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Short Stories in French

Page 12

by Richard Coward


  She woke up in the late morning, feeling unwell, with a heavy head and her heart pounding. She swallowed two aspirins and went back to bed. Through the windows she felt attacked by a bright blue sky, sprinkled with some light snow that the wind was tossing in the currents of icy air, whilst the buildings in the town pierced the sky with their shimmering scalpels. Trembling, she lit a cigarette and, at the same time, turned on the radio. It was time for the regional news on Radio-Canada. When the announcer talked about a fire on the Plateau Mont-Royal having brought about three alerts at dawn, she stopped smoking. He gave the address of the three-storey apartment block that contained two occupied flats and an art gallery. No lives had been lost but the damage had been considerable. The possibility of arson had not been eliminated. The weather forecast followed: ‘A clear sky today and tonight, but cold. It is presently two degrees below zero in Dorval. Which is slightly below the average for this time of year … At the beep it will be midday.’ Even with the radio off, that piercing sound continued to draw a black line in her head, like an epitaph without words. She wept.

  Daniel Boulanger

  THE HUNTERS’ CAFÉ

  Le Café des Chasseurs

  Montfavert avait transformé sa cuisine en atelier de menuiserie et vivait dans son tricycle d’infirme de guerre. Il ne se déplaçait plus qu’au rez-de-chaussée de sa maison qui donnait sur le cours Jules-Taupin. L’étage et le grenier lui servaient de paradis. Il y pensait toujours et ne pouvait pas s’y rendre. Quand il avait tourné les bois d’un mobilier de poupée dont la vente relayait l’argent de sa pension d’invalidité et qu’il avait donné à manger aux araignées qu’il élevait dans un buffet à portes de verre, dont il éclairait l’intérieur avec une rampe de néon, il changeait de siège et partait faire son tour de ville dans un fauteuil à moteur. On l’entendait à toutes les cornes de la rose des vents1 et l’on était heureux qu’il ne circulât jamais la nuit; il aurait réveillé jusqu’aux pierres.2 Ce bruit quasi journalier ne le faisait guère aimer, bien que sa conversation fût des plus enrichissantes. Il connaissait tous les conflits de l’histoire, et il suffisait de le héler pour qu’il arrêtât le vacarme de son engin et vous donnât la date d’une contre-offensive dans le Jutland3 ou la Cyrénaïque,4 effectifs et noms des chefs. On le voyait vivre le fait d’armes jusqu’à changer de couleur, et il arrivait que l’on apprît la cause réelle de cette douleur qu’on le suppliait de nous pardonner d’avoir fait naître.

  – Pas du tout, répondait-il. C’est au contraire un plaisir. Vous me voyez branlant à cause d’Angèle. Elle est morte la nuit dernière.

  – Désolé.

  – Elle allait avoir deux ans. Une araignée qui répondait à tous mes appels, qui accourait à mon approche, qui dansait, monsieur! Bien ferme et souple sur ses pattes en étoile, elle se laissait rebondir comme une balle.

  – Vous en avez d’autres! disait-on pour le consoler.

  – Quel être en remplace un autre? Enfin!

  On le laissait remettre les gaz et rouler vers le Café des Chasseurs où il avait ses quartiers de délassement. Là, sans quitter ses roues, il s’installait à la table des amis pour des jeux de hasard qui faisaient place à des conversations sur l’armée, ses souvenirs, ses transformations, son avenir, à des lectures de bulletins d’anciens combattants ou de revues de polémologues. Montfavert était abonné à diverses publications, sans compter brochures et encyclopédies dont le spécimen lui était arrivé avec une lettre de souscription. Il ne se passait d’ailleurs pas de semaine qu’il ne cédât à la vente par correspondance, et sa mémoire était confortée par ces rangées d’histoires de tout genre qui mettaient ses finances à sec. Un jour, il arriva aux Chasseurs dans un grand désarroi.

  – Montfavert! Tu en fais une tête!

  – Je suis jaloux, dit-il simplement et vexé. Je vous ai souvent parlé d’un vieux camarade: Agricole Palaneuve! Nous avons fait les mêmes hôpitaux! Mais c’est bien un Parisien! Il n’y en a que pour Paris! Paris, toujours! Ange ne m’a même pas fait signe! Comme si j’étais enterré dans ce trou!

  – De quoi s’agit-il?

  – D’un haut fait!

  – Alors, de quoi te plains-tu?

  Montfavert sortit un fascicule d’une des sacoches du tricycle.

  – Une nouvelle publication. Le premier numéro. Très cher, trop cher! Enfin, le papier est glacé. Et au beau milieu je tombe sur Palaneuve! Suis-je toujours son ami? Je vous fais juge.

  – On t’écoute.

  – Ça s’intitule: «L’outrage».

  Le cabaretier apportait du vin blanc.

  – Un alsace5 de derrière les fagots,6 dit-il joyeusement. Une nouvelle source. Vous n’allez plus la quitter!

  – Non, coupa Montfavert en repoussant la bouteille, pas aujourd’hui. Du rouge, s’il te plaît.

  La tablée s’étonna, mais la main du paralytique restait impérieuse. Le rouge arriva et il commença:

  L’outrage

  Quand il lut qu’un Scandinave s’était fait cuire un œuf sur la flamme du Soldat Inconnu,7 Agricole Palaneuve laissa glisser le journal, ferma les yeux dans sa chaise roulante, et ses mains blanchirent de douleur à tant serrer les accoudoirs. Il y avait belle lurette qu’il avait versé sa dernière larme, là-bas, au fond de sa guerre, et si d’autres malheurs avaient fondu depuis sur le pays, aucun acte n’approchait en vilenie du sacrilège que l’on venait de relater, en pleine paix, à la veille de défiler pour la commémoration de l’Armistice. II décrocha son appareil téléphonique pour appeler le Ministre qui le pensionnait. Des préposés se le passèrent de bureau en bureau, mais il ne put obtenir le secrétaire général qu’il connaissait suffisamment pour lui dire son indignation au nom de tous ceux qui n’avaient osé l’appeler, mais les employés qui étaient tous au courant, passant leur matinée à lire la presse, ne paraissaient guère s’émouvoir. Agricole avait même cru percevoir dans l’écouteur quelques ricanements «Il n’y a plus rien de bon à attendre, gémit-il, plus rien ni de loin ni de près.» Il se trouvait sous le jet d’une Providence qui se soulage et il se rappela les fourmis qu’il aimait arroser au hasard des promenades et des besoins, autrefois. «Tout se tient», songeait-il et il ajouta: «Puisqu’ils ne veulent pas m’entendre, ils vont me voir!»

  La concierge de son immeuble vint le sortir de son cinquième étage et le poussa dans l’ascenseur. Agricole Palaneuve se retrouva dans la rue et fit démarrer le petit moteur de son fauteuil. Les rues les plus passantes, les carrefours ne l’effrayaient pas, conscient du danger qu’il faisait naître chez les automobilistes et malgré sa désespérance comptant toujours qu’il inspirait de la pitié et donc des attentions. Les quolibets, les injures ne manquaient cependant pas de pleuvoir sur lui et les conseils du genre: «Reste avec ta nounou!», «Plante-toi au soleil, ça repoussera!» Ah, certes, il pouvait parler de la méchanceté, de la goujaterie humaines! Il retenait certaines malveillances, les duretés les mieux venues pour les rapporter aux amis qui se trouvent dans le même état que lui et il les comparait à celles qu’eux-mêmes avaient entendues. Il leur arrivait d’en prendre des fous rires. Leurs réunions se passaient toujours au Champ-de-Mars8 et par temps de pluie dans l’un des cafés proches de École Militaire.9 On les poussait au-delà de l’arrière-salle des billards dans une sorte de pergola10 aux murs aveugles où le public n’allait guère et d’où ils pouvaient suivre les poules que les joueurs disputaient ou les programmes de la télévision sur l’écran réservé au personnel. Les serveurs prenaient là leurs repas aux heures creuses du matin et de l’après-midi. Il s’y retrouvait parfois quatre ou cinq petites voitures, mais Agricole Palaneuve pouvait toujours compter sur celle de Jacques Mouchelin qui ne quittait guère l’endroit, habitait le quartier, n’activait ses roues qu’avec les mains et que les amis surnommaient le Casanier.11 Agricole, ce jour-là, avait décidé de leur soumettre le problème, d’envisager une riposte au geste blasphématoire du Scandinave et de commencer par signer ensemble une lettre au Ministre pour lui montrer qu’ils n’entendaient
pas que l’outrage restât impuni. La vue d’un match de tennis joué par des handicapés en petite voiture les conforta. Cela se passait en Amérique et le vainqueur du tournoi à la fin du reportage parut leur lancer sa raquette, éclatant de joie à l’image des joueurs qui courent sur leurs deux jambes. Un souffle de liberté passa sous la pergola et le haut mur aveugle qui la fermait renvoya leurs bravos.

  Agricole posta la lettre. Les jours passaient sans réponse quand elle arriva, deux semaines après. A la pergola les amis écoutèrent Palaneuve qui la lut de sa belle voix. Le Ministre laissait percer son émotion, sa compréhension, mais faisait entendre que le mieux était d’oublier une insanité. On avait souvenir, ajoutait-il, de gestes plus ignobles en cet endroit sacré, ce qui n’était pas une raison, certes, de prendre la Flamme pour un réchaud de cuisine. Le Scandinave était un Danois. Après une forte amende, il avait été rejeté au-delà de la frontière. La lettre se terminait par une exhortation à la vigilance, «bien qu’en ce domaine comme dans les autres nul être et nul temple ne puissent être à l’abri d’une souillure. Le malade mental est à tous les coins de rue».

  – Il ne s’agit pas d’une rue, dit Casanier, mais de la plus belle avenue du monde.

  – Certes! dirent les autres.

  – Qu’ils doublent le nombre des gardiens! lança Agricole. Ce n’est jamais de l’argent perdu quand il s’agit d’honneur.

  On entendait le heurt voisin des boules de billard, la rumeur assourdie des salles, si semblable au vacarme des poulaillers.

  – J’ai une idée, dit Agricole que les autres regardaient depuis un moment. Nous allons t’offrir un moteur et tu mettras ta part, Casanier.

  – Je n’en ai pas besoin! s’écria le manuel.

  – C’est indispensable, dit Palaneuve, tu regretterais de ne pas en avoir et donc de ne pas en être! Bien que tu sois le seul à faire bande à part, en un sens.

  – Je suis ici, s’écria Casanier, bien plus souvent que vous! C’est toujours moi qui vous attends!

  – Cette fois nous serons à l’heure, tous les six, et ensemble, et sur le même rang et d’autres encore! J’ajoute que nous aurons tous un moteur, pour avant et pour après.

  – Avant, après quoi? demandaient les autres.

  – Mes amis …

  Et il leur exposa le projet qui devait faire réfléchir le cuisinier de l’Inconnu et ranimer l’affaire que tous étouffaient, du Ministre au dernier passant. Sous la pergola courait12 en liseron sur toutes choses et sur les six infirmes le silence particulier des comploteurs fleuri du pavillon pâle et multiple des questions que l’on n’ose poser et qui attendent pour tomber le souffle du plus courageux. Le Casanier se lança:

  – Nous ne sommes pas en nombre suffisant?

  – Nous allons battre le ban et l’arrière-ban des nôtres, dit Agricole, convoquer sans explication pour affaire importante les concernant. C’est moi qui leur parlerai. Nous sommes lundi. Je veux tous nous voir dans deux jours et nous arrêterons la manœuvre.

  Bien qu’il n’eût jamais dépassé le grade de sergent, Agricole Palaneuve parlait sans réplique, en généralissime, et les autres le reconnaissaient comme le plus décidé et le plus adroit d’entre eux. Agricole ressentait tout cela et de ce fait sentait la victoire au bout de ses ordres. Il rentra chez lui et le Casanier, exceptionnellement, lui fit un bout de route, suppléant au moteur qui lui manquait encore et dont il sentait maintenant la nécessité par une poigne d’acier. Tenant d’une main son guidon, il avait saisi de l’autre l’accoudoir d’Agricole et se laissa remorquer sur la longueur de l’arrondissement.13 Il lâcha Palaneuve à regret et le regarda s’éloigner, qui reprenait sa grande vitesse et doublait les plus rapides des piétons.

  Si l’on demandait à nos semblables ce qu’ils aimeraient sauver d’un désastre absolu, ce serait pour la plupart une image ou une lettre, la photographie de ce qui leur est le plus cher ou la déclaration que leur a faite leur plus haut amour. La signature peut varier à l’infini, d’un enfant à une mère, d’une épouse à un chef. Agricole ne prenait ses décisions et ses songes qu’en face d’un mot signé par le général de Gaulle.14 Il l’avait mis sous verre, encadré d’une baguette en peau de cheval et suspendu au-dessus de sa table de nuit.

  Il regarda la signature prestigieuse et sourit: le Général serait d’accord avec l’événement dont Agricole l’entretenait en remuant les lèvres, laissant échapper un mot, ici et là, comme pour s’excuser du côté farceur que d’aucuns pourraient y voir, mais il redevint grave et eut une nuit d’un sommeil profond, comme il n’en avait connu autrefois qu’à la veille des attaques, faisant pour ainsi dire le vide de lui-même et l’apprêt d’un homme neuf et disponible.

  Ce fut un vendredi qu’Agricole et les siens rappelèrent l’attention du monde sur le dévouement de ceux qui sont morts pour que les autres vivent. Il ne songeait pas que laver la tache d’un affront c’est encore le rappeler et que vouer Un Tel aux gémonies c’est le remettre au premier rang. Le Scandinave allait connaître une nouvelle flambée, si l’on peut se permettre cette image. L’oubli si préférable n’est pas difficile, il est impossible.

  Les Anciens15 d’un régiment s’étaient groupés ce jour-là, selon l’habitude de cette quotidienne cérémonie, vers le haut des Champs-Élysées,16 occupant le trottoir avant de défiler sur la chaussée, drapeaux en tête, vers l’Etoile et l’Inconnu qu’ils allaient fleurir. C’était toujours un difficile problème, une aggravation de la circulation toujours dense à cette heure et en ce lieu, malgré le nombre accru des gardiens de la paix, souples et efficaces, dans le carrousel des voitures. Les hommes décorés, coiffés de bérets et de calots, tapaient la semelle et se donnaient des nouvelles, venues de tous les coins de France. Malgré le froid, les traces de neige, le givre sur les arbres nus, une bonne humeur régnait, car l’on parlait de la vie, des naissances et des agrandissements, des fredaines de ceux qui les avaient quittés depuis la dernière ranimation de la Flamme et du plaisir simple, fondamental, d’être ensemble, toujours fidèles au poste. La cérémonie en devenait secondaire et l’on songeait par petits groupes au repas de souvenirs arrosé qui suivrait avant de regagner chacun son coin. Tout à coup on entendit une rumeur qui venait du rond-point, dans le bas, un concert de klaxons qui gagnait l’avenue et couvrait tout Paris d’un pelage de loup17 dans le soir qui tombait.

 

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