That's Paris

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That's Paris Page 18

by Vicki Lesage et al.


  Anatole remained frozen, holding the precious sheets of music to his chest.

  “When I found myself here, Anatoly started the famous legend about my crypt with the hope of one day attracting the person meant to discover these masterpieces. As I mentioned, Frédéric gave them to Anatoly shortly before his death, and Anatoly had the excellent idea of leaving them here with me for safekeeping at the Père-Lachaise cemetery. When I saw you in front of Chopin’s tomb earlier, I knew that we were almost there and the magic of Frédéric would live once again.”

  A long moment of silence and then the countess spoke.

  “Say something, my boy!”

  “I… I don’t know… I no longer know what to say! Everything is so confusing, and at the same time, clear. It’s as if my life collapsed around me in a fraction of a second and magically rebuilt itself. I’m filled with pride, responsibility, spirituality. It seems normal, yet incredible!”

  “That is to be expected, my child.” The countess’ voice was gentle. “Come along. Take the music and close the safe. It’s time for you to leave and set to work with these beautiful musical notes that await you! I’m sure you are impatient to discover them on your piano. You shall see: The final mazurkas are exceptional!”

  Almost instinctively, Anatole followed the countess’ instructions and closed the door of the crypt.

  “Keep the key, my Anatoly. Keep it as a souvenir of our meeting and the bond that unites us now and for eternity.”

  Anatole slipped the key into his pocket, placed the sheet music in his bag and walked toward the exit of the cemetery with peace in his heart.

  “Visit him once again, my child, after you study the music. You owe him that. After all, you and Frédéric were such dear friends…”

  The May breeze ruffled his hair. Anatole looked up at the Parisian sky at dusk. He climbed up the low wall and jumped over the gate to rue du Repos. With a light step, he walked along boulevard de Ménilmontant. The City of Light had never before looked so beautiful.

  Le Chemin du Dragon

  Didier Quémener

  “There are mysteries which men can only guess at, which age by age they may solve only in part.”

  Abraham Stoker

  8 avril MDCCCXVIII : 39ème division.

  (accent russe)

  « Je n’arrive pas à croire qu’ils m’aient mis ici ! Ils me le paieront cher… »

  Des mois plus tard : 19ème division, Chemin du Dragon.

  (accent russe)

  « Qu’est-ce que je vous disais ? Que le spectacle commence… »

  Pendant le mois de mai MMXVIII : 10ème division, Chemin Denon.

  Anatole pouvait presque entendre les dernières notes de la Nocturne en Si bémol mineur, Op. 9, No.1 en s’approchant du tombeau. Il connaissait l’œuvre sur le bout des doigts. Des longues heures de recherche musicale sur des partitions complexes, aux semaines de répétitions, seul devant son piano, pour finalement aboutir à la délivrance le jour du concours d’entrée au conservatoire. Après tout, c’était comme une sorte d’obligation morale que de lui rendre hommage.

  Austère, triste et tête baissée, Anatole fixait la statue d’Euterpe. Il s’imagina une conversation sur la grandeur du pianiste.

  — Comme toi j’aurais tant aimé le connaître ! Qu’il m’apprenne sa virtuosité, que je lui dise toute l’émotion ressentie lorsque mes mains se posent sur l’ébène et l’ivoire pour faire revire l’une de ses compositions… soupira-t-il. Comme toi mon cœur est ailleurs, comme toi je rêve en musique romantique !

  — Ce n’est certainement pas le moment de se larmoyer devant un morceau de pierre ! une voix chuchota.

  Plus que la bourrasque de vent qui caressait les premières fleurs printanières repiquées devant le médaillon du profil gauche de la statue, Anatole se sentit soudainement glacé et paralysé.

  — La fatigue. Ce n’est que le surmenage des derniers mois… se dit-il.

  — Alors, qu’est-ce que tu attends ?

  L’agacement l’emporta vite sur l’étonnement. Anatole se retourna brusquement.

  — Je vais vous apprendre la politesse moi ! On ne dérange pas… s’interrompit-il, bouche bée.

  Personne. Toujours le vent par intermittence, un chat gris qui traversait, des arbres, des pavés. Mais personne aux alentours.

  — Qui êtes-vous ? Pourquoi vous cacher ? Que voulez-vous ? Quel est cet accent russe si fort et si désagréable ? lança Anatole à voix haute, tournant sur lui-même plusieurs fois.

  Le silence.

  Se sentant ridicule pour un instant, Anatole passa la main sur son front et prit une longue inspiration.

  La voix résonna une nouvelle fois.

  — Allons, ne reste pas là sans rien faire ! Dépêche-toi, je t’attends…

  Hypnotisé, Anatole décida de se laisser prendre au jeu. La curiosité l’emportait sur la stupéfaction.

  — Très bien, dites-moi : vous allez me guider et je suis vos indications, c’est ainsi que l’on communique tous les deux ? interrogea Anatole d’un ton légèrement sarcastique.

  — Exactement ! Rendez-vous à la 19ème division, Chemin du Dragon.

  Anatole jeta un dernier coup d’œil à la statue et se dirigea d’un pas ferme au lieu donné. Redescendant allées et chemins tortueux, le décor devenait de plus en plus glauque : des tombeaux, sépultures et portes métalliques rouillées étaient recouverts de chauve-souris et autres créatures frissonnantes.

  — Le Comte Dracula en plein Paris dans le Chemin du Dragon ? dit-il dans un murmure. Rien de plus normal !

  Il ralentit le pas.

  — Tu y es presque, reprit la voix féminine.

  — Quelle tombe ? demanda sèchement Anatole.

  — Tombe ? Quel affront ! Un mausolée mon cher, un temple de marbre soutenu par dix colonnes, le tout parfaitement adapté à mon excentricité !

  A quelques pas de là, Anatole aperçut l’imposant monument qui surplombait tout le cimetière, ainsi que l’entrée d’un caveau.

  — Votre nom peut-être ? Puisque de toute évidence vous connaissez déjà le mien à en entendre ce ton familier à mon égard !

  — Parfait, on entre dans le vif du sujet : il était temps ! ajouta la voix empressée. Comtesse Marie-Elisabeth Demidov, Princesse Alexandrovna Stroganov pour les intimes, épouse du Comte Nicolas Demidov. Aristocrate et fière de l’être !

  Encadré de torchères, décoré de sculptures plus étranges les unes que les autres où se mêlaient hermines, marteaux, têtes de loups rehaussées de nœuds, Anatole pouvait lire en haut des larges escaliers qui menaient à l’édifice l’inscription suivante :

  Ici reposent les cendres d'Elisabeth Demidov, née Baronne de Stroganov. Décédée le 8 avril 1818.

  — Aristocrate ? s’amusa Anatole. Ma chère amie, il y a bien longtemps que l’aristocratie a été enterrée avec vous !

  Son regard s’arrêta sur des trous d’aération taillés directement dans la pierre brute. Intrigué, Anatole ne put s’empêcher d’ironiser.

  — Vous attendiez de la visite on dirait ? Les ouvertures là, c’est pour laisser passer l’air frais depuis l’intérieur du tombeau ? Ce n’est pas courant !

  Aussitôt, la Comtesse lui répondit.

  — En plein dans le mille ! Serais-tu le seul à ignorer mes légendes ?

  — Les légendes sont aux adultes ce que les histoires du soir sont aux enfants avant de se coucher… rétorqua Anatole du tac-au-tac.

  — Tu feras moins le malin dans quelques minutes, je te le garantis !

  La Comtesse fit une pause et commença son récit :

  — Sache, mon cher et tendre, que nombreux sont ceux qui voient en ces escaliers un accès direct aux enfers et que ce lieu ne serait rien d’autre que leurs portes d’entrée. Mais laissons cela pour amuser les curieux, voici ce qui est bien plus intéressant pour toi !

  Anatole se trouvait en haut des marches et écouta attentivement, comme envoûté.

  — La légende raconte que la Princesse, c’est-à-dire
moi et mon ego ! dit-elle en riant. Donc je reprends : la légende dit que j’avais déposé mon testament chez un notaire de Paris pour léguer la totalité de ma fortune à la personne de bonne volonté qui consentirait, pendant 365 jours et 366 nuits, à s’enfermer auprès de moi dans la solitude et froideur de mon caveau. Mais surtout à ne s’en éloigner sous aucun prétexte : j’aime que l’on veille sur ma beauté éternelle sans interruption ! Quiconque pouvait tenter sa chance : peu importe vos occupations mais il ne fallait point me quitter un seul instant !

  — Avez-vous rencontré du succès ? s’enquit Anatole, distrait par cette histoire. Cette demande farfelue a certainement éveillé l’intérêt de personnages tout autant singuliers que vous puissiez l’être !

  — Absolument ! dit la Comtesse d’une voix joyeuse. Je ne compte plus à ce jour les personnes ayant entendu parler de cette fameuse clause et qui voulurent s’approprier les lieux en quête de mon héritage. Hélas, hélas, hélas… Tous ceux qui ont essayé n’ont pas pu tenir plus d’une nuit ! Certains sont morts, paix à leurs âmes, d’autres sont devenus fous. Les derniers en sont revenus avec des témoignages inquiétants : ma touche personnelle ! Ont-ils réellement vu des fantômes, des vampires ou bien encore des démons comme semble le croire pas mal de monde ? Ou alors ont-ils simplement eu des hallucinations provoquées par les spores des champignons qui grandissent dans la crypte ? Le mystère reste entier ! conclut-elle dans un rire long et glacial.

  Anatole resta muet pendant quelques minutes. Le récit retentissait encore dans sa tête alors que la nuit commençait à tomber lentement.

  — Le cimetière est déjà fermé et ils vont commencer leurs rondes, reprit la Comtesse. Tu dois te dépêcher sinon les gardiens vont te trouver et te reconduire à l’extérieur.

  — Me dépêcher de faire quoi ? dit-il reprenant ses esprits. Vos histoires à dormir debout ont pu fasciner des naïfs et faire vivre une croyance pendant près de deux cents ans mais je fais partie des sceptiques moi Madame et j’ai des choses bien plus importantes à faire que de rester là, en train de parler dans le vide à voix haute !

  Le ton ferme d’Anatole ne dissimulait plus son agacement ni son désir de quitter les lieux.

  — Attends Anatoly, attends… Passe sur le côté droit, il y a une ouverture : je vais te guider ! semblait crier la voix de la Comtesse.

  — Anatoly ? Pourquoi m’appelle-t-elle ainsi ? s’interrogea-t-il. Encore une de ses lubies ! en déduisit Anatole.

  — Je ne suis pas cupide. Votre fortune ne m’intéresse pas. Et quand bien même fut-ce le cas, après autant d’années, que reste-t-il vraiment de cette richesse ? Tout juste de quoi se payer un crème au café d’en face ? ironisa-t-il.

  — Tu ne devrais pas sous-estimer mes mots Anatoly… soupira la Comtesse. Sur la droite près de la troisième colonne, en soulevant les débris de ciment et de pierre, tu trouveras une clef qui donne accès au caveau : presse-toi !

  — Anatole, mon prénom c’est Anatole : non pas Anatoly ! Si vos dires sont authentiques, je comprends mieux à présent pourquoi jamais personne n’a eu la force de vous supporter plus de quelques heures ou bien pire encore, quelques jours ! répondit-il d’un ton sec, sans ménagement. Je suis une personne de conviction et, à tort ou à raison, j’ai des principes. Par conséquent, je vais m’efforcer de rester courtois : je prends cette clef, à supposer qu’elle existe réellement, j’ouvre les portes, j’expire deux ou trois cris d’étonnement ou de crainte et je referme les portes. Est-ce suffisant ? A mon avis, je crois que oui. Ensuite je jette la clef loin de ces lieux pour que vous ne dérangiez plus personne ! termina-t-il en s’approchant de la colonne.

  Machinalement, Anatole avança vers le petit monticule de pierres, de lichens et de poussière. Il souleva les morceaux de ciment qui n’étaient pas plus gros que la taille d’une main, et mis à jour une longue clef fine rongée par le temps.

  — C’est un miracle qu’elle soit toujours là ! dit-il à voix basse.

  — J’y veille ! dit la Comtesse. Allons, entre…

  Devant l’entrée du caveau située à l’arrière du gigantesque édifice, Anatole n’hésita pas un seul instant pour introduire la clef et forcer la porte de droite grippée par le temps et l’immobilité de ces dernières années.

  — Attention aux marches : elles sont glissantes et irrégulières.

  — J’avais remarqué, merci tout de même ! répondit Anatole en secouant la tête.

  — Utilise ton portable comme lampe de poche Anatoly, lui lança la Comtesse, ce sera plus sage.

  — Je n’en ai pas ! répliqua-t-il aussitôt froidement.

  — Pas de portable ? Non mais c’est un comble ! Serais-tu le seul à ne pas en posséder de nos jours ? Ce n’est pas grave, tu vas suivre mes indications à la lettre.

  Après une dizaine de marches qui parurent une éternité, Anatole arriva à destination. L’odeur humide des moisissures qui emplissait le fond du caveau le fit éternuer plusieurs fois.

  La Comtesse conduisait ses pas :

  — Ecoute-moi bien mon garçon, avance d’un pas sur ta gauche…

  Anatole obéissait sans faire de commentaire.

  — Tends le bras : tu sens ce bloc de pierre ?

  — Oui ? dit-il d’une voix d’enfant.

  — Pousse le très fort devant toi pour le faire basculer de l’autre côté !

  Anatole posa ses deux mains sur la pierre à hauteur de son buste.

  — Allez, un peu de vigueur ! ricanait la Comtesse.

  Un bruit sourd résonna dans les profondeurs du caveau. Comme s’il savait ce qu’il devait faire sans plus aucune indication, Anatole frotta le socle où reposait le bloc de plusieurs kilos. Il sentit une surface métallique et rugueuse.

  — Nous y sommes Anatoly : c’est à toi de jouer !

  A l’aveugle, Anatole caressa du bout des doigts les bords du coffre d’acier. Il sentit une rouille poudreuse recouvrant ses mains puis une fente lui permettant de soulever le couvercle. Un léger grincement sec, de petits morceaux de pierre tombant et roulant sur le sol alors que le dessus basculait vers le haut et Anatole avait l’étrange impression de se trouver face à son destin.

  — Sois prudent, ils sont fragiles…

  — Quoi ? dit-il finalement après de longues minutes de silence. Qu’est-ce qui est fragile ?

  — Vas-y : prends-en un délicatement.

  Les yeux d’Anatole commencèrent à s’accommoder lentement de cette obscurité. Il plongea la main dans le coffre ouvert. Son cœur palpitait d’excitation.

  — Mais qu’est-ce que…

  Il s’arrêta au milieu de sa phrase. Puis il reprit, presque en hurlant :

  — Incroyable ! Comment avez-vous… Enfin je veux dire, où les avez-vous eues ?

  — Etonnant, n’est-ce pas ? lui répondit la Comtesse. Je savais que ça te plairait : je suis fière de moi !

  — Ce n’est pas possible, c’est une plaisanterie ! Nous les croyions détruites… Personne n’en soupçonnait l’existence.

  Anatole fouillait à présent avec vivacité dans le coffre.

  — Prudence Anatoly ! N’oublie pas que cela fait plus de cent cinquante ans qu’elles t’attendent sans bouger.

  La réalité rattrapait Anatole. Une multitude de questions foisonnaient dans son esprit.

  — Je vous écoute : inutile que je vous interroge ? Vous me devez bien plus que de simples explications, ne pensez-vous pas ?

  La voix de la Comtesse prit un ton protecteur :

  — Anatoly, mon Anatoly… J’aimerais tellement te serrer dans mes bras et partager tout mon bonheur avec toi en ce moment précis ! Je t’appelle « Anatoly » pour une raison très claire : tu me rappelles tant mon fils cadet qui lui aussi se prénommait Anatole.

  — J’entends bien, interrompit Anatole, mais je ne suis pas le seul au monde à porter ce prénom ! Anatole, Anatoly : quel rapport avec votre fils ?

  — Patience et écoute ! reprit la Comtesse. Ne comprends-tu pas déjà ? Tu ne vois pas ? Je t’explique : mon fils Anatoly avait
rencontré Frédéric. Presque du même âge, ils s’étaient liés d’une forte amitié.

  — Vous voulez dire Frédéric Chopin ?

  — Le seul et unique Fryderyk Franciszek Szopen, en effet ! As-tu remarqué mon imitation d’accent polonais ? Je me débrouille bien, n’est-ce pas ? Ah, quel compositeur et quel génie ! Enfin ce n’est pas à toi que je vais apprendre tout cela. Ne t’es-tu jamais demandé pourquoi tu vouais une telle passion à ses œuvres ?

  — Non ? Non mais…

  La comtesse coupa Anatole sans son élan.

  — Ce que tu as entre les mains vaut plus que tout or à mes yeux et, j’en suis certaine, aux tiens également. Te rends-tu compte ? Son art, sa grandeur, sa virtuosité vont finalement renaître entre tes mains ! Peu de temps avant son décès dans notre ville, il avait confié à Anatoly toutes les dernières partitions de ses symphonies inachevées et autres œuvres. Comme tu le disais, tout le monde les croient détruites, même encore aujourd’hui.

  Anatole restait de marbre, serrant contre sa poitrine les précieuses feuilles de musique.

  — Lorsque je me suis retrouvée ici à mon tour, Anatoly a fait courir cette fameuse légende concernant mon caveau dans l’espoir d’attirer un jour l’unique personne qui devait découvrir ces œuvres attendant leur fin. Frédéric les lui avait données peu de temps avant sa mort comme je te le disais et Anatoly a eu l’excellente idée de les dissimuler ici, au cimetière du Père-Lachaise, avec moi, afin que je veille sur elles. Quand je t’ai vu devant la tombe de Chopin tout à l’heure, j’ai vite compris que nous y étions enfin ! Et que la magie de Frédéric allait vivre de nouveau.

  Un long silence s’installait. Puis la Comtesse allait achever son discours.

 

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