Collected Poetical Works of Charles Baudelaire

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Collected Poetical Works of Charles Baudelaire Page 19

by Charles Baudelaire


  Qui ne recèlent point de secrets précieux ;

  Beaux écrins sans joyaux, médaillons sans reliques,

  Plus vides, plus profonds que vous-mêmes, ô Cieux !

  Mais ne suffit-il pas que tu sois l’apparence,

  Pour réjouir un cœur qui fuit la vérité ?

  Qu’importe ta bêtise ou ton indifférence ?

  Masque ou décor, salut ! J’adore ta beauté.

  CXXIII

  Je n’ai pas oublié, voisine de la ville,

  Notre blanche maison, petite mais tranquille ;

  Sa Pomone de plâtre et sa vieille Vénus

  Dans un bosquet chétif cachant leurs membres nus,

  Et le soleil, le soir, ruisselant et superbe,

  Qui, derrière la vitre où se brisait sa gerbe,

  Semblait, grand œil ouvert dans le ciel curieux,

  Contempler nos dîners longs et silencieux,

  Répandant largement ses beaux reflets de cierge

  Sur la nappe frugale et les rideaux de serge.

  CXXIV

  La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse,

  Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse,

  Nous devrions pourtant lui porter quelques fleurs.

  Les morts, les pauvres morts, ont de grandes douleurs,

  Et quand Octobre souffle, émondeur des vieux arbres,

  Son vent mélancolique à l’entour de leurs marbres,

  Certe, ils doivent trouver les vivants bien ingrats,

  De dormir, comme ils font, chaudement dans leurs draps,

  Tandis que, dévorés de noires songeries,

  Sans compagnon de lit, sans bonnes causeries,

  Vieux squelettes gelés travaillés par le ver,

  Ils sentent s’égoutter les neiges de l’hiver

  Et le siècle couler, sans qu’amis ni famille

  Remplacent les lambeaux qui pendent à leur grille.

  Lorsque la bûche siffle et chante, si le soir,

  Calme, dans le fauteuil je la voyais s’asseoir,

  Si, par une nuit bleue et froide de décembre,

  Je la trouvais tapie en un coin de ma chambre

  Grave, et venant du fond de son lit éternel

  Couver l’enfant grandi de son œil maternel,

  Que pourrais-je répondre à cette âme pieuse,

  Voyant tomber des pleurs de sa paupière creuse ?

  CXXV. BRUMES ET PLUIES

  Ô fins d’automne, hivers, printemps trempés de boue,

  Endormeuses saisons ! je vous aime et vous loue

  D’envelopper ainsi mon cœur et mon cerveau

  D’un linceul vaporeux et d’un vague tombeau

  Dans cette grande plaine où l’autan froid se joue,

  Où par les longues nuits la girouette s’enroue,

  Mon âme mieux qu’au temps du tiède renouveau

  Ouvrira largement ses ailes de corbeau.

  Rien n’est plus doux au cœur plein de choses funèbres.

  Et sur qui dès longtemps descendent les frimas,

  Ô blafardes saisons, reines de nos climats,

  Que l’aspect permanent de vos pâles ténèbres,

  — Si ce n’est, par un soir sans lune, deux à deux,

  D’endormir la douleur sur un lit hasardeux.

  CXXVI. RÊVE PARISIEN

  À CONSTANTIN GUYS

  I

  De ce terrible paysage,

  Que jamais œil mortel ne vit,

  Ce matin encore l’image,

  Vague et lointaine, me ravit.

  Le sommeil est plein de miracles !

  Par un caprice singulier,

  J’avais banni de ces spectacles

  Le végétal irrégulier,

  Et, peintre fier de mon génie,

  Je savourais dans mon tableau

  L’enivrante monotonie

  Du métal, du marbre et de l’eau.

  Babel d’escaliers et d’arcades,

  C’était un palais infini,

  Plein de bassins et de cascades

  Tombant dans l’or mat ou bruni ;

  Et des cataractes pesantes,

  Comme des rideaux de cristal,

  Se suspendaient, éblouissantes,

  À des murailles de métal.

  Non d’arbres, mais de colonnades

  Les étangs dormants s’entouraient,

  Où de gigantesques naïades,

  Comme des femmes, se miraient.

  Des nappes d’eau s’épanchaient, bleues,

  Entre des quais roses et verts,

  Pendant des millions de lieues,

  Vers les confins de l’univers ;

  C’étaient des pierres inouïes

  Et des flots magiques ; c’étaient

  D’immenses glaces éblouies

  Par tout ce qu’elles reflétaient !

  Insouciants et taciturnes,

  Des Ganges, dans le firmament,

  Versaient le trésor de leurs urnes

  Dans des gouffres de diamant.

  Architecte de mes féeries,

  Je faisais, à ma volonté,

  Sous un tunnel de pierreries

  Passer un océan dompté ;

  Et tout, même la couleur noire,

  Semblait fourbi, clair, irisé ;

  Le liquide enchâssait sa gloire

  Dans le rayon cristallisé.

  Nul astre d’ailleurs, nuls vestiges

  De soleil, même au bas du ciel,

  Pour illuminer ces prodiges,

  Qui brillaient d’un feu personnel !

  Et sur ces mouvantes merveilles

  Planait (terrible nouveauté !

  Tout pour l’œil, rien pour les oreilles !)

  Un silence d’éternité.

  II

  En rouvrant mes yeux pleins de flamme

  J’ai vu l’horreur de mon taudis,

  Et senti, rentrant dans mon âme,

  La pointe des soucis maudits ;

  La pendule aux accents funèbres

  Sonnait brutalement midi,

  Et le ciel versait des ténèbres

  Sur ce triste monde engourdi.

  CXXVII. LE CRÉPUSCULE DU MATIN

  La diane chantait dans les cours des casernes,

  Et le vent du matin soufflait sur les lanternes.

  C’était l’heure où l’essaim des rêves malfaisants

  Tord sur leurs oreillers les bruns adolescents ;

  Où, comme un œil sanglant qui palpite et qui bouge,

  La lampe sur le jour fait une tache rouge ;

  Où l’âme, sous le poids du corps revêche et lourd,

  Imite les combats de la lampe et du jour.

  Comme un visage en pleurs que les brises essuient,

  L’air est plein du frisson des choses qui s’enfuient,

  Et l’homme est las d’écrire et la femme d’aimer.

  Les maisons çà et là commençaient à fumer.

  Les femmes de plaisir, la paupière livide,

  Bouche ouverte, dormaient de leur sommeil stupide ;

  Les pauvresses, traînant leurs seins maigres et froids,

  Soufflaient sur leurs tisons et soufflaient sur leurs doigts.

  C’était l’heure où parmi le froid et la lésine

  S’aggravent les douleurs des femmes en gésine ;

  Comme un sanglot coupé par un sang écumeux

  Le chant du coq au loin déchirait l’air brumeux ;

  Une mer de brouillards baignait les édifices,

  Et les agonisants dans le fond des hospices

  Poussaient leur dernier râle en hoquets inégaux.

  Les débauchés rentraient, brisés par leurs travaux.

  L’aurore grelottante en robe rose et verte

  S’avançait lentement sur la Seine déserte,

  Et le sombre Paris, en se frottant les yeux,

  Empoignait ses outils, vieillard laborieux.

  LE VIN

  CXXVIII. L’ME DU VIN

  Un soir, l’âme du vin chanta
it dans les bouteilles :

  « Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité,

  Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,

  Un chant plein de lumière et de fraternité !

  Je sais combien il faut, sur la colline en flamme,

  De peine, de sueur et de soleil cuisant

  Pour engendrer ma vie et pour me donner l’âme ;

  Mais je ne serai point ingrat ni malfaisant,

  Car j’éprouve une joie immense quand je tombe

  Dans le gosier d’un homme usé par ses travaux,

  Et sa chaude poitrine est une douce tombe

  Où je me plais bien mieux que dans mes froids caveaux.

  Entends-tu retentir les refrains des dimanches

  Et l’espoir qui gazouille en mon sein palpitant ?

  Les coudes sur la table et retroussant tes manches,

  Tu me glorifieras et tu seras content ;

  J’allumerai les yeux de ta femme ravie ;

  À ton fils je rendrai sa force et ses couleurs

  Et serai pour ce frêle athlète de la vie

  L’huile qui raffermit les muscles des lutteurs.

  En toi je tomberai, végétale ambroisie,

  Grain précieux jeté par l’éternel Semeur,

  Pour que de notre amour naisse la poésie

  Qui jaillira vers Dieu comme une rare fleur ! »

  CXXIX. LE VIN DES CHIFFONNIERS

  Souvent, à la clarté rouge d’un réverbère

  Dont le vent bat la flamme et tourmente le verre,

  Au cœur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeux

  Où l’humanité grouille en ferments orageux,

  On voit un chiffonnier qui vient, hochant la tête,

  Buttant, et se cognant aux murs comme un poëte,

  Et, sans prendre souci des mouchards, ses sujets,

  Épanche tout son cœur en glorieux projets.

  Il prête des serments, dicte des lois sublimes,

  Terrasse les méchants, relève les victimes,

  Et sous le firmament comme un dais suspendu

  S’enivre des splendeurs de sa propre vertu.

  Oui, ces gens harcelés de chagrins de ménage,

  Moulus par le travail et tourmentés par l’âge,

  Éreintés et pliant sous un tas de débris,

  Vomissement confus de l’énorme Paris,

  Reviennent, parfumés d’une odeur de futailles,

  Suivis de compagnons, blanchis dans les batailles,

  Dont la moustache pend comme les vieux drapeaux.

  Les bannières, les fleurs et les arcs triomphaux

  Se dressent devant eux, solennelle magie !

  Et dans l’étourdissante et lumineuse orgie

  Des clairons, du soleil, des cris et du tambour,

  Ils apportent la gloire au peuple ivre d’amour !

  C’est ainsi qu’à travers l’Humanité frivole

  Le vin roule de l’or, éblouissant Pactole ;

  Par le gosier de l’homme il chante ses exploits

  Et règne par ses dons ainsi que les vrais rois.

  Pour noyer la rancœur et bercer l’indolence

  De tous ces vieux maudits qui meurent en silence,

  Dieu, touché de remords, avait fait le sommeil ;

  L’Homme ajouta le Vin, fils sacré du Soleil !

  CXXX. LE VIN DE L’ASSASSIN

  Ma femme est morte, je suis libre !

  Je puis donc boire tout mon soûl.

  Lorsque je rentrais sans un sou,

  Ses cris me déchiraient la fibre.

  Autant qu’un roi je suis heureux ;

  L’air est pur, le ciel admirable…

  Nous avions un été semblable

  Lorsque je devins amoureux !

  L’horrible soif qui me déchire

  Aurait besoin pour s’assouvir

  D’autant de vin qu’en peut tenir

  Son tombeau ; — ce n’est pas peu dire :

  Je l’ai jetée au fond d’un puits,

  Et j’ai même poussé sur elle

  Tous les pavés de la margelle.

  — Je l’oublierai si je le puis !

  Au nom des serments de tendresse,

  Dont rien ne peut nous délier,

  Et pour nous réconcilier

  Comme au beau temps de notre ivresse,

  J’implorai d’elle un rendez-vous,

  Le soir, sur une route obscure.

  Elle y vint ! — folle créature !

  Nous sommes tous plus ou moins fous !

  Elle était encore jolie,

  Quoique bien fatiguée ! et moi,

  Je l’aimai trop ! voilà pourquoi

  Je lui dis : Sors de cette vie !

  Nul ne peut me comprendre. Un seul

  Parmi ces ivrognes stupides

  Songea-t-il dans ses nuits morbides

  À faire du vin un linceul ?

  Cette crapule invulnérable

  Comme les machines de fer

  Jamais, ni l’été ni l’hiver,

  N’a connu l’amour véritable,

  Avec ses noirs enchantements,

  Son cortége infernal d’alarmes,

  Ses fioles de poison, ses larmes,

  Ses bruits de chaîne et d’ossements !

  — Me voilà libre et solitaire !

  Je serai ce soir ivre mort ;

  Alors, sans peur et sans remord,

  Je me coucherai sur la terre,

  Et je dormirai comme un chien !

  Le chariot aux lourdes roues

  Chargé de pierres et de boues,

  Le wagon enrayé peut bien

  Écraser ma tête coupable

  Ou me couper par le milieu,

  Je m’en moque comme de Dieu,

  Du Diable ou de la Sainte Table !

  CXXXI. LE VIN DU SOLITAIRE

  Le regard singulier d’une femme galante

  Qui se glisse vers nous comme le rayon blanc

  Que la lune onduleuse envoie au lac tremblant,

  Quand elle y veut baigner sa beauté nonchalante ;

  Le dernier sac d’écus dans les doigts d’un joueur ;

  Un baiser libertin de la maigre Adeline ;

  Les sons d’une musique énervante et câline,

  Semblable au cri lointain de l’humaine douleur,

  Tout cela ne vaut pas, ô bouteille profonde,

  Les baumes pénétrants que ta panse féconde

  Garde au cœur altéré du poëte pieux ;

  Tu lui verses l’espoir, la jeunesse et la vie,

  — Et l’orgueil, ce trésor de toute gueuserie,

  Qui nous rend triomphants et semblables aux Dieux.

  CXXXII. LE VIN DES AMANTS

  Aujourd’hui l’espace est splendide !

  Sans mors, sans éperons, sans bride

  Partons à cheval sur le vin

  Pour un ciel féerique et divin !

  Comme deux anges que torture

  Une implacable calenture,

  Dans le bleu cristal du matin

  Suivons le mirage lointain !

  Mollement balancés sur l’aile

  Du tourbillon intelligent,

  Dans un délire parallèle,

  Ma sœur, côte à côte nageant,

  Nous fuirons sans repos ni trêves

  Vers le paradis de mes rêves !

  FLEURS DU MAL

  CXXXIII. ÉPIGRAPHE POUR UN LIVRE CONDAMNÉ

  Lecteur paisible et bucolique,

  Sobre et naïf homme de bien,

  Jette ce livre saturnien,

  Orgiaque et mélancolique.

  Si tu n’as fait ta rhétorique

  Chez Satan, le rusé doyen,

  Jette ! tu n’y comprendrais rien,

  Ou tu me croirais hystérique.

  Mais si, sans se laisser charmer,

  Ton œil sait plonger dans les gouffres,

  Lis-moi, pour apprendre à m’aimer ;

  me curieuse qui souffres

  Et vas cherchant ton paradis,r />
  Plains-moi !… Sinon, je te maudis !

  CXXXIV. LA DESTRUCTION

  Sans cesse à mes côtés s’agite le Démon

  Il nage autour de moi comme un air impalpable ;

  Je l’avale et le sens qui brûle mon poumon

  Et l’emplit d’un désir éternel et coupable.

  Parfois il prend, sachant mon grand amour de l’Art,

  La forme de la plus séduisante des femmes,

  Et, sous de spécieux prétextes de cafard,

  Accoutume ma lèvre à des philtres infâmes.

  Il me conduit ainsi, loin du regard de Dieu,

  Haletant et brisé de fatigue, au milieu

  Des plaines de l’Ennui, profondes et désertes,

  Et jette dans mes yeux pleins de confusion

  Des vêtements souillés, des blessures ouvertes,

  Et l’appareil sanglant de la Destruction !

  CXXXV. UNE MARTYRE

  DESSIN D’UN MAÎTRE INCONNU

  Au milieu des flacons, des étoffes lamées

  Et des meubles voluptueux,

  Des marbres, des tableaux, des robes parfumées

  Qui traînent à plis somptueux,

  Dans une chambre tiède où, comme en une serre,

  L’air est dangereux et fatal,

  Où des bouquets mourants dans leurs cercueils de verre

  Exhalent leur soupir final,

  Un cadavre sans tête épanche, comme un fleuve,

  Sur l’oreiller désaltéré

  Un sang rouge et vivant, dont la toile s’abreuve

  Avec l’avidité d’un pré.

  Semblable aux visions pâles qu’enfante l’ombre

  Et qui nous enchaînent les yeux,

  La tête, avec l’amas de sa crinière sombre

  Et de ses bijoux précieux,

  Sur la table de nuit, comme une renoncule,

  Repose ; et, vide de pensers,

  Un regard vague et blanc comme le crépuscule

  S’échappe des yeux révulsés.

  Sur le lit, le tronc nu sans scrupules étale

  Dans le plus complet abandon

  La secrète splendeur et la beauté fatale

  Dont la nature lui fit don ;

  Un bas rosâtre, orné de coins d’or, à la jambe,

 

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