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by Maëlle Brun


  Il faut dire que, dans ses jeunes années, elle l’a côtoyée de beaucoup trop près. En 1961, elle est âgée de huit ans lorsque sa sœur aînée, enceinte, se tue avec son mari dans un accident de voiture. Un an plus tard seulement, c’est sa nièce de six ans qui décède d’une appendicite aiguë. Des deuils qui terrassent évidemment les siens. Sa grand-mère, qui vit avec les Trogneux, ne cessera par exemple de lui demander pourquoi elle n’est pas plutôt partie, elle. Brigitte jouera plus que jamais le rôle de « rayon de soleil de sa famille », comme nous l’explique une camarade d’école. Et elle ne parlera que très peu, même à ses amies intimes, des drames de l’enfance, préférant les diluer dans le tourbillon de son adolescence. « Quelle que soit la manière, tout est bon pour vivre », selon ses propres mots dans les pages de Elle.

  Pendant ses années de lycée, où elle entre en 1969, toujours au Sacré-Cœur, elle n’hésite en conséquence pas à profiter du souffle de liberté de l’époque. Elle en a eu un avant-goût en Mai 68, qu’elle a passé en bande, avec ses amies. « C’était très gai, se souvient Béatrice Leroux. Tous les établissements scolaires étant fermés, on se réunissait dans les jardins des unes et des autres, chez mes parents notamment. Entre nous, on ne parlait pas vraiment de politique mais plutôt de l’évolution de la société, de la place des femmes, etc.15 » Des transformations qui sont perceptibles jusque dans l’enceinte du Sacré-Cœur : à la rentrée, l’enseignement religieux est assoupli, un système de notation par lettres est adopté… Mais, bien plus important, l’uniforme est abandonné ! Une vraie révolution pour les élèves, qui enfilent chaque matin à l’école les robes courtes qu’elles n’ont pas le droit de porter chez elles. Brigitte, elle, n’a nul besoin de se changer au lycée : pour ses tenues comme pour le reste, ses parents la laissent libre. Dernier bouleversement, la mixité et l’arrivée de quelques (rares) garçons dans l’établissement. En terminale, la classe de Brigitte Trogneux en compte deux, que la lycéenne ne va pas ménager. « Lors d’un cours de gym, elle avait caché leurs vêtements, reprend Béatrice Leroux. Ils étaient arrivés au cours suivant très en retard, en tenue de sport et l’air un peu hagard. Elle les a alors fait mariner, avant de leur rendre leurs habits à la fin de l’après-midi. Elle était drôle et très rieuse. »

  Au printemps 1972, elle se concentre néanmoins sur la perspective de son bac littéraire – elle a choisi une section A. Direction Le Touquet, pour potasser avec quelques amies. Les révisions seront sérieuses et productives : elle décroche l’examen avec mention très bien. Chez les Trogneux, où peu ont fait des études, l’heure est à la fierté. Cependant, pour Brigitte, il devient surtout urgent d’oublier sa mélancolie dans une nouvelle vie. De réparer un peu ces failles qu’elle ne verbalise alors pas. « Derrière l’entrain décidé, il y a un continent sensible auquel seuls les fragiles ont accès et où ils peuvent se retrouver16 », écrit d’elle Emmanuel Macron. Mais pour l’heure, c’est auprès d’un autre qu’elle va bientôt conjuguer cette dualité.

  Entretien avec l’auteur, le 10 octobre 2017.

  Entretien accordé à Elle, « Appelez-moi Brigitte », paru le 18 août 2017.

  Entretien avec l’auteur, le 8 novembre 2017.

  Raconté dans Un personnage de roman, de Philippe Besson, Julliard, 2017.

  Entretien avec l’auteur, le 2 novembre 2017.

  Entretien avec l’auteur, le 19 août 2017.

  Caroline Derrien, Candice Nedelec, Les Macron, Fayard, 2017.

  Entretien avec l’auteur, le 1er octobre 2017.

  « Son rôle secret dans la campagne », L’Express, le 1er mars 2017.

  Philippe Besson, op. cit.

  Entretien avec l’auteur, le 21 octobre 2017.

  Entretien avec l’auteur, le 8 novembre 2017.

  Entretien avec l’auteur, le 12 novembre 2017.

  Portrait paru dans VSD, le 9 septembre 2016.

  Entretien avec l’auteur, le 8 novembre 2017.

  Dans Révolution, XO éditions, 2016.

  NOTRE BELLE FAMILLE

  C’est le roman qu’elle a peut-être préféré… Celui que ses élèves se devaient d’aimer. Madame Bovary, voilà une lecture qui a marqué Brigitte Macron. Partage-t-elle certains traits de l’héroïne flaubertienne ? Sans aucun doute, elle l’admet elle-même. En ce début des années 1970, elle recherche à l’évidence comme Emma Rouault « l’anxiété d’un état nouveau », voire une « passion merveilleuse » pour l’emmener loin des carcans qui sont alors les siens. Faire partie de la famille Trogneux ne va en effet pas sans pression. À cette époque, son clan est plus que jamais incontournable dans la bourgeoisie amiénoise. En 1971, son père a créé le CROS (Comité régional olympique et sportif) de Picardie, qu’il préside. Il dirige également la Ligue picarde de tennis. Et plus généralement, il est une figure influente, dont le commerce ne cesse de prospérer. Un business dans lequel aurait pu s’impliquer Brigitte, une fois son bac en poche. Certes, elle ne s’appelle pas Jean, et n’entre pas dans cette tradition « de père en fils » annoncée par une pancarte chez Trogneux. Mais son frère Jean-Claude, qui a pris la tête de l’affaire, lui aurait fait une place. Sauf qu’elle redoute cette existence. Être administratrice de la société familiale – une fonction qu’elle gardera jusqu’en 2007 – lui suffit amplement. En 1972, la jeune femme préfère entamer des études, contrairement à ses aînés. Elle opte pour une filière littéraire, qui va la passionner. Maupassant, Hugo, Rimbaud, Apollinaire… Elle approfondit ces auteurs dont elle explique désormais qu’ils l’ont construite. Une thématique va cependant particulièrement l’intéresser : l’amour courtois, sujet auquel elle décidera de consacrer son mémoire de maîtrise.

  Un questionnement sentimental qui commence aussi à l’occuper dans sa vie personnelle. Et si les garçons ne sont pas très nombreux dans son amphithéâtre, elle a l’embarras du choix parmi les fils des grandes familles locales. Sa sœur aînée, Annie, a par exemple épousé Gérard Boulogne, propriétaire d’une importante entreprise de sanitaire, chauffage et climatisation. Monique, onze ans de plus que Brigitte, a, elle, choisi Jean-Claude Gueudet, héritier de l’un des plus gros distributeurs automobiles de France. Dans son entourage, on s’attend donc à la voir suivre ce schéma. Elle a du succès et côtoie depuis toujours les beaux partis de la ville : ce sont les frères et les cousins de ses copines du Sacré-Cœur. Mais elle rêve d’autres horizons que ceux de la bourgeoisie du cru. Et elle a envie de voir plus loin qu’Amiens, cette « ville de province qui entretient un double complexe, vis-à-vis de Paris et de Lille, comme la décrit un autre enfant du pays, Laurent Delahousse. Une ville dans laquelle on n’a pas de raison de s’arrêter et qui, c’est tout un symbole, n’a pas eu le TGV1… »

  Les jeunes mariés

  C’est au Touquet que Brigitte va rencontrer André-Louis Auzière. Le dépaysement n’est pas extravagant. Mais le jeune homme, de deux ans son aîné, possède des atouts certains. À commencer par une petite aura de mystère. Fils d’un haut fonctionnaire, il est né à Eseka, au Cameroun. Et après avoir fait ses études à Paris, il vient d’entamer à Lille un cursus dans la banque. Ce qui équivaut, pour l’étudiante en lettres, à une légère émancipation sans rupture avec son milieu… Une façon de rentrer dans le rang sans s’en rendre compte. N’en jetez plus : le 22 juin 1974, à vingt et un ans tout juste, Mlle Trogneux devient Mme Auzière, à la mairie du Touquet.

  Les choses se sont faites rapidement, à la grande surprise de certaines de ses amies. Mais elle a une bonne raison de vouloir se marier : son très fort désir de maternité. Tous deux ne tardent d’ailleurs pas à fonder une famille. Un an après leur union naît un fils, Sébastien. Puis ce sera Laurence, en avril 1977, et enfin Tiphaine, en janvier 1984, pour leurs noces d’étain. Brigitte sera une mère très présente, « main de fer dans un gant de velours », telle que la première dame est parfois résumée. « Avec ses petits, elle était gentille mais ferme, se remémore une amie. Elle faisait preuve d’autorité. Son mari s’en occupait bien également mais il étai
t pris par sa carrière. Et, comme les hommes de l’époque, il n’était pas aussi disponible que sa femme ! Elle était donc très investie dans leur éducation. Avec beaucoup de bienveillance, tout en les grondant souvent2. » C’est cette « détermination aimante » que souligne Emmanuel Macron lui-même dans Révolution. « Elle a accompagné chacun de ses enfants, écrit-il. Toujours présente mais avec une idée ferme de ce qu’elle attendait d’eux. Il n’est pas une journée sans que Sébastien, Laurence et Tiphaine ne l’appellent, la voient, la consultent. Elle est leur boussole. »

  À trente ans, Brigitte Auzière a donc construit le foyer qu’elle imaginait, entourée de ses trois enfants. Et, avec André-Louis, elle forme un couple uni… Bien que peu assorti, selon les amis d’alors que nous avons interrogés. Il est aussi réservé qu’elle est extravertie, elle se montre passionnée quand il s’affirme raisonnable. « Il était plus en retrait, un peu effacé par rapport à elle, reprend leur amie. Gentil, mais pas extrêmement causant3. » Ce qui ne les empêche pas d’avoir une vie sociale remplie : Brigitte se charge de l’orchestrer pour eux dans la région lilloise, où ils sont installés. Son mari y poursuit en effet une belle carrière. « C’était une fille adorable et très bien élevée, qui aimait recevoir, raconte Marianne Reynaud, alors proche des Auzière. Le réveillon 1978, chez elle, est encore dans les têtes de toute notre bande de copains. Elle avait déjà cette blondeur solaire et j’ai le souvenir qu’elle fredonnait tout le temps. C’était une confidente, tout sauf une ragoteuse ou une faiseuse d’histoires4. »

  Un sens du contact qu’elle met bientôt à profit. En 1982, elle se fait embaucher à la chambre de commerce du Nord-Pas-de-Calais, où elle devient attachée de presse. L’expérience, qui dure deux ans, semble lui plaire, sans pour autant devenir une vocation. Mais au milieu des années 1980, elle nourrit de toute façon d’autres projets : André-Louis vient d’être nommé directeur de la Banque française du commerce extérieur à Strasbourg. Un très beau poste qui ne se refuse pas, à moins de trente-cinq ans ! Toute la famille se prépare donc à mettre le cap sur l’Est. Brigitte ne se doute pas qu’en Alsace elle s’apprête à faire deux découvertes qui charpenteront sa vie : l’enseignement tout d’abord, mais aussi la politique.

  Le Figaro, « Une adolescence à La Providence », paru le 31 mai 2017.

  Entretien avec l’auteur, le 29 juillet 2017.

  Ibid.

  Citée dans un article de Elle, « Brigitte Macron, la bienveillante », paru le 12 mai 2017.

  EN MARCHE ! AVANT L’HEURE

  « S’il y en a un des deux qui influence l’autre, c’est lui. C’est lui qui m’amène à la politique. » La première dame l’affirme : elle n’est nullement à l’origine des ambitions présidentielles d’Emmanuel Macron. « Je dis ce que je pense, mais il fait ce qu’il veut. C’est une vie choisie, par lui1. » Et celle qui assure se contenter d’accompagner son époux, sans jamais le pousser, aurait, selon ses proches, préféré se tenir à distance de la chose publique… Loin, très loin de la fièvre électorale et des mesquineries de campagne. Délaisser ses bouquins pour arracher le pouvoir ? Elle n’y aurait donc consenti que par amour pour ce mari qu’elle imaginait écrivain plus que politicien. À ceci près qu’elle s’était déjà frottée aux urnes avant 2017 ! Il y a longtemps, elle avait en effet déjà tenté de recueillir tous les suffrages. Comme une petite répétition de sa conquête élyséenne.

  Un terrain favorable

  Nous sommes en 1984, en Alsace. À vingt et un kilomètres de Strasbourg, la vie s’écoule, paisible, à Truchtersheim. Truch’, pour faire local, c’est aujourd’hui le « Petit Monaco » de la région. Population : 4 000 personnes environ, dont une large proportion vit dans de très confortables maisons et s’acquitte de l’ISF. Mais, à l’époque, l’atmosphère n’était pas tout à fait la même, comme nous l’explique le maire, Justin Vogel. « De nombreuses familles privilégiées sont arrivées ces derniers temps et nous avons intégré les communes de Behlenheim et Pfettisheim. Mais, dans les années 1980, ce n’était pas encore le cas. Nous n’étions qu’environ mille cinq cents habitants2. » Parmi eux, cinq nouveaux venus, les Auzière. André-Louis a pris ses fonctions à la Banque française du commerce extérieur, à Strasbourg, où Brigitte ne tardera pas à trouver une place au collège protestant Lucie-Berger. Mais à la grande ville, ils ont préféré le calme bucolique de Truchtersheim et de la rue des Coquelicots, où ils louent la plus haute et belle maison. Leur nouveau décor ? Des vignes d’un côté, un champ de maïs de l’autre… Et le cimetière de la commune à quelques mètres seulement.

  Dans le quartier de la Hoeft, tout le monde adopte très vite les Auzière. « Quand ils sont arrivés en Alsace, ils ne connaissaient personne, se souvient leur voisine. Quelqu’un avait mis André-Louis en contact avec mon mari, qui a des affaires à Strasbourg, et nous avons sympathisé. Nous nous recevions, ma fille gardait leurs enfants, on se dépannait… Brigitte n’était pas prétentieuse, sa maison était très simple, elle ne se la jouait pas du tout. Elle aurait pu, elle ne sortait pas d’un milieu pauvre après tout3 ! » Ici aussi, la chocolaterie Trogneux deviendra d’ailleurs rapidement connue. « Je me souviens avoir souvent eu des macarons dans mon buffet : dès qu’elle allait quelques jours à Amiens, elle m’en rapportait. » Mais la séduction ne passe pas que par les sucreries familiales. C’est ce que nous raconte Simone Uhl, l’une de ses amies de Truchtersheim. « Brigitte est une femme présente, c’est vraiment sa qualité. Quand elle est avec vous, elle est avec vous. Vous n’échappez pas à son regard4. » Un trait qui charme alors tout particulièrement le fils de l’Alsacienne : le jeune Renaud s’est en effet lié avec Sébastien et Laurence Auzière, mais il est aussi très intéressé par la conversation de leur mère… « Il devait avoir dans les douze ans et il était subjugué par elle. Vous savez, elle est jolie et elle l’avait autorisé à la tutoyer. Alors forcément… », s’amuse aujourd’hui Simone Uhl.

  Une popularité que l’enseignante ne va pas tarder à exploiter. Son but ? Dynamiser la vie de son très paisible quartier. « Elle était de toutes les fêtes locales et cherchait toujours à animer, à regrouper les gens, reprend Justin Vogel. Elle était très entreprenante5. » À l’époque, il vit à une trentaine de mètres des Auzière… En bonne place pour la voir s’attaquer à son premier chantier : le méchoui annuel de la Hoeft ! L’initiative existe alors déjà mais elle n’a pas mobilisé grand monde. Qu’à cela ne tienne : Brigitte va en faire sa priorité. « Elle est allée démarcher les gens pour qu’ils participent et elle a convaincu. Cela a donné une sorte de Fête des voisins avant l’heure ! D’ailleurs, le concept a perduré et, chaque premier samedi du mois d’août, nous sommes entre quatre-vingts et cent personnes à nous retrouver autour de ce méchoui6 », explique l’élu. « Elle cherchait à faire progresser les choses, à faire vivre le monde associatif, confirme Simone Uhl. Dès son arrivée, elle a posé beaucoup de questions. Ce n’était pas de la curiosité mais de la bienveillance. C’est une femme qui vous imprègne, qui agit par osmose. Je ne sais si elle s’intéressait déjà à la politique mais, à la vie des gens, c’est sûr7. » Si ce n’est que la politique va très vite la titiller également… Et après cette première croisade, carnée, elle se lance dans une autre campagne, municipale cette fois.

  Baptême du feu électoral

  En 1989, la ville s’apprête en effet à élire son nouveau maire. Un scrutin particulièrement important pour la commune : Roger Weiss n’est pas candidat à sa propre succession, et le siège qu’il occupe depuis 1965 est donc remis en jeu. Une course dans laquelle s’engage un concurrent imprévu. L’invité surprise ? C’est la liste « Truchtersheim demain », sur laquelle figure en bonne place une certaine Brigitte Auzière, près de cinq ans après son arrivée en Alsace. « Quand on a commencé à la voir à la télé, en 2015, je me suis dit : “Mince, c’est bizarre, je la connais cette dame8 !” », nous raconte, l’œil rieur, Jeannine Briard, l’une de ses colistières. À quatre-vingt-trois ans, cette institutrice à la retraite se sou
vient parfaitement de sa rencontre avec la prof de lettres. « Au moment de l’élection, je la connaissais simplement de vue. Nous avions dû nous croiser au syndicat des enseignants de Strasbourg mais rien de plus. Et puis voilà qu’un jour elle sonne à ma porte avec mon médecin, le Dr Bronn, pour me recruter. Il fallait être quinze sur la liste et ils n’étaient que quatorze. » Seul problème : Jeannine Briard n’est pas disposée à battre la campagne. « Je lui ai dit que je n’en avais pas envie, que l’on se met toujours quelqu’un à dos dans une élection… Mais elle a insisté sur le fait que c’était une première pour elle aussi et que nous étions capables de siéger au conseil municipal. » Ces arguments n’ont pas tellement d’effet. Pas grave, la trentenaire aura Jeannine à l’usure… « Elle m’a tellement cassé les pieds que j’ai fini par me laisser faire ! Elle est très persévérante », en rit encore celle-ci.

 

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