Jules Verne - L'île mystérieuse 2eme partie
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sur le guindeau, à mesure que virait l'équipage du brick. Le Speedy était d'abord venu à l'appel de son ancre; puis, quand elle eut été arrachée du fond, il commença à dériver vers la terre. Le vent soufflait du large; le grand foc et le petit hunier furent hissés, et le navire se rapprocha peu à peu de terre.
Des deux postes de la Mercy et des Cheminées, on le regardait manœuvrer sans donner signe de vie, mais non sans une certaine émotion. Ce serait une situation terrible que celle des colons, quand ils seraient exposés, à courte distance, au feu des canons du brick, et sans être en mesure d'y répondre utilement. Comment alors pourraient-ils empêcher les pirates de débarquer ?
Cyrus Smith sentait bien cela, et il se demandait ce qu'il était possible de faire. Avant peu, il serait appelé à prendre une détermination. Mais laquelle? Se renfermer dans Granite-house, s'y laisser assiéger, tenir pendant des semaines, pendant des mois même, puisque les vivres y abondaient ? Bien! Mais après? Les pirates n'en seraient pas moins maîtres de l'île, qu'ils ravageraient à leur guise, et, avec le temps, ils finiraient par avoir raison des prisonniers de Granite-house.
Cependant, une chance restait encore : c'était que Bob Harvey ne se hasardât pas avec son navire dans le canal et qu'il se tînt en dehors de l'îlot. Un demi-mille le séparerait encore de la côte, et, à cette distance, ses coups pourraient ne pas être extrêmement nuisibles.
« Jamais, répétait Pencroff, jamais ce Bob Harvey, puisqu'il est bon marin, n'entrera dans le canal! Il sait bien que ce serait risquer le brick, pour peu que la mer devînt mauvaise ! Et que deviendrait-il sans son navire ? »
Cependant, le brick s'était approché de l'îlot, et on put voir qu'il cherchait à en gagner l'extrémité inférieure. La brise était légère, et, comme le courant avait alors beaucoup perdu de sa force, Bob Harvey était absolument maître de manœuvrer comme il le voulait.
La route suivie précédemment par les embarcations lui avait permis de reconnaître le chenal, et il s'y était effrontément engagé. Son projet n'était que trop compréhensible : il voulait s'embosser devant les Cheminées et, de là, répondre par des obus et des boulets aux balles qui avaient jusqu'alors décimé son équipage.
Bientôt le Speedy atteignit la pointe de l'îlot; il la tourna avec aisance; la brigantine fut alors éventée, et le brick, serrant le vent, se trouva par le travers de la Mercy.
« Les bandits! Ils y viennent! » S’écria Pencroff.
En ce moment, Cyrus Smith, Ayrton, le marin et Harbert furent rejoints par Nab et Gédéon Spilett.
Le reporter et son compagnon avaient jugé convenable d'abandonner le poste de la Mercy, d'où ils ne pouvaient plus rien faire contre le navire, et ils avaient sagement agi. Mieux valait que les colons fussent réunis au moment où une action décisive allait sans doute s'engager. Gédéon Spilett et Nab étaient arrivés en se défiant derrière les roches, mais non sans essuyer une grêle de balles qui ne les avait point atteints.
« Spilett 1 Nab ! S’était écrié l'ingénieur. Vous n'êtes pas blessés ?
Non ! répondit le reporter, quelques contusions seulement, par ricochet 1 Mais ce damné brick entre dans le canal!
Oui! répondit Pencroff, et, avant dix minutes, il aura mouillé devant Granite-house!
Avez-vous un projet, Cyrus? demanda le reporter.
Il faut nous réfugier dans Granite-house, pendant qu'il en est temps encore et que les convicts ne peuvent nous voir.
C'est aussi mon avis, répondit Gédéon Spilett; mais une fois renfermés...
Nous prendrons conseil des circonstances, répondit l'ingénieur.
En route donc, et dépêchons! dit le reporter.
Vous ne voulez pas, monsieur Cyrus, qu'Ayrton et moi nous restions ici ? demanda le marin.
A quoi bon, Pencroff? répondit Cyrus Smith. Non. Ne nous séparons pas! »
Il n'y avait pas un instant à perdre. Les colons quittèrent les Cheminées. Un petit retour de la courtine empêchait qu'ils ne fussent vus du brick; mais deux ou trois détonations et le fracas des boulets sur les roches leur apprirent que le Speedy n'était plus qu'à courte distance.
Se précipiter dans l'ascenseur, se hisser jusqu'à la porte de Granite-house, où Top et Jup étaient renfermés depuis la veille, s'élancer dans la grande salle, ce fut l'affaire d'un moment.
Il était temps, car les colons, à travers les branchages, aperçurent le Speedy entouré de fumée, qui filait dans le canal. Ils durent même se mettre de côté, car les décharges étaient incessantes, et les boulets des quatre canons frappaient aveuglément tant sur le poste de la Mercy, bien qu'il ne fût plus occupé, que sur les Cheminées. Les roches étaient fracassées, et des hurrahs accompagnaient chaque détonation.
Cependant, on pouvait espérer que Granite-house serait épargné, grâce à la précaution que Cyrus Smith avait prise d'en dissimuler les fenêtres, quand un boulet, effleurant la baie de la porte, pénétra dans le couloir.
« Malédiction! Nous sommes découverts! » S’écria Pencroff.
Peut-être les colons n'avaient-ils pas été vus, mais il était certain que Bob Harvey avait jugé à propos d'envoyer un projectile à travers le feuillage suspect qui masquait cette portion de la haute muraille. Bientôt même, il redoubla ses coups, quand un autre boulet, ayant fendu le rideau de feuillage, laissa voir une ouverture béante dans le granit.
La situation des colons était désespérée. Leur retraite était découverte. Ils ne pouvaient opposer d'obstacle à ces projectiles, ni préserver la pierre, dont les éclats volaient en mitraille autour d'eux. Ils n'avaient plus qu'à se réfugier dans le couloir supérieur de Granite-house et à abandonner leur demeure à toutes les dévastations, quand un bruit sourd se fit entendre, qui fut suivi de cris épouvantables !
Cyrus Smith et les siens se précipitèrent à une des fenêtres...
Le brick, irrésistiblement soulevé sur une sorte de trombe liquide, venait de s'ouvrir en deux, et, en moins de dix secondes, il était englouti avec son criminel équipage!
CHAPITRE VINGT QUATRE
« Ils ont sauté! s'écria Harbert.
Oui! Sauté comme si Ayrton eût mis le feu aux poudres! répondit Pencroff en se jetant dans l'ascenseur, en même temps que Nab et le jeune garçon.
Mais que s'est-il passé? demanda Gédéon Spilett, encore stupéfait de ce dénouement inattendu.
Ah! Cette fois, nous saurons!... répondit vivement l'ingénieur.
Que saurons-nous ?...
Plus tard! Plus tard ! Venez, Spilett. L'important est que ces pirates aient été exterminés! »
Et Cyrus Smith, entraînant le reporter et Ayrton, rejoignit sur la grève Pencroff, Nab et Harbert.
On ne voyait plus rien du brick, pas même sa mâture. Après avoir été soulevé par cette trombe, il s'était couché sur le côté et avait coulé dans cette position, sans doute par suite de quelque énorme voie d'eau. Mais, comme le canal en cet endroit ne mesurait pas plus de vingt pieds de profondeur, il était certain que les flancs du brick immergé reparaîtraient à marée basse.
Quelques épaves flottaient à la surface de la mer. On voyait toute une drome, consistant en mâts et vergues de rechange, des cages à poules avec leurs volatiles encore vivants, des caisses et des barils qui, peu à peu, montaient à la surface, après s'être échappés par les panneaux; mais il n'y avait en dérive aucun débris, ni planches du pont, ni bordage de la coque, ce qui rendait assez inexplicable l'engloutissement subit du Speedy.
Cependant, les deux mâts, qui avaient été brisés à quelques pieds au-dessus de l'étambrai, après avoir rompu étais et haubans, remontèrent bientôt sur les eaux du canal, avec leurs voiles, dont les unes étaient déployées et les autres serrées. Mais il ne fallait pas laisser au jusant le temps d'emporter toutes ces richesses, et Ayrton et Pencroff se jetèrent dans la pirogue avec l'intention d'amarrer toutes ces épaves soit au littoral de l'île, soit au littoral de l'îlot.
Mais au moment où ils allaient s'embarquer, une réflexion de Gédéon Spilett les arrêta.
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bsp; « Et les six convicts qui ont débarqué sur la rive droite de la Mercy ? » dit-il.
En effet, il ne fallait pas oublier que les six hommes dont le canot s'était brisé sur les roches avaient pris pied à la pointe de l'Épave.
On regarda dans cette direction. Aucun des fugitifs n'était visible. Il était probable que, après avoir vu le brick s'engloutir dans les eaux du canal, ils avaient pris la fuite à l'intérieur de l'île.
« Plus tard, nous nous occuperons d'eux, dit alors Cyrus Smith. Ils peuvent encore être dangereux, car ils sont armés, mais enfin, six contre six, les chances sont égales. Allons donc au plus pressé. »
Ayrton et Pencroff s'embarquèrent dans la pirogue et nagèrent vigoureusement vers les épaves.
La mer était étale alors, et très haute, car la lune était nouvelle depuis deux jours. Une grande heure, au moins, devait donc s'écouler avant que la coque du brick émergeât des eaux du canal.
Ayrton et Pencroff eurent le temps d'amarrer les mâts et les espars au moyen de cordages, dont le bout fut porté sur la grève de Granite-house. Là, les colons, réunissant leurs efforts, parvinrent à haler ces épaves. Puis la pirogue ramassa tout ce qui flottait, cages à poules, barils, caisses, qui furent immédiatement transportés aux Cheminées.
Quelques cadavres surnageaient aussi. Entre autres,
Ayrton reconnut celui de Bob Harvey, et il le montra à son compagnon, en disant d'une voix émue : « Ce que j'ai été, Pencroff!
Mais ce que vous n'êtes plus, brave Ayrton! » Répondit le marin.
Il était assez singulier que les corps qui surnageaient fussent en si petit nombre. On en comptait cinq ou six à peine, que le jusant commençait déjà à emporter vers la pleine mer. Très probablement les convicts, surpris par l'engloutissement, n'avaient pas eu le temps de fuir, et le navire, s'étant couché sur le côté, la plupart étaient restés engagés sous les bastingages. Or, le reflux, qui allait entraîner vers la haute mer les cadavres de ces misérables, épargnerait aux colons la triste besogne de les enterrer en quelque coin de leur île.
Pendant deux heures, Cyrus Smith et ses compagnons furent uniquement occupés à haler les espars sur le sable et à déverguer, puis à mettre au sec les voiles, qui étaient parfaitement intactes. Ils causaient peu, tant le travail les absorbait, mais que de pensées leur traversaient l'esprit! C'était une fortune que la possession de ce brick, ou plutôt de tout ce qu'il renfermait. En effet, un navire est comme un petit monde au complet, et le matériel de la colonie allait s'augmenter de bon nombre d'objets utiles. Ce serait, « en grand », l'équivalent de la caisse trouvée à la pointe de l'Épave.
« Et en outre, pensait Pencroff, pourquoi serait-il impossible de renflouer ce brick ? S'il n'a qu'une voie d'eau, cela se bouche, une voie d'eau, et un navire de trois à quatre cents tonneaux, c'est un vrai navire auprès de notre Bonadventure! Et l'on va loin avec cela! Et l'on va où l'on veut! Il faudra que M. Cyrus, Ayrton et moi, nous examinions l'affaire! Elle en vaut la peine! »
En effet, si le brick était encore propre à naviguer, les chances de rapatriement des colons de l'île Lincoln allaient être singulièrement accrues. Mais, pour décider cette importante question, il convenait d'attendre que la mer fût tout à fait basse, afin que la coque du brick pût être visitée dans toutes ses parties.
Lorsque les épaves eurent été mises en sûreté sur la grève, Cyrus Smith et ses compagnons s'accordèrent quelques instants pour déjeuner. Ils mouraient littéralement de faim. Heureusement, l'office n'était pas loin, et Nab pouvait passer pour un maître-coq expéditif. On mangea donc auprès des Cheminées, et, pendant ce repas, on le pense bien, il ne fut question que de l'événement inattendu qui avait si miraculeusement sauvé la colonie.
« Miraculeusement est le mot, répétait Pencroff, car il faut bien avouer que ces coquins ont sauté juste au moment convenable! Granite-house commençait à devenir singulièrement inhabitable!
Et imaginez-vous, Pencroff, demanda le reporter, comment cela s'est passé, et qui a pu provoquer cette explosion du brick ?
Eh! Monsieur Spilett, rien de plus simple, répondit Pencroff. Un navire de pirates n'est pas tenu comme un navire de guerre! Des convicts ne sont pas des matelots! Il est certain que les soutes du brick étaient ouvertes, puisqu'on nous canonnait sans relâche, et il aura suffi d'un imprudent ou d'un maladroit pour faire sauter la machine!
Monsieur Cyrus, dit Harbert, ce qui m'étonne, c'est que cette explosion n'ait pas produit plus d'effet. La détonation n'a pas été forte, et, en somme, il y a peu de débris et de bordages arrachés. Il semblerait que le navire a plutôt coulé que sauté.
Cela t'étonne, mon enfant? demanda l'ingénieur.
Oui, monsieur Cyrus.
Et moi aussi, Harbert, répondit l'ingénieur, cela m'étonne; mais quand nous visiterons la coque du brick, nous aurons sans doute l'explication de ce fait.
Ah çà! Monsieur Cyrus, dit Pencroff, vous n'allez pas prétendre que le Speedy a tout simplement coulé comme un bâtiment qui donne contre un écueil?
Pourquoi pas? fit observer Nab, s'il y a des roches dans le canal ?
Non! Nab, répondit Pencroff. Tu n'as pas ouvert les yeux au bon moment. Un instant avant de s'engloutir, le brick, je l'ai parfaitement vu, s'est élevé sur une énorme lame, et il est retombé en s'abattant sur bâbord. Or, s'il n'avait fait que toucher, il eût coulé tout tranquillement, comme un honnête navire qui s'en va par le fond.
C'est que précisément ce n'était pas un honnête navire! répondit Nab.
Enfin, nous verrons bien, Pencroff, reprit l'ingénieur.
Nous verrons bien, ajouta le marin, mais je parierais ma tête qu'il n'y a pas de roches dans le canal. Voyons, monsieur Cyrus, de bon compte, est-ce que vous voudriez dire qu'il y a encore quelque chose de merveilleux dans cet événement ? »
Cyrus Smith ne répondit pas.
« En tout cas, dit Gédéon Spilett, choc ou explosion, vous conviendrez, Pencroff, que cela est arrivé à point!
Oui!... oui!... répondit le marin... mais ce n'est pas la question. Je demande à M. Smith s'il voit en tout ceci quelque chose de surnaturel.
Je ne me prononce pas, Pencroff, dit l'ingénieur. Voilà tout ce que je puis vous répondre. »
Réponse qui ne satisfit aucunement Pencroff. Il tenait pour « une explosion », et il n'en voulut pas démordre. Jamais il ne consentirait à admettre que dans ce canal, formé d'un lit de sable fin, comme la grève elle-même, et qu'il avait souvent traversé à mer basse, il y eût un écueil ignoré. Et d'ailleurs, au moment où le brick sombrait, la mer était haute, c'est-à-dire qu'il avait plus d'eau qu'il ne lui en fallait pour franchir, sans les heurter, toutes roches qui n'eussent pas découvert à mer basse. Donc, il ne pouvait y avoir eu choc. Donc, le navire n'avait pas touché. Donc, il avait sauté.
Et il faut convenir que le raisonnement du marin ne manquait pas d'une certaine justesse.
Vers une heure et demie, les colons s'embarquèrent dans la pirogue et se rendirent sur le lieu d'échouement. Il était regrettable que les deux embarcations du brick n'eussent pu être sauvées; mais l'une, on le sait, avait été brisée à l'embouchure de la Mercy et était absolument hors d'usage; l'autre avait disparu dans l'engloutissement du brick, et, sans doute écrasée par lui, n'avait pas reparu.
A ce moment, la coque du Speedy commençait à se montrer au-dessus des eaux. Le brick était plus que couché sur le flanc, car, après avoir rompu ses mâts sous le poids de son lest déplacé par la chute, il se tenait presque la quille en l'air. Il avait été véritablement retourné par l'inexplicable mais effroyable action sous-marine, qui s'était en même temps manifestée par le déplacement d'une énorme trombe d'eau.
Les colons firent le tour de la coque, et, à mesure que la mer baissait, ils purent reconnaître, sinon la cause qui avait provoqué la catastrophe, du moins l'effet produit.
Sur l'avant, des deux côtés de la quille, sept ou huit pieds avant la naissance de l'étrave, les flancs du brick étaient effroyablement déchirés sur
une longueur de vingt pieds au moins. Là s'ouvraient deux larges voies d'eau qu'il eût été impossible d'aveugler. Non seulement le doublage de cuivre et le bordage avaient disparu, réduits en poussière sans doute, mais encore de la membrure même, des chevilles de fer et des gournables qui la liaient, il n'y avait plus trace. Tout le long de la coque, jusqu'aux façons d'arrière, les virures, déchiquetées, ne tenaient plus. La fausse quille avait été séparée avec une violence inexplicable, et la quille elle-même, arrachée de la carlingue en plusieurs points, était rompue sur toute sa longueur.
« Mille diables! s'écria Pencroff. Voilà un navire qu'il sera difficile de renflouer!
Ce sera même impossible, dit Ayrton.
En tout cas, fit observer Gédéon Spilett au marin, l'explosion, s'il y a eu explosion, a produit là de singuliers effets ! Elle a crevé la coque du navire dans ses parties inférieures, au lieu d'en faire sauter le pont et les œuvres mortes! Ces larges ouvertures paraissent avoir plutôt été faites par le choc d'un écueil que par l'explosion d'une soute!
Il n'y a pas d'écueil dans le canal! répliqua le marin. J'admets tout ce que vous voudrez, excepté le choc d'une roche!
Tâchons de pénétrer à l'intérieur du brick, dit l'ingénieur. Peut-être saurons-nous à quoi nous en tenir sur la cause de sa destruction. »
C'était le meilleur parti à prendre, et il convenait, d'ail leurs, d'inventorier toutes les richesses contenues à bord, et de tout disposer pour leur sauvetage.
L'accès à l'intérieur du brick était facile alors. L'eau baissait toujours, et le dessous du pont, devenu maintenant le dessus par le renversement de la coque, était praticable. Le lest, composé de lourdes gueuses de fonte, l'avait défoncé en plusieurs endroits. On entendait la mer qui bruissait, en s'écoulant par les fissures de la coque.
Cyrus Smith et ses compagnons, la hache à la main, s'avancèrent sur le pont à demi brisé. Des caisses de toutes sortes l'encombraient, et, comme elles n'avaient séjourné dans l'eau que pendant un temps très limité, peut-être leur contenu" n'était-il pas avarié.
On s'occupa donc de mettre toute cette cargaison en lieu sûr. L'eau ne devait pas revenir avant quelques heures, et ces quelques heures furent utilisées de la manière la plus profitable. Ayrton et Pencroff avaient frappé, à l'ouverture pratiquée dans la coque, un palan qui servait à hisser les barils et les caisses. La pirogue les recevait et les transportait immédiatement sur la plage. On prenait tout, indistinctement, quitte à faire plus tard un triage de ces objets.
En tout cas, ce que les colons purent d'abord constater avec une extrême satisfaction, c'est que le brick possédait une cargaison très variée, un assortiment d'articles de toutes sortes, ustensiles, produits manufacturés, outils, tels que chargent les bâtiments qui font le grand cabotage de la