A l’idée de travailler à nouveau avec Moriaud, qui serait Tirésias; mais, plus encore, frappé que, lorsque je l’avais connue, il y a 8 ans, Svetlana, délaissant le ballet, justement s’essayait au théâtre dans un montage de la trilogie de Sophocle où elle jouait, outre le Sphinx et Jocaste, Antigone; j’acceptai, fasciné par la logique de la proposition : car si j’avais, initialement, renoncé à faire du théâtre, c’était dans la conscience qu’il me serait impossible de jouer sans consentir à l’homosexualité, qui m’aurait submergé, tandis que je visais à la maîtrise; en quoi le Fraenger m’avait apporté une technique dont longtemps je n’aperçus pas la portée, similaire à la désorganisation que, systématiquement, j’entrepris du sommeil par les somnifères, avec une évidence sur laquelle je ne m’interrogeais pas, sitôt que je m’engageai dans le Diderot — culminant, lorsque je rencontrai Moriaud, en une insomnie totale de 3 mois; et qui ne perdait de son caractère agonique que maintenant, avec le lotus surgi — : l’hérésie adamite, telle que « le Royaume millénaire » la reconstituait, s’élaborait, en pratique, tantriquement, par l’homme qui, différant la jouissance indéfiniment en son acmé, par l’esprit la retournait telle un brasier en son propre corps, ainsi subtilisé.
Partant des 3 conférences universitaires sur « Antigone », qu’elle était chargée d’animer, et le projet de montage bientôt abandonné pour la seule pièce de Sophocle, dans la version d’André Bonnard; faisant miroiter aussi la possibilité d’une série de représentations au théâtre antique de Delphes en août, après les 15 représentations maintenant fixées au Caveau, Sandra avait réussi, pour ce spectacle, à réunir une troupe professionnelle où j’étais le seul amateur, en outre chargé de la dramaturgie : toutes les fois que nous avions discuté d’Antigone me prenant les mots de la bouche, je ne soupçonnais pas, malgré la façon qu’elle avait de laisser traîner ses mégots partout, qu’elle fût, sans consistance, soucieuse uniquement de charmer qui se prêtait à sa manie de monter, l’un après l’autre, des spectacles.
Après 2 semaines de répétitions, lorsque, le croassement perçant la raucité, sa voix me fut devenue insupportable, et tandis qu’il apparaissait que, précisément à cause des contrats qu’elle signait volontiers, il faudrait jouer pour la seule beauté du geste — ce dont nul, tant qu’il était susceptible de se retirer, à l’évidence ne s’apercevait —, début avril, j’admis que Sandra ne fût que l’occasion, exceptionnelle selon Moriaud, pour qui savait s’en servir, de se trouver, réduit à soi, contraint d’en sortir; et, à mesure que la découverte de l’escroquerie devenait imminente avec violence, ma double fonction rendant les comédiens incertains que je n’eusse pas manipulé par personne interposée, je dus assumer la dramaturgie où le coryphée, relais entre l’humain et l’inhumain, tel le troisième œil s’ouvrant à la vision sans yeux de Tirésias, était impassible foyer de concentration exclusivement; adoptant, pour le rendre sensible, peu à peu une attitude de yoga : pendant la représentation, d’une heure et demie, debout, immobile, à l’avant-scène; présence, au milieu des acteurs, d’un phrasé initialement flottant mais, sur les conseils de Moriaud, dont l’attention me portait, projeté avec une force toujours plus s’incarnant, au point que Créon, le soir de la première, et alors que, pendant les répétitions, il avait ostensiblement évité toute discussion, avant d’entrer en scène n’y tenant plus, lança « Vous ne voulez quand même pas être l’Ange exterminateur. »
La santé de mon père, depuis septembre dernier, se dégradait, les médicaments ayant de moins en moins prise sur le tremblement qui, maintenant, le paralysait par à-coups, saccadant sa journée de trous dont, ne voulant entendre parler d’une nouvelle hospitalisation, il prenait son parti; et que je banalisais de même; cependant que, retournant après les 3 mois d’interruption d’Antigone au Chercheur, je terminais le mot à mot en juin, pour me trouver confronté à la difficulté intacte, puisque j’ignorais toujours comment transmettre en français ce qui transparaissait en allemand, dans ma version se traduisant, j’en étais conscient, une stupeur seulement, non, en son aimantation, le débordement d’une vie; et, plus j’avançais, plus je me fourvoyais, lorsque, le 13 août, je dus faire admettre mon père, malgré son refus — « car on y meurt » —, à Thônex pour qu’on tente, par un changement de médication étalé sur un temps, de stabiliser son état; mais c’était l’équilibre trouvé à la mort de ma mère, il y a 3 ans, qui sans doute échappait.
Le samedi suivant, aux Puces, chez Paulette Cohenoff, qui avait eu, cela faisait un an bientôt, le G. & T. rouge de Saint-Pétersbourg souhaité en récompense de la fin des Conférences, parmi un lot, je trouvai le « Suicidio » de la Gioconda, de Ponchielli, et le récitatif et air de la Vestale, de Spontini, par Rosa Ponselle, qui, retirée depuis 50 ans dans sa villa « Pace » de Baltimore, venait de mourir, et dont, bien que Neury, mon guide en l’occurrence, depuis des années et tout récemment encore — il avait participé à Antigone en tant que répétiteur du choeur —, m’en parlât, la voix m’échappait, curieux ainsi de l’entendre en particulier dans l’extrait de la Vestale, dont j’avais entrevu par Callas l’émotion; et, sitôt rentré chez mon père, écoutant d’abord le « Suicidio », Ponselle me parut en son flamboiement trop intense pour l’air dont la ligne semblait ténue; mais, à la première note du récitatif de Giulia, inépuisable en sa splendeur chantant avec le silence, tout se détachant et se liant imprévisiblement juste, sa voix accédait, bouleversant comme elle l’exprimait trouvé par oubli dans le don, à l’absolu.
Alors que, depuis un an sans savoir quoi, je cherchais, Ponselle me pénétrait de la prière, qui désormais me porta; m’adressant à la puissance tutélaire, mon père tout aussi bien, de suspendre la mort et m’assister encore, jusqu’au terme du Chercheur, qui invoquait l’élan, au cœur, contraint, pour ne pas en être étouffé dès lors qu’il en est inspiré, d’en témoigner, de l’inhumain envahissant, qui prend forme humaine dans le phrasé, où les mots, par le jeu d’un déplacement tous devenus sensibles, créent une saturation telle qu’en sa compréhension soudain s’inversant elle manifeste qui la transfigure le vide.
En septembre, mon père rentra; cependant tout était devenu précaire, et, début décembre, alors que j’en étais aux deux tiers du Chercheur, il dut retourner à Thônex pour un nouveau dosage des médicaments, étant convenu qu’il aurait, si possible, une permission à Noël; après les fêtes toutefois, dans une bouffée d’assurance, il décida de rester à la maison, bien qu’il s’affaiblît, ayant pris de moi une toux, dont j’étais harcelé par quintes comme j’arrivais au terme du Chercheur, et chez lui sourde, quoiqu’il ne s’en inquiétât pas, étant blasé — en 1949, à Davos, alors qu’on lui ôtait trois côtes pour enrayer la tuberculose qui le tenait au sanatorium depuis un an, il s’était réveillé de l’anesthésie en pleine opération, qu’il suivit jusqu’au bout sans ciller —; mais, le 8 février, lorsque je lui annonçai, au repas du soir, la fin du Chercheur, dans un éclair il parut soulagé — « Dieu soit loué, je te félicite » —, si brutalement qu’à 10 heures, il m’appelait, hébété; et, le lendemain matin, comme il ne tenait pas sur ses jambes, je dus le conduire aux urgences : il avait une double broncho-pneumonie; et le médecin de Thônex, où il avait été réadmis, par le ton de sa voix, me donna à entendre qu’à son sens j’étais un inconscient, responsable, pour un peu, de la mort de mon père, qui, toutefois, quand j’allai le voir, ne parut pas impressionné, corrigeant qu’il avait un refroidissement, dont il était pratiquement remis lorsque le mercredi — j’avais posté le Chercheur la veille —, aux Puces, je ne sais plus chez qui, je trouvai 2 disques Odéons 25 cm : 4 danses espagnoles interprétées par la Argentina, que j’entendis maintenant, le corps qui l’incarnait s’étant immatérialisé, danser par une scansion, à la limite, abstraite, où il suffit d’un coup sec des castagnettes pour tout évoquer en son éclat de la beauté.
mai 1982 – avril 1983
Alexandre Brongniart
C’ÉTAIT UN
MARDI SOIR, en mai 1982, après la fin du Chercheur, je rentrais chez moi particulièrement tendu : mon père, envahi par son voisin — un jeune radio-électricien, musicien pop amateur, qui habitait à côté chez son amie, avec deux chiennes hideuses et des autocollants plein la porte —, n’arrivait plus à se dégager de sa présence : la nuit, quand il était couché et ne pouvait, sans d’infinis efforts, se relever, le voisin, se jouant des verrouillages, dans l’appartement surgi le narguait jusqu’à s’asseoir sur le bord de son lit; et, le jour, de l’autre côté de la paroi, harcelait en parodiant à la trace ses faits et gestes; et si, longtemps, mon père ne m’avait rien dit — les premiers signes s’étaient manifestés il y a un an et demi, peu après l’emménagement du voisin —, mettant un point d’honneur, en vaquant impassiblement au quotidien, à mépriser cette insistance, depuis bientôt 9 mois les limites du tolérable, à son sens, étant franchies, il avait, tôt le matin ou tard le soir, plusieurs fois appelé la concierge, qui était intervenue avec conviction, s’était plaint à la police, enfin, rien n’y faisant, s’était adressé au voisin, qu’il dictât ses conditions, pour qu’il le laissât en paix; toutes choses que j’avais apprises il y a peu, lorsque, croyant que j’entretenais mon père dans ses idées, le voisin et son amie m’avaient interpellé devant l’immeuble un soir que j’arrivais, ne me permettant plus de continuer à ignorer délibérément — comme le seul moyen de l’endiguer — l’hallucination qui, maintenant que j’argumentais, prenait chaque jour corps davantage.
Je redoutais que, perdant la tête, mon père rendît impossible le vœu dont j’avais formé le projet, alors que ma mère était mourante, en septembre 1978, lorsque les médecins, ayant découvert chez lui un cancer de la prostate avec métastases osseuses, m’eurent déclaré qu’il n’avait plus longtemps à vivre et que, refusant le diagnostic de cette maladie que mon père ignorait, il m’apparut qu’il fallait agir de même, si je voulais réussir là où, me semblait-il, j’avais échoué avec ma mère; pour en recevoir l’impulsion le jour de son enterrement, le 31 octobre, lorsque, de retour dans l’appartement, mon père, pour couper les sanglots m’envahissant, en évoquant la réaction qu’il avait eue en la circonstance à 17 ans, m’amena à lui poser une question sur son histoire, dont je savais des fragments seulement, n’ayant jamais pensé — interdit par un mouvement de ma mère, en 1948, à une lettre du Chili, contenant des timbres pour ma collection, et venant d’un demi-frère prétendument de mon père — interroger : enfant « naturel » de ses parents — lorsqu’ils se furent mariés, 4 ans plus tard, ils ne le reconnurent pas —, il avait été confié à sa grand-mère qui habitait Vienne, apprenant d’elle à son lit de mort, en 1917, la vérité sur ses origines : notamment que celui qu’il croyait un cousin, en Roumanie, était son frère qui, à sa majorité — les parents étant entre-temps décédés —, hériterait seul d’une fortune dont il avait tenté, en dernier recours, par un procès, perdu en 1927, de se faire attribuer une part; et il me montra l’article qu’il avait conservé, d’un journal local, relatant cet épisode dont la révélation maintenant, par son scandale me bouleversant, me fit jurer par devers moi de réparer, autant que je pourrai, l’injustice en témoignant à mon père un amour dont la frustration fondait — je l’expliquais déjà, avant de connaître le détail, ainsi — l’obstination qu’il avait eue à régulièrement détruire, par le jeu, une situation de vie qu’il contraignait ma mère de sauver — à l’exception de la dernière fois, il y a 6 ans, où, comme il allait être mis à la retraite, il s’était ouvert à moi d’une perte, que j’assumai d’accord avec lui — par trois gains consécutifs au tiercé, en septembre 1979, il devait, au centime près, sans qu’il lui restât rien, la rembourser —, pourvu qu’elle demeurât ignorée de ma mère, qui, sans en rien laisser paraître, l’avait néanmoins sue, se trahissant en juillet seulement dans un billet où, pour justifier qu’elle m’instituât seul dépositaire des 60 000 F dont elle venait d’hériter d’un frère, émigré à Montevideo, qu’elle croyait pauvre, elle y fit allusion —; le partage de cet argent, que mon père ne demanda pas, alors qu’il s’imposait, sans que la portée m’en apparût, scellant, en mai 1979, la relation où mon père, sur un mouvement juste me prenant au mot, se donna à moi comme le maître que la reconnaissance investit d’une liberté qu’il impartit.
Ce soir-là, ayant prié mon père qu’il mette le téléphone à côté du lit et m’appelle sitôt que le voisin se signalerait — jusqu’à présent, curieusement, malgré les persécutions subies, et bien que je fusse à deux pas, il n’avait jamais demandé que j’intervienne —, pendant le lotus la fonction de cette présence soudain m’apparaissant — jusqu’à présent, ne songeant qu’à interpréter, j’avais évité de m’interroger là-dessus —, dans le bouleversement de l’évidence convaincu que si mon père en apercevait le sens son tourment se dissiperait, je souhaitais dans un élan qu’il y accédât, lorsque le téléphone sonna : c’était mon père, qui me demandait de venir; en sorte que, dans le droit fil de ma concentration, je me retrouvais chez lui, devant la porte de la chambre à coucher fermée à clé de l’intérieur, frappant impatiemment, qu’il m’ouvre; et mon père, s’étant assuré de mon identité, prestement se leva, entrebâilla la porte et jeta un regard circulaire dans le hall avant de se tourner vers moi « il n’est pas là? », me donnant ainsi le signal que j’attendais pour enchaîner, incantatoirement : qu’il pût comprendre qu’il désirait cette intrusion, puisqu’elle le gardait d’autre chose, qu’il redoutait, et dont son attention, par la persécution, se détournait . . . « la mort. C’était sot. On ne sait ni le jour ni l’heure »; ce qu’entendant je fus envahi d’un mouvement où il m’échappa « tu es sauvé. Il ne peut plus rien t’arriver. C’est très grand à toi d’avoir dit cela. Tu es sauvé »; et toute distance — où le baiser échangé le soir restait formel — dans l’exaltation de la lumière dans l’instant partagée s’abolissant, effusivement l’étreignant enfin nous nous embrassâmes.
Le matin, aux Puces, curieux de ce que je pourrais trouver qui signerait l’événement de la nuit, je passais devant le banc de Lometto comme Fontanet, triant de la porcelaine, déballait un buste dont la luminosité m’arrêta, si bien qu’elle me le déposa entre les mains : c’était un biscuit de Sèvres, Alexandre Brongniart, par Houdon, enfant regard et sourire ailleurs rivés en soi, que, pour 100 F, je conservai — plusieurs, en le voyant, également éblouis, voulurent l’acheter —, tout en considérant maintenant deux tasses cylindriques, début XIXe, qui me faisaient penser aux deux tasses Rosenthal, rescapées d’un service de six, que mon père et moi utilisions pour le thé; mais, bien que Fontanet me les laissât pour 15 F, je n’arrivais pas à me décider — elles étaient dépareillées, et l’une avait un cheveu —, finalement y renonçant, avec le sentiment que je dissociais les parts d’un lot; et, en effet, mon père, qui, le matin, m’avait accueilli radieux, le soir m’attendait avec une impatience qui d’abord me déconcerta, me demandant malicieusement que je l’écoute, avant que je me fâche : après mon départ, à 2 heures, en débarrassant la table basse du hall, où nous buvions le thé, il avait cassé l’une des deux tasses; et, pour la remplacer, était allé jusque chez Girard aux Grottes, à plus de dix minutes — depuis des mois, il ne se hasardait pas à plus de 100 m —, mais il n’y avait que de la porcelaine Langenthal; alors il avait téléphoné au Studio Rosenthal, mais il fallait commander spécialement, et cela prenait six semaines; donc que je tranche maintenant à qui était la tasse cassée; cependant que, jeudi soir, lorsque j’arrivai, il me montra sa main droite, contusionnée : en tombant dans l’appartement, il venait de se fouler deux doigts, l’annulaire et l’auriculaire; si bien que, l’agitation de la nuit, au récit qu’il m’en fit le lendemain, reprenant, je tranchai qu’il devrait, profitant de la visite de contrôle, lundi, chez son médecin, demander une admission à Thônex : s’il considérait ce séjour comme une convalescence dans un sanatorium — la persécution, jusqu’à présent, semblait liée à l’appartement, exclusivement
—, il pourrait sauver l’intelligence entrevue qui, sinon, se perdrait; mais il n’en voulut rien savoir, et je m’emportai; le soir toutefois — j’étais arrivé une heure plus tôt, pour m’excuser et reprendre posément —, dans le hall que les rayons du soleil couchant traversaient et dont le calme, sous la profusion des disques partout épars, contrastait avec la véhémence qui m’habitait, mon père, dans son fauteuil en velours vert bouteille, le visage légèrement incliné, à son habitude, sur l’épaule droite, tandis que je lui faisais face, de biais, à un mètre, sur le bras du fauteuil en velours argent où s’amoncelaient livres et papiers, m’ayant écouté avec une attention qui démêlait dans mes mots autre chose dont je ne mesurais pas la portée, pénétré, me dit doucement : « J’y arriverai, je sais, mais attends. Pourquoi es-tu si impatient. On peut avoir quand même une rechute »; le lundi cependant, les péripéties de la nuit ne s’atténuant pas, je téléphonai à son médecin, qu’il fît un bon d’entrée pour Thônex, où la radio révéla que mon père, en tombant jeudi, s’était cassé les deux doigts — c’était sa première fracture —, prévenant de la sorte objectivement, par le plâtre qui, immobilisant le bras, contraignait à l’hospitalisation, tout argument.
Mon père se remit vite de sa fracture — en 3 semaines, les doigts étaient ressoudés —, mais la persécution cette fois s’était aussi manifestée, par bouffées, à Thônex; et, fin juin, lorsqu’il fut rentré, son énergie que ne fixait plus l’hallucination refluant dans le corps redonna virulence à un symptôme resté latent ces 4 années, après qu’il fut surgi en été 1978 pour contraindre à l’hospitalisation par laquelle, le 27 août, un terme s’était assigné à l’agonie de ma mère : si le tremblement avait alors terrassé mon père — vers minuit il était tombé, sans pouvoir se relever, dans les toilettes; et c’est ma mère qui, en appelant de l’aide, l’avait relevé, avant de m’alerter —, c’est que, suscité par l’occlusion vésicale, dans le sentiment qu’il était intolérablement constipé, depuis une semaine prenant compulsivement des laxatifs, une diarrhée avait fini de l’épuiser; et cette technique de déplacement, jouant en sens inverse aussi, lui avait permis, sitôt qu’il fut soulagé par une sonde, de ne plus prêter aucune attention à son infirmité réelle; cependant que l’obsession maintenant ressurgie reprenait son sens premier : après un mois, le dimanche Ier août, l’effet des laxatifs s’accumulant soudain, un chaos excrémentiel le disloquait dans un état de stupeur; et à Thônex, où il avait été réadmis, le délire s’étant aussitôt résorbé, les médecins tranchèrent que, puisqu’il n’arrivait plus à se maintenir dans le cadre d’une vie autonome, et qu’il n’était pas possible de l’hospitaliser ainsi, à intervalles de plus en plus rapprochés, il fallait le placer dans une maison de retraite; sans vouloir considérer que la voie choisie il y a 4 ans excluait maintenant ce recours dont, le 8 août — j’étais venu cette fois un dimanche et non pas le samedi comme d’habitude —, lorsque, vers 2 heures, dans le réfectoire désert, je lui annonçai la nécessité de l’envisager ne serait-ce qu’à titre d’essai, mon père déduisit « alors il ne me reste plus que le suicide. »
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