Book Read Free

Complete Works of Gustave Flaubert

Page 121

by Gustave Flaubert


  L'armée d'Autharite restait toujours devant Tunis. Elle se cachait derrière un mur fait avec la boue du lac et défendu au sommet par des broussailles épineuses. Des Nègres y avaient planté çà et là, sur de grands bâtons, d'effroyables figures, masques humains composés avec des plumes d'oiseaux, têtes de chacal ou de serpents, qui bâillaient vers l'ennemi pour l'épouvanter ; — et, par ce moyen, s'estimant invincibles, les Barbares dansaient, luttaient, jonglaient, convaincus que Carthage ne tarderait pas à périr. Un autre qu'Hannon eût écrasé facilement cette multitude qu'embarrassaient des troupeaux et des femmes. D'ailleurs, ils ne comprenaient aucune manoeuvre, et Autharite découragé n'en exigeait plus rien.

  Ils s'écartaient, quand il passait en roulant ses gros yeux bleus. Puis, arrivé au bord du lac, il retirait son sayon en poil de phoque, dénouait la corde qui attachait ses longs cheveux rouges et les trempait dans l'eau. Il regrettait de n'avoir pas déserté chez les Romains avec les deux mille Gaulois du temple d'Eryx.

  Souvent, au milieu du jour, le soleil perdait ses rayons tout à coup. Alors, le golfe et la pleine mer semblaient immobiles comme du plomb fondu. Un nuage de poussière brune, perpendiculairement étalé, accourait en tourbillonnant ; les palmiers se courbaient, le ciel disparaissait, on entendait rebondir des pierres sur la croupe des animaux ; et le Gaulois, les lèvres collées contre les trous de sa tente, râlait d'épuisement et de mélancolie. Il songeait à la senteur des pâturages par les matins d'automne, à des flocons de neige, aux beuglements des aurochs perdus dans le brouillard, et, fermant ses paupières, il croyait apercevoir les feux des longues cabanes, couvertes de paille, trembler sur les marais, au fond des bois.

  D'autres que lui regrettaient la patrie, bien qu'elle ne fût pas aussi lointaine. En effet, les Carthaginois captifs pouvaient distinguer au-delà du golfe, sur les pentes de Byrsa, les velarium de leurs maisons, étendus dans les cours. Mais des sentinelles marchaient autour d'eux, perpétuellement. On les avait tous attachés à une chaîne commune. Chacun portait un carcan de fer, et la foule ne se fatiguait pas de venir les regarder. Les femmes montraient aux petits enfants leurs belles robes en lambeaux qui pendaient sur leurs membres amaigris.

  Toutes les fois qu'Autharite considérait Giscon, une fureur le prenait au souvenir de son injure ; il l'eût tué sans le serment qu'il avait fait à Narr'Havas. Alors il rentrait dans sa tente, buvait un mélange d'orge et de cumin jusqu'à s'évanouir d'ivresse, — puis se réveillait au grand soleil, dévoré par une soif horrible.

  Mâtho cependant assiégeait Hippo-Zaryte.

  Mais la ville était protégée par un lac communiquant avec la mer. Elle avait trois enceintes, et sur les hauteurs qui la dominaient se développait un mur fortifié de tours. Jamais il n'avait commandé de pareilles entreprises. Puis la pensée de Salammbô l'obsédait, et il rêvait dans les plaisirs de sa beauté, comme les délices d'une vengeance qui le transportait d'orgueil. C'était un besoin de la revoir, âcre, furieux, permanent. Il songea même à s'offrir comme parlementaire, espérant qu'une fois dans Carthage il parviendrait jusqu'à elle. Souvent il faisait sonner l'assaut, et, sans rien attendre, s'élançait sur le môle qu'on tâchait d'établir dans la mer. Il arrachait les pierres avec ses mains, bouleversait, frappait, enfonçait partout son épée. Les Barbares se précipitaient pêle- mêle ; les échelles rompaient avec un grand fracas, et des masses d'hommes s'écroulaient dans l'eau qui rejaillissait en flots rouges contre les murs. Enfin, le tumulte s'affaiblissait, et les soldats s'éloignaient pour recommencer.

  Mâtho allait s'asseoir en dehors des tentes ; il essuyait avec son bras sa figure éclaboussée de sang, et, tourné vers Carthage, il regardait l'horizon.

  En face de lui, dans les oliviers, les palmiers, les myrtes et les platanes, s'étalaient deux larges étangs qui rejoignaient un autre lac dont on n'apercevait pas les contours. Derrière une montagne surgissaient d'autres montagnes, et au milieu du lac immense, se dressait une île toute noire et de forme pyramidale. Sur la gauche, à l'extrémité du golfe, des tas de sable semblaient de grandes vagues blondes arrêtées, tandis que la mer, plate comme un dallage de lapis-lazuli, montait insensiblement jusqu'au bord du ciel. La verdure de la campagne disparaissait par endroits sous de longues plaques jaunes ; des caroubes brillaient comme des boutons de corail ; des pampres retombaient du sommet des sycomores ; on entendait le murmure de l'eau ; des alouettes huppées sautaient, et les derniers feux du soleil doraient la carapace des tortues, sortant des joncs pour aspirer la brise.

  Mâtho poussait de grands soupirs. Il se couchait à plat ventre ; il enfonçait ses ongles dans la terre et il pleurait ; il se sentait misérable, chétif, abandonné. Jamais il ne la posséderait, et il ne pouvait même s'emparer d'une ville.

  La nuit, seul, dans sa tente, il contemplait le zaïmph. A quoi cette chose des Dieux lui servait-elle ? et des doutes survenaient dans la pensée du Barbare. Puis il lui semblait au contraire que le vêtement de la Déesse dépendait de Salammbô, et qu'une partie de son âme y flottait plus subtile qu'une haleine ; et il le palpait, le humait, s'y plongeait le visage, il le baisait en sanglotant. Il s'en recouvrait les épaules pour se faire illusion et se croire auprès d'elle.

  Quelquefois il s'échappait tout à coup ; à la clarté des étoiles, il enjambait les soldats qui dormaient, roulés dans leurs manteaux ; puis, aux portes du camp, il s'élançait sur un cheval, et, deux heures après, il se trouvait à Utique dans la tente de Spendius.

  D'abord, il parlait du siège ; mais il n'était venu que pour soulager sa douleur en causant de Salammbô :

  Spendius l'exhortait à la sagesse.

  — " Repousse de ton âme ces misères qui la dégradent ! Tu obéissais autrefois, à présent tu commandes une armée, et si Carthage n'est pas conquise, du moins on nous accordera des provinces, nous deviendrons des rois ! "

  Mais, comment la possession du zaïmph ne leur donnait-elle pas la victoire ? D'après Spendius, il fallait attendre.

  Mâtho s'imagina que le voile concernait exclusivement les hommes de race chananéenne, et, dans sa subtilité de Barbare, il se disait : — " Donc le zaïmph ne fera rien pour moi ; mais, puisqu'ils l'ont perdu, il ne fera rien pour eux. "

  Ensuite, un scrupule le troubla, il avait peur, en adorant Aptouknos, le dieu des Libyens, d'offenser Moloch ; et il demanda timidement à Spendius auquel des deux il serait bon de sacrifier un homme.

  — " Sacrifie toujours ! " dit Spendius, en riant.

  Mâtho, qui ne comprenait point cette indifférence, soupçonna le Grec d'avoir un génie dont il ne voulait pas parler.

  Tous les cultes, comme toutes les races, se rencontraient dans ces armées de Barbares, et l'on considérait les dieux des autres, car ils effrayaient aussi. Plusieurs mêlaient à leur religion natale des pratiques étrangères. On avait beau ne pas adorer les étoiles, telle constellation étant funeste ou secourable, on lui faisait des sacrifices ; une amulette inconnue, trouvée par hasard dans un péril, devenait une divinité ; ou bien c'était un nom, rien qu'un nom, et que l'on répétait sans même chercher à comprendre ce qu'il pouvait dire. Mais, à force d'avoir pillé des temples, vu quantité de nations et d'égorgements, beaucoup finissaient par ne plus croire qu'au destin et à la mort ; et chaque soir ils s'endormaient dans la placidité des bêtes féroces. Spendius aurait craché sur les images de Jupiter Olympien ; cependant il redoutait de parler haut dans les ténèbres, et il ne manquait pas, tous les jours, de se chausser d'abord du pied droit.

  Il élevait, en face d'Utique, une longue terrasse quadrangulaire. Mais, à mesure qu'elle montait, le rempart grandissait aussi ; ce qui était abattu par les uns, presque immédiatement se trouvait relevé par les autres. Spendius ménageait ses hommes, rêvait des plans ; il tâchait de se rappeler les stratagèmes qu'il avait entendu raconter dans ses voyages. Pourquoi Narr'Havas ne revenait-il pas ? On était plein d'inquiétudes.

  Hannon avait terminé ses apprêts. Par une nuit sans lune, il fit, sur des radeaux, traverser à ses éléphants et à ses soldats le golfe de Carthage.
Puis ils tournèrent la montagne des Eaux-Chaudes pour éviter Autharite, — et continuèrent avec tant de lenteur qu'au lieu de surprendre les Barbares un matin, comme avait calculé le Suffète, on n'arriva qu'en plein soleil, dans la troisième journée.

  Utique avait, du côté de l'orient, une plaine qui s'étendait jusqu'à la grande lagune de Carthage ; derrière elle, débouchait à angle droit une vallée comprise entre deux basses montagnes s'interrompant tout à coup ; les Barbares s'étaient campés plus loin sur la gauche, de manière à bloquer le port ; et ils dormaient dans leurs tentes (car ce jour-là les deux partis, trop las pour combattre, se reposaient), lorsque, au tournant des collines, l'armée carthaginoise parut.

  Des goujats munis de frondes étaient espacés sur les ailes. Les gardes de la Légion, sous leurs armures en écailles d'or, formaient la première ligne, avec leurs gros chevaux sans crinière, sans poil, sans oreilles et qui avaient au milieu du front une corne d'argent pour les faire ressembler à des rhinocéros. Entre leurs escadrons, des jeunes gens, coiffés d'un petit casque, balançaient dans chaque main un javelot de frêne ; les longues piques de la lourde infanterie s'avançaient par-derrière. Tous ces marchands avaient accumulé sur leurs corps le plus d'armes possible : on en voyait qui portaient à la fois une lance, une hache, une massue, deux glaives ; d'autres, comme des porcs-épics, étaient hérissés de dards, et leurs bras s'écartaient de leurs cuirasses en lames de corne ou en plaques de fer. Enfin apparurent les échafaudages des hautes machines : carrobalistes, onagres, catapultes et scorpions, oscillant sur des chariots tirés par des mulets et des quadriges de boeufs — et à mesure que l'armée se développait, les capitaines, en haletant, couraient de droite et de gauche pour communiquer des ordres, faire joindre les files et maintenir les intervalles. Ceux des Anciens qui commandaient étaient venus avec des casques de pourpre dont les franges magnifiques s'embarrassaient dans les courroies de leurs cothurnes. Leurs visages, tout barbouillés de vermillon, reluisaient sous des casques énormes surmontés de dieux et, comme ils avaient des boucliers à bordure d'ivoire couverte de pierreries, on aurait dit des soleils qui passaient sur des murs d'airain.

  Les Carthaginois manoeuvraient si lourdement que les soldats, par dérision, les engagèrent à s'asseoir. Ils criaient qu'ils allaient tout à l'heure vider leurs gros ventres, épousseter la dorure de leur peau et leur faire boire du fer.

  Au haut du mât planté devant la tente de Spendius, un lambeau de toile verte apparut ; c'était le signal. L'armée carthaginoise y répondit par un grand tapage de trompettes, de cymbales, de flûtes en os d'âne et de tympanons. Déjà les Barbares avaient sauté en dehors des palissades. On était à portée de javelot, face à face.

  Un frondeur baléare s'avança d'un pas, posa dans sa lanière une de ses balles d'argile, tourna son bras : un bouclier d'ivoire éclata, et les deux armées se mêlèrent.

  Avec la pointe des lances, les Grecs, en piquant les chevaux aux naseaux, les firent se renverser sur leurs maîtres. Les esclaves qui devaient lancer des pierres les avaient prises trop grosses ; elles retombaient près d'eux. Les fantassins puniques, en frappant de taille avec leurs longues épées, se découvraient le flanc droit. Les Barbares enfoncèrent leurs lignes ; ils les égorgeaient à plein glaive ; ils trébuchaient sur les moribonds et les cadavres, tout aveuglés par le sang qui leur jaillissait au visage. Ce tas de piques, de casques, de cuirasses, d'épées et de membres confondus tournait sur soi-même, s'élargissant et se serrant avec des contractions élastiques. Les cohortes carthaginoises se trouèrent de plus en plus, leurs machines ne pouvaient sortir des sables ; enfin la litière du Suffète (sa grande litière à pendeloques de cristal), que l'on apercevait depuis le commencement, balancée dans les soldats comme une barque sur les flots, tout à coup sombra. Il était mort sans doute ? Les Barbares se trouvèrent seuls.

  La poussière autour d'eux tombait et ils commençaient à chanter, lorsque Hannon lui-même parut au haut d'un éléphant. Il était nu-tête, sous un parasol de byssus, que portait un nègre derrière lui. Son collier, à plaques bleues battait sur les fleurs de sa tunique noire ; des cercles de diamants comprimaient ses bras énormes, et, la bouche ouverte, il brandissait une pique démesurée, épanouie par le bout comme un lotus et plus brillante qu'un miroir. Aussitôt la terre s'ébranla, — et les Barbares virent accourir, sur une seule ligne, tous les éléphants de Carthage avec leurs défenses dorées, les oreilles peintes en bleu, revêtus de bronze, et secouant par-dessus leurs caparaçons d'écarlate des tours de cuir, où dans chacune trois archers tenaient un grand arc ouvert.

  A peine si les soldats avaient leurs armes ; ils s'étaient rangés au hasard. Une terreur les glaça ; ils restèrent indécis.

  Déjà du haut des tours on leur jetait des javelots, des flèches, des phalariques, des masses de plomb ; quelques-uns, pour y monter, se cramponnaient aux franges des caparaçons. Avec des coutelas on leur abattait les mains, et ils tombaient à la renverse sur des glaives tendus. Les piques trop faibles se rompaient, les éléphants passaient dans les phalanges comme des sangliers dans des touffes d'herbes ; ils arrachèrent les pieux du camp avec leurs trompes, le traversèrent d'un bout à l'autre en renversant les tentes sous leurs poitrails ; tous les Barbares avaient fui. Ils se cachaient dans les collines qui bordent la vallée par où les Carthaginois étaient venus.

  Hannon vainqueur se présenta devant les portes d'Utique. Il fit sonner de la trompette. Les trois Juges de la ville parurent, au sommet d'une tour, dans la baie des créneaux.

  Les gens d'Utique ne voulaient point recevoir chez eux des hôtes aussi bien armés. Hannon s'emporta. Enfin ils consentirent à l'admettre avec une faible escorte.

  Les rues se trouvèrent trop étroites pour les éléphants. Il fallut les laisser dehors.

  Dès que le Suffète fut dans la ville, les principaux le vinrent saluer. Il se fit conduire aux étuves, et appela ses cuisiniers.

  Trois heures après, il était encore enfoncé dans l'huile de cinnamome dont on avait rempli la vasque ; et, tout en se baignant, il mangeait, sur une peau de boeuf étendue, des langues de phénicoptères avec des graines de pavot assaisonnées au miel. Près de lui, son médecin qui, immobile dans une longue robe jaune, faisait de temps à autre réchauffer l'étuve, et deux jeunes garçons penchés sur les marches du bassin, lui frottaient les jambes. Mais les soins de son corps n'arrêtaient pas son amour de la chose publique, et il dictait une lettre pour le Grand-Conseil, et, comme on venait de faire des prisonniers, il se demandait quel châtiment terrible inventer.

  — " Arrête ! " dit-il à un esclave qui écrivait, debout, dans le creux de sa main. " Qu'on m'en amène ! Je veux les voir. "

  Et du fond de la salle emplie d'une vapeur blanchâtre où les torches jetaient des taches rouges, on poussa trois Barbares : un Samnite, un Spartiate et un Cappadocien.

  — " Continue ! " dit Hannon.

  — " Réjouissez-vous, lumière des Baals ! votre suffète a exterminé les chiens voraces ! Bénédictions sur la République ! Ordonnez des prières ! "

  Il aperçut les captifs, et alors éclatant de rire :

  — " Ah ! ah ! mes braves de Sicca ! Vous ne criez plus si fort aujourd'hui ! C'est moi ! Me reconnaissez-vous ? Où sont donc vos épées ? Quels hommes terribles, vraiment ! " Et il feignait de se vouloir cacher, comme s'il en avait peur. — " Vous demandiez des chevaux, des femmes, des terres, des magistratures, sans doute, et des sacerdoces ! Pourquoi pas ? Eh bien, je vous en fournirai, des terres, et dont jamais vous ne sortirez ! On vous mariera à des potences toutes neuves ! Votre solde ? on vous la fondra dans la bouche en lingots de plomb ! et je vous mettrai à de bonnes places, très hautes, au milieu des nuages, pour être rapprochés des aigles ! "

  Les trois Barbares, chevelus et couverts de guenilles, le regardaient sans comprendre ce qu'il disait. Blessés aux genoux, on les avait saisis en leur jetant des cordes, et les grosses chaînes de leurs mains traînaient par le bout, sur les dalles. Hannon s'indigna de leur impassibilité.

  — " A genoux ! à
genoux ! chacals ! poussière ! vermine ! excréments ! Et ils ne répondent pas ! Assez ! taisez-vous ! Qu'on les écorche vifs ! Non ! Tout à l'heure ! "

  Il soufflait comme un hippopotame, en roulant ses yeux. L'huile parfumée débordait sous la masse de son corps, et, se collant contre les écailles de sa peau, à la lueur des torches, la faisait paraître rose.

  Il reprit :

  — " Nous avons, pendant quatre jours, grandement souffert du soleil. Au passage du Macar, des mulets se sont perdus. Malgré leur position, le courage extraordinaire... Ah ! Demonades ! comme je souffre ! Qu'on réchauffe les briques, et qu'elles soient rouges ! "

  On entendit un bruit de râteaux et de fourneaux. L'encens fuma plus fort dans les larges cassolettes, et les masseurs tout nus, qui suaient comme des éponges, lui écrasèrent sur les articulations une pâte composée avec du froment, du soufre, du vin noir, du lait de chienne, de la myrrhe, du galbanum et du styrax. Une soif incessante le dévorait ; l'homme vêtu de jaune ne céda pas à cette envie, et, lui tendant une coupe d'or où fumait un bouillon de vipère :

  — " Bois ! " dit-il, " pour que la force des serpents, nés du soleil, pénètre dans la moelle de tes os, et prends courage, ô reflet des Dieux ! Tu sais d'ailleurs qu'un prêtre d'Eschmoûn observe autour du Chien les étoiles cruelles d'où dérive ta maladie. Elles pâlissent comme les macules de ta peau, et tu n'en dois pas mourir. "

  — " Oh ! oui, n'est-ce pas ? " répéta le Suffète, " je n'en dois pas mourir ! " Et de ses lèvres violacées s'échappait une haleine plus nauséabonde que l'exhalaison d'un cadavre. Deux charbons semblaient brûler à la place de ses yeux, qui n'avaient plus de sourcils ; un amas de peau rugueuse lui pendait sur le front ; ses deux oreilles, en s'écartant de sa tête, commençaient à grandir, et les rides profondes qui formaient des demi-cercles autour de ses narines lui donnaient un aspect étrange et effrayant, l'air d'une bête farouche. Sa voix dénaturée ressemblait à un rugissement ; il dit :

 

‹ Prev