Book Read Free

Works of Honore De Balzac

Page 1336

by Honoré de Balzac


  II.

  Le regard, la voix, la respiration, la démarche sont identiques ; mais, comme il n’a pas été donné à l’homme de pouvoir veiller à la fois sur ces quatre expressions diverses et simultanées de sa pensée, cherchez celle qui dit vrai ; vous connaîtrez l’homme tout entier.

  EXEMPLE

  M.S. n’est pas seulement chimiste et capitaliste, il est profond observateur et grand philosophe.

  M.O. n’est pas seulement un spéculateur, il est homme d’État. Il tient et de l’oiseau de proie et du serpent ; il emporte des trésors et sait charmer les gardiens.

  Ces deux hommes aux prises ne doivent-ils pas offrir un admirable combat, en luttant ruse contre ruse, dires contre dires, mensonge à outrance, spéculation au poing, chiffre en tête ?

  Or, ils se sont rencontrés un soir, au coin d’une cheminée, sous le feu des bougies, le mensonge sur les lèvres, dans les dents, au front, dans l’oeil, sur la main ; ils en étaient armés de pied en cap. Il s’agissait d’argent. Ce duel eut lieu sous l’empire.

  M.O., qui avait besoin de cinq cent mille francs pour le lendemain, se trouvait, à minuit, debout à côté de S.

  Voyez-vous bien S., homme de bronze, vrai Shylock qui, plus rusé que son devancier, prendrait la livre de chair avant le prêt ; le voyez-vous accosté par O., l’Alcibiade de la banque, l’homme capable d’emprunter successivement trois royaumes sans les restituer, et capable de persuader à tout le monde qu’il les a enrichis ? Suivez-les : M.O. demande légèrement à M.S. cinq cent mille francs pour vingt-quatre heures, en lui promettant de les lui rendre en telles et telles valeurs.

  - Monsieur, dit M.S. à la personne de qui je tiens cette précieuse anecdote, quand O. me détailla les valeurs, le bout de son nez vint à blanchir, du côté gauche seulement, dans le léger cercle décrit par un méplat qui s’y trouve. J’avais déjà eu l’occasion de remarquer que toutes les fois que O. mentait, ce méplat devenait blanc. Ainsi je sus que mes cinq cent mille francs seraient compromis pendant un certain temps...

  - Eh bien ? lui demanda-t-on.

  - Eh bien..., reprit-il.

  Et il laissa échapper un soupir.

  - Eh bien, ce serpent me tint pendant une demi-heure, je lui promis les cinq cent mille francs, et il les eut.

  - Les a-t-il rendus ?

  S. pouvait calomnier O. Sa haine bien connue lui en donnait le droit, à une époque où l’on tue ses ennemis à coups de langue. Je dois dire, à la louange de cet homme bizarre, qu’il répondit : « Oui » . Mais ce fut piteusement. Il aurait voulu pouvoir accuser son ennemi d’une tromperie de plus.

  Quelques personnes disent M.O. encore plus fort en fait de dissimulation que ne l’est M. le prince de Bénévent. Je le crois volontiers. Le diplomate ment pour le compte d’autrui, le banquier ment pour lui-même. Eh bien, ce moderne Bourvalais, qui a pris l’habitude d’une admirable immobilité des traits, d’une complète insignifiance dans le regard, d’une imperturbable égalité dans la voix, d’une habile démarche, n’a pas su dompter le bout de son nez. Chacun de nous a quelque méplat où triomphe l’âme, un cartilage d’oreille qui rougit, un nerf qui tressaille, une manière trop significative de déplier les paupières, une ride qui se creuse intempestivement, une parlante pression de lèvres, un éloquent tremblement dans la voix, une respiration qui se gêne. Que voulez-vous ! Le vice n’est pas parfait.

  Donc, mon axiôme subsiste. Il domine toute cette théorie ; il en prouve l’importance. La pensée est comme la vapeur. Quoi que vous fassiez, et quelque subtile qu’elle puisse être, il lui faut sa place, elle la veut, elle la prend, elle reste même sur le visage d’un homme mort. Le premier squelette que j’ai vu était celui d’une jeune fille morte à vingt-deux ans.

  - Elle avait la taille fine et devait être gracieuse, dis-je au médecin.

  Il parut surpris. La disposition des côtes et je ne sais quelle bonne grâce de squelette trahissait encore les habitudes de la démarche. Il existe une anatomie comparée morale, comme une anatomie comparée physique. Pour l’âme, comme pour le corps, un détail mène logiquement à l’ensemble. Il n’y a certes pas deux squelettes semblables ; et, de même que les poisons végétaux se retrouvent en nature, dans un temps voulu, chez l’homme empoisonné, de même les habitudes de la vie reparaissent aux yeux du chimiste moral, soit dans les sinus du crâne, soit dans les attachements des os de ceux qui ne sont plus.

  Mais les hommes sont beaucoup plus naïfs qu’ils ne le croient, et ceux qui se flattent de dissimuler leur vie intime sont des faquins. Si vous voulez dérober la connaissance de vos pensées, imitez l’enfant ou le sauvage, ce sont vos maîtres.

  En effet, pour pouvoir cacher sa pensée, il faut n’en avoir qu’une seule. Tout homme complexe se laisse facilement deviner. Aussi tous les grands hommes sont-ils joués par un être qui leur est inférieur.

  L’âme perd en force centripète ce qu’elle gagne en force centrifuge.

  Or, le sauvage et l’enfant font converger tous les rayons de la sphère dans laquelle ils vivent à une idée, à un désir ; leur vie est monophile, et leur puissance gît dans la prodigieuse unité de leurs actions.

  L’homme social est obligé d’aller continuellement du centre à tous les points de la circonférence ; il a mille passions, mille idées, et il existe si peu de proportion entre sa base et l’étendue de ses oérations, qu’à chaque instant il est pris en flagrant délit de faiblesse.

  De là le grand mot de William Pitt : « Si j’ai fait tant de choses, c’est que je n’en ai jamais voulu qu’une seule à la fois. » De l’inobservation de ce précepte ministériel procède le naïf langage de la démarche. Qui de nous pense à marcher en marchant ? Personne.

  Bien plus, chacun se fait gloire de marcher en pensant.

  Mais lisez les relations écrites par les voyageurs qui ont le mieux observé les peuplades improprement nommées sauvages ; lisez le baron de la Hontan, qui a fait les Mohicans avant que Cooper y songeât, et vous verrez, à la honte des gens civilisés, quelle importance les barbares attachent à la démarche. Le sauvage, en présence de ses semblables, n’a que des mouvements lents et graves ; il sait, par expérience, que plus les manifestations extérieures se rapprochent du repos, et plus impénétrable est la pensée. De là cet axiôme :

  III.

  Le repos est le silence du corps.

  IV.

  Le mouvement lent est essentiellement majestueux.

  Croyez-vous que l’homme dont parle Virgile, et dont l’apparition calmait le peuple en fureur, arrivât devant la sédition en sauillant ?

  Ainsi nous pouvons établir en principe que l’économie du mouvement est un moyen de rendre la démarche et noble et gracieuse. Un homme qui marche vite ne dit-il pas déjà la moitié de son secret ? Il est pressé. Le docteur Gall a observé que la pesanteur de la cervelle, le nombre de ses circonvolutions, étaient, chez tous les êtres organisés, en rapport avec la lenteur de leur mouvement vital. Les oiseaux ont peu d’idées. Les hommes qui vont habituellement vite doivent avoir généralement la tête pointue et le front déprimé. D’ailleurs, logiquement, l’homme qui marche beaucoup arrive nécessairement à l’état intellectuel du danseur de l’Opéra.

  Suivons.

  Si la lenteur bien entendue de la démarche annonce un homme qui a du temps à lui, du loisir, conséquemment un riche, un noble, un penseur, un sage, les détails doivent nécessairement s’accorder avec le principe ; alors, les gestes seront peu fréquents et lents. De là cet autre aphorisme :

  V.

  Tout mouvement saccadé trahit un vice, ou une mauvaise éducation.

  N’avez-vous pas souvent ri des gens qui virvouchent ?

  Virvoucher est un admirable mot du vieux français, remis en lumière par Lautour-Mézeray. Virvoucher exprime l’action d’aller et de venir, de tourner autour de quelqu’un, de toucher à tout, de se lever, de se rasseoir, de bourdonner, de tatillonner ; virvoucher, c’est faire une certaine quantité de mouvements qui n’ont pas de but ; c’est imiter les mouches. Il faut toujours
donner la clef des champs aux virvoucheurs ; ils vous cassent la tête ou quelque meuble précieux.

  N’avez-vous pas ri d’une femme dont tous les mouvements de bras, de tête, de pied ou de corps, produisent des angles aigus ?

  Des femmes qui vous tendent la main comme si quelque ressort faisait partir leur coude ?

  Qui s’asseyent tout d’une pièce, ou qui se lèvent comme le soldat d’un joujou à surprise ?

  Ces sortes de femmes sont très souvent vertueuses.

  La vertu des femmes est intimement liée à l’angle droit. Toutes les femmes qui ont fait ce que l’on nomme des fautes sont remarquables par la rondeur exquise de leurs mouvements.

  Si j’étais mère de famille, ces mots sacramentels de maître à danser Arrondissez les coudes me feraient trembler pour mes filles. De là cet axiôme :

  VI.

  La grâce veut des formes rondes.

  Voyez la joie d’une femme qui peut dire de sa rivale : « Elle est bien anguleuse ! » Mais, en observant les différentes démarches, il s’éleva dans mon âme un doute cruel, et qui me prouva qu’en toute espèce de science, même dans la plus frivole, l’homme est arrêté par d’inextricables difficultés ; il lui est aussi impossible de connaître la cause et la fin de ses mouvements que de savoir celles des pois chiches.

  Ainsi, tout d’abord, je me demandai d’où devait procéder le mouvement. Eh bien, il est aussi difficile de déterminer où il commence et où il finit en nous, que de dire où commence et où finit le grand sympathique , cet organe intérieur qui, jusqu’à présent, a lassé la patience de tant d’observateurs. Borelli lui-même, le grand Borelli, n’a pas abordé l’immense question. N’est-il pas effrayant de trouver tant de problèmes insolubles dans un acte vulgaire, dans un mouvement que huit cent mille parisiens font tous les jours ?

  Il est résulté de mes profondes réflexions sur cette difficulté l’aphorisme suivant, que je vous prie de méditer :

  VII.

  Tout en nous participe du mouvement, mais il ne doit prédominer nulle part.

  En effet, la nature a construit l’appareil de notre motilité d’une façon si ingénieuse et si simple, qu’il en résulte, comme en toutes ses créations, une admirable harmonie ; et, si vous la dérangez par une habitude quelconque, il y a laideur et ridicule, parce que nous ne nous moquons jamais que des laideurs dont l’homme est coupable : nous sommes impitoyables pour des gestes faux, comme nous le sommes pour l’ignorance ou pour la sottise.

  Ainsi, de ceux qui passèrent devant moi et m’apprirent les premiers principes de cet art jusqu’à présent dédaigné, le premier de tous fut un gros monsieur.

  Ici, je ferai observer qu’un écrivain éminemment spirituel a favorisé plusieurs erreurs, en les soutenant par son suffrage. Brillat-Savarin a dit qu’il était possible à un homme gros de contenir son ventre au majestueux . Non. Si la majesté ne va pas sans une certaine amplitude de chair, il est impossible de prétendre à une démarche dès que le ventre a rompu l’équilibre entre les parties du corps. La démarche cesse à l’obésité. Un obèse est nécessairement forcé de s’abandonner au faux mouvement introduit dans son économie par son ventre qui la domine.

  EXEMPLE

  Henry Monnier aurait certainement fait la caricature de ce gros monsieur, en mettant une tête au-dessus d’un tambour et dessous les baguettes en X. Cet inconnu semblait, en marchant, avoir peur d’écraser des oeufs. Assurément, chez cet homme, le caractère spécial de la démarche était complètement aboli. Il ne marchait pas plus que les vieux canonniers n’entendent.

  Autrefois, il avait eu le sens de la locomotion, il avait sautillé peut-être ; mais aujourd’hui le pauvre homme ne se comprenait plus marcher. Il me fit l’aumône de toute sa vie et d’un monde de réflexions. Qui avait amolli ses jambes ?

  D’où provenaient sa goutte, son embonpoint ?

  Étaient-ce les vices ou le travail qui l’avaient déformé ? Triste réflexion ! Le travail qui édifie et le vice qui détruit produisent en l’homme les même résultats. Obéissant à son ventre, ce pauvre riche semblait tordu. Il ramenait péniblement ses jambes, l’une après l’autre, par un mouvement traînant et maladif, comme un mourant qui résiste à la mort, et se laisse traîner de force par elle sur le bord de la fosse.

  Par un singulier contraste, derrière lui venait un homme qui allait, les mains croisées derrière le dos, les épaules effacées, tendues, les omoplates rapprochées ; il était semblable à un perdreau servi sur une rôtie. Il paraissait n’avancer que par le cou, et l’impulsion était donnée à tout son corps par le thorax.

  Puis, une jeune demoiselle, suivie d’un laquais, vint, sautant sur elle-même à l’instar des anglaises. Elle ressemblait à une poule dont on a coupé les ailes, et qui essaye toujours de voler. Le principe de son mouvement semblait être à la chute de ses reins. En voyant son laquais armé d’un parapluie, vous eussiez dit qu’elle craignait d’en recevoir un coup dans la partie d’où partait son quasi-vol. C’était une fille de bonne maison, mais très gauche, indécente le plus innocemment du monde.

  Après, je vis un homme qui avait l’air d’être composé de deux compartiments. Il ne risquait sa jambe gauche, et tout ce qui en dépendait, qu’après avoir assuré la droite et tout son système. Il appartenait à la faction des binaires.

  Évidemment son corps devait avoir été primitivement fendu en deux par une révolution quelconque, et il s’est miraculeusement mais imparfaitement ressoudé. Il avait deux axes, sans avoir plus d’un cerveau.

  Bientôt ce fut un diplomate, personnage squelettique, marchant tout d’une pièce comme ces pantins dont Joly oublie de tirer les ficelles ; vous l’eussiez cru serré comme une momie dans ses bandelettes. Il était pris dans sa cravate comme une pomme dans un ruisseau par un temps de gelée. S’il se retourne, il est clair qu’il est fixé sur un pivot et qu’un passant l’a heurté.

  Cet inconnu m’a prouvé la nécessité de formuler cet axiôme :

  VIII.

  Le mouvement humain se décompose en TEMPS bien distincts ; si vous les confondez, vous arrivez à la roideur de la mécanique.

  Une jolie femme, se défiant de la proéminence de son busc, ou gênée je ne sais par quoi, s’était transformée en Vénus callipyge et allait comme une pintade, tendant le cou, rentrant son busc, et bombant la partie opposée à celle sur laquelle appuyait le busc.

  En effet, l’intelligence doit briller dans les actes imperceptibles et successifs de notre mouvement, comme la lumière et les couleurs se jouent dans les losanges des changeants anneaux du serpent. Tout le secret des belles démarches est dans la décomposition du mouvement.

  Puis venait une dame qui se creusait également comme la précédente. Vraiment, s’il y en avait eu une troisième, et que vous les eussiez observées, vous n’auriez pas pu vous empêcher de rire des demi-lunes toutes faites par ces protubérances exorbitantes.

  La saillie prodigieuse de ces choses, que je ne saurais nommer, et qui dominent singulièrement la question de la démarche féminine, surtout à Paris, m’a longtemps préoccupé. Je consultai des femmes d’esprit, des femmes de bon goût, des dévotes. Après plusieurs conférences où nous discutâmes le fort et le faible, en conciliant les égards dus à la beauté, au malheur de certaines conformations diaboliquement rondes, nous rédigeâmes cet admirable aphorisme :

  IX.

  En marchant, les femmes peuvent tout montrer, mais ne rien laisser voir.

  - Mais certainement ! s’écria l’une des dames consultées, les robes n’ont été faites que pour cela.

  Cette femme a dit une grande vérité. Toute notre société est dans la jupe. Ôtez la jupe à la femme, adieu la coquetterie ; plus de passion. Dans la robe est toute sa puissance : là où il y a des pagnes, il n’y a pas d’amour. Aussi bon nombre de commentateurs, les Massorets surtout, prétendent que la feuille de figuier de notre mère Ève était une robe de cachemire. Je le pense.

  Je ne quitterai pas cette question secondaire sans dire deux mots sur une dissertation vraiment
neuve qui eut lieu pendant ces conférences : UNE FEMME DOIT-ELLE RETROUSSER SA ROBE EN MARCHANT ? Immense problème, si vous vous rappelez combien de femmes empoignent sans grâce, au bas du dos, un paquet d’étoffe, et vont en faisant décrire, par en bas, un immense hiatus à leurs robes ; combien de pauvres filles marchent innocemment en tenant leurs robes transversalement relevées, de manière à tacer un angle dont le sommet est au pied droit, dont l’ouverture arrive au-dessus du mollet gauche, et qui laissent voir ainsi leurs bas bien blancs, bien tendus, le système de leurs cothurnes, et quelques autres choses. À voir les jupes de femmes aini retroussées, il semble que l’ont ait relevé par un coin le rideau d’u théâtre, et qu’on aperçoive les pieds des danseuses.

  Et d’abord il passa en force de chose jugée que les femmes de bon goût ne sortaient jamais à pied par un temps de pluie ou quand les rues étaient crottées ; puis il fut décidé souverainement qu’une femme ne devait jamais toucher à sa jupe en public et ne devait jamais la retrousser sous aucun prétexte.

  - Mais cependant, dis-je, s’il y avait un ruisseau à passer ?

  - Eh bien, Monsieur, une femme comme il faut pince légèrement sa robe du côté gauche, la soulève, se hausse par un petit mouvement, et lâche aussitôt la robe. Ecco. Alors je me souvins de la magnificence des plis de certaines robes ; alors je me rappelai les admirables ondulations de certaines personnes, la grâce des sinuosités, des flexuosités mouvantes de leurs cottes, et je n’ai pu résister à consigner ici ma pensée :

  X.

  Il y a des mouvements de jupe qui valent un prix Montyon.

  Il demeure prouvé que les femmes ne doivent lever leur robe que très secrètement. Ce principe passera pour incontestable en France.

 

‹ Prev