Sexe, Meurtres et Cappuccino

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Sexe, Meurtres et Cappuccino Page 13

by Kyra Davis


  Je n’avais pas posé un pied dans le hall de l’hôpital qu’une nuée de micros se matérialisa sous mon nez.

  — Mademoiselle Katz, pouvez-vous décrire votre agression ?

  — Depuis combien de temps connaissiez-vous Andrew Manning ?

  — Le soupçonniez-vous d’être capable de s’en prendre à vous ?

  — D’après vous, est-il responsable de ses actes ?

  Les journalistes. Tout compte fait, il y avait pire que ma mère et ma sœur réunies. Je refoulai les larmes qui brûlaient mes paupières. Pas question qu’on me voie pleurnicher aux infos télévisées du matin ! J’aurais voulu les envoyer sur les roses, mais j’avais peur de prendre la parole. Je n’aurais pas pu imaginer une conclusion plus lamentable à cette nuit de cauchemar.

  Incapable de parler, je parcourus du regard la meute de journalistes. Personne n’aurait donc pitié de moi ? Une boule commençait à se former dans ma gorge lorsqu’un mouvement attira mon attention. Anatoly ! Je le vis s’approcher à grands pas du groupe qu’il fendit en jouant des coudes, avant de parvenir à ma hauteur. Là, passant une main protectrice autour de mes épaules, il se tourna vers les reporters.

  — Mademoiselle Katz a été blessée à la gorge, déclara-t-il d’une voix ferme. Elle ne sera pas en mesure de répondre à vos questions avant plusieurs jours. Merci de votre compréhension.

  Quelques journalistes protestèrent, mais Anatoly, faisant signe qu’il était inutile d’insister, les obligea à nous céder le passage. Pas un instant son bras ne quitta mes épaules. Je craignis qu’on ne tente de nous retenir, mais il émanait de lui une telle autorité que personne ne tenta de s’interposer.

  Une fois dehors, il me guida vers la file de taxis et m’aida à prendre place dans le premier. Puis, ayant donné mon adresse au chauffeur :

  — Comment te sens-tu ? demanda-t-il en me serrant contre lui.

  — J’ai envie de me glisser dans mon lit avec la couverture par-dessus la tête et de ne pas en sortir pendant huit jours.

  Une lueur d’amusement passa dans ses yeux.

  — Je vois. Tu as d’autres priorités pour la semaine ?

  Je secouai la tête négativement.

  — Je suppose que la police t’a interrogé ?

  — Bien sûr. Ils voulaient savoir pourquoi je m’en suis pris à Manning avec autant d’énergie. Ils ont fini par admettre que je voulais seulement te protéger et qu’il n’y avait rien de personnel contre lui.

  — Ils t’ont parlé de Susan Lee ?

  — Oui.

  — D’après eux, c’est lui qui l’a tuée. Et si tu n’étais pas intervenu, il aurait un second meurtre sur la conscience ce matin.

  Anatoly arqua un sourcil d’un air amusé.

  — On dirait que je ne suis plus un fanfaron gonflé de suffisance, finalement ?

  — Si. Tu es un fanfaron gonflé de suffisance qui tombe à pic.

  Il laissa échapper un éclat de rire sonore. Son hilarité était contagieuse. Bientôt, je me tenais les côtes en hoquetant de rire malgré la douleur qui me tenaillait la gorge. C’était si bon de rire ! Anatoly, soudain, recouvra son calme et écarta doucement une mèche de mon visage. Il n’en fallait pas plus pour me faire craquer. Trois secondes plus tard, la tête sur son épaule, je sanglotais à chaudes larmes.

  Lorsque le taxi se gara en bas de chez moi, j’avais recupéré un peu de sérénité. Anatoly me caressa le dos avec une douceur presque paternelle.

  — Ça va ? demanda-t-il en essuyant une larme sur mes joues.

  — Evidemment, tout baigne.

  Il eut une expression si incrédule que c’en était comique.

  — A question idiote, réponse stupide, dis-je en cherchant mon portefeuille dans mon sac.

  Anatoly me battit de vitesse et paya la course, avant de descendre et de m’aider à sortir à mon tour du taxi.

  — Je te raccompagne jusqu’à ta porte ? proposa-t-il.

  Il progressait.

  — Avec plaisir.

  Sans un mot, nous gravîmes les trois étages qui menaient chez moi. Anatoly s’immobilisa sur la dernière marche pendant que j’insérais ma clé dans la serrure. Je pris une profonde inspiration et me lançai :

  — Ça t’ennuierait d’entrer quelques minutes, le temps que je m’installe ?

  — Rien ne me ferait plus plaisir.

  — Ne me fais pas dire ce que je n’ai pas dit, Anatoly.

  — Je n’y songe même pas.

  — Parfait.

  Je le fis entrer rapidement. M. Katz vint à ma rencontre se frotter contre mes jambes, avide de caresses et de croquettes, mais en voyant Anatoly, il battit en retraite.

  — Il n’aime pas les étrangers, expliquai-je.

  — Brave bête.

  — Je vais me préparer une tasse de thé. Tu en veux ?

  — Merci, dit Anatoly en secouant la tête.

  Il s’assit sur le canapé pendant que je sortais la bouilloire.

  — Tu le connaissais bien ?

  — Ce n’était pas un ami, mais j’aurais donné ma main à couper qu’il était inoffensif. Ce qui signifie que je le connaissais très mal.

  — Pas forcément.

  Anatoly frotta ses yeux et étouffa un bâillement.

  — D’après ce que m’ont expliqué les policiers, il a eu le lobe frontal abîmé. Les personnes qui sont dans son cas sont assez imprévisibles. Elles semblent à peu près stables pendant des années et un jour, clac !, elles fondent un fusible.

  Il ponctua ses paroles d’un claquement de doigts.

  — Encore un mystère du fonctionnement du cerveau humain…

  Je versai l’eau bouillante dans la théière et m’assis dans un fauteuil en face d’Anatoly.

  — Le détective qui m’a interrogée pense que c’est lui qui a vandalisé ma voiture.

  — Et toi ? Tu n’en as pas l’air convaincue.

  — Moi… je ne sais plus.

  Je me servis un peu de thé, songeuse. Devais-je partager avec Anatoly mes théories personnelles sur la situation ? Il semblait disposé à m’écouter et aurait certainement l’esprit plus ouvert que Gorman et consorts. Je le regardai, indécise. Il s’était adossé contre le canapé et frottait ses yeux cernés. Je consultai ma montre. 2 heures du matin.

  — Tu dois être épuisé. Si tu veux rentrer chez toi, je ne te retiens pas.

  Il rouvrit les yeux et me fixa d’un regard indéchiffrable.

  — Tu préfères que je reste ?

  Comme j’hésitai, il reprit :

  — En tout bien tout honneur. Je peux dormir sur le canapé. Je pensais seulement qu’après les événements de la nuit, tu n’aurais pas envie d’être seule.

  Une fois de plus, Anatoly me prenait au dépourvu. Comment ce malappris prétentieux et égocentrique pouvait-il d’un instant à l’autre se métamorphoser en un compagnon attentif, tendre et généreux ?

  — Bon, si tu es sûr que ça ne t’ennuie pas… Tu n’es pas obligé de dormir sur le canapé, j’ai une chambre d’amis.

  — Très bien.

  Je me levai pour préparer son lit. J’étais si épuisée que mes yeux se fermaient tout seuls. Il serait temps de parler de tout cela le lendemain.

  9

  Personne ne vous fera autant douter de vous même que ceux qui prétendent avoir le plus confiance en vous.

  Sex, Drugs & Murder

  J’ouvris les yeux vers 11 heures du matin, ce qui n’était pas très tard si l’on considère que j’avais éteint la lumière vers 4 h 30 du matin. Quant à l’éventualité de prolonger ma grasse matinée, il ne fallait pas y compter. M. Katz, ayant sans doute décidé que j’avais assez dormi, s’était assis sur ma tête en ronronnant avec entrain.

  Je repoussai l’animal, me levai et allai me poster devant le miroir. Le reflet que me renvoya la glace me ramena d’un coup à la réalité. Mon cou et ma gorge n’étaient qu’une immense plaque bleue aux reflets jaunâtres. Avec un peu de chance, la journée serait fraîche. Impossible de porter autre chose qu’un col roulé.
/>   Ayant enfilé ma vieille robe de chambre, je me dirigeai vers la cuisine. Je trouvai Anatoly dans le séjour, occupé à lacer ses bottines.

  — Tu sors ?

  — Je ne savais pas que tu étais réveillée.

  Il me jeta un regard vibrant de compassion.

  — On dirait que tu as passé la nuit avec un vampire.

  — Merci bien. Les vampires, je les laisse à Dena.

  Anatoly parut ne pas comprendre mes paroles.

  — Laisse tomber, dis-je en allant dans la cuisine. Tu veux du café ?

  — Pas le temps, mais une autre fois, avec plaisir.

  Il enfila sa veste et me rejoignit devant le plan de travail de la cuisine.

  — Tu as un rendez-vous avec un futur client ?

  — Bravo.

  Je versai quelques cuillerées de café en grain dans le moulin.

  — Tant pis, ça m’en fera plus.

  — Ravi de voir que tu bois autre chose que les trucs à la chantilly qu’ils servent chez Starbucks.

  Il se pencha vers moi pour déposer un baiser sur mon front.

  — Je t’appelle, d’accord ?

  Je hochai la tête en le regardant se diriger vers la porte.

  — Anatoly ?

  — Oui ?

  — Merci de m’avoir sauvé la vie. C’était vraiment… très gentil de ta part.

  Il revint vers moi et me gratifia d’un second baiser.

  — A ton service.

  Et il s’en alla.

  M. Katz fit son entrée d’un pas majestueux. Il reprenait possession de son espace vital après le départ de notre invité. Je pris alors conscience de la sensation de sécurité que j’avais ressentie en présence d’Anatoly.

  Lorenzo avait peut-être raison. L’homme qui avait failli me tuer quelques heures auparavant et celui qui avait vandalisé ma voiture n’étaient sans doute qu’une seule et même personne.

  Pourtant, quelque chose ne collait pas. Qu’Andy m’ait vue au volant de ma voiture, soit. Qu’il ait reconnu le véhicule dans la rue, soit. Mais mon Acura avait été vandalisée entre le vendredi soir et le samedi matin. Or j’avais éconduit Andy le samedi soir. Au moment des faits, celui-ci n’avait donc aucune raison de s’en prendre à ma voiture. En outre, même si Andy lisait mes livres, ce dont je doutais fort, il n’aurait pas eu l’idée de s’amuser à reproduire une scène de crime extraite de mes romans.

  A cela s’ajoutait l’énigme du verre brisé et du livre déplacé. Je l’aurais juré, quelqu’un s’était introduit chez moi. Ou plutôt, quelqu’un avait fait en sorte que je sache qu’il s’était introduit chez moi. L’individu s’était même donné un fou mal pour que j’en sois persuadée sans que je puisse toutefois en fournir la moindre preuve à la police. Il était d’une intelligence qui touchait au génie. Le pauvre Andy n’avait rien d’un génie.

  Je versai le café moulu dans la machine à espresso. Puisque le rôdeur n’était pas Andy, de qui pouvait-il s’agir ? D’un maniaque ? C’était la seule hypothèse plausible. En tout cas, c’était plus vraisemblable que de penser qu’il s’agissait d’Andy.

  Pendant que je buvais mon café, je reçus cinq appels de journalistes. Tous voulaient ma version des faits. Je branchai mon répondeur et me fis couler un bain. Lorsque je sortis de la salle de bains, sept messages m’attendaient. En plus des reporters, plusieurs amis m’avaient appelée. Les informations télévisées du matin avaient annoncé la nouvelle de mon agression, et apparemment, tout le monde les avait suivies, y compris un certain nombre de formes de vie extraterrestres.

  Ma mère avait vu le reportage, failli s’évanouir, appelé ma sœur. Leah avait écouté, failli s’évanouir, composé mon numéro pour une conférence à trois, de sorte que j’eus le plaisir de les consoler toutes les deux en même temps. Puis je dus les écouter me sermonner pour ne pas les avoir appelées immédiatement. Elles comprenaient que je n’aie pas eu envie de prévenir mes amis, mais elles étaient ma famille, tout de même !

  Ensuite, c’est Dena qui vint aux nouvelles, aussi proche de l’évanouissement qu’elle pouvait l’être. Elle était surtout vexée. Que je n’aie pas envie de parler à ma famille de cinglés, soit, mais elle était mon amie, tout de même !

  Last but not least, Marcus se manifesta à son tour. Il n’avait pas vu le journal télévisé et ne s’était pas évanoui, mais il avait été prévenu par Donato, et il était fort marri d’avoir été informé par une tierce personne. Il était mon coiffeur, tout de même !

  Lorsque je raccrochai le téléphone, quelque temps plus tard, après avoir rassuré Mary Ann, je commençais à me demander si j’avais été si bien inspirée que cela de survivre à mon agression.

  Vers 14 heures, je décidai que j’avais besoin de prendre l’air. Mauvaise idée. La première personne que je croisai fut Alice, au bord de la crise de nerfs. Je rentrai finalement chez moi et m’enfermai à double tour dans mon appartement, plus terrorisée par la perspective de devoir affronter une personne qui m’aimait que par la crainte de croiser mon rôdeur.

  Ayant décroché le téléphone et baissé au plus bas le volume sonore du répondeur, je m’approchai de M. Katz, qui contemplait le paysage par la baie vitrée.

  — Tu sais ce que j’aime, chez toi ? Tu sais la boucler quand il le faut.

  M. Katz ne répondit pas, ce qui me conforta dans la bonne opinion que j’avais de lui. Je restai près de lui quelques instants, pensive. Comment occuper ma journée sans mettre en danger ma santé mentale ? Machinalement, je me dirigeai vers ma bibliothèque et parcourus du bout du doigt la rangée de romans rangés sur le rayonnage du haut. Ma main s’arrêta sur Sex, Drugs & Murder. Je n’avais pas regardé le livre depuis que je l’avais rapporté du commissariat, et je ne l’avais pas relu depuis que j’en avais corrigé les dernières épreuves, quelques mois auparavant. J’effleurai les caractères en relief qui ornaient la couverture.

  — Je suis au bord de la dépression nerveuse, expliquai-je à M. Katz. Tu veux bien me tenir un peu compagnie ?

  L’animal prit la direction de la chambre d’un air hautain.

  — Merci de ton aide. Tu pourras compter sur moi le jour où tu te feras harceler par un doberman.

  Mon roman à la main, je me lovai sur le canapé. Le moment était venu de rafraîchir ma mémoire.

  Vers 19 heures, M. Katz, ayant finalement décidé de se montrer coopératif, grimpa sur mes genoux. J’avais passé l’après-midi sur le sofa et parcouru l’ouvrage dans sa totalité, en résistant à la tentation de passer rapidement sur les chapitres qui m’étaient les plus familiers. A présent, je n’avais plus aucun doute. Le verre cassé, le livre déplacé, la voiture vandalisée, tout cela était directement tiré de mon récit. J’avais inclus deux meurtres dans le roman — celui de la star du hard violée et battue à mort avec un club de golf, et celui de Kitty, tuée de quatre coups de hache, deux dans le dos, un derrière la tête et un dans le cœur.

  Comment avais-je pu écrire de telles horreurs ? Fallait-il que je sois inconsciente ! M. Katz se mit à ronronner en se frottant contre moi pour quémander des caresses. Je venais de me plonger de nouveau dans la description de l’assassinat de Kitty lorsqu’on sonna à mon Interphone. Je bondis sur mes pieds, envoyant M. Katz rouler par terre.

  — Désolée, minou. Je suis un peu à cran, en ce moment. Bon, pas de quoi s’affoler, hein ? Les serial killers ne sonnent pas gentiment à l’Interphone, en général.

  M. Katz me jeta un regard dont toute trace de compassion avait disparu. Je m’approchai du micro.

  — Qui est là ?

  — Un serial killer, bien sûr.

  — Quoi ? ? ?

  — Mais non, je blague. Ce sont tes amies, fit la voix de Dena. Tu sais, ces filles que tu ne te donnes pas la peine d’appeler quand tu manques de passer de vie à trépas.

  Dena et Mary Ann ! La soirée vidéo ! Tout cela m’était sorti de la tête. J’appuyai sur le bouton qui commandait l’ouverture de la porte dans le hall de l’immeuble.

  Quelques minutes plus tard, Mar
y Ann se jetait dans mes bras, au risque de me faire perdre l’équilibre.

  — Sophie ! Je suis tellement heureuse de te revoir vivante ! s’écria-t-elle. J’ai passé la journée à me demander ce que j’aurais fait s’il t’était arrivé quelque chose. Tu es tellement importante pour moi ! Pratiquement une sœur !

  — C’est bon, elle va bien, épargne-nous tes tirades grandiloquentes, grommela Dena en entrant à sa suite.

  Je m’approchai d’elle pour l’embrasser à son tour.

  — Ne me refais plus jamais un coup pareil, bougonna-t-elle en détournant le regard. C’est mauvais pour ma digestion.

  Je réprimai un sourire.

  — Promis. Je ne mettrai plus mon cou entre les mains d’un psychopathe animé de pulsions homicides.

  Dena tapota mon épaule avec affection.

  — Bonne idée.

  — Moi, je vais préparer le pop-corn, chantonna Mary Ann en ôtant son manteau.

  Je suspendis son vêtement dans l’entrée et lui demandai :

  - Qu’est-ce qu’on regarde, ce soir ?

  - L’Objet de mon affection, avec Jennifer Aniston. Prends-le, il est dans mon sac. Ce n’est pas une nouveauté mais il paraît que c’est super.

  - Super, répéta Dena d’une voix de fausset en s’affalant sur le canapé.

  - Dena, fais un effort, murmurai-je en sortant le DVD du fourre-tout de Mary Ann.

  Puis, à voix haute, tout en jetant un œil à la jaquette :

  - C’est tout à fait ce qu’il me faut, poursuivis-je. Le truc léger et un brin déjanté qui ne fatigue pas les méninges.

  - Pas du tout, protesta Mary Ann. C’est un film qui fait réfléchir.

  - Réfléchir ? A l’indigence du scénario ? ricana Dena.

  - C’est tout de même un film qui dérange.

  - J’aimerais bien savoir en quoi Jennifer Aniston est dérangeante !

 

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