City Girl

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City Girl Page 21

by Sarah Mlynowski


  Mercredi

  10 h 30

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Récapitulatif

  Liste des points forts et des points faibles de Tim.

  a Les points forts

  1 Il est gentil.

  2 Il est mignon.

  3 Il est aux petits soins pour sa grand-mère.

  4 Il organise des sorties sympa. Je ne serais pas surprise qu’il m’emmène skier, ou cueillir des pommes, ou faire du karaoké. J’ai toujours rêvé de pousser la chansonnette mais tu n’as jamais voulu m’accompagner.

  5 Il est gentil.

  6 Il est mignon.

  7 Il aime les gosses (pas utile dans l’immédiat, mais un vrai bonus sur le long terme).

  8 Il est mignon.

  9 Il me trouve jolie.

  10 Il a l’air normal.

  b Les points faibles

  1 Il vit chez ses parents. A-t-il la permission de minuit ?

  2 Il se couche très tôt. Je ne vois pas l’intérêt d’avoir un petit ami si je dois finir mes soirées avec Samantha devant Urgences (ils rediffusent la troisième saison le samedi soir, je n’ai pas encore raté un épisode. Cherchez l’erreur).

  3 Est-il vraiment normal ?

  Troisième semaine, lundi

  9 h 30

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Troisième rendez-vous

  Quand je lui ai ouvert la porte, il m’a tendu une boîte de chocolats. Un point pour lui. Fourrés à la noix de coco. Deux points. Puis il m’a dit : « J’espère que tu les aimes, babe. » Moins un point. Mentalement, j’ai ajouté un alinéa à ma liste B (points faibles) :

  4. Il m’appelle « babe ». Pourquoi pas « lolotte » ou « chouchou » ?

  Nous sommes allés dîner chez l’Italien. Il a fallu se geler une demi-heure sur le trottoir en attendant qu’une place se libère (il n’avait pas réservé, encore un point de moins. Attention, Tim ! Je ne sais pas si tu vas revenir en quatrième semaine) mais il m’a promis qu’ils servaient la meilleure salade César de la côte Est. Je lui ai fait une fois de plus le coup du portefeuille, et cette fois encore il a insisté pour m’inviter. Allez, un point en plus. Je dois reconnaître que la salade était délicieuse, mais j’ai juste grignoté. C'était la première fois qu’on dînait ensemble, et il avait peut-être prévu un dessert plus… croustillant que les profiteroles, si tu me suis.

  A vrai dire, je n’ai rien contre les profiteroles. Mais

  après.

  Quand il s’est garé en bas de l’immeuble, je lui ai dit que j’avais passé une très bonne soirée — sous entendu, il ne tenait qu’à lui qu’elle devienne encore meilleure. C'était le moment qu’il m’embrasse. Je commençais à devenir nerveuse. Attendait-il que je fasse le premier pas ? Mais si je lui plaisais, il l’aurait déjà fait, non ? Quels étaient les conseils de ma Bibliothèque Personnelle de la Femme moderne pour activer l’évolution de la situation ? Ah oui ! attirer son attention sur mes lèvres. Flûte de flûte ! pourquoi n’avais-je pas de Chupa Chup sur moi ? (Nota : toujours garder une Chupa de réserve dans mon sac à main).

  En désespoir de cause, je me suis mordillé les lèvres en prenant une expression rêveuse. Mes talents d’actrice doivent être assez limités car il m’a aussitôt regardée d’un air inquiet.

  — Tu as les lèvres sèches ? Attends, je dois avoir un tube de baume.

  Je l’ai remercié assez… sèchement. S'il ne m’embrassait pas dans les vingt-cinq secondes, je rompais les relations diplomatiques.

  Alors il a posé la main sur ma joue et m’a demandé :

  — Tu veux bien que je t’embrasse ?

  17 h 00

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Troisième rendez-vous

  Il embrasse bien ? Des détails !

  Mardi

  9 h 15

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Troisième rendez-vous

  Dans l’ensemble il se débrouille plutôt bien, sauf qu’il avait un arrière-goût de jaune d’œuf à cause de la salade César.

  Je l’ai appelé hier soir pour lui proposer d’aller au cinéma. Puisqu’il a l’air de redevenir normal, autant se recentrer sur des sorties normales.

  11 h 30

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Troisième rendez-vous

  Tu l’as appelé ? Tu progresses ! Bienvenue au club des femmes libérées !

  PS : Dois-je en déduire que tu passes à la vitesse supérieure ?

  11 h 35

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Re : Troisième rendez-vous

  Oui.

  14 h 37

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Re : Re : Troisième rendez-vous

  Et quand comptes-tu atteindre ton but ?

  14 h 40

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Re : Re : Re : Troisième rendez-vous

  Bientôt.

  16 h 42

  De : [email protected]

  A : [email protected].

  Sujet : Re : Re : Re : Re : Re : Re : Re : Troisième

  rendez-vous

  C'est bientôt, bientôt ?

  16 h 50

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Re : Re : Re : Re : Re : Troisième

  rendez-vous

  Il est 16 h 50. Le film finit vers minuit. Dans un peu plus de sept heures, mes six mois d’abstinence appartiendront au passé.

  16 h 59

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Re : Re : Re : Re : Re : Re :

  Troisième rendez-vous

  Ô ! Femme de petite vertu !!!! :-)

  Mercredi

  9 h 30

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Quatrième rendez-vous

  J’aimerais bien. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, mais pas un seul frôlement d’épaules dans le noir, pas de caresses furtives dans le sac de pop-corn (mais là, c’est parce que j’avais pris des pralines. La prochaine fois je prends du pop-corn). Handicap supplémentaire, le film était bon. La prochaine fois, je choisis un mauvais film.

  J’ai invité Tim à prendre un dernier verre. Dans l’ascenseur, il a fini par se décider à m’embrasser. Puis on s’est installés sur le canapé et j’ai allumé la télé. Pour une fois, je n’étais pas seule pour regarder Urgences.

  Mais c’était la seule différence.

  Tim est resté immobile jusqu’au générique de fin, sans essayer une fois de profiter de la situation. C'est peut-être un fan de la série ? Enfin, il s’est souvenu de moi et m’a embrassée. Une seule fois. Puis il a bâillé, il a regardé sa montre et a déclaré qu’il se levait tôt le lendemain. Je lui ai demandé s’il allait chercher sa grand-mère à l’aéroport. « Non, a-t-il répondu, je suis bénévole à la soupe populaire. »

  J’aurais eu envie de rire si je ne m’étais pas sentie aussi frustrée.

  Puis il m’a demandé si j’étais libre samedi prochain, et dix secondes plus tard, il était parti. Je commence à trouver son comportement vexant. Je sens mauvais ou quoi ?

  Soit ce garçon est fou, soit c’est un saint. Est-ce que les saints sont plus longs que les autres à se déclarer ? Est-ce que les saints ont une vie sexuelle ? Si oui, comment faire de ma virginité (pratiquement restaurée par une éternité de c
hasteté) une noble cause aux yeux de saint Tim ?

  Question subsidiaire : Tu crois que je devrais changer de déodorant ?

  Jeudi

  15 h 00

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Quatrième rendez-vous

  Il faut être mort pour être canonisé. Donc, Tim n’est pas un saint.

  Et à mon avis, ce n’est pas un problème de déodorant qui brouille votre communication.

  Quatrième semaine, lundi

  9 h 30

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Cinquième rendez-vous

  Rencontre du troisième type. Contact physique établi. Sa main a légèrement effleuré mon chemisier.

  Mais je n’ose pas encore crier victoire, ça pourrait me porter malchance.

  Je le revois demain soir. Je suis en train d’essayer de convaincre Samantha de passer la nuit chez Philip plutôt que d’inviter celui-ci à la maison : je ne veux pas qu’elle déconcentre Tim.

  15 h 2

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Cinquième rendez-vous

  Au contraire, tu ferais mieux de garder Sam à la maison, j’ai l’impression que tu vas avoir besoin de toute l’aide possible pour motiver ce garçon. Je plaisante.

  Mercredi

  11 h 26

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Sixième rendez-vous

  Je pense être en mesure d’affirmer que j’ai un petit ami : nous avons finalement réussi à quitter le canapé pour mon lit, et je me suis retrouvée sans soutien-gorge après quelques minutes.

  Puis Tim a mis un terme à nos tendres ébats. Le déroulement des opérations prend bien plus de temps que prévu. Mon fiancé serait-il un sexué ?

  15 h 00

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Sixième rendez-vous

  Un quoi sexué ? A moins que tu n’aies voulu dire « insexué » ? Dans ce cas, le mot exact est « asexué ». Je croyais qu’on te payait pour corriger des manuscrits chez Cupidon ?

  Vendredi

  11 h 00

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : SOS !

  Je ne t’ai pas autorisée à aller te coucher avant mon retour à la maison. J’avais besoin de te parler. J’ai vu Tim hier soir, il n’est toujours pas passé à l’offensive. Déjà un mois ! C'est lui qui a un problème, ou c’est moi ? Sois franche.

  PS : D’après ce qu’il me raconte, les gamins de son lycée ont l’air plus dégourdis que nous. Il y a quelque chose qui cloche, non ?

  14 h 2

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : SOS !

  Il est homo.

  14 h 6

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : SOS !

  Alors pourquoi s’obstine-t-il à sortir avec moi ?

  14 h 18

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : SOS !

  Ne cherche pas, il est homo. Ou plutôt si : cherche ailleurs.

  14 h 24

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Re : SOS !

  Ce serait un gaspillage monumental pour la moitié féminine de l’humanité — ou en tout cas pour la moitié féminine de Boston, ou en tout cas pour moi — si Tim était homosexuel. Mais j’ai du mal à y croire : un garçon qui est capable d’assortir un pantalon marron et un pull rouge, qui joue au foot et est affligé d’un si mauvais goût en matière de bouquets de fleurs ne peut pas être homo.

  14 h 29

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Re : Re : SOS !

  Alors c’est un extraterrestre.

  Cinquième semaine, mercredi

  13 h 31

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Ou alors un extraterrestre homosexuel ?

  Quatre semaines, et il ne passe pas à l’attaque. Je commence à me demander s’il n’est pas puceau. A vingt-six ans, tout de même… Tu crois qu’il se réserve pour le mariage ? Il paraît que c’est très tendance. Dans mes bouquins, les héroïnes sont souvent vierges. Mais je n’ai jamais eu un héros vierge. Quelle plaie ! Les puceaux devraient tous porter une marque, par exemple un grand « P » rouge sur le front.

  A ton avis, quelles sont mes chances avec lui ?

  23 h 12

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Courage !

  Peut-être la privation l’incitera-t-elle à se déclarer plus vite ? As-tu déjà rencontré ses parents ?

  Vendredi

  9 h 22

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Courage !

  Nous n’en sommes pas encore là ! Pour l’instant, tout ce que je veux, c’est coucher avec lui.

  23 h 3

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Courage !

  Arrête-moi si j’ai mal compris. Tu ne le connais pas assez pour avoir envie de rencontrer les gens avec qui il vit, mais tu le connais assez pour vivre avec lui l’expérience la plus intime que deux personnes puissent partager ?

  Sixième semaine, lundi

  11 h 15

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Courage !

  Peux-tu me dire ce que tu me conseilles au juste ? De rencontrer ses parents ou de ne pas coucher avec lui ?

  Helen vient de laisser tomber un pavé sur mon bureau. C'est nouveau ! D’habitude, c’est Shauna-la-Fouine qui nous distribue les manuscrits. En plus, celui-ci n’a pas la même présentation que les autres. Alors, Helen, on bâcle le travail ? On est amoureuse ? Non, je plaisante.

  Je n’ai pas encore fini Pour le meilleur et pour le plaisir, mais Helen insiste pour que je commence tout de suite à relire le pavé. Le Millionnaire se marie. Sympa comme titre. Je n’ai rien contre les millionnaires, mais pourquoi est-ce que mes romans ne parlent jamais de types normaux ? Comme les travailleurs sociaux, par exemple ?

  11 h 23

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Re : Re : Courage !

  A la réflexion, c’est sans doute toi qui as raison. Oublie ses parents et amuse-toi. Relève le défi, tu en es capable. Et dis-toi bien que ta victoire sera celle de tout le genre féminin !

  Vendredi

  13 h 7

  De : [email protected]

  A : [email protected] ;

  [email protected] ;

  [email protected]

  Sujet : Appel général

  Appel à toutes les filles. Le cap des cinq semaines est franchi. C'est ce week-end ou jamais. Si quelqu’un(e) a une idée de génie à suggérer, c’est le moment.

  14 h 1

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Appel général

  Cinq semaines et tu n’as toujours pas conclu ? Mais qu’est-ce que tu fabriques ? Il suffit de le lui demander. Dis-lui simplement : « Je te veux ». Ou encore, plus efficace, « Je te veux vraiment ». Toi qui me bassines toujours sur l’importance des adverbes, c’est le moment d’en utiliser un.

  Je te
vois à l’Orgasme ce soir ?

  15 h 12

  De : [email protected]

  A : [email protected]

  Sujet : Re : Re : Appel général

  Je ne suis pas certaine de pouvoir dire ça sans pouffer de rire. Mais tu me donnes une idée. Je vais lui lire un extrait du Millionnaire se marie, le bouquin qu’on m’a donné à corriger cette semaine : « En sentant son amant effleurer de ses doigts l’intérieur de ses cuisses pour s’approcher lentement des plis les plus secrets de sa chair, elle sentit un frisson de volupté la parcourir ». Avec un peu de chance, ça devrait lui donner des idées.

  Je ne vais pas à l’Orgasme ce soir. Ou plutôt si : je vais à l’orgasme. Avec Tim (Ah ah !). Comme tu l’as compris, c’est le grand soir. J’ai convaincu Sam de passer la nuit chez Philip. Je vais me faire un brushing, puis je préparerai un bon dîner. Dommage que je connaisse si peu de recettes de cuisine !

  Les macaronis au fromage, qu’est-ce que ça vaut comme aphrodisiaque ?

  13

  Trois minutes

  Ma soirée avec Tim commence exactement comme la page quatre-vingt quatorze du Millionnaire se marie. Sauf que le héros n’est pas millionnaire et qu’il ne se marie pas.

  Après le dîner, le héros entraîne l’héroïne vers la chambre et l’étend sur le lit. L'ayant rejointe, il la couvre de baisers brûlants, incapable de lutter contre l’attirance presque magnétique qui le pousse vers elle. Avec une exaspérante lenteur qui ne fait qu’exacerber leur désir, il déboutonne son chemisier de soie bleu pâle, sans jamais cesser de l’embrasser. Enfin il lui ôte son chemisier et laisse échapper un sourd gémissement à la vue des deux collines laiteuses de ses seins nichées dans la dentelle (merci saint Wonderbra !)

  D’une main tremblante d’impatience, il caresse ses épaules blanches, ses bras, les douces rondeurs de son ventre (un euphémisme — elle a un peu tendance à négliger ses abdos-fessiers depuis quelque temps. Mais elle se jure de se remettre à l’exercice dès le lendemain), puis il referme les doigts autour de la fermeture de son soutien-gorge, qu’il dégrafe d’un geste sûr — c’est un modèle qui se ferme sur le devant, elle est fort surprise qu’il l’ait compris aussi vite.

 

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