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Voilà qui dure depuis trois jours. Un peu plus tôt, il lui a donné du thé au lait et du pain. Il lui pose une main sur le ventre ; elle hoche la tête. Elle garde la nourriture, mais il coince néanmoins un petit bol entre elle et le mur. Puis il s’installe sur sa couchette, juste en dessous, et il attend.
Ils écoutent les bruits du bateau. Les murmures des adultes, les sanglots des enfants ; les bruits de l’océan lui-même : un rythme régulier sous les sifflements et les grincements étouffés des machines. Albert est heureux que cette femme originaire de Dresde, qui voyage dans l’entrepont, ait proposé de surveiller Eberhard et Frank pendant la journée.
— Je suis désolé, dit-il.
Elle tend une main par-dessus la couchette. Il lève le bras et la prend dans la sienne.
— Je t’en prie. C’est ce que nous étions convenus de faire. Ce que nous voulions.
Elle n’a pas compris ce qu’il disait : il lui fait ses excuses pour ce qui s’est passé il y a trois jours. Elle lui tient la main encore quelques instants afin de le rassurer. Puis il se rallonge, impuissant face au mal qui la tourmente, impuissant face à la volonté dont elle fait preuve. Il lève le bras et touche le plafond de sa couchette.
Elle s’agite dans son sommeil. Une mèche de cheveux pend dans le vide, mais Albert résiste à la tentation de la toucher. Il a tant besoin de sa femme. Sitôt qu’ils font de nouvelles rencontres, c’est vers elle qu’il se tourne, et non vers leurs interlocuteurs : d’après les subtils indices que révèlent son visage, il devine qui est sincère, qui est suspect, qui est superficiel. Il sait ce que voient les autres : une beauté troublante, une jeune mère sereine et pleine d’assurance, une femme instruite qui s’exprime bien. Mais ils ignorent qu’elle possède une conscience accrue et presque douloureuse de ce qui l’entoure, une aptitude à sentir tout ce que l’on ne voit pas.
— Arrives-tu… Je veux dire, est-ce que… tu vois des choses sur moi ? lui avait-il demandé après leurs fiançailles.
— Non.
Elle était alors devenue indéchiffrable, sa peau avait pris une couleur de cendre et il avait été horrifié à l’idée d’avoir commis un impair. Puis elle s’était radoucie.
— Je ne suis pas ma mère, avait-elle répondu. Ça ne se passe pas comme ça. Nous ne pouvons pas nous marier si tu penses tout le temps à moi en ces termes. Je te connais tel que tu es maintenant. Tu comprends ?
Annaliese avait toutefois abordé le sujet à brûle-pourpoint deux jours avant la noce. Ils étaient seuls dans la petite maison, occupés à repeindre le bord des fenêtres en bleu foncé.
— Tu dois protéger Magdalena des inconnus et de la famille.
Elle avait ensuite laissé tomber son pinceau dans un seau et défait le nœud de son foulard.
— Il est étrange qu’on attribue aux Tziganes la capacité de lire l’avenir et qu’on pense du mal d’eux à cause de ça. Mais chez les saints et les personnes sacrées, ces aptitudes s’appellent des visions. Et eux, cela leur vaut d’être vénérés.
Il se lève de sa couchette, déballe en silence une miche de pain et un morceau de gruyère, puis coupe une tranche de chaque. Assis sur la couchette des enfants, d’où il peut contempler Magdalena, il mastique son pain en savourant les graines de carvi. Il pourrait aller dans la salle à manger réservée aux passagers de première et seconde classes, mais il n’aime pas prendre ses repas sans sa famille. Pourtant, ils n’ont pas le droit de conserver des aliments dans leur cabine, en vertu du règlement. C’est un des matelots qui lui a révélé la raison de cette interdiction.
— À cause des rat, a expliqué l’homme en pointant un doigt vers le bas.
Hier soir, alors qu’il était descendu dans le dortoir des femmes sur l’entrepont pour leur demander si elles voulaient apprendre l’anglais, il avait de nouveau aperçu le matelot. Celui-ci s’en prenait à un groupe d’enfants qui, apparemment, jouaient à l’endroit où il travaillait.
— Maudits rats ! Fichez-moi le camp !
Des voix féminines avaient alors protesté en chœur. Albert avait entendu des anecdotes sur les voyages dans l’entrepont, mais les cabines de troisième classe à bord du Große étaient moins inconfortables que ce à quoi il s’était attendu. Il y avait du linge étendu sur les fils entre les lits superposés, sur trois, voire parfois quatre niveaux. Les passagers des deux sexes pouvaient se réunir dans la salle commune, meublée de longues tables et de longs bancs. Néanmoins, ce confort avait ses limites. Ce n’était que le deuxième jour en mer et l’air était déjà infesté de l’odeur des corps sales, du vomi et même, dans certains quartiers, d’effluves d’alcool.
Il prend un pichet en grès, se verse de l’eau dans un verre et la boit, tout en contemplant son épouse endormie. Il se demande quand elle va s’éveiller de ce qu’il espère être un dérangement passager. En repensant au jour où ils ont embarqué, il sent la bile remonter dans sa gorge ; il se verse encore un verre d’eau.
Si jamais il revoit son frère aîné, il ne se contentera pas de la frapper.
Il le tuera.
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* *
Elle dérive, se redresse, retrouve le présent, puis elle se penche et vomit dans le bol qu’Albert a coincé près de son lit. Les paroles d’Otto résonnent toujours à ses oreilles. Elle s’essuie la bouche, retombe sur son oreiller et se rendort.
Quelques heures plus tard, elle se réveille au son de la voix de ses fils, qui bavardent comme des pies.
— Tempy, demande Eberhard, qu’est-ce qui lui est arrivé à la main ?
— Je ne sais pas. Et puis ce n’est pas poli de demander, répond Albert.
Apparemment, ils parlent de quelqu’un dont ils viennent de faire connaissance. Elle ferme les yeux pour leur faire croire qu’elle dort encore. Elle songe aux paroles d’adieu de sa mère, au moment où elle la prenait dans ses bras :
— Nous nous reverrons.
— Oui, nous nous reverrons, avait répondu Magdalena.
Chacune savait que c’était un mensonge.
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* *
Magdalena se lève de bonne heure et s’habille dans le noir. Albert s’est assoupi, exténué après avoir veillé quatre jours durant pour s’occuper d’elle. Leurs fils dorment d’un sommeil tout aussi profond, l’excitation engendrée par la réalité du voyage ayant épuisé toute leur énergie. Elle se glisse hors de la cabine et monte sur le pont, le chapelet en bois d’olivier de sa mère enroulé autour de la main droite et celui de sa belle-mère, en argent, dans la main gauche.
Le pont est faiblement éclairé. Comme la plupart des passagers a tendance à se rassembler vers la proue pendant la journée, elle préfère se diriger vers la poupe. Il ne lui vient pas à l’idée qu’une femme se promenant seule dans le noir à bord d’un bateau rempli d’inconnus n’est pas en sécurité. Si elle n’a pas le sentiment d’être vulnérable, c’est parce qu’elle n’a pas le sentiment d’être réelle. Elle ne peut deviner ni voir ce qu’il y a devant elle, mais elle entend le bruit de ses propres pas. Il lui faut un moment pour atteindre l’arrière du bateau et le garde-corps, qui lui arrive à la poitrine. Elle se penche au-dessus et elle attend, désireuse d’assister au lever du soleil depuis l’infinité d’eau qui les entoure, de voir la preuve qu’ils ne se sont pas embarqués dans un tourbillon de ciel et d’océan qui ne mène nulle part.
Le ciel s’éclaircit et elle distingue enfin la surface de l’océan. Pour avoir vécu toute sa vie à l’intérieur des terres, elle ne connaît pas l’océan, sauf par les mots que son père lui a appris : une brasse égale six pieds ; un mille marin fait six mille quatre-vingts pieds ; le sondage est la mesure de la profondeur de l’eau.
— Votre Dieu vous manque ?
D’abord, elle croit que la voix émane d’en bas, du remous incessant des vagues à crête blanche refoulées par le navire à mesure qu’il fend l’eau. Puis elle se retourne et aperçoit un Noir. Assis sur un tabouret, il boit du café et mange du pain accompagné d’un morceau de fromage. I
l lui manque trois doigts à la main droite. Voyant qu’elle ne réagit pas, l’homme pose sa nourriture par terre et se lève.
— Sprechen Sie Englisch ?
— Je parle anglais.
— Toutes mes excuses si je vous ai fait peur, dit-il en s’essuyant les mains sur son pantalon. D’habitude, seuls certains membres de l’équipage sont debout de si bonne heure. Parfois des passagers, mais pas à cette extrémité-ci du bateau.
Puis il se rassied.
— Mes fils m’ont parlé de vous. Vous vous appelez Tempy.
— Oui, j’ai fait leur connaissance. Eberhard et Frank. Des petits garçons très polis.
— Je m’appelle Magdalena.
Tout en disant cela, elle s’approche de lui, car ils sont trop loin pour bavarder.
— Non ! Restez où vous êtes, dit-il en regardant derrière lui.
Elle recule jusqu’à ce qu’elle sente de nouveau le garde-corps, derrière elle.
— Vous êtes souffrant ?
— Non. Ce n’est pas ça. On déconseille aux membres d’équipage de devenir amis avec les passagers. Surtout avec ceux des première et deuxième classes.
Elle trouve cela étrange, étant donné que ses fils et Albert ont l’air d’avoir déjà beaucoup parlé avec lui. Peut-être a-t-elle mal entendu, mais elle en doute. Voilà donc l’homme qui leur a montré les énormes chaudières à charbon et les gigantesques pistons des moteurs. Albert a dit qu’il était noir, mais en regardant Tempy, elle n’est pas certaine que cela soit vrai.
Puis soudain, elle comprend pourquoi il a réagi ainsi et elle sent la gêne l’envahir. D’abord, elle est une femme non accompagnée. Il a eu la délicatesse de ne pas formuler cette évidence et elle, bêtement, ne l’a pas comprise tout de suite.
— C’est parce que vous êtes…
— Un homme de couleur, l’interrompt-il. Oui, c’est surtout ça.
Elle le regarde qui essuie avec la manche de sa veste le café renversé sur son pantalon ; puis il ramasse sa tasse en fer-blanc. Il la tient entre l’auriculaire et le pouce de sa main droite.
— Votre main. Savez-vous pourquoi elle fonctionne encore ?
— Je la fais fonctionner, répond-il en haussant les épaules.
— Ça aussi, dit-elle en souriant. Je voulais dire que c’est parce que vous avez encore votre pouce. Ça s’appelle le mouvement d’opposition.
Elle fait la démonstration en touchant du pouce son auriculaire, puis chacun des autres doigts.
— « Mouvement d’opposition », répète-t-il en regardant sa propre main. Je me le rappellerai.
Il lève les yeux vers le ciel, puis désigne le soleil qui se lève.
— Bon, je dois retourner travailler.
Elle regagne sa cabine et ouvre la porte. Albert dort encore. À moitié vêtus, des miettes de pain autour de la bouche, ses fils bondissent de leur lit et la serrent dans leurs bras.
— J’ai fait la connaissance de Tempy, dit-elle.
Le lendemain, Tempy attend Magdalena mais elle ne vient pas. Il l’a aperçue pour la première fois au moment où elle embarquait et cette vision lui a rappelé une mère dont il se souvient pourtant à peine. Que cette femme apparaisse de façon aussi inattendue hier matin, c’est un signe, même s’il ne saurait en deviner le sens. Seulement que ce signe veut dire quelque chose. Seulement qu’il se sent contraint de lui parler. Elle est d’une beauté peu commune, mais ce n’est pas le désir qui le tourmente, ni la peur : elle ne va pas lui faire de mal. Ça, il en est sûr. Et bien qu’il coure un danger en lui parlant, il éprouve un besoin irrésistible et inexplicable de le faire. Par chance, l’endroit qu’on lui a assigné pour les corvées est proche de la poupe ; il continuera donc à l’attendre le matin de bonne heure.
Deux jours après avoir fait la connaissance de Tempy, Magdalena se lève tôt et gagne la poupe du navire. Elle est déçue de constater qu’il n’est pas là. Aurait-il eu des ennuis ? Elle enroule les chapelets autour de ses mains, se penche au-dessus du garde-corps et contemple l’océan, en contrebas. La cabine sent le renfermé ; en comparaison, l’air marin est rafraîchissant, vivifiant. Elle a l’impression d’être comme suspendue dans le temps : si elle n’est plus chez elle, elle n’est pas encore rendue à destination. Elle range les chapelets dans la poche de sa jupe, défait sa tresse, qui lui arrive à la taille, et glisse les doigts entre les mèches afin de les libérer. Une rafale de vent soulève brusquement sa chevelure, qui s’anime et ondoie. Elle ressort ses chapelets et les enroule de nouveau autour de ses mains ; elle ferme les yeux, lève le visage : elle est Amphitrite, divinité de la mer.
— Votre Dieu vous manque ?
Elle se retourne, surprise de ne pas l’avoir entendu approcher.
— Les moteurs. On n’entend pas les bruits de pas à cause de celui des moteurs. C’est pour ça qu’il y a si peu de passagers à venir dans cette partie du bateau, explique-t-il.
Puis Tempy désigne les chapelets.
— Non, pas mon Dieu. Ce chapelet, je le tiens de ma mère.
Elle tend celui en bois d’olivier, puis lève l’autre main, celle qui serre le chapelet en argent.
— Et celui-là, de ma belle-mère. Elles me manquent beaucoup toutes les deux.
— Il y a plusieurs dieux là où vous allez, dit-il. Pas qu’un seul.
— Les États-Unis ne sont-ils pas un pays chrétien ?
— Pas pour tout le monde. Il y avait d’anciens dieux, là-bas, avant l’arrivée des chrétiens.
Elle se demande s’il évoque les Indiens d’Amérique et leurs mythes, dont elle sait peu de choses. Il a dû remarquer sa perplexité car il poursuit :
— Laissez-moi vous parler de l’un d’eux. C’est un fleuve. L’un des fleuves les plus puissants au monde. C’est une divinité masculine et il divise le pays en deux. Dans le Minnesota, là où se trouve le lac Pepin, il mesure plus de deux milles de large.
Il écarte les bras, et c’est là qu’elle aperçoit les marques profondes qu’il a aux poignets.
— Vos poignets… Que vous est-il arrivé ?
Il abaisse les bras. De tous les gens qu’il rencontre, et ils sont nombreux, elle est la première à le lui demander. Personne ne lui a jamais posé de questions sur ces cicatrices, hormis les abolitionnistes qui l’ont secouru. D’après lui, c’est parce que la plupart ne les voient pas vraiment ; ou, s’ils les voient, ils considèrent que cela est dû au fait qu’il est noir et ne vont pas plus loin. Il regarde cette femme, sa longue chevelure que le vent déploie en éventail, et de nouveau il pense à sa mère.
— Celles-ci, répond-il en montrant ses poignets, c’est l’homme blanc qui me les a faites. Mais ça, c’est le dieu du Fleuve. On m’a vendu quand j’avais quinze ans, juste à la veille de la guerre…
Et il lève la main droite, celle qui a trois doigts en moins.
*
* *
Il descendait le Mississippi à bord d’un petit navire à vapeur qui l’emmenait vers une plantation en Louisiane, les poignets retenus au garde-corps par des menottes en fer, les chevilles cerclées de métal et enchaînées l’une à l’autre. La veille, le contremaître au service de son nouveau propriétaire l’avait battu afin d’établir son autorité. Recroquevillé tout près du garde-corps, Tempy sommeillait par intermittence – un moyen de faire taire ses douleurs. Il ouvrait les yeux de temps à autre et voyait le contremaître qui fumait un cigare, non loin de la proue. Quand il se réveilla pour de bon, il distingua des cris, mais en écoutant bien, il remarqua qu’on n’entendait ni ne sentait plus la cadence régulière du moteur. Il se leva et regarda le fleuve : le bateau allait à la dérive. Pire, le courant du fleuve déviait brutalement, piégeant le vapeur, l’entraînant vers des troncs d’arbre qui s’étaient accumulés à l’avant.
Le contremaître continuait à fumer son cigare dans une position arrogante, l’air de croire que le moteur se remettrait à fonctionner parce que lui jugeait qu’il le fallait. Puis, soudain, le vapeur se fracassa contre les arbres morts, la proue s’enfonça, le fleuve se so
uleva et engloutit l’homme, son cigare et tout le reste.
L’énorme secousse renversa le fourneau de la cuisine, ce qui provoqua un incendie. Tempy vit passer le matelot qui lui apportait habituellement sa nourriture et l’appela au secours, mais l’homme disparut à l’intérieur du navire. Tempy déployait toute l’énergie qu’il lui restait pour faire pression contre le garde-corps, espérant ainsi dégager l’armature d’acier prisonnière des troncs, lorsque le matelot reparut : il était allé chercher les clés des menottes dans la cabine du contremaître. Il libéra Tempy des fers qui le retenaient au garde-corps. À présent, la fumée de l’incendie les rattrapait et le navire était en train de sombrer ; le matelot fourra alors le trousseau de clés dans la main droite, ensanglantée, de Tempy.
— Nage ! hurla-t-il avant de plonger dans le fleuve.
Tempy le suivit. Alors qu’il nageait jusqu’à la rive, le porte-clés lui échappa et coula tout au fond. Ce fut donc les pieds toujours enchaînés qu’il claudiqua à travers les bois deux jours durant, jusqu’à ce qu’il parvienne à une ferme. Ce soir-là, il déroba un marteau de forgeron dans la grange et l’utilisa pour rompre les deux chaînes qui entravaient ses chevilles. Il longea le Mississippi en direction du nord. En chemin, il vola des poulets, un sac de maïs moulu et un jambon qu’il trouva dans un fumoir. Lorsqu’il atteignit Saint Paul, une faction d’abolitionnistes clandestins dirigée par miss Jane Grey Swisshelm, qui vivait à Saint Cloud, le prit sous son aile. Ce groupe – un parmi d’autres – résidait à Saint Paul, non loin du fleuve. Ils savaient que les esclaves qui s’étaient enfuis à pied longeraient le Mississippi pour se diriger vers le nord.
Un forgeron eut pitié de lui et retira les cercles de fer qu’il avait encore aux chevilles. Ensuite, les abolitionnistes lui procurèrent un logis et lui fabriquèrent ses nouveaux papiers d’homme libre, avant de lui trouver un emploi à Saint Paul, sur les quais du fleuve.
Bohemian Flats Page 15