Works of Honore De Balzac

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Works of Honore De Balzac Page 1338

by Honoré de Balzac


  Jeunes, on nous voit ; vieux, il faut nous faire voir : cela est dur, mais cela est vrai.

  Le mouvement doux est à la démarche ce que le simple est au vêtement. L’animal se meut toujours avec douceur à l’état normal. Aussi rien n’est-il plus ridicule que les grands gestes, les secousses, les voix hautes et flûtées, les révérences pressées. Vous regardez pendant un moment les cascades ; mais vous restez des heures entières au bord d’une profonde rivière ou devant un lac. Aussi un homme qui fait beaucoup de mouvement est-il comme un grand parleur ; on le fuit. La mobilité extérieure ne sied à personne ; il n’y a que les mères qui puissent supporter l’agitation de leurs enfants.

  Le mouvement humain est comme le style du corps : il faut le corriger beaucoup pour l’amener à être simple. Dans ses actions comme dans ses idées, l’homme va toujours du composé au simple. La bonne éducation consiste à laisser aux enfants leur naturel, et à les empêcher d’imiter l’exagération des grandes personnes.

  Il y a dans les mouvements une harmonie dont les lois sont précises et invariables. En racontant une histoire, si vous élevez la voix subitement, n’est-ce pas un coup d’archet violent qui affecte désagréablement les auditeurs ? Si vous faites un geste brusque, vous les inquiétez. En fait de maintien, comme en littérature, le secret du beau est dans les transitions.

  Méditez ces principes, appliquez-les, vous plairez.

  Pourquoi ? Personne ne le sait. En toute chose, le beau se sent et ne se définit pas.

  Une belle démarche, des manières douces, un parler gracieux, séduisent toujours et donnent à un homme médiocre d’immenses avantages sur un homme supérieur. Le bonheur est un grand sot, peut-être !

  Le talent comporte en toute chose d’excessifs mouvements qui déplaisent ; et un prodigieux abus d’intelligence qui détermine une vie d’exception.

  L’abus soit du corps, soit de la tête, éternelle plaie des sociétés, cause ces originalités physiques, ces déviations, dont nous allons nous moquant sans cesse. La paresse du Turc, assis sur le Bosphore et fumant sa pipe, est sans doute une grande sagesse. Fontenelle, ce beau génie de la vitalité, qui devina les petits dosages du mouvement, l’homéopathie de la démarche, était essentiellement asiatique.

  - Pour être heureux, a-t-il dit, il faut tenir peu d’espace, et peu changer de place.

  Donc, la pensée est la puissance qui corrompt notre mouvement, qui nous tord le corps, qui le fait éclater sous ses despotiques efforts. Elle est le grand dissolvant de l’espèce humaine.

  Rousseau l’a dit, Goëthe l’a dramatisé dans Faust, Byron l’a poétisé dans Manfred . Avant eux, l’esprit-saint s’est prophétiquement écrié sur ceux qui vont sans cesse : « Qu’ils soient comme des roues ! » Je vous ai promis un véritable non-sens au fond de cette théorie, j’y arrive.

  Depuis un temps immémorial, trois faits ont été parfaitement constatés, et les conséquences qui résultent de leur rapprochement ont été principalement pressenties par Van Helmont, et avant lui par Paracelse, qu’on a traité de charlatan. Encore cent ans, et Paracelse deviendra peut-être un grand homme !

  La grandeur, l’agilité, la concrétion, la portée de la pensée humaine, le génie, en un mot, est incompatible : avec le mouvement digestif, avec le mouvement corporel, avec le mouvement vocal ; ce que prouvent en résultat les grands mangeurs, les danseurs et les bavards ; ce que prouvent en principe le silence ordonné par Pythagore, l’immobilité presque constante des plus illustres géomètres, des extatiques, des penseurs, et la sobriété nécessaire aux hommes d’énergie intellectuelle.

  Le génie d’Alexandre s’est historiquement noyé dans la débauche. Le citoyen qui vint annoncer la victoire de Marathon a laissé sa vie sur la place publique.

  Le laconisme constant de ceux qui méditent ne saurait être contesté.

  Cela dit écoutez une autre thèse.

  J’ouvre les livres où sont consignés les grands travaux anatomiques, les preuves de patience médicale, les titres de gloire de l’école de Paris. Je commence par les rois.

  Il est prouvé, par les différentes autopsies des personnes royales, que l’habitude de la représentation vicie le corps des princes ; leur bassin se féminise. De là le dandinement connu des Bourbon ; de là, disent les observateurs, l’abâtardissement des races. Le défaut de mouvement, ou la viciation du mouvement, entraîne des lésions qui procèdent par irradiation. Or, de même que toute paralysie vient du cerveau, toute atrophie de mouvement y aboutit peut-être. Les grands rois ont tous essentiellement été hommes de mouvement.

  Jules César, Charlemagne, Saint Louis, Henri IV, Napoléon, en sont des preuves éclatantes.

  Les magistrats, obligés de passer leur vie à siéger, se reconnaissent à je ne sais quoi de gêné, à ce mouvement d’épaules, à des diagnostics dont je vous fais grâce, parce qu’ils n’ont rien de pittoresque, et, partant, seraient ennuyeux ; si vous voulez savoir pourquoi, observez-les ! Le genre magistrat est, socialement parlant, celui où l’esprit devient le plus promptement obtus.

  N’est-ce pas la zone humaine où l’éducation devrait porter ses meilleurs fruits ? Or, depuis cinq cents ans, elle n’a pas donné deux grands hommes.

  Montesquieu, le président de Brosses, n’appartiennent à l’ordre judiciaire que nominativement : l’un siégeait peu, l’autre est un homme purement spirituel. L’Hôpital et d’Aguesseau étaient des hommes supérieurs, et non des hommes de génie. Parmi les intelligences, celles du magistrat et du bureaucrate, deux natures d’hommes privées d’action, deviennent machines avant toutes les autres. En descendant plus dans l’ordre social, vous trouvez les portiers, les gens de sacristie, et les ouvriers assis comme le sont les tailleurs, croupissant tous dans un état voisin de l’imbécillité, par privation du mouvement. Le genre de vie que mènent les magistrats, et les habitudes que prend leur pensée, démontrent l’excellence de nos principes.

  Les recherches des médecins qui se sont occupés de la folie, de l’imbécillité, prouvent que la pensée humaine , expression la plus haute des forces de l’homme, s’abolit complètement par l’abus du sommeil, qui est un repos.

  Des observations sagaces établissent également que l’inactivité amène des lésions dans l’organisme moral. Ce sont des faits généraux d’un ordre vulgaire. L’inertie des facultés physiques entraîne, relativement au cerveau, les conséquences du sommeil trop prolongé. Vous allez même m’accuser de dire des lieux communs. Tout organe périt soit par l’abus, soit par défaut d’emploi.

  Chacun sait cela.

  Si l’intelligence, expression si vive de l’âme que bien des gens la confondent avec l’âme, si la vis humana ne peut pas être à la fois dans la tête, dans les poumons, dans le coeur, dans le ventre, dans les jambes ; si la prédominance du mouvement dans une portion quelconque de notre machine exclut le mouvement dans les autres ; si la pensée, ce que je ne sais quoi humain, si fluide, si expansible, si contractible, dont Gall a numéroté les réservoirs, dont Lavater a savamment accusé les affluents, continuant ainsi Van Helmont, Boërhaave, Bordeu et Paracelse, qui, avant eux, avaient dit : - Il y a trois circulations en l’homme (tres in homine fluxus) : les humeurs, le sang et la substance nerveuse, que Cardan nommait notre sève ; si donc la pensée affectionne un tuyau de notre machine au détriment des autres, et y afflue si visiblement, qu’en suivant le cours de la vie vulgaire vous la trouvez dans les jambes chez l’enfant ; puis, pendant l’adolescence, vous la voyez s’élever et gagner le coeur ; de vingt-cinq à quarante ans, monter dans la tête de l’homme, et, plus tard tomber dans le ventre ; eh bien, si le défaut de mouvement affaiblit la force intellectuelle, si tout repos la tue, pourquoi l’homme qui veut de l’énergie va-t-il la demander au repos, au silence et à la solitude ? Si Jésus lui-même, l’homme-Dieu, s’est retiré pendant quarante jours dans le désert pour y puiser du courage, afin de supporter sa passion, pourquoi la race royale, le magistrat, le chef de bureau, le portier, deviennent-ils stupides ? Comment la bêtise du danseur, du gastronome et
du bavard a-t-elle pour cause le mouvement, qui donnerait de l’esprit au tailleur, et qui aurait sauvé les Carlovingiens de leur bâtardissement ?

  Comment concilier deux thèses inconciliables ?

  N’y a-t-il pas lieu de réfléchir aux conditions encore inconnues de notre nature intérieure ? Ne pourrait-on pas rechercher avec ardeur des lois précises qui régissent, et notre appareil intellectuel, et notre appareil moteur, afin de connaître le point précis auquel le mouvement est bienfaisant, et celui où il est fatal ?

  Discours de bourgeois, de niais, qui croit avoir tout dit quand il a cité : Est modus in rebus. .

  Pourriez-vous me trouver un grand résultat humain obtenu sans un mouvement excessif, matériel ou moral ? Parmi les grands hommes, Charlemagne et Voltaire sont deux immenses exceptions. Eux seuls ont vécu longtemps en conduisant leur siècle. En creusant toutes les choses humaines, vous y trouverez l’effroyable antagonisme de deux forces qui produit la vie, mais qui ne laisse à la science qu’une négation pour toute formule. Rien sera la perpétuelle épigraphe de nos tentatives scientifiques.

  Voici bien du chemin fait ; nous en sommes encore comme le fou dans sa loge, examinant l’ouverture ou la fermeture de la porte : la vie ou la mort, à mon sens. Salomon ou Rabelais sont deux admirables génies. L’un a dit : Omnia vanitas (tout est creux) ! Il a pris trois cents femmes, et n’en a pas eu d’enfant. L’autre a fait le tour de toutes les institutions sociales, et il nous a mis, pour conclusion, en présence d’une bouteille, en nous disant : « Bois et ris ! » Il n’a pas dit : « Marche ! ».

  Celui qui a dit : « Le premier pas que fait l’homme dans la vie est aussi le premier vers la tombe , » obtient de moi l’admiration profonde que j’accorde à cette délicieuse ganache que Henry Monnier a peinte, disant cette grande vérité : « Ôtez l’homme de la société, vous l’isolez . »

  De Balzac.

  Octobre 1833.

  TRAITÉ DES EXCITANTS MODERNES

  LA QUESTION POSEE

  L’absorption de cinq substances, découvertes depuis environ deux siècles et introduites dans l’économie humaine, a pris depuis quelques années des développements si excessifs, que les sociétés modernes peuvent s’en trouver modifiées d’une manière inappréciable.

  Ces cinq substances sont :

  1° L’eau-de-vie ou alcool, base de toutes les liqueurs, dont l’apparition date des dernières années du règne de Louis XIV, et qui furent inventées pour réchauffer les glaces de sa vieillesse.

  2° Le sucre. Cette substance n’a envahi l’alimentation populaire que récemment, alors que l’industrie française a su la fabriquer en grandes quantités et la remettre à son ancien prix, lequel diminuera certes encore, malgré le fisc, qui la guette pour l’imposer.

  3° Le thé, connu depuis une cinquantaine d’années.

  4° Le café. Quoique anciennement découvert par les Arabes, l’Europe ne fit un grand usage de cet excitant que vers le milieu du dix-huitième siècle.

  5° Le tabac, dont l’usage par la combustion n’est devenu général et excessif que depuis la paix en France.

  Examinons d’abord la question, en nous plaçant au point de vue le plus élevé.

  Une portion quelconque de la force humaine est appliquée à la satisfaction d’un besoin ; il en résulte cette sensation, variable selon les tempéraments et selon les climats, que nous appelons plaisirs. Nos organes sont les ministres de nos plaisirs. Presque tous ont une destination double : ils appréhendent des substances, nous les incorporent, puis les restituent, en tout ou en partie, sous une forme quelconque, au réservoir commun, la terre, ou à l’atmosphère, l’arsenal dans lequel toutes les créatures puisent leur force néocréative. Ce peu de mots comprend la chimie de la vie humaine.

  Les savants ne morderont point sur cette formule. Vous ne trouverez pas un sens, et par sens il faut entendre tout son appareil, qui n’obéisse à cette charte, en quelque région qu’il fasse ses évolutions. Tout excès se base sur un plaisir que l’homme veut répéter au delà des lois ordinaires promulguées par la nature. Moins la force humaine est occupée, plus elle tend à l’excès ; la pensée l’y porte irrésistiblement.

  I

  POUR L’HOMME SOCIAL, VIVRE, C’EST SE DEPENSER PLUS OU MOINS VITE.

  Il suit de là que, plus les sociétés sont civilisées et tranquilles, plus elles s’engagent dans la voie des excès. L’état de paix est un état funeste à certains individus. Peut-être est-ce là ce qui a fait dire à Napoléon : «La guerre est un état naturel».

  Pour absorber, résorber, décomposer, s’assimiler, rendre ou recréer quelque substance que ce soit, opérations qui constituent le mécanisme de tout plaisir sans exception, l’homme envoie sa force ou une partie de sa force dans celui ou ceux des organes qui sont les ministres du plaisir affectionné.

  La nature veut que tous les organes participent à la vie dans des proportions égales ; tandis que la société développe chez les hommes une sorte de soif pour tel ou tel plaisir dont la satisfaction porte dans tel ou tel organe plus de force qu’il ne lui en est dû, et souvent toute la force, les affluents qui l’entretiennent désertent les organes sevrés en quantités équivalentes à celles que prennent les organes gourmands. De là les maladies, et, en définitive, l’abréviation de la vie. Cette théorie est effrayante de certitude, comme toutes celles qui sont établies sur les faits, au lieu d’être promulguées à priori. Appelez la vie au cerveau par des travaux intellectuels constants, la force s’y déploie, elle en élargit les délicates membranes, elle en enrichit la pulpe ; mais elle aura si bien déserté l’entresol, que l’homme de génie y rencontrera la maladie décemment nommée frigidité par la médecine. Au rebours, passez-vous votre vie au pied des divans sur lesquels il y a des femmes infiniment charmantes, êtes-vous intrépidement amoureux, vous devenez un vrai cordelier sans froc. L’intelligence est incapable de fonctionner dans les hautes sphères de la conception. La vraie force est entre ces deux excès. Quand on mène de front la vie intellectuelle et la vie amoureuse, l’homme de génie meurt comme sont morts Raphaël et Lord Byron. Chaste, on meurt par excès de travail, aussi bien que par la débauche ; mais ce genre de mort est extrêmement rare. L’excès du tabac, l’excès du café, l’excès de l’opium et de l’eau-de-vie, produisent des désordres graves, et conduisent à une mort précoce. L’organe, sans cesse irrité, sans cesse nourri, s’hypertrophie : il prend un volume anormal, souffre, et vicie la machine, qui succombe.

  Chacun est maître de soi, suivant la loi moderne ; mais, si les éligibles et les prolétaires qui lisent ces pages croient ne faire du mal qu’à eux en fumant comme des remorqueurs ou buvant comme des Alexandre, ils se trompent étrangement ; ils adultèrent la race, abâtardissent la génération, d’où la ruine des pays. Une génération n’a pas le droit d’en amoindrir une autre.

  II

  L’ALIMENTATION EST LA GENERATION.

  Faites graver cet axiome en lettres d’or dans vos salles à manger. Il est étrange que Brillat-Savarin, après avoir demandé à la science d’augmenter la nomenclature des sens, du sens génésique, ait oublié de remarquer la liaison qui existe entre les produits de l’homme et les substances qui peuvent changer les conditions de sa vitalité. Avec quel plaisir n’aurais-je pas lu chez lui cet autre axiome :

  III

  LA MAREE DONNE LES FILLES, LA BOUCHERIE FAIT LES GARÇONS ; LE BOULANGER EST LE PERE DE LA PENSEE.

  Les destinées d’un peuple dépendent et de sa nourriture et de son régime. Les céréales ont créé les peuples artistes. L’eau-de-vie a tué les races indiennes. J’appelle la Russie une aristocratie soutenue par l’alcool. Qui sait si l’abus du chocolat n’est pas entré pour quelque chose dans l’avilissement de la nation espagnole, qui, au moment de la découverte du chocolat, allait recommencer l’empire romain ? Le tabac a déjà fait justice des Turcs, des Hollandais, et menace l’Allemagne. Aucun de nos hommes d’Etat, qui sont généralement plus occupés d’eux-mêmes que de la chose publique, à moins qu’on ne regarde le
urs vanités, leurs maîtresses et leurs capitaux comme des choses publiques, ne sait où va la France par excès de tabac, par l’emploi du sucre, de la pomme de terre subtituée au blé, de l’eau-de-vie, etc.

  Voyez quelle différence dans la coloration, dans le galbe des grands hommes actuels et de ceux des siècles passés, lesquels résument toujours les générations et les mœurs de leur époque ! Combien voyons-nous avorter aujourd’hui de talents en tout genre, lassés après une première œuvre maladive ? Nos pères sont les auteurs des volontés mesquines du temps actuel.

  Voici le résultat d’une expérience faite à Londres, dont la vérité m’a été garantie par deux personnes dignes de foi, un savant et un homme politique, et qui domine les questions que nous allons traiter.

  Le gouvernement anglais a permis de disposer de la vie de trois condamnés à mort, auxquels on a donné l’option ou d’être pendus suivant le formule usitée dans ce pays, ou de vivre exclusivement, l’un de thé, l’autre de café, l’autre de chocolat, sans y joindre aucun autre aliment de quelque nature que ce fût, ni boire d’autres liquides. Les drôles ont accepté. Peut-être tout condamné en eut-il fait autant. Comme chaque aliment offrait plus ou moins de chances, ils ont tiré le choix au sort.

  L’homme qui a vécu de chocolat est mort après huit mois.

  L’homme qui a vécu de café a duré deux ans.

  L’homme qui a vécu de thé n’a succombé qu’après trois ans.

  Je soupçonne la Compagnie des Indes d’avoir sollicité l’expérience dans l’intérêt de son commerce.

  L’homme au chocolat est mort dans un effroyable état de pourriture, dévoré par les vers. Ses membres sont tombés un à un, comme ceux de la monarchie espagnole.

  L’homme au café est mort brûlé, comme si le feu de Gomorrhe l’eût calciné. On aurait pu en faire de la chaux. On l’a proposé, mais l’expérience a paru contraire à l’immortalité de l’âme.

 

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