M. Nisard, as he says, “n’était pas de la fête;” but he was admitted to a privilege perhaps more desirable still — namely, that of reading some portion of this precious MS. in the deep repose of the author’s own study. He gives a very animated picture of this visit.
“... J’osai demander à M. de Châteaubriand la grace de me recevoir quelques heures chez lui, et là, pendant qu’il écrirait ou dicterait, de m’abandonner son porte-feuille et de me laisser m’y plonger à discretion ... il y consentit. Au jour fixe, j’allai Rue d’Enfer: le coeur me battait; je suis encore assez jeune pour sentir des mouvemens intérieurs à l’approche d’une telle joie. M. de Châteaubriand fit demander son manuscrit. Il y en a trois grands porte-feuilles: ceux-là, nul ne les lui disputera; ni les révolutions, ni les caprices de roi, ne les lui peuvent donner ni reprendre.
“Il eut la bonté de me lire les sommaires des chapitres — Lequel choisir, lequel préférer? ... je ne l’arrêtais pas dans la lecture, je ne disais rien ... enfin il en vint au voyage à Prague. Une grosse et sotte interjection me trahit; du fruit défendu c’était la partie la plus défendue. Je demandai donc le voyage à Prague. M. de Châteaubriand sourit, et me tendait le manuscrit.... Je mets quelque vanité à rappeler ces détails, bien que je tienne à ce qu’on sache bien que j’ai été encore plus heureux que vain d’une telle faveur; mais c’est peut-être le meilleur prix que j’ai reçu encore de quelques habitudes de dignité littéraire, et à ce titre il doit m’être pardonné de m’en enorgueillir.
“Quand j’eus le précieux manuscrit, je m’accoudai sur la table, et me mis a la lecture avec une avidité recueillie.... Quelquefois, à la fin des chapitres, regardant par-dessus mes feuilles l’illustre écrivain appliqué à son minutieux travail de révision, effaçant, puis, après quelque incertitude, écrivant avec lenteur une phrase en surcharge, et l’effaçant à moitié écrite, je voyais l’imagination et le sens aux prises. Quand, après mes deux heures de délices, amusé, instruit, intéressé, transporté, ayant passé du rire aux larmes, et des larmes au rire, ayant vu tour à tour, dans sa plus grande naïveté de sentimens, le poète, le diplomate, le voyageur, le pèlerin, le philosophe, je me suis jeté sur la main de M. de Châteaubriand, et lui ai bredouillé quelques paroles de gratitude tendre et profonde: ni lui ni moi n’étions gênés, je vous jure; — moi, parce que je donnais cours à un sentiment vrai; lui, parce qu’à ce moment-là il voulait bien mesurer la valeur de mes louanges sur leur sincérité.”
This is, I think, very well conté; and as I have myself been de la fête, and heard read precisely this same admirable morceau, le Voyage à Prague, I can venture to say that the feeling expressed is in no degree exaggerated.
“Que puis-je dire maintenant de ces Mémoires?” ... he continues. “Sur le voyage à Prague ma plume est gênée; je ne me crois pas le droit de trahir le secret de M. de Châteaubriand — mais qui est-ce qui l’ayant suivi dans tous les actes de sa glorieuse vie, ne devine pas d’avance, sauf les détails secrets, et les milles beautés de rédaction, quelle peut être la pensée de cette partie des Mémoires! Qui ne sait à merveille qu’on y trouvera la vérité pour tout le monde, douce pour ceux qui ont beaucoup perdu et beaucoup souffert, dure pour les médiocrités importantes, qui se disputent les ministères et les ambassades auprès d’une royauté qui ne peut plus même donner de croix d’honneur? Qui est-ce qui ne s’attend à des lamentations sublimes sur des infortunes inouïes, à des attendrissemens de coeur sur toutes les misères de l’exil; sur le délabrement des palais où gîtent les royautés déchues; sur ces longs corridors éclairés par un quinquet à chaque bout, comme un corps de garde, ou un cloître; sur ces salles des gardes sans gardes; sur ces antichambres sans sièges pour s’asseoir; sur ces serviteurs rares, dont un seul fait l’étiquette qui autrefois en occupait dix; sur les malheurs toujours plus grands que les malheureux, qu’on plaint de loin pour ceux qui les souffrent, et de près pour soi-même?... Et puis après la politique vient la poésie; après les leçons sévères, les descriptions riantes, les observations de voyage, fines, piquantes, comme si le voyageur n’avait pas causé la veille avec un vieux roi d’un royaume perdu....”
I have given you this passage because it describes better than I could do myself the admirable narrative which I had the pleasure of hearing. M. Nisard says much more about it, and with equal truth; but I will only add his concluding words— “Voilà le voyage à Prague.... J’y ai été remué au plus profond et au meilleur de mon coeur par les choses touchantes, et j’ai pleuré sur la légitimité tombée, quoique n’ayant jamais compris cet ordre d’idées, et y étant resté, toute ma jeunesse, non seulement étranger, mais hostile.”
I have transcribed this last observation for the purpose of proving to you that the admiration inspired by this work of M. de Châteaubriand’s is not the result of party feeling, but in complete defiance of it.
In the “Revue de Paris” for March 1834 is an extremely interesting article from M. Janin, who was present, I presume, at the readings, and who must have been permitted, I think, now and then to peep over the shoulder of the reader, with a pencil in his hand, for he gives many short but brilliant passages from different parts of the work. This gentlemen states, upon what authority he does not say, that English speculators have already purchased the work at the enormous price of 25,000 francs for each volume. It already consists of twelve volumes, which makes the purchase amount to £12,000 sterling, — a very large sum, even if the acquisition could be made immediately available; but as we must hope that many years may elapse before it becomes so, it appears hardly credible that this statement should be correct.
Whenever these Memoirs are published, however, there can be no doubt of the eagerness with which they will be read. M. Janin remarks, that “M. de Châteaubriand, en ne croyant écrire que ses mémoires, aura écrit en effet l’histoire de son siècle;” and adds, “D’où l’on peut prédire, que si jamais une époque n’a été plus inabordable pour un historien, jamais aussi une époque n’aura eu une histoire plus complète et plus admirablement écrite que la nôtre. Songez donc, que pendant que M. de Châteaubriand fait ses mémoires, M. de Talleyrand écrit aussi ses mémoires. M. de Châteaubriand et M. de Talleyrand attelés l’un et l’autre à la même époque! — l’un qui en représente le sens poétique et royaliste, l’autre qui en est l’expression politique et utilitaire: l’un l’héritier de Bossuet, le conservateur du principe religieux; l’autre l’héritier de Voltaire, et qui ne s’est jamais prosterné que devant le doute, cette grande certitude de l’histoire: l’un enthousiaste, l’autre ironique; l’un éloquent partout, l’autre éloquent dans son fauteuil, au coin de son feu: l’un homme de génie, et qui le prouve; l’autre qui a bien voulu laisser croire qu’il était un homme d’esprit: celui-ci plein de l’amour de l’humanité, celui-là moins égoïste qu’on ne le croit; celui-ci bon, celui-là moins méchant qu’il ne veut le paraître: celui-ci allant par sauts et par bonds, impétueux comme un tonnerre, ou comme une phrase de l’Ecriture; celui-là qui boite, et qui arrive toujours le premier: celui-ci qui se montre toujours quand l’autre se cache, qui parle quand l’autre se tait; l’autre qui arrive toujours quand il faut arriver, qu’on ne voit guère, qu’on n’entend guère, qui est partout, qui voit tout, qui sait presque tout: l’un qui a des partisans, des enthousiastes, des admirateurs; l’autre qui n’a que des flatteurs, des parens, et des valets: l’un aimé, adoré, chanté; l’autre à peine redouté: l’un toujours jeune, l’autre toujours vieux; l’un toujours battu, l’autre toujours vainqueur; l’un victime des causes perdues, l’autre héros des causes gagnées; l’un qui mourra on ne sait où, l’autre qui mourra prince, et dans sa maison, avec un archevêque à son chevet; l’un grand écrivain à coup sûr, l’autre qui est un grand écrivain sans qu’on s’en doute; l’un qui a écrit ses mémoires pour les lire à ses amis, l’autre qui a écrit ses mémoires pour les cacher à ses amis; l’un qui ne les publie pas par caprice, l’autre qui ne les publie pas, parce qu’ils ne seront
terminés que huit jours après sa mort; l’un qui a vu de haut et de loin, l’autre qui a vu d’en bas et de près: l’un qui a été le premier gentilhomme de l’histoire contemporaine, qui l’a vue en habit et toute parée; l’autre qui en a été le valet de chambre, et qui en sait toutes les plaies cachées; — l’un qu’on appelle Châteaubriand, l’autre qu’on appelle le Prince de Bénévent. Tels sont les deux hommes que le dix-neuvième siècle désigne à l’avance comme ses deux juges les plus redoutables, comme ses deux appréciateurs les plus dangereux, comme les deux historiens opposés, sur lesquels la postérité le jugera.”
This parallel, though rather long perhaps, is very clever, and, à ce qu’on dit, very just.
Though my extracts from this very interesting but not widely-circulated volume have already run to a greater length than I intended, I cannot close it without giving you a small portion of M. de Lavergne’s animated recital of the scene at the old Abbaye-aux-Bois; — an Abbaye, by the way, still partly inhabited by a society of nuns, and whose garden is sacred to them alone, though a portion of the large building which overlooks it is the property of Madame Récamier.
“A une des extrémités de Paris on trouve un monument d’une architecture simple et sévère. La cour d’entrée est fermée par une grille, et sur cette grille s’élève une croix. La paix monastique règne dans les cours, dans les escaliers, dans les corridors; mais sous les saintes voûtes de ce lieu se cachent aussi d’élégans réduits qui s’ouvrent par intervalle aux bruits du monde. Cette habitation se nomme l’Abbaye-aux-Bois, — nom pittoresque d’où s’exhale je ne sais quel parfum d’ombre et de mystère, comme si le couvent et la forêt y confondaient leurs paisibles harmonies. Or, dans un des angles de cet édifice il y a un salon que je veux décrire, moi aussi, car il reparaît bien souvent dans mes rêves. Vous connaissez le tableau de Corinne de Gérard: Corinne est assise au Cap Misène, sur un rocher, sa belle tête levée vers le ciel, son beau bras tombant vers la terre, avec sa lyre détendue; le chant vient de finir, mais l’inspiration illumine encore ses regards divins.... Ce tableau couvre tout un des murs du salon, en face la cheminée avec une glace, des girandoles, et des fleurs.... Des deux autres murs, l’un est percé de deux fenêtres qui laissent voir les tranquilles jardins de l’Abbaye, l’autre disparaît presque tout entier sous des rayons chargés de livres. Des meubles élégans sont épars çà et là, avec un gracieux désordre. Dans un des coins, la porte qui s’entr’ouvre, et dans l’autre une harpe qui attend.
“Je vivrais des milliers d’années que je n’oublierais jamais rien de ce que j’ai vu là.... D’autres ont rapporté des courses de leur jeunesse le souvenir d’un site grandiose, ou d’une ruine monumentale; moi, je n’ai vu ni la Grèce ... etc: ... mais il m’a été ouvert ce salon de l’Europe et du siècle, où l’air est en quelque sorte chargé de gloire et de génie.... Là respire encore l’âme enthousiaste de Madame de Staël; là reparaît, à l’imagination qui l’évoque, la figure mélancolique et pâle de Benjamin Constant; là retentit la parole vibrante et libre du grand Foy. Tous ces illustres morts viennent faire cortége à celle qui fut leur amie; car cet appartement est celui d’une femme célèbre dont on a déjà deviné le nom. Malgré cette pudeur de renommée qui la fait ainsi se cacher dans le silence, Madame Récamier appartient à l’histoire; c’est désormais un de ces beaux noms de femme qui brillent dans la couronne des grandes époques ainsi que des perles sur un bandeau. Révélée au monde par sa beauté, elle l’a charmé peut-être plus encore par les graces de son esprit et de son coeur. Mêlée par de hautes amitiés aux plus grands événemens de l’époque, elle en a traversé les vicissitudes sans en connaître les souillures, et, dans sa vie toute d’idéal, le malheur même et l’exil n’ont été pour elle que des charmes de plus. A la voir aujourd’hui si harmonieuse et si sereine, on dirait que les orages de la vie n’ont jamais approché de ses jours; à la voir si simple et si bienveillante, on dirait que sa célébrité n’est qu’un songe, et que les plus superbes fronts de la France moderne n’ont jamais fléchi devant elle. Aimée des poètes, des grands, et du Ciel, c’est à-la-fois Laure, Eléonore et Béatrix, dont Pétrarque, Tasse et le Dante ont immortalisé les noms.
“Un jour de Février dernier il y avait dans le salon de Madame Récamier une réunion convoquée pour une lecture. L’assemblée était bien peu nombreuse, et il n’est pas d’homme si haut placé par le rang ou par le génie qui n’eût été fier de s’y trouver. A côté d’un Montmorency, d’un Larochefoucauld, et d’un Noailles, représentans de la vieille noblesse française, s’asseyaient leurs égaux par la noblesse du talent, cet autre hasard de la naissance; Saint-Beuve et Quinet, Gerbet et Dubois, Lenormand et Ampère: vous y étiez aussi, Ballanche!...
“Il parut enfin celui dont le nom avait réuni un tel auditoire, et toutes les têtes s’inclinèrent.... Son front avait toute la dignité des cheveux gris, mais ses yeux vifs brillaient de jeunesse. Il portait à la main, comme un pèlerin ou un soldat, un paquet enveloppé dans un mouchoir de soie. Cette simplicité me parut merveilleuse dans un pareil sujet; car ce noble vieillard, c’était l’auteur des Martyrs, du Génie du Christianisme, de René — ce paquet du pèlerin, c’étaient les Mémoires de M. de Châteaubriand.... Mais quelle doloureuse émotion dans les premiers mots— ‘Mémoires d’Outre-tombe!... Préface testamentaire!’...
* * * * *
“Continuez, Châteaubriand, à filer en paix votre suaire. Aussi bien, il n’y a de calme aujourd’hui que le dernier sommeil, il n’y a de stable que la mort!... Vieux serviteur de la vieille monarchie! vous n’avez pas visité sans tressaillir ces sombres galeries du Hradschin, où se promènent trois larves royales, avec une ombre de couronne sur le front. Vous avez baigné de vos pleurs les mains de ce vieillard qui emporte avec lui toute une société, et la tête de cet enfant dont les graces n’ont pu fléchir l’inexorable destinée qui s’attache aux races antiques.... Filez votre suaire de soie et d’or, Châteaubriand, et enveloppez-vous dans votre gloire; il n’est pas de progrès qui vous puisse ravir votre immortalité.”
* * * * *
I think that by this time you must be fully aware, my dear friend, that this intellectual fête to which we were invited at the Abbaye-aux-Bois was a grace and a favour of which we have very good reason to be proud. I certainly never remember to have been more gratified in every way than I was on this occasion. The thing itself, and the flattering kindness which permitted me to enjoy it, were equally the source of pleasure. I may say with all truth, like M. de Lavergne, “Je vivrais des milliers d’années que je ne l’oublierais jamais.”
The choice of the morceau, too, touched me not a little: “du fruit défendu, cette partie la plus défendue” was most assuredly what I should have eagerly chosen had choice been offered. M. de Châteaubriand’s journey to Prague furnishes as interesting an historical scene as can well be imagined; and I do not believe that any author that ever lived, Jean-Jacques and Sir Walter not excepted, could have recounted it better — with more true feeling or more finished grace: simple and unaffected to perfection in its style, yet glowing with all the fervour of a poetical imagination, and all the tenderness of a most feeling heart. It is a gallery of living portraits that he brings before the eye as if by magic. There is no minute painting, however: the powerful, the painfully powerful effect of the groups he describes, is produced by the bold and unerring touch of a master. I fancied I saw the royal race before me, each one individual and distinct; and I could have said, as one does in seeing a clever portrait, “That is a likeness, I’ll be sworn for it.” Many passages made a profound impression on my fancy and on my memory; and I think I could give a better account of some of the scenes described than I should feel justified in doing as long as the noble author chooses to keep them from the public eye. There were touches which made us weep abundantly; and then he changed the key, and gave us the prettiest, the most gracious, the most smiling picture of the young princess and her brother, that it was possible for pen to trace. She must be a fair a
nd glorious creature, and one that in days of yore might have been likely enough to have seen her colours floating on the helm of all the doughtiest knights in Christendom. But chivalry is not the fashion of the day; — there is nothing positif, as the phrase goes, to be gained by it; — and I doubt if “its ineffectual fire” burn very brightly at the present time in any living heart, save that of M. de Châteaubriand himself.
The party assembled at Madame Récamier’s on this occasion did not, I think, exceed seventeen, including Madame Récamier and M. de Châteaubriand. Most of these had been present at the former readings. The Duchesses de Larochefoucauld and Noailles, and one or two other noble ladies, were among them. I felt it was a proof that genius is of no party, when I saw a granddaughter of General Lafayette enter among us. She is married to a gentleman who is said to be of the extreme côté gauche; but I remarked that they both listened with as much deep interest to all the touching details of this mournful visit as the rest of us. Who, indeed, could help it? — This lady sat between me and Madame Récamier on one sofa; M. Ampère the reader, and M. de Châteaubriand himself, on another, immediately at right angles with it, — so that I had the pleasure of watching one of the most expressive countenances I ever looked at, while this beautiful specimen of his head and his heart was displayed to us. On the other side of me was a gentleman whom I was extremely happy to meet — the celebrated Gérard; and before the reading commenced, I had the pleasure of conversing with him: he is one of those whose aspect and whose words do not disappoint the expectations which high reputation always gives birth to. There was no formal circle; — the ladies approached themselves a little towards THE sofa which was placed at the feet of Corinne, and the gentlemen stationed themselves in groups behind them. The sun shone delicately into the room through the white silk curtains — delicious flowers scented the air — the quiet gardens of the Abbaye, stretched to a sufficient distance beneath the windows to guard us from every Parisian sound — and, in short, the whole thing was perfect. Can you wonder that I was delighted? or that I have thought the occurrence worth dwelling upon with some degree of lingering fondness?
Collected Works of Frances Trollope Page 552