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Short Stories in French

Page 20

by Richard Coward


  I shall go. In a few days, when I am able to confront the street, the steps, the flat that you no longer live in, I shall go; but before then I shall have to think what mask I must wear in order to confront it. In this account, I initially borrowed Pierre’s and I needed another voice to take it off, a voice that I thought was mine, until the first masculine agreement that I missed, against which I did not put up any resistance, out of respect for your memory amongst your family and all those who could not have been aware of our love. A misguided respect that chases me from your life, blurs my image, like a reflection faded by the waters of time; after all, haven’t we forgotten each other just a little, you in your marriage, me in mine, hardly mentioned in these pages?

  Ironically, I am in debt to your mother for knowing that you have never forgotten me: ‘She has talked to us about you so often, how could I not remember?’ Madame, you might have remembered about me only the episode of that letter which gave us away and which made you so angry. But no: since then, your indiscretion – for which I thank God today – made you read Fafou’s diary, my letters, which she had kept, and realize that our love was not damned as some poems led you to believe, the flowers of the male not having given happiness to Fafou as you had naively believed, in spite of the child, in whose name everything was shattered, torn apart … ‘Perhaps,’ you also used to say, ‘you would have made her happier, who knows?’ Who knows? Words spoken softly, which come back to me in snatches, which, at the time, I could not pay any attention to …

  Yes, I need to face up to all my masks before going to meet her. From all my masks, I must reconstruct mine from that time, fifteen years ago, so I can seize that which no woman but me must hear.

  Like dead leaves on a lake, incoherent images float through my mind. First I am the stagnant water that carries them, then the leaves, both prisoners between the riverbanks, fixed for all eternity.

  Pierre will not reach his goal: there is no point. And he who still looks at himself on the panes of a window half-opened on to the night will stay there, wondering about his face that you did not know. Neither of them will reach their goal. And I too know that I have failed to reach mine. In these pages, not yet written, are evocations of you, clear images, which float like the leaves on a lake, but no word could bring them to life.

  My subterfuges have not pulled you out of the shadow in which you are hiding, have not warned you, there where you have hidden, they have merely rekindled my own anguish. Your shining image, your scent, your skin, the brilliance of your dark eyes, your lips, everything sinks into a mishmash of dust. Is it possible that death is that swampy conscience, uniquely capable of contemplating the past which disperses into the emptiness of time?

  This account, undertaken with the sole intention of bringing you back to life – but can it be termed bringing back to life if one merely sees oneself condemned to recreating old gestures, like a puppet in someone else’s hands – this account can only lead to the hopeless but humble acceptance of your mother’s words, spoken on the telephone, that only I could hear:

  ‘Fafou is no longer of this world.’

  René Belletto

  SELF-DESTRUCTION

  Autodestruction

  Je fais un long voyage entre deux capitales.

  Une amie, qui connaît mon dégoût des hôtels, plus invincible encore que ma crainte de la solitude, m’a remis avant mon départ les clés d’une maison qu’elle possède et située, loin des villes et des routes, à mi-chemin entre mon point de départ et mon point d’arrivée. Je pourrai ainsi dormir autant qu’il me plaira – couper le voyage – et laisser reposer ma voiture – vieille, délavée, coussins nauséabonds, moteur qui tape, radiateur fuyant, les portières s’ouvrent seules et le bouton de la radio, actionné, émet mystérieusement des jets puissants d’huile noire.

  – et quand j’arrive en vue de la maison, par une nuit d’orage, il est temps, car le moteur, noyé, s’éteint dans les hoquets, et le véhicule se blottit contre une haie de houx comme une chienne malade.

  Je m’en inquiéterai demain.

  Chargé de bagages la pluie me bat sur l’étroit chemin ruisselant où je me courbe talonné par la peur du refroidissement dans un lit inconnu fiévreux (le robinetier qui employait mon père lui ayant demandé s’il pleuvait dehors un jour que mon père, le cheveu dégouttant de brillantine, mon père lui répondit), vite, vite, du feu, un bain fumant, des serviettes bien râpeuses, le manger et le dormir!

  C’est une maison d’un étage.1

  Je ferai à mon amie un présent2 de prix – une sculpture, un violon, douze livres – oui, douze beaux volumes –, et nous resterons silencieux de longues heures comme par le passé – sa maison est un petit paradis. Paradis.

  Lavé d’abondance, peigné fin, rasé jusqu’au muscle, rassasié sans vergogne, j’attends que le feu s’apaise dans la grande cheminée rose et je monte à l’étage où je trouve plus douillette encore la chambre où je vais dormir d’un trait. Un refroidissement! Ha, ha! Foin des idées noires! Déshabillé, je me glisse dans le lit comme pour ne pas le défaire.

  Or un malin sommeil se plaît à m’échapper.

  Je pense dans la nuit.

  Le silence a chassé la pluie. Seules des gouttes obstinées …

  Et malgré le confort qui me ceint de toutes parts, et bien, aussi, que j’aie quelque réticence à admettre une quelconque ressemblance entre moi-même et quiconque, néanmoins, si quelqu’un me poussait dans mes tout derniers retranchements, je finirais par admettre qu’entre Robinson Crusoë3 – Robinessonne Krouzô, prononcé à l’anglaise par un maître un jour gris de lycée, interminable hilarité – et moi … Mais si peu à la réflexion. Il est seul dans une île. Je me souviens qu’en dépit de la chaleur accablante, il dissimule ses parties honteuses derrière une peau de bête, prétextant que les mouvements de cette espèce de jupe produisent de petits courants d’air qui le rafraîchissent. Robinessonne.

  J’avais cru mon sommeil impérieux et je n’ai pas – indifférence peu concevable, mais passons – examiné avant d’éteindre les nombreux livres qui bombent une bibliothèque en acajou massif. La certitude que je ne dormirai pas de sitôt, l’excitation provoquée en moi par le calme absolu qui m’entoure, un bien-être euphorique aussi, né d’une fatigue toujours présente mais dissoute, font que j’allume et me relève en souplesse et bondis de-ci de-là dans la pièce, béat, jusqu’à la bibliothèque d’acajou sombre et finement poussiéreux dont la clé tourne pour ainsi dire seule: que de livres!

  Sur plusieurs rangées, aussi profond que mon bras puisse atteindre et encore au-delà (le meuble trompe, on l’eût dit moins épais), une infinité de livres s’offrent à moi. A cette vue, à ce toucher, à ce sentir de cuir lisse et de papier ranci, je perds tout sens commun et j’applaudis en sautant sur place avec de petits cris et seule la crainte (mes essors élastiques m’arrachant toujours plus loin du sol) de défoncer le plafond dans une explosion de plâtre et une chute de petits moellons (mes yeux hagards dans le noir du grenier, les souris accourant pour me ronger la tête) m’immobilise à la raison.

  Gravement, je feuillette des milliers de volumes sans m’attacher à aucun, sauf à une plaquette pourtant, tard dans la nuit, dernière saisie, un ravissant petit format sans nom d’auteur, quelques pages à peine de beaux caractères nets que je vais pouvoir aisément déchiffrer du premier au dernier.

  Ma lecture commence.

  Autodestruction

  Je fais un long voyage entre deux capitales.

  Une amie, qui connaît mon dégoût des hôtels, plus invincible encore que ma crainte de la solitude, m’a remis avant mon départ les clés d’une maison qu’elle possède et située, loin des villes et des routes, à mi-chemin entre mon point de départ et mon point d’arrivée. Je pourrai ainsi …

  Fort drôle! Voilà mon histoire narrée par le menu détail! Je m’arrache non sans peine à la phrase: cette rupture, cette suspension, ce simple effort de réflexion m’empêchent, je le sais, de sombrer dans le vertige d’un éternel r
ecommencement et me permettent de continuer sans qu’aucune inquiétude encore ne se mêle à mon amusement hautain: cette coïncidence, ce jeu: fort drôles.

  … dormir autant qu’il me plaira – couper le voyage – et laisser reposer ma voiture …

  L’impotence de mon véhicule, la pluie brutale, ma vie dans la maison, mes souvenirs, la fuite du sommeil, mon désir de lecture: quelle exactitude, dieu du ciel! Comment ce prodige est-il possible? Cette première question ouvre une faille par où s’insinue mon trouble rôdeur et vigilant. Tout est dit, et quand je suis au passage suivant:

  … je feuillette des milliers de volumes sans m’attacher à aucun, sauf à une plaquette pourtant, …

  l’illusion d’échapper à l’infini des mots ne pèse rien en regard du piège éternel qu’ils me tendent, me dis-je, et mon malaise épars se ramasse et durcit et devient PEUR, et je lève les yeux, car ce que je lis rapporte un passé de plus en plus proche, rapportera bientôt mon geste, ma réflexion, mon activité du moment – comme un regard jeté-repris aussitôt m’en assure –, d’où je conclus que mon avenir gît dans les pages, ma vie, et tout entière absente en un seul point du temps?

  Texte maudit, je vais te piétiner, te jeter du haut d’une tour, te souiller au-delà de toute expression, arracher tes pages une à une et les piler dans un mortier de goudron ardent, malmener chacun de tes caractères (j’y reviendrai) et leur donner forme inhumaine d’indécryptables hiéroglyphes!

  Ou plutôt devrais-je te lire calmement, mot à mot, et par là te rendre inoffensif, selon une démarche de l’esprit que je ne parviens toujours pas à élucider?

  Hélas, la terreur me dicte son incompréhensible loi: je veux savoir, un peu, pas trop, non je ne me précipiterai pas sur la dernière page, le dernier mot, mais je regarderai par éclairs, brèves explorations, foudroyants sondages qui disloqueront mon corps, mes membres et mon visage de curiosité fébrile et désordonnée avant que je me raidisse avec nerf, comme ces personnages au squelette de ficelle qu’on manœuvre du pouce – paralysé par ce que j’aurai vu.

  Une phrase me sollicite d’abord, peut-être à cause des guillemets qui la détachent: «C’est alors que j’entends des pas dans l’escalier.» Damnation! J’entends des pas dans l’escalier! Quoi d’autre pouvait autant m’effrayer? J’écoute et je perçois distinctement des chocs mous, lourds, espacés! Et qui ne sont pas d’une démarche humaine! Je tourne une page du petit livre sur lequel se crispent et blêmissent les doigts de ma main gauche et ces autres mots m’éblouissent, isolés par deux bandes blanches:

  Non, ce n’est pas un homme qui se meut sans grâce dans l’escalier, mais c’est un monstre abject et lent. Le voici maintenant devant la porte de ma chambre. Il va entrer. Sauter par la fenêtre est mon seul espoir de fuite périlleuse, puis, ne pas courir à la route dans la campagne nue, mais contourner la maison, et me perdre dans la forêt.

  Silence.

  Jamais silence ne fut moins supportable. Rien ne pouvait m’effrayer comme un monstre.

  Je me précipite vers la porte (et la main de la folie se referme avec un crissement d’ongles durs à l’endroit précis de l’espace que ma tête occupait un instant auparavant), et j’ouvre.4

  J’ouvre. Ah! l’horrible chose!

  Le monstre se tient là, devant moi, immense et tremblotant, bour-souflé d’abcès visqueux d’où s’écoule – et glisse au sol, et ruisselle à mes pieds! – un liquide fétide et fumant, et ses yeux! ses yeux, si l’on peut désigner du nom d’yeux ces vastes cavités asymétriques comme emplies d’une purée grasse à la surface de laquelle viennent crever de petites bulles verdâtres! Ah! le beau monstre!

  Je recule vers la fenêtre, il s’avance vers moi en émettant un long rire sans joie!

  Mes habits sont posés sur une chaise, pliés avec soin dans l’ordre où je les ai ôtés. J’aurais presque le temps de les passer avant la chute (le froid, la fièvre, la chambre moite – souvenirs de maux et d’âme rendue, hors de mon esprit!), tellement sa progression est timide – implacable néanmoins –, mais la peur m’en empêche. Je me contente d’enfiler sans me baisser ces chaussures, là, qui m’évoquent le temps heureux où je les achetai en solde dans les rues animées de la vieille ville.

  Le monstre s’approche et étend dans ma direction une main, si l’on peut désigner du nom de main …

  J’ouvre la fenêtre, et je saute, le livre serré contre ma poitrine, un doigt glissé à l’intérieur en guise de signet.

  Je cours sous la lune dans la forêt frileuse, gémissant de la chute et soupirant après une bonne pèlerine, comme jadis dans une région de montagne, je m’en souviens comme si c’était hier, et encore aujourd’hui je me demande si ce n’était pas en effet hier, vacances glorieuses – enfants de mon âge, murmures à l’oreille, longs jours, brèves nuits, confiture léchée et pain jeté, monde immobile – vacances éternelles où j’allais, vêtu d’une pèlerine qui balayait les graviers de la route, marchant derrière le troupeau de moutons, marchant jusqu’à la pâture, septembre était venu, et rêvant déjà de la brûlante époque des foins, juché sur la charrette où j’ordonnais l’herbe et la piétinais, plein de l’orgueil des fourches évitées, retours impériaux à la ferme, monde immobile et soumis, paroles tues – aveugle, insensible, je cours dans la forêt jusqu’à bout de souffle.

  Je dois m’arrêter. Devant moi, une rivière profonde.

  Halètements.

  J’ai oublié le monstre, mais la peur ne m’a pas quitté.

  Bruits dans mon dos: frissons des hautes fougères, trépignements d’écureuils, tourbillons d’aiguilles de pin?

  Je me retourne et je vois.

  Les arbres enflent à leur base comme s’ils se dédoublaient. Malédiction! Chacun dissimulait un monstre, les ignobles créatures sont légion! Une infinité de monstres me coupent toute issue!

  Le temps est venu d’oser.

  J’ouvre la plaquette à la dernière page. Mes yeux saillent à la lecture de la dernière phrase, embellie de guillemets narquois.

  Hurlant de rage, pestant contre ce dénouement cruel et sans surprise, mais inévitable, je me précipite vers la rivière où je jette le livre que l’eau avale, et les derniers mots lus continuent de s’inscrire douloureusement dans la matière cérébrale où ils se figent et durcissent: «A la mort indicible qu’ils me réservent, je préfère l’eau noire de la rivière!»

  Self-destruction

  I am on a long journey between two capital cities.

  Before I set off, a female friend, who knows my intense dislike of hotels, which is even more insuperable than my fear of being alone, handed me the keys to a house she owns, which is situated, a long way from any town or road, halfway between my point of departure and my destination. I will therefore be able to sleep as much as I like – to break the journey – and to give a rest to my car, which is old, faded in colour, with disgusting seat cushions, an engine that thumps, a radiator that leaks, doors that open by themselves and a radio button that, when turned on, mysteriously squirts out powerful gushes of black oil.

  – and when the house comes into sight, one stormy night, it is time, for the engine, which is flooded, splutters to a halt, and the car huddles against a hedge of holly like a sick dog.

  I’ll worry about it tomorrow.

  I am laden with luggage, and the rain is beating down on me on the narrow path, streaming with water, along which I am bent, driven by the fear of catching a feverish chill in a strange bed (the tap-maker who used to employ my father having asked him one day if it was raining outside when my father, his hair dripping with brilliantine, my father replied to him), quickly, quickly, a fire, a steaming hot bath, really rough towels, eat and sleep!

  It is a house with a ground and first floor.

  I will give my friend an expensive gift – a sculpture, a violin, twelve books – yes, twelve fine volumes – and we will remain silent for hours on end, as we did in the past – her house is a minor paradise. A paradise.

  Washed thoroughly clean, hair neatly comb
ed, shaved as close as can be, hunger shamelessly satisfied, I wait for the fire to die down in the large pink fireplace and then go upstairs where I find the even cosier bedroom in which I am going to sleep without waking. A chill! No way! A plague on such foolish notions! Undressed, I slide into the bed as though not to disturb the sheets.

  Then crafty sleep delights in eluding me.

  I spend the night in thought.

  Silence has chased away the rain. Just persistent drips …

  And despite the all-embracing feeling of comfort and although I am also slightly reluctant to admit to some resemblance or other between myself and anyone else, nevertheless if driven into a corner I would eventually admit that between Robinson – Crusoe pronounced Robinessonne Krouzô in the English way by a teacher one grey day at the lycée, the source of interminable mirth – and me … But on reflection so little. He is alone on an island. I remember that in spite of the oppressive heat, he conceals the shameful parts of his body beneath an animal skin, claiming that the movement of this sort of skirt makes draughts to keep him cool. Robinessonne.

  I had thought that sleep would come immediately and before putting the light out I have not – with scarcely conceivable indifference, but let’s not tarry over it – examined the many books that are bulging out of the solid mahogany bookcase. The certainty that I will not fall asleep immediately, the excitement stirred in me by the total calm that surrounds me, a feeling of well-being that is also one of euphoria, born from an ever-present though indefinable tiredness, combine to make me turn on the light and slide smoothly out of bed, and I leap hither and thither in the room, blissfully happy, until I reach the dark mahogany bookcase, covered in a fine dust, whose key turns almost by itself: so many books!

 

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