Short Stories in French

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Short Stories in French Page 2

by Richard Coward


  Le cœur de Patrick cognait très fort, peut-être parce qu’il allait cesser de battre à tout jamais dans moins d’une minute, qu’il était encore tout neuf et débordant de choses douces et tendres …

  Patrick pensait que cela allait vite, trop vite. Il n’osait pas lâcher la galerie, le vent lui arrachait des larmes, la terreur l’envahissait tout entier tandis que les gens se retournaient sur les trottoirs, stupéfaits ou pressentant le drame.

  Libérant une main, Patrick tapa sur la vitre arrière en répétant:

  – Arrête … Je t’en supplie … Je t’en supplie …

  Lopez n’était pas qu’un simple salaud. Salaud, il l’était, c’est évident, mais ce dernier cohabitait avec un être blessé, humilié, crevant de solitude dans son malheur et qui venait dans sa misère et son délire de trouver une victime expiatoire.

  Il maugréa:

  – Je vais t’apprendre à vivre, moi!

  Puis il freina brutalement au carrefour des rues du Renard et de la Verrerie.

  Le choc foudroya Patrick qui conserva une expression d’horreur et d’incompréhension sur son visage jeune à tout jamais.

  Quant à l’épitaphe, elle tomba des lèvres dures d’un lepéniste en vadrouille:

  – Il avait qu’à pas s’accrocher.

  Sauf que Patrick ne s’accrochait pas vraiment. Dans une société à vomir, il se raccrochait simplement aux branches de cet arbre de vie qu’un autre appela les «Grandes Espérances».4

  Learning How to Live

  He had just turned sixteen and had been given his second pair of roller-skates – of a design that was much superior to his first pair – by his parents in recognition of a particularly glowing school year.

  His Christian name was Patrick. The daddy’s boys at the lycée said that it was a ‘pleb’s name’, whereas Agathe, with whom he would have flirted long since if he had not been so shy, said that the name was ‘nice’ and even ‘rather cool’.

  Patrick did not really know what he wanted. This period in his life seemed confused: not really childhood any more and those great fears were no longer quickly exorcized by a maternal cuddle or the gruff yet tender voice of his father.

  It was not yet adulthood, that time of horror that he sensed lay ahead: unemployment, useless certificates, aggressive, money-grabbing and cynical employers, in short, a nightmare. But perhaps also a marvellous time of life …

  He found himself to some extent in the no-man’s land of life. Hence the roller-skates, a way of prolonging childhood, of holding anguish at bay.

  He knew that it was ridiculous and childish, for he was no fool to himself, but he wanted to please himself.

  It was just that this pleasure could turn into confusion: wasn’t that Agathe that he spotted coming out of the Arts-et-Métiers metro station?

  Antoine Lopez, at the wheel of his Renault 4 van, was cursing the entire world. He felt as though there was a great conspiracy which sought to bring him misfortune. Driving down the rue de Belleville at full speed, he almost ran over an old Arab at whom he swore, a young Chinese girl at whom he made a rude gesture with a raised index finger, a skinny dog which jumped to the side …

  So, it was true: nothing was working. First, why was he bald at thirty? Then, why was he driving such an ancient Renault 4 when drivers with less experience than him had the right to soft-top Golfs? And how did his wife, ten years younger than he, manage to afford all those clothes which she claimed to get in the sales? And the hair-dos at Mod’s Hair? And the Dior perfume? And the jewels? And all on her 6,000 francs a month as a secretary or had she found herself a rich lover?

  And why did she hold so much resentment against him – you only think of your parents, you never take me on your trips, you spend too long at work, and other things which made just as little sense? Why other than to clear her conscience when she was deceiving him? Why make up such reasons, why all that horrible cowardliness?

  In despair, he yelled ‘Bitch!’ as he drove at full speed across the place de la République, turning towards Châtelet by Arts-et-Métiers.

  It was Agathe, there was no doubt! And she was coming towards him … Patrick hesitated, then remembered those guys on roller-skates who grab hold of the backs of lorries.

  He had always considered that dangerous and stupid but, this time, it seemed the ideal way to slip out of the way with discretion and speed. In the absence of a lorry, he chose an old Renault 4 van that had stopped at the red light. In that heap of mud there was little chance that the driver would take himself for a Formula 1 driver.

  He grabbed hold of the roof-rack.

  ‘Do you think I haven’t seen you, you little sod?’ muttered Lopez, who shot off at top speed, making the tyres of his Renault 4 scream.

  Patrick’s heart pounded, perhaps because it was going to stop beating for ever and ever in less than a minute, perhaps because it was still brand new and overflowing with sweet, tender things …

  Patrick thought that he was going quickly, too quickly. He did not dare let go of the roof-rack, the wind was snatching tears from him, terror was running right through his body whilst people on the pavements were turning round, dumbfounded or foreseeing tragedy.

  Taking one hand off, Patrick tapped on the rear window and shouted repeatedly:

  ‘Stop … I beg you … I beg you …’

  Lopez was not just a mere bastard. Bastard he was, that is obvious, but that bastard was in the company of a wounded, humiliated man, dying from loneliness in his misfortune and, in his wretchedness and his madness, he had just found a victim to atone for it all.

  He grumbled:

  ‘I’m going to teach you how to live!’

  Then he slammed on the brakes at the point where the rue du Renard crosses over the rue de la Verrerie.

  The impact immediately killed Patrick, who kept a look of horror and incomprehension on his face that would remain for ever young.

  As for the epitaph, it fell from the harsh lips of a fatalist out for a stroll:

  ‘He just shouldn’t have held on.’

  Except that Patrick was not really holding on. In a nauseating society, he was merely hanging on to the branches of that tree of life which someone else called ‘Great Expectations’.

  Frédéric Fajardie

  ALL LIGHTS OFF

  Tous feux éteints

  C’était en 1976, l’an III1 des années de crise. Le rêve d’un monde plus juste commençait à battre de l’aile: dans l’ombre, les fossoyeurs de l’espérance affûtaient leurs longs couteaux, qu’ils fussent politiciens sociaux-démocrates ou directeur d’un quotidien soi-disant «gauchiste». Les grandes écoles2 déversaient leurs promotions de fieffés salopards, chiens de garde du Kapital3 qui devaient «mettre à la raison» la «canaille ouvrière», la «masse de manœuvre immigrée» et transformer les purs produits d’une université critique en intellectuels déclassés, isolés et désespérés. Les charognes de la pub s’apprêtaient à entrer sur la scène de l’Histoire, les crevures du patronat devenaient oublieuses des petites suées de la Libération4 ou de Mai 68.5

  Le tourniquet de la démobilisation tournait à plein régime: à quoi bon être solidaire des Chiliens, des Palestiniens ou des derniers Indiens d’Amérique? Chacun pour soi, comme en 40: Giscard6 n’a-t-il point le charisme de Daladier?7

  Joachim Dioudonna était une sympathique fripouille.

  A sa naissance, l’été 1944, les fées ne s’étaient pas penchées sur son berceau. Pas de fées mais toute une troupe de héros de la vingt-cinquième heure armée de ciseaux et de tondeuses. Une troupe qui cracha sur le nourrisson et «mit la boule à zéro» à la jeune maman coupable d’avoir succombé au charme d’un soldat du roi de Prusse, un pauvre grifton8 de la Wehrmacht en pleine déconfiture.

  «Fils de boche», dans les années cinquante, cela vous avait la saveur de «fils de Rital» dans les années vingt ou «fils de Polack» dans les années trente: il faut bien un exutoire à la haine que les cons portent en eux comme la nuée porte l’orage. />
  Exclu plus que marginalisé, Joachim trouva sa voie peu après ses vingt ans. Pendant douze années d’un parcours bref mais étincelant, il allait donner des cauchemars à tous les flics du Calvados.9

  Lorsque l’automne s’apprête à céder le pas à l’hiver, le Calvados est une bien belle région. La brume s’attarde sur les herbages mouillés, le givre étincelle sous la caresse d’un pâle soleil, une odeur de pommes flotte sur tout le département. Une odeur de pommes fortement alcoolisée …

  Depuis Mendès France,10 il devient difficile de faire «bouillir la goûte» : attirés par l’odeur de la distillation, des flics et des agents du fisc traquent les serpentins de cuivre des alambics. Non que l’État réprime l’alcoolisme mais plutôt la volonté, pour celui-ci, de taxer les alcools. D’où la fin d’une liberté ancestrale: produire sa propre gnole avec ses propres fruits.

  Cependant, l’oppression engendrant la résistance, l’auteur de ces lignes peut témoigner que les nouveaux gabelous11 sont des caves: lorsque cent cinquante mètres de tuyaux souterrains débouchent dans une prairie battue par les vents, le premier agent du fisc qui sentira la gnole en distillation gagnera le «nez d’or» du ministère des Finances!

  Mais reste le transport …

  Et c’est ici que Joachim entrait en scène avec son break DS 1912 au moteur gonflé par tous les garagistes du pays portés sur le calva. Chauffeur hors pair, Joachim avait un autre don: rouler à 100 km/h sur des départementales TOUS FEUX ÉTEINTS. A côté de cela, Prost13 dans sa F 1 vous a un petit air de travelo enfourchant un balai de sorcière …

  Douze ans de rodéos, de flics trépignant de rage ou pleurant dans leurs talkies-walkies avant ce barrage de fourgons, en 1976, près de la Croix-d’Heuland et Joachim, royal, choisissant d’entrer dans la légende en percutant volontairement un platane à 120 à l’heure pour être aussitôt incinéré par l’incendie de cent cinquante litres de gnole pure …

  Fin d’un monde? Qu’on se rassure, mais … «Silence, le R.P.R.14 guette vos confidences!»

  All Lights Off

  It was in 1976, year III of the crisis years. The dream of a fairer world was beginning to crumble: in the shadows, those who were going to bury hope were sharpening their long knives, be they social-democrat politicians or editor of a so-called ‘leftist’ newspaper. The grandes écoles were disgorging their output of consummate bastards, guard-dogs of Das Kapital, who were to ‘bring to their senses’ the ‘working-class rabble’, the ‘immigrant work-force’, and to transform the pure products of a critical university into socially outcast, isolated and hopeless intellectuals. The publicity vultures were getting ready to come on to the stage of History, the damned employers were becoming forgetful of those moments of angst of the Liberation or May ’68.

  The turnstile of demobilization was spinning round: what was the point of showing solidarity with the Chileans, the Palestinians, or the last American Indians? Every man for himself, as in 1940: does not Giscard have all the charisma of Daladier?

  Joachim Dioudonna was a pleasant enough rogue.

  When he was born, in the summer of 1944, the fairies had not leant over his crib. No fairies but a whole troop of heroes from the twenty-fifth-hour army of scissors and clippers. A troop that spat on the infant and ‘shaved the hair’ of the young mother, found guilty of giving in to the charms of a soldier of the King of Prussia, a poor squaddie of the Wehrmacht, which was in total defeat.

  ‘Son of a Hun’ in the fifties had the same ring as ‘son of an Eyetie’ in the twenties or ‘son of a Polack’ in the thirties: there has to be an outlet for the hatred that stupid bastards have inside them as a cloud carries a storm.

  Excluded rather than marginalized, Joachim found his way in life shortly after he turned twenty. For twelve years of a short but glittering career he was to give nightmares to all the coppers in Calvados.

  When autumn gets ready to give way to winter, Calvados is a most beautiful region. The mist lingers over the damp pastures, the frost sparkles beneath the embrace of a pale sun, a fragrance of apples floats throughout the département. A very alcoholic fragrance of apples …

  Since Mendès France, it has become very difficult to ‘make oneself a drop of the hard stuff’: attracted by the smell of distillation, coppers and inspectors from the Tax Office track down the copper coils of the stills. Not that the State curbs alcoholism: it is more that it has a desire to collect a tax on spirits. Hence the end of an ancestral freedom: making one’s own hooch from one’s own fruit.

  Yet, since suppression begets resistance, the author of these lines can bear witness to the fact that the new customs officers are cellars: when one hundred and fifty metres of underground pipes come out into a wind-beaten meadow, the first inspector from the Tax Office who smells the hooch being distilled will win the ‘golden nose award’ from the Treasury!

  But there is still the matter of transport …

  And that is where Joachim came on the scene with his DS19 estate car whose engine had been souped up by every garage mechanic in the district who was keen on calvados. A driver who knew no equal, Joachim had another gift: driving at 100 km per hour on the secondary roads WITH ALL LIGHTS OFF. Beside that, Prost in his Formula 1 looks as ridiculous as a drag-queen sitting astride a witch’s broomstick …

  Twelve years of free-for-all, of coppers stamping their feet with rage or weeping into their walkie-talkies until that barrage of lorries, in 1976, near the Croix-d’Heuland, when Joachim, majestic, chose to become the stuff of legend by deliberately driving into a plane tree at 120 km per hour in order to be instantly incinerated by the fire from 150 litres of pure hooch …

  The end of a world? Not to worry, but … ‘Quiet, the RPR is listening to your secrets!’

  Jean-marie-gustave Le Clézio

  DAVID

  David

  Quelquefois, il croit que la rue est à lui. C’est le seul endroit qu’il aime, vraiment, surtout au lever du jour, quand il n’y a encore personne, et que les voitures sont froides. David voudrait que ce soit toujours comme cela, avec le ciel clair au-dessus des maisons sombres, et le silence, le grand silence, qu’on croirait descendu du ciel pour apaiser la terre. Mais est-ce qu’il y a des anges? Autrefois sa mère lui racontait de longues histoires où il y avait des anges aux grandes ailes de lumière, qui planaient dans le ciel au-dessus de la ville, et descendaient pour porter secours à ceux qui en avaient besoin, et elle disait qu’on savait que l’ange était là quand on sentait sur son cou un passage de vent, rapide et léger comme un souffle qui vous faisait frissonner. Son frère Édouard se moquait de lui parce qu’il croyait ces histoires, et il disait que les anges, ça n’existait pas, qu’il n’y avait rien d’autre dans le ciel que des avions. Et les nuages? Mais pourquoi les nuages prouvaient l’existence des anges? David ne s’en souvient plus, et il a beau faire des efforts, rien ne lui revient.

  Mais le matin, maintenant, c’est libre, trop libre, parce qu’il n’y a plus rien, plus personne qui attend. Pourtant il voudrait que cela ne cesse jamais, parce que c’est après que c’est terrible, après, quand le jour est vraiment commencé, et que roulent les voitures, les cars, les motos, et que marchent tous les gens, au visage si dur. Où vont-ils? Que veulent-ils? David préfère penser aux anges, à ceux qui volent si haut qu’ils ne voient même plus la terre, seulement le tapis blanc des nuages qui glisse lentement sous leurs ailes. Mais il faut que le ciel soit toujours du matin, très grand, et pur, parce que c’est l’instant où les anges doivent pouvoir planer longtemps, sans risquer de rencontrer un avion.

  La rue, à six heures du matin, est belle et calme. Dès qu’il a refermé la porte de l’appartement, et mis le cordon où est suspendue la clé autour de son cou, et remonté la fermeture à glissière de son blouson de plastique bleu, David se lance dans la rue. Il court entre les voitures arrêtées, il remonte les volées d’escaliers, il s’arrête au centre de la placette, le cœur battant, comme si quelqu’un le suivait. Il n’y a personne, et le jour se lève à peine, éclairci
ssant le ciel gris, tandis que les maisons sont encore sombres, volets clos, fermées dans le sommeil frileux du matin. Il y a des pigeons, déjà, qui s’envolent devant David dans un grand froissement d’ailes. Ils vont sur les rebords des toits, ils roucoulent. Il n’y a pas encore de grondements de moteurs, pas encore de voix d’hommes.

  David marche jusqu’à la porte de l’école, sans même s’en rendre compte. C’est une vilaine bâtisse de ciment gris qui s’est insinuée entre les vieilles maisons de pierre, et David regarde la porte peinte en vert sombre, où les pieds des enfants ont laissé des meurtrissures, vers le bas. Mais il n’est peut-être pas venu par hasard; simplement il veut la regarder encore une fois, la porte, et aussi le mur avec ses graffiti, l’escalier taché de chewing-gum, les vieilles fenêtres crasseuses bouchées par le grillage. Il veut regarder tout, et l’idée que c’est pour la dernière fois fait battre son cœur plus vite, comme si déjà tout était changé, et qu’il était chassé, poursuivi. C’est la dernière fois, la dernière fois, c’est ce qu’il pense, et cela tourne dans sa tête jusqu’au vertige. Il ne l’a dit à personne, ni à sa mère, mais maintenant, c’est sûr, tout est achevé.

  Il reste tout de même longtemps là, assis sur les marches du petit escalier qui conduit à la porte, jusqu’à ce que le bruit de l’arroseur le tire de sa rêverie. L’eau jaillit du tuyau en faisant des déchirures et des détonations, ruisselle le long des ruelles. Le jet fait résonner les carrosseries des voitures arrêtées, chasse les ordures le long des caniveaux. David se lève, il s’éloigne de l’école, il commence la traversée de la ville.

  Au-delà de la grande avenue, c’est la ville nouvelle, mystérieuse, dangereuse. Il y est allé déjà, avec son frère Édouard, il se souvient de tout, des magasins, des grands immeubles debout devant leurs aires goudronnées, les réverbères plus haut que les arbres, qui font la nuit leur lumière orangée, éblouissante.

 

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