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Le Calvaire

Page 22

by Octave Mirbeau


  Je n’essayai pas de la retenir… Affalé sur une chaise, immobile, sombre, la tête dans les mains, j’assistai aux préparatifs du départ, sans prononcer une parole, sans laisser échapper une prière… Juliette allait, venait, pliant ses robes, rangeant son nécessaire, refermant ses malles, et je n’entendais rien, je ne voyais rien, je ne savais rien… Des hommes entrèrent, dont les pas pesants faisaient craquer le plancher… Je compris qu’ils emportaient les malles. Juliette s’assit sur mes genoux.

  – Mon pauvre chéri, pleurait-elle, cela te fait de la peine que je m’en aille ainsi… Il le faut… sois sage… Et puis, bientôt, je reviendrai… pour longtemps… Ne sois pas ainsi… Je reviendrai… Je te le promets… J’emmènerai Spy… J’emmènerai un cheval aussi, pour me promener, tu veux, pas ?… Tu verras comme ta petite femme monte bien… Embrasse-moi donc, mon Jean !… Pourquoi ne m’embrasses-tu pas ?… Jean voyons !… Adieu ! Je t’adore !… Adieu !

  * * *

  Il faisait nuit quand la mère Le Gannec pénétra dans ma chambre. Elle alluma la lampe et, doucement, s’approcha de moi.

  – Nostre Mintié ! nostre Mintié !

  Je levai les yeux vers elle, et elle était si triste, il y avait en elle tant de miséricordieuse pitié, que je me précipitai dans ses bras.

  – Ah ! mère Le Gannec ! mère Le Gannec !… sanglotai-je. Et c’est de ça que je meurs… De ça !

  Et tendrement, la mère Le Gannec murmura :

  – Nostre Mintié, pourquoi que vous ne priez pas le bon Dieu ?… Ça vous soulagerait !

  Chapitre 10

  Voilà huit jours que je ne puis dormir. J’ai, sur le crâne, un casque de fer rougi. Mon sang bout, on dirait que mes artères tendues se rompent, et je sens de grandes flammes qui me lèchent les reins. Ce qui restait d’humain en moi, ce que la douleur morale avait laissé, sous les ordures entassées, de pudeur, de remords, de respect, d’espoirs vagues, ce qui me rattachait, par un lien, si faible fût-il, à la catégorie des êtres pensants, tout cela a été emporté par une folie de brute forcenée… Je n’ai plus la notion du bien, du vrai, du juste, des lois inflexibles de la nature. Les répulsions sexuelles d’un règne à l’autre qui maintiennent les mondes en une harmonie constante, je n’en ai plus conscience : tout se meut, se confond en une fornication immense et stérile, et, dans le délire de mes sens, je ne rêve que d’impossibles embrassements… Non seulement l’image de Juliette prostituée ne m’est plus une torture, elle m’exalte au contraire… Et je la cherche, je la retiens, je tâche de la fixer par d’ineffaçables traits, je la mêle aux choses, aux bêtes, aux mythes monstrueux, et, moi-même, je la conduis à des débauches criminelles, fouettée par des verges de fer… Juliette n’est plus la seule dont l’image me tente et me hante… Gabrielle, la Rabineau, la mère Le Gannec, la demoiselle de Landudec défilent toujours, devant moi, dans des postures infâmes… Ni la vertu, ni la bonté, ni le malheur, ni la vieillesse sainte ne m’arrêtent et, pour décors à ces épouvantables folies, je choisis de préférence les endroits sacrés et bénits, les autels des églises, les tombes des cimetières… Je ne souffre plus dans mon âme, je ne souffre plus que dans ma chair… Mon âme est morte dans le dernier baiser de Juliette, et je ne suis plus qu’un moule de chair immonde et sensible, dans lequel les démons s’acharnent à verser des coulées de fonte bouillonnante !… Ah ! je n’avais pas prévu ce châtiment !

  L’autre jour, sur la grève, j’ai rencontré une pêcheuse de palourdes… Elle était noire, sale, puante, semblable à un tas de goémon pourrissant. Je me suis approché d’elle avec des gestes fous… Et, subitement, je me suis enfui, car j’avais la tentation infernale de me ruer sur ce corps et de le renverser, parmi les galets et les flaques d’eau… À travers la campagne, je marche, je marche, les narines au vent, flairant, comme un chien de chasse, des odeurs de femelles… Une nuit, la gorge en feu, le cerveau affolé par des visions abominables, je m’engage dans les ruelles tortueuses du village, frappe à la porte d’une fille à matelots… Et je suis entré dans ce bouge… Mais sitôt que j’ai senti sur ma peau cette peau inconnue, j’ai poussé un cri de rage… et j’ai voulu partir… Elle me retenait.

  – Laisse-moi ! ai-je crié.

  – Pourquoi t’en vas-tu ?

  – Laisse-moi.

  – Reste… Je t’aimerai… Sur la côte, souvent, je t’ai suivi… Souvent, près de la maison que tu habites, j’ai rôdé… Je voulais de toi… Reste !

  – Mais laisse-moi donc ! Tu ne vois pas que tu me dégoûtes !…

  Et comme elle se penchait à mon cou, je l’ai battue… Elle gémissait :

  – Ah ! ma Doué ! il est fou !

  Fou !… Oui, je suis fou !… Je me suis regardé dans la glace et j’ai eu peur de moi… Mes yeux agrandis s’effarent au fond de l’orbite qui se creuse ; les os pointent, trouant ma peau jaunie ; ma bouche est pâle, tremblante, elle pend, pareille à celle des vieillards lubriques… Mes gestes s’égarent, et mes doigts, sans cesse agités de secousses nerveuses, craquent, cherchant des proies, dans le vide…

  Fou !… Oui, je suis fou !… Lorsque la mère Le Gannec tourne autour de moi, lorsque j’entends glisser ses chaussons sur le plancher, lorsque sa robe me frôle, des pensées de crime me viennent, m’obsèdent, me talonnent et je crie :

  – Allez-vous-en !… mère Le Gannec, allez-vous-en !

  Fou !… Oui, je suis fou !… Souvent la nuit j’ai passé des heures à la porte de sa chambre, la main sur la clef de la serrure, prêt à me précipiter dans l’ombre… Je ne sais ce qui m’a retenu… La peur, sans doute ; car je me disais : « Elle se débattra, criera, appellera, et je serai forcé de la tuer !… » Une fois, surprise par le bruit, elle s’est levée… Me voyant en chemise, les jambes nues, elle est restée un moment stupéfaite.

  – Comment !… c’est vous, nostre Mintié !… Qu’est-ce que vous faites ici ?… Êtes-vous malade ?

  J’ai balbutié des mots incohérents, et je suis remonté…

  Ah ! que l’on me chasse, que l’on me traque, que l’on me poursuive avec des fourches, des pieux et des faux, comme on fait d’un chien enragé !… Est-ce que des hommes n’entreront pas, là, tout à l’heure, qui se jetteront sur moi, me bâillonneront et m’emporteront dans l’éternelle nuit du cabanon !

  Il faut que je parte !… Il faut que je retrouve Juliette !… Il faut que j’épuise sur elle cette rage maudite !…

  Quand l’aube paraîtra, je descendrai, et je dirai à la mère Le Gannec :

  – Mère Le Gannec, il faut que je parte !… Donnez-moi de l’argent… Je vous le rendrai plus tard… Donnez-moi de l’argent… il faut que je parte !…

  Chapitre 11

  Juliette m’avait choisi, dans le faubourg Saint-Honoré, tout près de la rue de Balzac, une chambre, au second étage d’un petit hôtel meublé. Les meubles étaient de guingois, les tapisseries, les tiroirs s’ouvraient en grinçant, une odeur aigre de bois suri, de poussière ancienne, imprégnait les rideaux des fenêtres et les draperies du lit ; mais elle avait su donner, en plaçant çà et là quelques bibelots, un aspect plus intime à cette pièce banale et froide où tant d’existences inconnues avaient passé sans laisser de trace aucune. Juliette avait tenu aussi à ranger elle-même mes affaires, dans l’armoire, qu’elle bourrait de paquets d’iris.

  – Tu vois, mon chéri… ici les chaussettes… là les chemises de nuit… j’ai mis tes cravates dans le tiroir… tes mouchoirs sont là… J’espère qu’elle a de l’ordre, ta petite femme… Et puis, tous les jours, je te porterai une fleur qui sent bon… Allons ne sois pas triste… Dis-toi bien que je t’aime, que je n’aime que toi, que je viendrai souvent… Ah ! tes caleçons que j’ai oubliés !… Je te les enverrai par Célestine, avec ma photographie dans le beau cadre en peluche rouge… Ne t’ennuie pas, pauvre mignon !… Tu sais, si ce soir, à minuit et demi, je ne suis pas là, ne m’attends pas… Couche-toi… Dors bien… Tu me promets ?

  Et jetant un dernier coup d’œil sur la chambre, elle était partie.

  Tous les jou
rs, en effet, Juliette revenait, en allant au Bois, et en rentrant chez elle, avant le dîner. Elle ne restait que deux minutes, fiévreuse, agitée par une hâte d’être dehors ; le temps de m’embrasser, le temps d’ouvrir l’armoire, pour se rendre compte si les choses étaient dans le même ordre.

  – Allons ! je m’en vais… Ne sois pas triste… je vois que tu as encore pleuré… Ça n’est pas gentil ! Pourquoi me faire de la peine ?

  – Juliette ! te verrai-je ce soir ?… Oh ! je t’en prie, ce soir !

  – Ce soir ?

  Elle réfléchissait un instant.

  – Ce soir, oui, mon chéri… Enfin, ne m’attends pas trop… Couche-toi… Dors bien… Surtout, ne pleure pas… Tu me désespères !… Vraiment, on ne sait comment être avec toi !

  Et je vivais là, vautré sur le canapé, ne sortant presque jamais, comptant les minutes qui, lentement, lentement, goutte à goutte, tombaient dans l’éternité de l’attente.

  À l’exaltation furieuse de mes sens avait succédé un grand accablement… Je demeurais des après-midi entiers, sans bouger, la chair battue, les membres pesants, le cerveau engourdi, comme au lendemain d’une ivresse. Ma vie ressemblait à un sommeil lourd, que traversent des rêves pénibles, coupés par de brusques réveils, plus pénibles encore que les rêves, et dans l’anéantissement de ma volonté, dans l’effacement de mon intelligence, je ressentais plus vive encore l’horreur de ma déchéance morale. Avec cela, la vie de Juliette me jetait en des angoisses perpétuelles… Comme autrefois, sur la dune du Ploc’h, il ne m’était pas possible de chasser l’image de boue, qui grandissait, devenait plus nette, et revêtait des formes plus cruelles… Perdre un être qu’on aime, un être de qui toutes vos joies vous sont venues, dont le souvenir ne se mêle qu’à des souvenirs de bonheur, cela vous est une douleur déchirante… Mais où il y a une douleur, il y a aussi une consolation, et la souffrance s’endort en quelque sorte bercée par sa tendresse même… Moi, je perdais Juliette, je la perdais, chaque jour, chaque heure, chaque minute, et à ces morts successives, à ces morts impénitentes, je ne pouvais rattacher que des souvenirs suppliciants et des souillures… J’avais beau chercher, sur la vase remuée de nos deux cœurs, une fleur, une toute petite fleur dont il eût été si bon de respirer le parfum, je ne la trouvais pas… Et cependant, je ne concevais rien sans Juliette. Toutes mes pensées avaient Juliette pour point de départ, Juliette pour aboutissement ; et plus elle m’échappait, plus je m’acharnais dans l’idée absurde de la reconquérir. Je n’espérais pas, emportée, comme elle l’était, dans cette existence de plaisirs mauvais, qu’elle s’arrêtât jamais ; pourtant, malgré moi, malgré elle, je formais des projets d’avenir meilleur. Je me disais : « Il n’est pas possible qu’un jour le dégoût ne la prenne, qu’un jour la douleur n’éveille en son âme un remords, une pitié ; et elle me reviendra. Alors, nous nous en irons dans un appartement d’ouvrier, et moi, comme un forçat, je travaillerai… J’entrerai dans le journalisme, je publierai des romans, j’implorerai des besognes de copiste… » Hélas ! je m’efforçais de croire à tout cela, afin d’atténuer l’état d’abjection où j’étais descendu. Avec le produit de la vente des deux études de Lirat, des quelques bijoux que je possédais, de mes livres, j’avais réalisé une somme de quatre mille francs que je gardais précieusement, pour cette chimérique éventualité… Une fois que Juliette était songeuse et plus tendre qu’à l’ordinaire, j’osai lui communiquer ce projet admirable… Elle battit des mains.

  – Oui ! oui !… Ah ! ce serait si amusant !… Un tout petit appartement, tout petit, tout petit !… Je ferais le ménage, j’aurais de jolis bonnets, un joli tablier !… Mais c’est impossible avec toi ! Quel dommage !… C’est impossible !

  – Pourquoi donc est-ce impossible ?

  – Mais parce que tu ne travailleras pas, et que nous mourrons de faim… C’est ta nature, comme ça !… As-tu travaillé au Ploc’h !… Travailleras-tu maintenant ?… Jamais tu n’as travaillé !…

  – Le puis-je ?… Tu ne sais donc pas que ta pensée ne me quitte pas un seul instant ?… C’est tout l’inconnu de ta vie, c’est la douleur atroce de ce que je sens, de ce que je devine de toi, qui me ronge, qui me dévore, qui me vide les moelles !… Quand tu n’es pas là, j’ignore où tu es, et pourtant je suis là, où tu es, toujours !… Ah ! si tu voulais !… Te savoir près de moi, aimante et tranquille, loin de ce qui salit et de ce qui torture… Mais j’aurais la force d’un Dieu !… De l’argent !… De l’argent ! mais je t’en gagnerais par pelletées, par tombereaux !… Ah ! Juliette, si tu voulais ! si tu voulais !…

  Elle me regardait, excitée par ce grand bruit d’or que mes paroles faisaient tinter à ses oreilles.

  – Eh bien, gagnes-en tout de suite, mon chéri… Oui, beaucoup, des tas !… Et ne pense pas à ces vilaines choses qui te font du mal… Les hommes, est-ce drôle !… Ça ne veut pas comprendre !

  Tendrement, elle s’assit sur mes genoux.

  – Puisque je t’adore, mon cher mignon !… Puisque les autres, je les déteste, et qu’ils n’ont rien de moi, tu entends, rien… Puisque je suis bien malheureuse !…

  Les yeux pleins de larmes, elle cherchait à se faire toute petite contre moi, et répétait : « Oui, bien, bien malheureuse !… » J’en avais horreur et pitié…

  – Ah ! il croit que c’est par plaisir ! s’écria-t-elle en sanglotant, il croit cela !… Mais si je n’avais pas mon Jean pour me consoler, mon Jean pour me bercer, mon Jean pour me donner du courage, je ne pourrais plus… je ne pourrais plus… J’aimerais mieux mourir.

  Brusquement, changeant d’idée, et d’une voix où il me sembla entendre les regrets gémir :

  – D’abord, pour ça… pour le petit appartement… il faudrait de l’argent, et tu n’en as pas !

  – Mais si, ma chérie… Mais si, clamai-je triomphalement, j’ai de l’argent !… Nous avons de quoi vivre deux mois, trois mois, en attendant que je conquière une fortune !

  – Tu as de l’argent ?… Fais voir.

  J’étalai devant elle les quatre billets de mille francs. Juliette les saisit dans sa main, un à un, âprement, les compta, les examina. Ses yeux luisaient, étonnés et charmés.

  – Quatre mille francs, mon chéri !… Comment, tu as quatre mille francs ?… Mais tu es riche !… Alors…

  Elle se pendit à mon cou, caressante.

  – Alors, reprit-elle, puisque tu es très riche… J’ai envie d’un petit nécessaire de voyage que j’ai vu, rue de la Paix !… Tu veux me l’acheter, mon chéri ; tu veux, pas ?

  Je reçus au cœur un coup si douloureux que je faillis tomber sur le plancher ; et un flot de larmes m’aveugla. Pourtant, j’eus le courage de demander :

  – Qu’est-ce qu’il vaut, ton nécessaire ?

  – Deux mille francs, mon chéri.

  – C’est bien !… Prends deux mille francs… Tu l’achèteras toi-même.

  Juliette me baisa au front, prit deux billets qu’elle enfouit précipitamment dans la poche de son manteau, et son regard attaché sur les deux qui restaient et qu’elle regrettait sans doute de ne pas m’avoir demandés, elle dit :

  – Vrai ?… Tu veux bien ?… Ah ! c’est gentil !… Cela fait que si tu retournes au Ploc’h, j’irai te voir avec mon nécessaire tout neuf.

  Quand elle fut partie, je m’abandonnai à une violente colère contre elle, contre moi surtout, et, la colère apaisée, tout d’un coup, je m’étonnai de ne plus souffrir… Oui, en vérité, je respirais plus librement, j’étendais les bras avec des gestes forts, j’avais dans les jarrets une élasticité nouvelle ; enfin, on eût dit que quelqu’un venait de m’enlever le poids écrasant que je portais depuis si longtemps sur les épaules… J’éprouvais une joie très vive à détendre mes membres, à faire jouer mes articulations, à étirer mes nerfs, ainsi qu’il arrive, le matin, au saut du lit… Ne me réveillais-je pas, en effet, d’un sommeil aussi pesant que la mort ? Ne sortais-je pas d’une sorte de catalepsie, où tout mon être engourdi avait connu les cauchemars horribles du néant ?… J’étais
comme un enseveli qui retrouve la lumière, comme un affamé à qui on donne un morceau de pain, comme un condamné à mort qui reçoit sa grâce… J’allai à la fenêtre et regardai dans la rue. Le soleil coupait d’un angle doré les maisons en face de moi ; sur le trottoir, des gens passaient vite, affairés, avec des figures heureuses ; des voitures se croisaient sur la chaussée, joyeusement… Le mouvement, l’activité, le bruit de la vie me grisaient, m’enthousiasmaient, m’attendrissaient, et je m’écriai :

  – Je ne l’aime plus ! Je ne l’aime plus !

  Dans l’espace d’une seconde, j’eus la vision très nette d’une existence nouvelle de travail et de bonheur. Me laver de cette boue, reprendre le rêve interrompu, j’en avais hâte ; non seulement je voulais racheter mon honneur, mais je voulais conquérir la gloire, et la conquérir si grande, si incontestée, si universelle, que Juliette crevât de dépit d’avoir perdu un homme tel que moi. Je me voyais déjà, dans la postérité, en bronze, en marbre, hissé sur des colonnes et des piédestaux symboliques, emplissant les siècles futurs de mon image immortalisée. Et ce qui me réjouissait surtout, c’était de penser que Juliette n’aurait pas une parcelle de gloire, et que je la repousserais impitoyablement, hors de mon soleil.

  Je descendis et, pour la première fois depuis plus de deux ans, je ressentis un plaisir délicieux à me trouver dans la rue… Je marchais rapidement, les reins souples, l’allure victorieuse, intéressé par les spectacles les plus simples qui me semblèrent nouveaux. Et je me demandais avec stupeur comment j’avais pu être malheureux aussi longtemps, comment mes yeux ne s’étaient pas ouverts plus vite à la vérité… Ah ! la méprisable Juliette !… Comme elle avait dû rire de mes soumissions, de mes aveuglements, de mes pitiés, de mes inconcevables folies !… Sans doute, elle racontait à ses amants de hasard mes douleurs imbéciles, et ils s’excitaient à l’amour en se moquant de moi !… Mais j’aurais ma revanche, et cette revanche serait terrible !… Bientôt Juliette se roulerait à mes pieds, suppliante ; elle implorerait son pardon.

 

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