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The Penguin Book of French Poetry

Page 52

by Various


  S’il n’en était pas ainsi, est-ce que vous connaîtriez,

  Petits lits mal défendus, la paralysie des enfants.

  Je suis coupé de mon œuvre,

  Ce qui est fini est lointain et s’éloigne chaque jour.

  Quand la source descend du mont comment revenir là-dessus?

  Je ne sais pas plus vous parler qu’un potier ne parle à son pot,

  Des deux il en est un de sourd, l’autre muet devant son œuvre

  Et je vous vois avancer vers d’aveuglants précipices

  Sans pouvoir vous les nommer,

  Et je ne peux vous souffler comment il faudrait s’y prendre,

  Il faut vous en tirer tout seuls comme des orphelins dans la neige.

  Et je me dis chaque jour au delà d’un grand silence:

  ‘Encore un qui fait de travers ce qu’il pourrait faire comme il faut,

  Encore un qui fait un faux pas pour ne pas regarder où il doit.

  Et cet autre qui se penche beaucoup trop sur son balcon,

  Oubliant la pesanteur,

  Et celui-là qui n’a pas vérifié son moteur,

  Adieu avion, adieu homme!’

  Je ne puis plus rien pour vous, hélas si je me répète

  C’est à force d’en souffrir.

  Je suis un souvenir qui descend, vous vivez dans un souvenir,

  L’espoir qui gravit vos collines, vous vivez dans une espérance.

  Secoué par les prières et les blasphèmes des hommes,

  Je suis partout à la fois et ne peux pas me montrer,

  Sans bouger je déambule et je vais de ciel en ciel,

  Je suis l’errant en soi-même, et le grouillant solitaire,

  Habitué des lointains, je suis très loin de moi-même,

  Je m’égare au fond de moi comme un enfant dans les bois,

  Je m’appelle, je me hale, je me tire vers mon centre.

  Homme, si je t’ai créé c’est pour y voir un peu clair

  Et pour vivre dans un corps moi qui n’ai mains ni visage.

  Je veux te remercier de faire avec sérieux

  Tout ce qui n’aura qu’un temps sur la Terre bien-aimée,

  O mon enfant, mon chéri, ô courage de ton Dieu,

  Mon fils qui t’en es allé courir le monde à ma place

  A l’avant-garde de moi dans ton corps si vulnérable

  Avec sa grande misère. Pas un petit coin de peau

  Où ne puisse se former la profonde pourriture.

  Chacun de vous sait faire un mort sans avoir eu besoin d’apprendre,

  Un mort parfait qu’on peut tournet et retourner dans tous les sens,

  Où il n’y a rien à redire.

  Dieu vous survit, lui seul survit entouré par un grand massacre

  D’hommes, de femmes et d’enfants

  Même vivants, vous mourez un peu continuellement

  Arrangez-vous avec la vie, avec vos tremblantes amours.

  Vous avez un cerveau, des doigts pour faire le monde à votre goÛt,

  Vous avez des facilités pour faire vivre la raison

  Et la folie en votre cage,

  Vous avez tous les animaux qui forment la Création,

  Vous pouvez courir et nager comme le chien et le poisson,

  Avancer comme le tigre ou comme l’agneau de huit jours,

  Vous pouvez vous donner la mort comme le renne, le scorpion,

  Et moi je reste l’invisible, l’introuvable sur la Terre,

  Ayez pitié de votre Dieu qui n’a pas su vous rendre heureux,

  Petites parcelles de moi, ô palpitantes étincelles,

  Je ne vous offre qu’un brasier où vous retrouverez du feu.

  Nuit en moi…

  Nuit en moi, nuit au dehors,

  Elles risquent leurs étoiles,

  Les mêlant sans le savoir.

  Et je fais force de rames

  Entre ces nuits coutumières,

  Puis je m’arrête et regarde.

  Comme je me vois de loin!

  Je ne suis qu’un frêle point

  Qui bat vite et qui respire

  Sur l’eau profonde entourante.

  La nuit me tâte le corps

  Et me dit de bonne prise.

  Mais laquelle des deux nuits,

  Night within me…

  Night within me, night without, they venture their stars, mingling them without knowing. And I row hard between these familiar nights, then I stop and gaze. How I see myself from afar! I am merely a fragile speck beating rapidly and breathing upon the deep surrounding water. Night fingers my body and pronounces me fair game. But which of the two nights, the outer or the inner? The darkness is a unity and circulates, the sky and the blood are as one. Long since vanished, I perceive my wake laboriously hung with stars.

  Du dehors ou du dedans?

  L’ombre est une et circulante,

  Le ciel, le sang ne font qu’un.

  Depuis longtemps disparu,

  Je discerne mon sillage

  A grande peine étoilé.

  Plein Ciel

  J’avais un cheval

  Dans un champ de ciel

  Et je m’enfonçais

  Dans le jour ardent.

  Rien ne m’arrêtait

  J’allais sans savoir,

  C’ètait un navire

  Plutôt qu’un cheval,

  C’était un désir

  Plutôt qu’un navire,

  C’était un cheval

  Comme on n’en voit pas,

  Tête de coursier,

  Robe de dêlire,

  Un vent qui hennit

  En se répandant.

  Open Sky

  I had a horse in a field of sky and I plunged into the burning daylight. Nothing stopped me, on I went without knowledge, it was a ship rather than a horse, it was a desire rather than a ship, it was a horse such as you never saw, the head of a charger, the coat of ecstasy, a wind that neighed as it launched itself forth. I rode on up and beckoned: ‘Follow my path, you can come, my finest friends, the way is tranquil, the heavens are open. But who speaks these words? I am losing sight of myself at this height, can you make me out, I am the one who was speaking just now, am I still the one who is speaking now, and you, friends, are you the same? The one obliterates the other and changes as it rides higher.’

  Je montais toujours

  Et faisais des signes:

  ‘Suivez mon chemin,

  Vous pouvez venir,

  Mes meilleurs amis,

  La route est sereine,

  Le ciel est ouvert.

  Mais qui parle ainsi?

  Je me perds de vue

  Dans cette altitude,

  Me distinguez-vous,

  Je suis celui qui

  Parlait tout à l’heure,

  Suis-je encor celui

  Qui parle à présent,

  Vous-mêmes, amis,

  Etes-vous les mêmes?

  L’un efface l’autre

  Et change en montant.’

  1940

  … Nous sommes très loin en nous-mêmes

  Avec la France dans les bras,

  Chacun se croit seul avec elle

  Et pense qu’on ne le voit pas.

  Chacun est plein de gaucherie

  Devant un bien si précieux,

  Est-ce donc elle, la patrie,

  Ce corps à la face des cieux?

  Chacun la tient à sa façon

  Dans une étreinte sans mesure

  Et se mire dans sa figure

  Comme au miroir le plus profond.

  1940

  … We are very deep within ourselves with France in our arms, each man in his mind is alone with her and thinks he is unseen.

  Each man is filled with awkwardness before such a treasured possession, can this be her, our homeland, this body in the face of the heavens?

  Each man holds her in his own way in a measureless embrace and sees himself reflected in her face as in the deepest mirror.

  Saint-John Perse
r />   (1887–1975)

  This is the pseudonym of Marie-René Alexis Saint-Léger Léger. Born in the French West Indies, an environment whose influence can be seen in the luxuriant quality of his imagery, he came to France as a student and formed an important friendship with Claudel. Even before this meeting, however, Perse had found the characteristic style that he would maintain, and that would be so much admired by T. S. Eliot and other poets.

  In 1914 he began what was to be a brilliant diplomatic career, and he rose eventually to the post of secretary-general at the Quai d’Orsay. In 1940 he refused the post of Ambassador to Washington, and was deprived of his citizenship and possessions by the Vichy government. Several works were destroyed by German soldiers searching his apartment in Paris.

  His pseudonym sustained the distinction between his diplomatic and literary careers, and his double identity was not well known until the 1940s. During the war he lived in the USA, working as a consultant at the Library of Congress, and for a time unable to write through his sense of loss, exile and outrage. A private man, seen by many as cold and haughty, Perse had never been part of the Parisian literary scene, but came to appreciate the interest his work received in America, especially among poets of that country. He remained there until 1957, and continued to divide his time between France and the USA until his death. His Nobel Prize award in 1960 attracted greater public attention to a body of work previously regarded as rather esoteric, composed by a ‘poets’ poet’.

  Perse is a spiritual poet in touch with the earth’s elemental forces. He writes mainly in Claudelian ‘versets’, yet although Perse’s landscapes are timeless and literary and his images have spatial freedom, he is more concrete than Claudel. The world is celebrated and ennobled by an enchanted, solitary perceiver (he uses a number of personae), who is both ecstatic and fully in control as he weaves language into a complex symphony of sound-patterns, phrasing, rhythm, parentheses and pauses. Language itself is simultaneously ennobled and celebrated. Poetry here affirms itself intensely as its own justification, structured mysteriously by associations of image and sound that are often elliptical and engender a sense that the reader is addressing a strong and pure but only partly elucidated mythology. This poetry is epic, lyric and dramatic, with no ideological colouring and little contemporary reference, and records a quest for communion with the world within the medium of the blank page, or on the shores of exile, or in an America of the spirit. There is always a sense of both dynamic absorption and spatial expansion in a timeless landscape, in which for Perse himself: ‘The very function of the poet is to integrate himself into the thing… taking possession of it, always in a very active way, in its innermost movement and very substance.’

  Major works: Eloges 1911, Anabase 1924, Exil 1945, Pluies 1942, Neiges 1944, Vents 1946, Amers 1957, Chronique 1959, Oiseaux 1963, Chanté par celle qui fut là 1969, Chant pour un Equinoxe 1975.

  Eloges

  II

  J’ai aimé un cheval – qui était-ce? – il m’a bien regardé de face, sous ses mèches.

  Les trous vivants de ses narines étaient deux choses belles à voir – avec ce trou vivant qui gonfle au-dessus de chaque œil.

  Quand il avait couru, il suait: c’est briller! – et j’ai pressé des lunes à ses flancs sous mes genoux d’enfant…

  J’ai aimé un cheval – qui était-ce? – et parfois (car une bête sait mieux quelles forces nous vantent)

  il levait à ses dieux une tête d’airain: soufflante, sillonnée d’un pétiole de veines.

  Praises

  II

  I loved a horse – who was he? – he looked me full in the face, from under his forclock.

  The living holes of his nostrils were two things beautiful to see – with that living hole that swells above each eye.

  When he had been running, he would sweat: in other words he shone! – and I pressed moons on his flanks beneath my child’s knees…

  I loved a horse – who was he? – and sometimes (for an animal knows better what forces praise us)

  he would raise to his gods a head of bronze: breathing hard, furrowed with a petiole of veins.

  XIV

  Silencieusement va la sève et débouche aux rives minces de la feuille.

  Voici d’un ciel de paille où lancer, ô lancer! à tour de bras la torche!

  Pour moi, j’ai retiré mes pieds.

  O mes amis où êtes-vous que je ne connais pas?… Ne verrez-vous cela aussi?…des havres crépitants, de belles eaux de cuivre mol où midi émietteur de cymbales troue l’ardeur de son puits…O c’est l’heure

  XIV

  Silently the sap flows and emerges on the slender shores of the leaf.

  See the coming of a sky of straw into which to hurl, O hurl! with all one’s might the torch!

  As for me, I have drawn back my feet.

  O my friends where are you whom I do not know?… Will you not see that too?… crackling harbours, beautiful waters of soft copper where noon, crumbler of cymbals, pierces the ardour of its well… O it is the time

  où dans les villes surchauffées, au fond des cours gluantes sous les treilles glacées, l’eau coule aux bassins clos violée des roses vertes de midi…et l’eau nue est pareille à la pulpe d’un songe, et le Songeur est couché la, et il tient au plafond son œil d’or qui guerroie…

  Et l’enfant qui revient de l’école des Pères, affectueux longeant l’affection des Murs qui sentent le pain chaud, voit au bout de la rue où il tourne

  la mer déserte plus bruyante qu’une criée aux poissons. Et les boucauts de sucre coulent, aux Quais de marcassite peints, à grands ramages, de pétrole

  et des nègres porteurs de bêtes écorchées s’agenouillent aux faïences des Boucheries Modèles, déchargeant un faix d’os et d’ahan,

  when in the scorched cities, deep in glutinous courtyards beneath chill arbours, the water flows in the sealed pools violated by the green roses of noon… and the naked water is like the pulp of a dream, and the Dreamer is lying there, and he fixes on the ceiling his bellicose golden eye…

  And the child coming home from the Fathers’ school, tenderly sidling along the tenderness of the Walls that smell of warm bread, sees at the end of the street where he turns

  the empty sea noisier than a fish auction. And the casks of sugar ooze, on the Quays of marcasite painted with fuel-oil in great floral designs,

  and negroes carrying skinned animals kneel at the earthenware slabs of the Model Butchers, discharging a burden of bones and toil,

  et au rond-point de la Halle de bronze, haute demeure courroucée où pendent les poissons et qu’on entend chanter dans sa feuille de fer, un homme glabre, en cotonnade jaune, pousse un cri: je suis Dieu! et d’autres: il est fou!

  et un autre envahi par le goÛt de tuer se met en marche vers le Château-d’Eau avec trois billes de poison: rose, verte, indigo.

  Pour moi, j’ai retiré mes pieds.

  and at the centre of the bronze Market Hall, a tall irascible house where fishes hang and which can be heard singing in its sheet of tin, a hairless man in yellow cotton cloth utters a cry: I am God! and others: he is insane!

  and another filled with the taste for killing starts walking towards the Water-Tower with three balls of poison: pink, green, indigo.

  As for me, I have drawn back my feet.

  Anabase VII

  Nous n’habiterons pas toujours ces terres jaunes, notre délice…

  L’Eté plus vaste que l’Empire suspend aux tables de l’espace plusieurs étages de climats. La terre vaste sur son aire roule à pleins bords sa braise pâle sous les cendres – Couleur de soufre, de miel, couleur de choses immortelles, toute la terre aux herbes s’allumant aux pailles de l’autre hiver – et de l’èponge verte d’un seul arbre le ciel tire son suc violet.

  Anabasis VII1

  We shall not live forever in these yellow lands, our place of pleasure…

  The Summer vaster than the Empire suspends in the tables of space several strata of climate
. The vast earth full to the brim turns on its surface its pale embers under the ashes – Sulphur colour, honey colour, colour of immortal things, the whole grassy earth catching fire from the straw of last winter – and from the green sponge of a solitary tree the sky draws its violet juice.

  Un lieu de pierres à mica! Pas une graine pure dans les barbes du vent. Et la lumière comme une huile. – De la fissure des paupières au fil des cimes m’unissant, je sais la pierre tachée d’ouies, les essaims du silence aux ruches de lumière; et mon cœur prend souci d’une famille d’acridiens…

  Chamelles douces sous la tonte, cousues de mauves cicatrices, que les collines s’acheminent sous les données du ciel agraire – qu’elles cheminent en silence sur les incandescences pàles de la plaine; et s’agenouillent à la fin, dans la fumée des songes, là où les peuples s’abolissent aux poudres mortes de la terre.

 

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