Allons-nous-en

  vers les toits

  semés entre les arbres, sous le ciel fleuri blanc,

  éblouissants, à l’horizon

 

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