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Le Coucou

Page 16

by Madeleine Ruh

Elle avait bien précisé sur l’invitation : « 9 juin,  soirée costumée américaine pour fêter mon départ là-bas, que ceux qui ne me prennent pas au sérieux se méfient, venir avec bouteille de champagne svp ».

  Elle posa de manière experte ses faux cils, et se sourit dans la glace, de manière un peu affectée, elle essaya de gommer la petite ride au coin des lèvres, et se passa la main dans son carré court, en regardant, par la porte-fenêtre entrouverte, le soleil qui se cachait derrière le toit voisin et l’ombre portée de l’acacia déplumé. Le bruit de rires d’enfants voisins lui fit froncer le sourcil, contrariée.

  Elle venait d’avoir quarante ans, et se remettait doucement, après des années de mariage sans histoire, du divorce brutal ; son médecin de mari, installé avec elle dans une grande maison près de Compiègne, l’avait quittée pour une petite jeune.

  Heureusement, elle avait commencé à nouveau des études juridiques à l’époque pour s’occuper, et elle ne sut jamais vraiment si cela n’avait pas été au final le déclencheur, enlevant à son homme la culpabilité de laisser une femme au foyer avec les enfants.

  Les enfants devenant grands, elle avait décidé en surfant sur internet, dont elle était devenu la pro, entre les rencontres sur le site Meetic (pas terrible au final à part les plans culs) et les courses diverses des fringues second-hand sur eBay à l’alimentation (elle prenait la même commande tous les quinze jours, au grand dam de son ainé qui râlait sur les oublis systématiques de son Coca Zéro), de partir à New-York.

  Elle avait même trouvé une petite piaule, comme quand elle était jeune étudiante en fac. Sa mère était d’accord pour habiter dans la maison de Mantes, et garder les ados. Il lui restait à trouver un stage juridique même non rémunéré, entre les cours de droit des affaires et d’anglais.

  Sa sœur de deux ans sa cadette, vivait à Londres, avec son deuxième mari, banquier à la City. Ils galéraient pas mal, cette année de crise financière internationale, et elle avait quand même réussi à convaincre le couple de venir les rejoindre pour le week-end, avec les enfants, car la prochaine fois, ce serait en Février dans six mois.

  « Carole, allez viens, il y aura toute la bande, tu sais Eric et Olivia, Caroline, Xavier, Cédric, David, Anne, comme pendant les boums dans le sous-sol chez les parents, quand on écoutait Barry White et Diana Ross ! ».

  Marrant comme plan, elle les avait retrouvés par les copains d’avant toujours sur le web. Et le diner au restau des retrouvailles valait une chanson populaire, « on s’est retrouvé …dix ans, Bruel ou un truc du genre » se dit-elle.

  Aidé par sa sœur, elle avait décidé en cinq minutes de son déguisement, qui lui avait promis d’y associer le sien. Elle y pensait en remontant sa tenue digne d’un concert des débuts, quand la chanteuse se faisait vêtir par un designer français, les seins en pointe, Gaultier il lui semblait. Impossible de mettre un soutif avec cet accoutrement, et elle avait l’impression que le décolleté, baillant sur sa poitrine menue, la laissait nue au regard. « Pas grave, faut assumer » se dit-elle.

  « Et si personne ne venait ? » Au moins, elle avait le DJ, car il était passé installer le matériel pendant l’après-midi.

  « Et dire que Véro est lesbienne ! ». Sa fille venait de lui apprendre et était fascinée par sa partenaire, une grande brune maigre, dans l’armée, « la totale » se dit-elle.

  Ses parents l’avait pris cool. Il faut dire que son père riche cardiologue avait dû vendre la maison de Vincennes pour payer ses dettes de jeu, et qu’il s’occupait, en remplacements, au Samu dans leur petite ville de Provins ; elle le soupçonnait de ne jamais avoir totalement décroché de la coke.

  Elle pensait aussi le prendre cool, mais en fait pas du tout. Exactement comme lorsque l’ainé avait redoublé pour la deuxième fois sa seconde, après la quatrième. « Non, en fait pire! »

  Elle avait pleuré toute une nuit, exténuée au matin, sa fille l’avait regardée comme Rencontre du troisième type.

  « Laisse tomber !” avait-elle dit à sa fille, « Je vais m’y faire, et t’es libre, tu le sais ».

  N’empêche la meuf en question, elle ne pouvait pas l’encadrer, et il ne valait mieux pas qu’elle rapplique ce soir, après tout, c’était Sa soirée.

 

  Le portable sonne. « Oui, salut Margot ! …oui c’est normal, ton GPS marche, il y a vraiment plus d’un kilomètre en petites rues qui se croisent,… mais oui vous allez arriver ! Si tu es au Carrefour du Général Leclerc dans cinq minutes max, les garçons vous attendent, il y a une planche de surf pour marquer l’entrée ! ».

  « Coucou, surprise ! » Sa sœur, arrivée ce matin et installée avec sa famille dans la petite maison au fond du jardin, venait d’apparaitre dans sa chambre du premier : dégaine de garçon, lunettes noires et perruque brune avec banane, costume blanc moulant et satiné. « Waouh, le look Elvis !  Tu es super réussie, je ne t’aurais pas reconnue, incroyable ! C’est trop drôle ! ».

  Les deux sœurs, la brune devenue blonde Madonna, la blonde devenue brune Elvis par la perruque, se prirent dans les bras, et s’embrassèrent sur les deux joues maladroitement, comme dans les familles où on ne s’embrasse que pour les grandes occasions, mais affectueusement.

  Une Marylin fit son entrée, visiblement masculine, avec des petites lunettes. C’est le banquier anglais, assez à l’aise, sauf de marcher en talons sans se fouler une cheville.

  Rires. La musique retentit au rez de chaussée, et par la fenêtre elle entend ses enfants hurler que la glace est arrivée.

  Elle descend tout rechecker pour la nième fois, le tarama est au frigo, les pilons de poulet, le taboulé, les quiches, et le saucisson est installé, devant les ribambelles de verres.

  Elle a une brusque envie de pleurer.

  « Ding dong ! » C’est sa copine du cabinet, elle est en jupe année soixante bouffante et gants blancs, faux-cils aussi, et son mari est en Men in black, facile, costume et cravate foncée, lunettes de soleil.

  Michael arrive, ou l’un des frères Jackson vu la perruque. Et puis un cow-boy et un agent du FBI.

  Puis Magnum, chemise hawaïenne et Rayban. Elle passe d’un groupe à l’autre mais gravite autour de sa petite bande, celle de ses seize ans.

  David a perdu tous ses cheveux sous la perruque frisée ; son amie Caroline a utilisé sa perruque de chimio jamais portée (elle préférait les foulards de marque) : « J’y crois pas ! Tu t’es mise en majorette ! C’est fun, et tu le fais en plus. »

  Elle n’écoute déjà plus sa copine qui lui explique que les bottes sont d’avenue Montaigne, et qu’il faut mettre chaque boucle l’une après l’autre. Elle passe de l’un à l’autre, gaie et tendue à la fois.

  La bande est là. Elle a l’impression de servir des flutes tout le temps. Champagne ! Elle danse et elle danse, ils se sont fait des hug, ils ont dansé en levant les jambes ensemble, puis disco et new wave comme au bon vieux temps. Ils ont remis Dépêche mode, et puis Imagination. «  Tinted love, tinted love, oooo! ». Elle est ivre, elle le sent.

  Sa sœur hurle au dessus de la musique : « C’est dingue, c’est les mêmes, ils dansent pareil ! ».

  Elle rit et se sent partir en arrière, quelqu’un la rattrape, elle tombe et voit une grande lumière, elle se sent bien pourtant.

  Elle se demande si c’est une bonne idée d’aller à New-York, et se dit que c’est trop tard.

  « J’ai vendu la voiture » et quand Caroline se penche pour comprendre, cela fait un vague marmonnement, et des larmes qui coulent s’en s’arrêter.

  Elvis arrive, elle était allée coucher les petits, et s’affole à voir sa sœur, à demi-dénudée, allongée par terre avec dix personnes autour et les lampes des spots qui continuent. « Allumez la lumière » hurle-t-elle.

  Et Marilyn lui répond « Darling, what’s going on, keep your temper!  Hey, you, please stop the music !».

  Elvis semble détester son mari un bref instant, et se penche sur sa sœur, en enlevant l
unettes et perruque pour dégager sa longue chevelure blonde. La lumière s’allume et rend tout le monde laid soudain, transpirant et haletant, les yeux cernés pour certains, les rides du cou se voyant vu d’en bas, et « les poils dans le nez aussi », se dit-elle.

  Elle fait un pauvre petit sourire à sa sœur blonde si blonde, et dit « Je suis contente de partir, je suis contente de partir ».

  Elle n’appellera plus jamais ce Julien qui soit disant veut quitter sa femme. Plus jamais.

  « Partir, Go, went, gone ».

  Et sa sœur entend juste « Gone », panique et demande à quelqu’un d’appeler le Samu.

  2009 Paris

  La passagère encombrante

 

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