Collected Poetical Works of Charles Baudelaire

Home > Other > Collected Poetical Works of Charles Baudelaire > Page 14
Collected Poetical Works of Charles Baudelaire Page 14

by Charles Baudelaire


  Tout l’hiver va rentrer dans mon être : colère,

  Haine, frissons, horreur, labeur dur et forcé,

  Et, comme le soleil dans son enfer polaire,

  Mon cœur ne sera plus qu’un bloc rouge et glacé.

  J’écoute en frémissant chaque bûche qui tombe ;

  L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd.

  Mon esprit est pareil à la tour qui succombe

  Sous les coups du bélier infatigable et lourd.

  Il me semble, bercé par ce choc monotone,

  Qu’on cloue en grande hâte un cercueil quelque part.…

  Pour qui ? — C’était hier l’été ; voici l’automne !

  Ce bruit mystérieux sonne comme un départ.

  II

  J’aime de vos longs yeux la lumière verdâtre,

  Douce beauté, mais tout aujourd’hui m’est amer,

  Et rien, ni votre amour, ni le boudoir, ni l’âtre,

  Ne me vaut le soleil rayonnant sur la mer.

  Et pourtant aimez-moi, tendre cœur ! soyez mère,

  Même pour un ingrat, même pour un méchant ;

  Amante ou sœur, soyez la douceur éphémère

  D’un glorieux automne ou d’un soleil couchant.

  Courte tâche ! La tombe attend ; elle est avide !

  Ah ! laissez-moi, mon front posé sur vos genoux,

  Goûter, en regrettant l’été blanc et torride,

  De l’arrière-saison le rayon jaune et doux !

  LVIII. À UNE MADONE

  ex-voto dans le goût espagnol

  Je veux bâtir pour toi, Madone, ma maîtresse,

  Un autel souterrain au fond de ma détresse,

  Et creuser dans le coin le plus noir de mon cœur,

  Loin du désir mondain et du regard moqueur,

  Une niche, d’azur et d’or tout émaillée,

  Où tu te dresseras, Statue émerveillée.

  Avec mes Vers polis, treillis d’un pur métal

  Savamment constellé de rimes de cristal,

  Je ferai pour ta tête une énorme Couronne ;

  Et dans ma Jalousie, ô mortelle Madone,

  Je saurai te tailler un Manteau, de façon

  Barbare, roide et lourd, et doublé de soupçon,

  Qui, comme une guérite, enfermera tes charmes ;

  Non de Perles brodé, mais de toutes mes Larmes !

  Ta Robe, ce sera mon Désir, frémissant,

  Onduleux, mon Désir qui monte et qui descend,

  Aux pointes se balance, aux vallons se repose,

  Et revêt d’un baiser tout ton corps blanc et rose

  Je te ferai de mon Respect de beaux Souliers

  De satin, par tes pieds divins humiliés,

  Qui, les emprisonnant dans une molle étreinte,

  Comme un moule fidèle en garderont l’empreinte.

  Si je ne puis, malgré tout mon art diligent,

  Pour Marchepied tailler une Lune d’argent,

  Je mettrai le Serpent qui me mord les entrailles

  Sous tes talons, afin que tu foules et railles,

  Reine victorieuse et féconde en rachats,

  Ce monstre tout gonflé de haine et de crachats.

  Tu verras mes Pensers, rangés comme les Cierges

  Devant l’autel fleuri de la Reine des Vierges,

  Étoilant de reflets le plafond peint en bleu,

  Te regarder toujours avec des yeux de feu ;

  Et comme tout en moi te chérit et t’admire,

  Tout se fera Benjoin, Encens, Oliban, Myrrhe,

  Et sans cesse vers toi, sommet blanc et neigeux,

  En Vapeurs montera mon Esprit orageux.

  Enfin, pour compléter ton rôle de Marie,

  Et pour mêler l’amour avec la barbarie,

  Volupté noire ! des sept Péchés capitaux,

  Bourreau plein de remords, je ferai sept Couteaux

  Bien affilés, et, comme un jongleur insensible,

  Prenant le plus profond de ton amour pour cible,

  Je les planterai tous dans ton Cœur pantelant,

  Dans ton Cœur sanglotant, dans ton cœur ruisselant !

  LIX. CHANSON D’APRÈS-MIDI

  Quoique tes sourcils méchants

  Te donnent un air étrange

  Qui n’est pas celui d’un ange,

  Sorcière aux yeux alléchants,

  Je t’adore, ô ma frivole,

  Ma terrible passion !

  Avec la dévotion

  Du prêtre pour son idole.

  Le désert et la forêt

  Embaument tes tresses rudes ;

  Ta tête a les attitudes

  De l’énigme et du secret ;

  Sur ta chair le parfum rôde

  Comme autour d’un encensoir ;

  Tu charmes comme le soir,

  Nymphe ténébreuse et chaude.

  Ah ! les philtres les plus forts

  Ne valent pas ta paresse,

  Et tu connais la caresse

  Qui fait revivre les morts !

  Tes hanches sont amoureuses

  De ton dos et de tes seins,

  Et tu ravis les coussins

  Par tes poses langoureuses.

  Quelquefois pour apaiser

  Ta rage mystérieuse,

  Tu prodigues, sérieuse,

  La morsure et le baiser ;

  Tu me déchires, ma brune,

  Avec un rire moqueur,

  Et puis tu mets sur mon cœur

  Ton œil doux comme la lune.

  Sous tes souliers de satin,

  Sous tes charmants pieds de soie,

  Moi, je mets ma grande joie,

  Mon génie et mon destin,

  Mon âme par toi guérie,

  Par toi, lumière et couleur !

  Explosion de chaleur

  Dans ma noire Sibérie !

  LX. SISINA

  Imaginez Diane en galant équipage,

  Parcourant les forêts ou battant les halliers,

  Cheveux et gorge au vent, s’enivrant de tapage,

  Superbe et défiant les meilleurs cavaliers !

  Avez-vous vu Théroigne, amante du carnage,

  Excitant à l’assaut un peuple sans souliers,

  La joue et l’œil en feu, jouant son personnage,

  Et montant, sabre au poing, les royaux escaliers ?

  Telle la Sisina ! Mais la douce guerrière

  A l’âme charitable autant que meurtrière ;

  Son courage, affolé de poudre et de tambours,

  Devant les suppliants sait mettre bas les armes,

  Et son cœur, ravagé par la flamme, a toujours,

  Pour qui s’en montre digne, un réservoir de larmes.

  LXI. VERS POUR LE PORTRAIT D’HONORÉ DAUMIER

  Celui dont nous t’offrons l’image,

  Et dont l’art, subtil entre tous,

  Nous enseigne à rire de nous,

  Celui-là, lecteur, est un sage.

  C’est un satirique, un moqueur ;

  Mais l’énergie avec laquelle

  Il peint le Mal et sa séquelle

  Prouve la beauté de son cœur.

  Son rire n’est pas la grimace

  De Melmoth ou de Méphisto

  Sous la torche de l’Alecto

  Qui les brûle, mais qui nous glace.

  Leur rire, hélas ! de la gaîté

  N’est que la douloureuse charge ;

  Le sien rayonne, franc et large,

  Comme un signe de sa bonté !

  LXII. FRANCISCÆ MEÆ LAUDES

  Novis te cantabo chordis,

  O novelletum quod ludis

  In solitudine cordis.

  Esto sertis implicata,

  O fœmina delicata

  Per quam solvuntur peccata !

  Sicut beneficum Lethe,

  Hauriam oscula de te,

  Quæ imbuta es magnete.

  Quum vitiorum tempestas

  Turbabat omnes semitas,

  Apparuisti, deitas,

&n
bsp; Velut stella salutaris

  In naufragiis amaris…

  Suspendam cor tuis aris !

  Piscina plena virtutis,

  Fons æternæ juventutis,

  Labris vocem redde mutis !

  Quod erat spurcum, cremasti ;

  Quod rudius, exæquasti ;

  Quod debile, confirmasti !

  In fame mea taberna,

  In nocte mea lucerna,

  Recte me semper guberna.

  Adde nunc vires viribus,

  Dulce balneum suavibus

  Unguentatum odoribus !

  Meos circa lumbos mica,

  O castitatis lorica,

  Aqua tincta seraphica ;

  Patera gemmis corusca,

  Panis salsus, mollis esca,

  Divinum vinum, Francisca !

  LXIII. À UNE DAME CRÉOLE

  Au pays parfumé que le soleil caresse,

  J’ai connu, sous un dais d’arbres tout empourprés

  Et de palmiers d’où pleut sur les yeux la paresse,

  Une dame créole aux charmes ignorés.

  Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse

  A dans le col des airs noblement maniérés ;

  Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,

  Son sourire est tranquille et ses yeux assurés.

  Si vous alliez, Madame, au vrai pays de gloire,

  Sur les bords de la Seine ou de la verte Loire,

  Belle digne d’orner les antiques manoirs,

  Vous feriez, à l’abri des ombreuses retraites,

  Germer mille sonnets dans le cœur des poëtes,

  Que vos grands yeux rendraient plus soumis que vos noirs.

  LXIV. MŒSTA ET ERRABUNDA

  Dis-moi, ton cœur, parfois, s’envole-t-il, Agathe,

  Loin du noir océan de l’immonde cité,

  Vers un autre océan où la splendeur éclate,

  Bleu, clair, profond, ainsi que la virginité ?

  Dis-moi, ton cœur, parfois, s’envole-t-il, Agathe ?

  La mer, la vaste mer, console nos labeurs !

  Quel démon a doté la mer, rauque chanteuse

  Qu’accompagne l’immense orgue des vents grondeurs,

  De cette fonction sublime de berceuse ?

  La mer, la vaste mer, console nos labeurs !

  Emporte-moi, wagon ! enlève-moi, frégate !

  Loin ! loin ! ici la boue est faite de nos pleurs !

  — Est-il vrai que parfois le triste cœur d’Agathe

  Dise : Loin des remords, des crimes, des douleurs,

  Emporte-moi, wagon, enlève-moi, frégate ?

  Comme vous êtes loin, paradis parfumé,

  Où sous un clair azur tout n’est qu’amour et joie,

  Où tout ce que l’on aime est digne d’être aimé !

  Où dans la volupté pure le cœur se noie !

  Comme vous êtes loin, paradis parfumé !

  Mais le vert paradis des amours enfantines,

  Les courses, les chansons, les baisers, les bouquets,

  Les violons vibrant derrière les collines,

  Avec les brocs de vin, le soir, dans les bosquets,

  — Mais le vert paradis des amours enfantines,

  L’innocent paradis, plein de plaisirs furtifs,

  Est-il déjà plus loin que l’Inde ou que la Chine ?

  Peut-on le rappeler avec des cris plaintifs,

  Et l’animer encor d’une voix argentine,

  L’innocent paradis plein de plaisirs furtifs ?

  LXV. LE REVENANT

  Comme les anges à l’œil fauve,

  Je reviendrai dans ton alcôve

  Et vers toi glisserai sans bruit

  Avec les ombres de la nuit ;

  Et je te donnerai, ma brune,

  Des baisers froids comme la lune

  Et des caresses de serpent

  Autour d’une fosse rampant.

  Quand viendra le matin livide,

  Tu trouveras ma place vide,

  Où jusqu’au soir il fera froid.

  Comme d’autres par la tendresse,

  Sur ta vie et sur ta jeunesse,

  Moi, je veux régner par l’effroi !

  LXVI. SONNET D’AUTOMNE

  Ils me disent, tes yeux, clairs comme le cristal :

  « Pour toi, bizarre amant, quel est donc mon mérite ? »

  — Sois charmante et tais-toi ! Mon cœur, que tout irrite,

  Excepté la candeur de l’antique animal,

  Ne veut pas te montrer son secret infernal,

  Berceuse dont la main aux longs sommeils m’invite !

  Ni sa noire légende avec la flamme écrite.

  Je hais la passion et l’esprit me fait mal !

  Aimons-nous doucement. L’Amour dans sa guérite,

  Ténébreux, embusqué, bande son arc fatal.

  Je connais les engins de son vieil arsenal :

  Crime, horreur et folie ! — Ô pâle marguerite !

  Comme moi n’es-tu pas un soleil automnal,

  Ô ma si blanche, ô ma si froide Marguerite ?

  LXVII. TRISTESSE DE LA LUNE

  Ce soir, la Lune rêve avec plus de paresse ;

  Ainsi qu’une beauté, sur de nombreux coussins,

  Qui, d’une main distraite et légère, caresse

  Avant de s’endormir le contour de ses seins,

  Sur le dos satiné des molles avalanches,

  Mourante, elle se livre aux longues pâmoisons,

  Et promène ses yeux sur les visions blanches

  Qui montent dans l’azur comme des floraisons.

  Quand parfois sur ce globe, en sa langueur oisive,

  Elle laisse filer une larme furtive,

  Un poëte pieux, ennemi du sommeil,

  Dans le creux de sa main prend cette larme pâle,

  Aux reflets irisés comme un fragment d’opale,

  Et la met dans son cœur loin des yeux du Soleil.

  LXVIII. LES CHATS

  Les amoureux fervents et les savants austères

  Aiment également, dans leur mûre saison,

  Les chats puissants et doux, orgueil de la maison,

  Qui comme eux sont frileux et comme eux sédentaires.

  Amis de la science et de la volupté,

  Ils cherchent le silence et l’horreur des ténèbres ;

  L’Érèbe les eût pris pour ses coursiers funèbres,

  S’ils pouvaient au servage incliner leur fierté.

  Ils prennent en songeant les nobles attitudes

  Des grands sphinx allongés au fond des solitudes,

  Qui semblent s’endormir dans un rêve sans fin ;

  Leurs reins féconds sont pleins d’étincelles magiques,

  Et des parcelles d’or, ainsi qu’un sable fin,

  Étoilent vaguement leurs prunelles mystiques.

  LXIX. LES HIBOUX

  Sous les ifs noirs qui les abritent

  Les hiboux se tiennent rangés,

  Ainsi que des dieux étrangers,

  Dardant leur œil rouge. Ils méditent.

  Sans remuer ils se tiendront

  Jusqu’à l’heure mélancolique

  Où, poussant le soleil oblique,

  Les ténèbres s’établiront.

  Leur attitude au sage enseigne

  Qu’il faut en ce monde qu’il craigne

  Le tumulte et le mouvement ;

  L’homme ivre d’une ombre qui passe

  Porte toujours le châtiment

  D’avoir voulu changer de place.

  LXX. LA PIPE

  Je suis la pipe d’un auteur ;

  On voit, à contempler ma mine

  D’Abyssinienne ou de Cafrine,

  Que mon maître est un grand fumeur.

  Quand il est comblé de douleur,

  Je fume comme la chaumine

  Où se prépare la cuisine

  Pour le retour du laboureur.

  J’enlace et je berce son âme

  Dans le réseau mobile et bleu

  Qui
monte de ma bouche en feu,

  Et je roule un puissant dictame

  Qui charme son cœur et guérit

  De ses fatigues son esprit.

  LXXI. LA MUSIQUE

  La musique souvent me prend comme une mer !

  Vers ma pâle étoile,

  Sous un plafond de brume ou dans un vaste éther,

  Je mets à la voile ;

  La poitrine en avant et les poumons gonflés

  Comme de la toile,

  J’escalade le dos des flots amoncelés

  Que la nuit me voile ;

  Je sens vibrer en moi toutes les passions

  D’un vaisseau qui souffre ;

  Le bon vent, la tempête et ses convulsions

  Sur l’immense gouffre

  Me bercent. — D’autre fois, calme plat, grand miroir

  De mon désespoir !

  LXXII. SÉPULTURE D’UN POËTE MAUDIT

  Si par une nuit lourde et sombre

  Un bon chrétien, par charité,

  Derrière quelque vieux décombre

  Enterre votre corps vanté,

  À l’heure où les chastes étoiles

  Ferment leurs yeux appesantis,

  L’araignée y fera ses toiles,

  Et la vipère ses petits ;

  Vous entendrez toute l’année

  Sur votre tête condamnée

  Les cris lamentables des loups

  Et des sorcières faméliques,

  Les ébats des vieillards lubriques

  Et les complots des noirs filous.

  LXXIII. UNE GRAVURE FANTASTIQUE

  Ce spectre singulier n’a pour toute toilette,

  Grotesquement campé sur son front de squelette,

  Qu’un diadème affreux sentant le carnaval.

  Sans éperons, sans fouet, il essouffle un cheval,

  Fantôme comme lui, rosse apocalyptique,

  Qui bave des naseaux comme un épileptique.

  Au travers de l’espace ils s’enfoncent tous deux,

  Et foulent l’infini d’un sabot hasardeux.

  Le cavalier promène un sabre qui flamboie

  Sur les foules sans nom que sa monture broie,

  Et parcourt, comme un prince inspectant sa maison,

  Le cimetière immense et froid, sans horizon,

 

‹ Prev