Cinq Semaines En Ballon

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Cinq Semaines En Ballon Page 24

by Jules Verne


  La vue de ces oiseaux amena Joe a complimenter son maetre sur son idee des deux ballons.

  " Ou en serions-nous, dit-il, avec une seule enveloppe? Ce second ballon, c'est comme la chaloupe d'un navire; en cas de naufrage, on peut toujours la prendre pour se sauver.

  —Tu as raison, mon ami; seulement ma chaloupe m'inquiete un peu; elle ne vaut pas le batiment.

  —Que veux-tu dire? demanda Kennedy.

  —Je veux dire que le nouveau Victoria ne vaut pas l'ancien; soit que le tissu en ait ete trop eprouve, soit que la gutta-percha se soit fondue a la chaleur du serpentin, je constate une certaine deperdition de gaz; ce n'est pas grand'chose jusqu'ici, mais enfin c'est appreciable; nous avons une tendance a baisser, et, pour me maintenir, je suis force de donner plus de dilatation a l'hydrogene.

  —Diable! fit Kennedy, je ne vois guere de remede a cela.

  —Il n'y en a pas, mon cher Dick; c'est pourquoi nous ferions bien de nous presser, en evitant meme les haltes de nuit.

  —Sommes-nous encore loin de la cote? demanda Joe.

  —Quelle cote, mon garcon? Savons-nous donc ou le hasard nous conduira; tout ce que je puis te dire, c'est que Tembouctou se trouve encore a quatre cents milles dans l'ouest.

  —Et quel temps mettrons-nous a y parvenir?

  —Si le vent ne nous ecarte pas trop, je compte rencontrer cette ville mardi vers le soir.

  —Alors, fit Joe en indiquant une longue file de betes et d'hommes qui serpentait en plein desert, nous arriverons plus vite que cette caravane."

  Fergusson et Kennedy se pencherent et apercurent une vaste agglomeration d'etres de toute espece; il y avait la plus de cent cinquante chameaux, de ceux qui pour douze mutkals d'or [Cent vingt-cinq francs.] vont de Tembouctou a Tafilet avec une charge de cinq cents livres sur le dos; tous portaient sous la queue un petit sac destine a recevoir leurs excrements, seul combustible sur lequel on puisse compter dans le desert.

  Ces chameaux des Touaregs sont de la meilleure espece; ils peuvent rester de trois a sept jours sans boire, et deux jours sans manger; leur vitesse est superieure a celle des chevaux, et ils obeissent avec intelligence a la voix du khabir, le guide de la caravane. On les connaet dans le pays sous le nom de " mehari. "

  Tels furent les details donnes par le docteur, pendant que ses compagnons consideraient cette multitude d'hommes, de femmes, d'enfants, marchant avec peine sur un sable a demi mouvant, a peine contenu par quelques chardons, des herbes fletries et des buissons chetifs. Le vent effacait la trace de leurs pas presque instantanement.

  Joe demanda comment les Arabes parvenaient a se diriger dans le desert, et a gagner les puits epars dans cette immense solitude.

  " Les Arabes, repondit Fergusson, ont recu de la nature un merveilleux instinct pour reconnaetre leur route; la ou un Europeen serait desoriente, ils n'hesitent jamais; une pierre insignifiante, un caillou, une touffe d'herbe, la nuance differente des sables, leur suffit pour marcher surement; pendant la nuit, ils se guident sur l'etoile polaire; ils ne font pas plus de deux milles a l'heure, et se reposent pendant les grandes chaleurs de midi; ainsi jugez du temps qu'ils mettent a traverser le Sahara, un desert de plus de neuf cents milles. "

  Mais le Victoria avait deja disparu aux yeux etonnes des Arabes, qui devaient envier sa rapidite. Au soir, il passait par 2 degrees 20' de longitude [Le zero du meridien de Paris.], et, pendant la nuit, il franchissait encore plus d'un degre.

  Le lundi, le temps changea completement; la pluie se mit a tomber avec une grande violence; il fallut resister a ce deluge et a l'accroissement de poids dont il chargeait le ballon et la nacelle; cette perpetuelle averse expliquait les marais et les marecages qui composaient uniquement la surface du pays; la vegetation y reparaissait avec les mimosas, les baobabs et les tamarins.

  Tel etait le Sonray avec ses villages coiffes de toits renverses comme des bonnets armeniens; il y avait peu de montagnes, mais seulement ce qu'il fallait de collines pour faire des ravins et des reservoirs, que les pintades et les becassines sillonnaient de leur vol; ca et la un torrent impetueux coupait les routes; les indigenes le traversaient en se cramponnant a une liane tendue d'un arbre a un autre; les forets faisaient place aux jungles dans lesquels remuaient alligators, hippopotames et rhinoceros.

  " Nous ne tarderons pas a voir le Niger, dit le docteur; la contree se metamorphose aux approches des grands fleuves. Ces chemins qui marchent, suivant une juste expression, ont d'abord apporte la vegetation avec eux, comme ils apporteront la civilisation plus tard. Ainsi, dans son parcours de deux mille cinq cents milles? le Niger a seme sur ses bords les plus importantes cites de l'Afrique.

  —Tiens, dit Joe, cela me rappelle l'histoire de ce grand admirateur de la Providence; qui la louait du soin qu'elle avait eu de faire passer les fleuves au milieu des grandes villes! "

  A midi, le Victoria passa au-dessus d'une bourgade, d'une reunion de huttes assez miserables, qui fut autrefois une grande capitale.

  " C'est la, dit le docteur, Barth traversa le Niger a son retour de Tembouctou: voici le fleuve fameux dans l'antiquite, le rival du Nil, auquel la superstition paienne donna une origine celeste; comme lui, il preoccupa l'attention des geographes de tous les temps; comme celle du Nil, et plus encore, son exploration a coute de nombreuses victimes.

  Le Niger coulait entre deux rives largement separees; ses eaux roulaient vers le sud avec une certaine violence; mais les voyageurs entraenes purent a peine en saisir les curieux contours.

  " Je veux vous parler de ce fleuve, dit Fergusson, et il est deja loin de nous! Sous les noms de Dhiouleba, de Mayo, d'Egghirreou, de Quorra, et autres encore, il parcourt une etendue immense de pays, et lutterait presque de longueur avec le Nil. Ces noms signifient tout simplement " le fleuve ", suivant les contrees qu'il traverse.

  —Est-ce que le docteur Barth a suivi cette route? demanda Kennedy.

  —Non, Dick; en quittant le lac Tchad, il traversa les villes principales du Bornou et vint couper le Niger a Say, quatre degres au-dessous de Gao; puis il penetra au sein de ces contrees inexplorees que le Niger renferme dans son coude, et, apres huit mois de nouvelles fatigues, il parvint a Tembouctou; ce que nous ferons en trois jours a peine, avec un vent aussi rapide.

  —Est-ce qu'on a decouvert les sources du Niger? demanda Joe.

  —Il y a longtemps, repondit le docteur. La reconnaissance du Niger et de ses affluents attira de nombreuses explorations, et je puis vous indiquer les principales. De 1749 a 1758, Adamson reconnaet le fleuve et visite Goree; de 1785 a 1788, Golberry et Geoffroy parcourent les deserts de la Senegambie et remontent jusqu'au pays des Maures, qui assassinerent Saugnier, Brisson, Adam, Riley, Cochelet, et tant d'autres infortunes. Vient alors l'illustre Mungo-Park, l'ami de Walter-Scott, Ecossais comme lui. Envoye en 1795 par la Societe africaine de Londres, il atteint Bambarra, voit le Niger, fait cinq cents milles avec un marchand d'esclaves, reconnaet la riviere de Gambie et revient en Angleterre en 1797, il repart le 30 janvier 1805 avec son beau-frere Anderson, Scott le dessinateur et une troupe d'ouvriers; il arrive a Goree; s'adjoint un detachement de trente-cinq soldats, revoit le Niger le 19 aout; mais alors, par suite des fatigues, des privations, des mauvais traitements, des inclemences du ciel, de l'insalubrite du pays, il ne reste plus que onze vivants de quarante Europeens; le 16 novembre, les dernieres lettres de Mungo-Park parvenaient a sa femme, et, un an plus tard, on apprenait par un trafiquant du pays qu'arrive a Boussa, sur le Niger, le 23 decembre l'infortune voyageur vit sa barque renversee par les cataractes du fleuve, et que lui-meme fut massacre par les indigenes.

  —Et cette fin terrible n'arreta pas les explorateurs?

  —Au contraire, Dick; car alors on avait non seulement a reconnaetre le fleuve, mais a retrouver les papier du voyageur. Des 1816, une expedition s'organise a Londres, a laquelle prend part le major Gray; elle arrive au Senegal, penetre dans le Fouta-Djallon, visite les populations foullahs et mandingues, et revient en Angleterre sans autre resultat. En 1822, le major Laing explore toute la partie de l'Afrique occidentale voisine des po
ssessions anglaises, et ce fut lui qui arriva le premier aux sources du Niger; d'apres ses documents, la source de ce fleuve immense n'aurait pas deux pieds de largeur.

  —Facile a sauter, dit Joe.

  —Eh! eh! facile! repliqua le docteur. Si l'on s'en rapporte a la tradition, quiconque essaye de franchir cette source en la sautant est immediatement englouti; qui veut y puiser de l'eau se sent repousse par une main invisible.

  —Et il est permis de ne pas en croire un mot? demanda Joe.

  —Cela est permis. Cinq ans plus tard, le major Laing devait s'elancer au travers du Sahara, penetrer jusqu'a Tembouctou, et mourir etrangle a quelques milles au-dessus par les Oulad-Shiman, qui voulaient l'obliger a se faire musulman.

  —Encore une victime! dit le chasseur.

  —C'est alors qu'un courageux jeune homme entreprit avec ses faibles ressources et accomplit le plus etonnant des voyages modernes; je veux parler du Francais Rene Caillie Apres diverses tentatives en 1819 et en 1824, il partit a nouveau, le 19 avril 1827, du Rio-Nunez; le 3 aout, il arriva tellement epuise et malade a Time, qu'il ne put reprendre son voyage qu'en janvier 1828, six mois apres; il se joignit alors a une caravane, protege par son vetement oriental, atteignit le Niger le 10 mars, penetra dans la ville de Jenne, s'embarqua sur le fleuve et le descendit jusqu'a Tembouctou, ou il arriva le 30 avril. Un autre Francais, Imbert, en 1670, un Anglais, Robert Adams, en 1810, avaient peut-etre vu cette ville curieuse; mais Rene Caillie devait etre le premier Europeen qui en ait rapporte des donnees exactes; le 4 mai, il quitta cette reine du desert; le 9, il reconnut l'endroit meme ou fut assassine le major Laing; le 19, il arriva a El-Araouan et quitta cette ville commercante pour franchir, a travers mille dangers, les vastes solitudes comprises entre le Soudan et les regions septentrionales de l'Afrique; enfin il entra a Tanger, et, le 28 septembre, il s'embarqua pour Toulon; en dix-neuf mois, malgre cent quatre-vingts jours de maladie, il avait traverse l'Afrique de l'ouest au nord. Ah! si Caillie fut ne en Angleterre, on l'eut honore comme le plus intrepide voyageur des temps modernes; a l'egal de Mungo-Park. Mais, en France, il n'est pas apprecie a sa valeur [Le docteur Fergusson, en sa qualite d'Anglais, exagere peut-etre; neanmoins, nous devons reconnaetre que Rene Caillie ne jouit pas en France, parmi les voyageurs, d'une celebrite digne de son devouement et de son courage].

  —C'etait un hardi compagnon, dit le chasseur. Et qu'est-il devenu?

  —Il est mort a trente-neuf ans, des suites de ses fatigues; on crut avoir assez fait en lui decernant le prix de la Societe de geographie en 1828; les plus grands honneurs lui eussent ete rendus en Angleterre! Au reste, tandis qu'il accomplissait ce merveilleux voyage, un Anglais concevait la meme entreprise et la tentait avec autant de courage, sinon autant de bonheur. C'est le capitaine Clapperton, le compagnon de Denham. En 1829, il rentra en Afrique par la cote ouest dans le golfe de Benin; il reprit les traces de Mungo-Park et de Laing, retrouva dans Boussa les documents relatifs a la mort du premier, arriva le 20 aout a Sakcatou ou, retenu prisonnier, il rendit le dernier soupir entre les mains de son fidele domestique Richard Lander.

  —Et que devint ce Lander? demanda Joe fort interesse.

  —Il parvint a regagner la cote et revint a Londres, rapportant les papiers du capitaine et une relation exacte de son propre voyage; il offrit alors ses services au gouvernement pour completer la reconnaissance du Niger; il s'adjoignit son frere John, second enfant de pauvres gens des Cornouailles, et tous les deux, de 1829 a 1831, ils redescendirent le fleuve depuis Boussa jusqu'a son embouchure, le decrivant village par village, mille par mille.

  —Ainsi, ces deux freres echapperent au sort commun? demanda Kennedy.

  —Oui, pendant cette exploration du moins, car en 1833 Richard entreprit un troisieme voyage au Niger, et perit frappe d'une balle inconnue pres de l'embouchure du fleuve. Vous le voyez donc, mes amis, ce pays, que nous traversons, a ete temoin de nobles devouements, qui n'ont eu trop souvent que la mort pour recompense! "

  CHAPITRE XXXIX

  Le pays dans le coude du Niger.—Vue fantastique des monts Hombori.—Kabra.—Tembouctou.—Plan du docteur Barth.—Decadence.—Ou le Ciel voudra.

  Pendant cette maussade journee du lundi, le docteur Fergusson se plut a donner a ses compagnons mille details sur la contree qu'ils traversaient. Le sol assez plat n'offrait aucun obstacle a leur marche. Le seul souci du docteur etait cause par ce maudit vent du nord-est qui soufflait avec rage et l'eloignait de la latitude de Tembouctou.

  Le Niger, apres avoir remonte au nord jusqu'a cette ville, s'arrondit comme un immense jet d'eau et retombe dans l'ocean Atlantique en gerbe largement epanouie; dans ce coude, le pays est tres varie, tantot d'une fertilite luxuriante, tantot d'une extreme aridite; les plaines incultes succedent aux champs de mais, qui sont remplaces par de vastes terrains couverts de genets; toutes les especes d'oiseaux d'humeur aquatique, pelicans, sarcelles martins-pecheurs, vivent en troupes nombreuses sur les bords des torrents et des marigots.

  De temps en temps apparaissait un camp de Touareg, abrites sous leurs tentes de cuir, tandis que les femmes vaquaient aux travaux exterieurs, trayant leurs chamelles et fumant leurs pipes a gros foyer.

  Le Victoria, vers huit heures du soir, s'etait avance de plus de doux cents milles a l'ouest, et les voyageurs furent alors temoins d'un magnifique spectacle.

  Quelques rayons de lune se frayerent un chemin par une fissure des nuages, et, glissant entre les raies de pluie, tomberent sur la chaene des monts Hombori. Rien de plus etrange que ces cretes d'apparence basaltique; elles se profilaient en silhouettes fantastiques sur le ciel assombri; on eut dit les ruines legendaires d'une immense ville du moyen age, telles que, par les nuits sombres, les banquises des mers glaciales en presentent au regard etonne.

  " Voila un site des Mysteres d'Udolphe, dit le docteur; Ann Radcliff n'aurait pas decoupe ces montagnes sous un plus effrayant aspect.

  —Ma foi! repondit Joe, je n'aimerais pas a me promener seul le soir dans ce pays de fantomes. Voyez-vous, mon maetre, si ce n'etait pas si lourd, j'emporterais tout ce paysage en Ecosse. Cela ferait bien sur les bords du lac Lomond, et les touristes y courraient en foule.

  —Notre ballon n'est pas assez grand pour te permettre cette fantaisie. Mais il me semble que notre direction change. Bon! les lutins de l'endroit sont fort aimables; ils nous soufflent un petit vent de sud-est qui va nous remettre en bon chemin. "

  En effet, le Victoria reprenait une route plus au nord, et le 20, au matin, il passait au-dessus d'un inextricable reseau de canaux, de torrents, de rivieres, tout l'enchevetrement complet des affluents du Niger. Plusieurs de ces canaux, recouverts d'une herbe epaisse, ressemblaient a de grasses prairies. La, le docteur retrouva la route de Barth, quand celui-ci s'embarqua sur le fleuve pour le descendre jusqu'a Tembouctou. Large de huit cents toises, le Niger coulait ici entre deux rives riches en cruciferes et en tamarins; les troupeaux bondissants des gazelles melaient leurs cornes annelees aux grandes herbes, entre lesquelles l'alligator les guettait en silence.

  De longues files d'anes et de chameaux, charges des marchandises de Jenne, s'enfoncaient sous les beaux arbres; bientot un amphitheatre de maisons basses apparut a un detour du fleuve; sur les terrasses et les toits etait amoncele tout le fourrage recueilli dans les contrees environnantes.

  " C'est Kabra, s'ecria joyeusement le docteur; c'est le port de Tembouctou; la ville n'est pas a cinq milles d'ici!

  Alors vous etes satisfait, Monsieur? demanda Joe.

  —Enchante, mon garcon.

  —Bon, tout est pour le mieux, "

  En effet, a deux heures, la reine du desert, la mysterieuse Tembouctou, qui eut, comme Athenes et Rome, ses ecoles de savants et ses chaires de philosophie, se deploya sous les regards des voyageurs.

  Fergusson en suivait les moindres details sur le plan trace par Barth lui-meme, il en reconnut l'extreme exactitude.

  La ville forme un vaste triangle inscrit dans une immense plaine de sable blanc; sa pointe se dirige vers le nord et perce un coin du desert; rien aux alentours; a peine
quelques graminees, des mimosas nains et des arbrisseaux rabougris.

  Quant a l'aspect de Tembouctou, que l'on se figure un entassement de billes et de des a jour; voila l'effet produit a vol d'oiseau; les rues, assez etroites, sont bordees de maisons qui n'ont qu'un rez-de-chaussee, construites en briques cuites au soleil, et de huttes de paille et de roseaux, celles-ci coniques, celles-la carrees; sur les terrasses sont nonchalamment etendus quelques habitants drapes dans leur robe eclatante, la lance ou le mousquet a la main; de femmes point, a cette heure du jour.

  " Mais on les dit belles, ajouta le docteur. Vous voyez les trois tours des trois mosquees, restees seules entre un grand nombre. La ville est bien dechue de son ancienne splendeur! Au sommet du triangle s'eleve la mosquee de Sankore avec ses rangees de galeries soutenues par des arcades d'un dessin assez pur; plus loin, pres du quartier de Sane-Gungu, la mosquee de Sidi-Yahia et quelques maisons a deux etages. Ne cherchez ni palais ni monuments. Le cheik est un simple trafiquant, et sa demeure royale un comptoir.

  —Il me semble, dit Kennedy, apercevoir des remparts a demi renverses.

  —Ils ont ete detruits par les Foullannes en 1826; alors la ville etait plus grande d'un tiers, car Tembouctou, depuis le XIe siecle, objet de convoitise generale, a successivement appartenu aux Touareg, aux Sourayens, aux Marocains, aux Foullannes; et ce grand centre de civilisation, ou un savant comme Ahmed-Baba possedait au XVIe siecle une bibliotheque de seize cents manuscrits, n'est plus qu'un entrepot de commerce de l'Afrique centrale. "

  La ville paraissait livree, en effet, a une grande incurie; elle accusait la nonchalance epidemique des cites qui s'en vont; d'immenses decombres s'amoncelaient dans les faubourgs et formaient avec la colline du marche les seuls accidents du terrain.

  Au passage du Victoria, il se fit bien quelque mouvement, le tambour fut battu; mais a peine si le dernier savant de l'endroit eut le temps d'observer ce nouveau phenomene; les voyageurs; repousses par le vent du desert, reprirent le cours sinueux du fleuve, et bientot Tembouctou ne fut plus qu'un des souvenirs rapides de leur voyage.

 

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