Book Read Free

Complete Works of Gustave Flaubert

Page 127

by Gustave Flaubert


  Souvent il s'en allait du côté de Carthage pour tâcher d'apercevoir les troupes d'Hamilcar. Il dardait ses yeux sur l'horizon ; il se couchait à plat ventre, et dans le bourdonnement de ses artères croyait entendre une armée.

  Il dit à Spendius que si, avant trois jours, Hamilcar n'arrivait pas, il irait avec tous ses hommes à sa rencontre lui offrir la bataille. Deux jours encore se passèrent. Spendius le retenait ; le matin du sixième, il partit.

  Les Carthaginois n'étaient pas moins que les Barbares impatients de la guerre. Dans les tentes et dans les maisons, c'était le même désir, la même angoisse ; tous se demandaient ce qui retardait Hamilcar.

  De temps à autre, il montait sur la coupole du temple d'Eschmoûn, près de l'Annonciateur-des-Lunes, et il regardait le vent.

  Un jour, c'était le troisième du mois de Tibby, on le vit descendre de l'Acropole, à pas précipités. Dans les Mappales une grande clameur s'éleva. Bientôt les rues s'agitèrent, et partout les soldats commençaient à s'armer au milieu des femmes en pleurs qui se jetaient contre leur poitrine, puis ils couraient vite sur la place de Khamon prendre leurs rangs. On ne pouvait les suivre ni même leur parler, ni s'approcher des remparts ; pendant quelques minutes, la ville entière fut silencieuse comme un grand tombeau. Les soldats songeaient, appuyés sur leurs lances, et les autres, dans les maisons, soupiraient.

  Au coucher du soleil, l'armée sortit par la porte occidentale ; mais au lieu de prendre le chemin de Tunis ou de gagner les montagnes dans la direction d'Utique, on continua par le bord de la mer ; et bientôt ils atteignirent la Lagune, où des places rondes, toutes blanches de sel, miroitaient comme de gigantesques plats d'argent, oubliés sur le rivage.

  Puis les flaques d'eau se multiplièrent. Le sol, peu à peu, devenant plus mou, les pieds s'enfonçaient. Hamilcar ne se retourna pas. Il allait toujours en tête ; et son cheval, couvert de macules jaunes comme un dragon, en jetant de l'écume autour de lui, avançait dans la fange à grands coups de reins. La nuit tomba, une nuit sans lune. Quelques-uns crièrent qu'on allait périr ; il leur arracha leurs armes, qui furent données aux valets. La boue cependant était de plus en plus profonde. Il fallut monter sur les bêtes de sommes ; d'autres se cramponnaient à la queue des chevaux ; les robustes tiraient les faibles, et le corps des Ligures poussait l'infanterie avec la pointe des piques.

  L'obscurité redoubla. On avait perdu la route. Tous s'arrêtèrent.

  Alors les esclaves du Suffète partirent en avant pour chercher les balises plantées par son ordre de distance en distance. Ils criaient dans les ténèbres, et de loin l'armée les suivait.

  Enfin on sentit la résistance du sol. Puis une courbe blanchâtre se dessina vaguement, et ils se trouvèrent sur le bord du Macar. Malgré le froid, on n'alluma pas de feu.

  Au milieu de la nuit, des rafales de vent s'élevèrent, Hamilcar fit réveiller les soldats, mais pas une trompette ne sonna : leurs capitaines les frappaient doucement sur l'épaule.

  Un homme d'une haute taille descendit dans l'eau. Elle ne venait pas à la ceinture ; on pouvait passer.

  Le Suffète ordonna que trente-deux des éléphants se placeraient dans le fleuve cent pas plus loin, tandis que les autres, plus bas, arrêteraient les lignes d'hommes emportées par le courant ; et tous, en tenant leurs armes au-dessus de leur tête, traversèrent le Macar comme entre deux murailles. Il avait remarqué que le vent d'ouest, en poussant les sables, obstruait le fleuve et formait dans sa largeur une chaussée naturelle.

  Maintenant il était sur la rive gauche en face d'Utique, et dans une vaste plaine, avantage pour ses éléphants qui faisaient la force de son armée.

  Ce tour de génie enthousiasma les soldats. Une confiance extraordinaire leur revenait. Ils voulaient tout de suite courir aux Barbares ; le Suffète les fit se reposer pendant deux heures. Dès que le soleil parut, on s'ébranla dans la plaine sur trois lignes : les éléphants d'abord, l'infanterie légère avec la cavalerie derrière elle, la phalange marchait ensuite.

  Les Barbares campés à Utique, et les quinze mille autour du pont, furent surpris de voir au loin la terre onduler. Le vent qui soufflait très fort chassait des tourbillons de sable ; ils se levaient comme arrachés du sol, montaient par grands lambeaux de couleur blonde, puis se déchiraient et recommençaient toujours, en cachant aux Mercenaires l'armée punique. A cause des cornes dressées au bord des casques, les uns croyaient apercevoir un troupeau de boeufs ; d'autres, trompés par l'agitation des manteaux, prétendaient distinguer des ailes, et ceux qui avaient beaucoup voyagé, haussant les épaules, expliquaient tout par les illusions du mirage. Cependant, quelque chose d'énorme continuait à s'avancer. De petites vapeurs, subtiles comme des haleines, couraient sur la surface du désert ; le soleil, plus haut maintenant, brillait plus fort : une lumière âpre, et qui semblait vibrer, reculait la profondeur du ciel, et, pénétrant les objets, rendait la distance incalculable. L'immense plaine se développait de tous les côtés à perte de vue ; et les ondulations des terrains, presque insensibles, se prolongeaient jusqu'à l'extrême horizon, fermé par une grande ligne bleue qu'on savait être la mer. Les deux armées, sorties des tentes, regardaient ; les gens d'Utique, pour mieux voir, se tassaient sur les remparts.

  Enfin ils distinguèrent plusieurs barres transversales, hérissées de points égaux. Elles devinrent plus épaisses, grandirent ; des monticules noirs se balançaient ; tout à coup des buissons carrés parurent ; c'étaient des éléphants et des lances ; un seul cri s'éleva : — " Les Carthaginois ! " et, sans signal, sans commandement, les soldats d'Utique et ceux du pont coururent pêle-mêle, pour tomber ensemble sur Hamilcar.

  A ce nom, Spendius tressaillit. Il répétait en haletant : " Hamilcar ! Hamilcar ! " et Mâtho n'était pas là ! Que faire ? Nul moyen de fuir ! La surprise de l'événement, sa terreur du Suffète et surtout l'urgence d'une résolution immédiate le bouleversaient ; il se voyait traversé de mille glaives, décapité, mort. Cependant on l'appelait ; trente mille hommes allaient le suivre ; une fureur contre lui-même le saisit ; il se rejeta sur l'espérance de la victoire ; elle était pleine de félicités, et il se crut plus intrépide qu'Epaminondas. Pour cacher sa pâleur, il barbouilla ses joues de vermillon, puis il boucla ses cnémides, sa cuirasse, avala une patère de vin pur et courut après sa troupe, qui se hâtait vers celle d'Utique.

  Elles se rejoignirent toutes les deux si rapidement que le Suffète n'eut pas le temps de ranger ses hommes en bataille. Peu à peu, il se ralentissait. Les éléphants s'arrêtèrent ; ils balançaient leurs lourdes têtes, chargées de plumes d'autruche, tout en se frappant les épaules avec leur trompe.

  Au fond de leurs intervalles, on distinguait les cohortes des vélites, plus loin les grands casques des Clinabares, avec des fers qui brillaient au soleil, des cuirasses, des panaches des étendards agités. Mais l'armée carthaginoise, grosse de onze mille trois cent-quatre-vingt-seize hommes, semblait à peine les contenir, car elle formait un carré long, étroit des flancs et resserré sur soi-même.

  En les voyant si faibles, les Barbares, trois fois plus nombreux, furent pris d'une joie désordonnée ; on n'apercevait pas Hamilcar. Il était resté là-bas, peut-être ? Qu'importait d'ailleurs ! Le dédain qu'ils avaient de ces marchands renforçait leur courage ; et avant que Spendius eût commandé la manoeuvre, tous l'avaient comprise et déjà l'exécutaient.

  Ils se développèrent sur une grande ligne droite, qui débordait les ailes de l'armée punique, afin de l'envelopper complètement. Mais, quand on fut à trois cents pas d'intervalle, les éléphants, au lieu d'avancer, se retournèrent ! puis voilà que les Clinabares, faisant volte-face, les suivirent ; et la surprise des Mercenaires redoubla en apercevant tous les hommes de trait qui couraient pour les rejoindre. Les Carthaginois avaient donc peur, ils fuyaient ! Une huée formidable éclata dans les troupes des Barbares, et, du haut de son dromadaire, Spendius s'écriait : — " Ah ! je le savais bien ! En avant ! en avant ! "

  Alors les javelots, les dards, les balles des frondes jaillirent à la fois. Les élép
hants, la croupe piquée par les flèches, se mirent à galoper plus vite ; une grosse poussière les enveloppait, et, comme des ombres dans un nuage, ils s'évanouirent.

  Cependant, on entendait au fond un grand bruit de pas, dominé par le son aigu des trompettes qui soufflaient avec furie. Cet espace, que les Barbares avaient devant eux, plein de tourbillons et de tumulte, attirait comme un gouffre ; quelques-uns s'y lancèrent. Des cohortes d'infanterie apparurent ; elles se refermaient ; et, en même temps, tous les autres voyaient accourir les fantassins avec des cavaliers au galop.

  En effet, Hamilcar avait ordonné à la phalange de rompre ses sections, aux éléphants, aux troupes légères et à la cavalerie de passer par ces intervalles pour se porter vivement sur les ailes, et calculé si bien la distance des Barbares, que, au moment où ils arrivaient contre lui, l'armée carthaginoise tout entière faisait une grande ligne droite.

  Au milieu se hérissait la phalange, formée par des syntagmes ou carrés pleins, ayant seize hommes de chaque côté. Tous les chefs de toutes les files apparaissaient entre de longs fers aigus qui les débordaient inégalement, car les six premiers rangs croisaient leurs sarisses en les tenant par le milieu, et les dix rangs inférieurs les appuyaient sur l'épaule de leurs compagnons se succédant devant eux. Toutes les figures disparaissaient à moitié dans la visière des casques ; des cnémides en bronze couvraient toutes les jambes droites ; les larges boucliers cylindriques descendaient jusqu'aux genoux ; et cette horrible masse quadrangulaire remuait d'une seule pièce, semblait vivre comme une bête et fonctionner comme une machine. Deux cohortes d'éléphants la bordaient régulièrement ; tout en frissonnant, ils faisaient tomber les éclats des flèches attachés à leur peau noire. Les Indiens accroupis sur leur garrot, parmi les touffes de plumes blanches, les retenaient avec la cuiller du harpon, tandis que, dans les tours, des hommes cachés jusqu'aux épaules promenaient, au bord de grands arcs tendus, des quenouilles en fer garnies d'étoupes allumées. A la droite et à la gauche des éléphants, voltigeaient les frondeurs, une fronde autour des reins, une seconde sur la tête, une troisième à la main droite. Puis les Clinabares, chacun flanqué d'un nègre, tendaient leurs lances entre les oreilles de leurs chevaux tout couverts d'or comme eux. Ensuite s'espaçaient les soldats armés à la légère avec des boucliers en peau de lynx, d'où dépassaient les pointes des javelots qu'ils tenaient dans leur main gauche ; et les Tarentins, conduisant deux chevaux accouplés, relevaient aux deux bouts cette muraille de soldats.

  L'armée des Barbares, au contraire, n'avait pu maintenir son alignement. Sur sa longueur exorbitante il s'était fait des ondulations, des vides ; tous haletaient, essoufflés d'avoir couru.

  La phalange s'ébranla lourdement en poussant toutes ses sarisses ; sous ce poids énorme la ligne des Mercenaires, trop mince, bientôt plia par le milieu.

  Alors les ailes carthaginoises se développèrent pour les saisir : les éléphants les suivaient. Avec ses lances obliquement tendues, la phalange coupa les Barbares ; deux tronçons énormes s'agitèrent ; les ailes, à coup de fronde et de flèche, les rabattaient sur les phalangistes. Pour s'en débarrasser, la cavalerie manquait ; sauf deux cents Numides qui se portèrent contre l'escadron droit des Clinabares, tous les autres se trouvaient enfermés, ne pouvaient sortir de ces lignes. Le péril était imminent et une résolution urgente.

  Spendius ordonna d'attaquer la phalange simultanément par les deux flancs, afin de passer tout au travers. Mais les rangs les plus étroits glissèrent sous les plus longs, revinrent à leur place, et elle se retourna contre les Barbares, aussi terrible de ses côtés qu'elle l'était de front tout à l'heure.

  Ils frappaient sur la hampe des sarisses, mais la cavalerie, par-derrière, gênait leur attaque ; et la phalange, appuyée aux éléphants, se resserrait et s'allongeait, se présentait en carré, en cône, en rhombe, en trapèze, en pyramide. Un double mouvement intérieur se faisait continuellement de sa tête à sa queue ; car ceux qui étaient au bas des files accouraient vers les premiers rangs, et ceux-là, par lassitude ou à cause des blessés, se repliaient plus bas. Les Barbares se trouvèrent foulés sur la phalange. Il lui était impossible de s'avancer ; on aurait dit un océan où bondissaient des aigrettes rouges avec des écailles d'airain, tandis que les clairs boucliers se roulaient comme une écume d'argent. Quelquefois d'un bout à l'autre, de larges courants descendaient, puis ils remontaient, et au milieu une lourde masse se tenait immobile. Les lances s'inclinaient et se relevaient, alternativement. Ailleurs c'était une agitation de glaives nus si précipitée que les pointes seules apparaissaient, et des turmes de cavalerie élargissaient des cercles, qui se refermaient derrière elles en tourbillonnant.

  Par-dessus la voix des capitaines, la sonnerie des clairons et le grincement des lyres, les boules de plomb et les amandes d'argile passant dans l'air, sifflaient, faisaient sauter les glaives des mains, la cervelle des crânes. Les blessés, s'abritant d'un bras sous leur bouclier, tendaient leur épée en appuyant le pommeau contre le sol, et d'autres, dans des mares de sang, se retournaient pour mordre les talons. La multitude était si compacte, la poussière si épaisse, le tumulte si fort, qu'il était impossible de rien distinguer ; les lâches qui offrirent de se rendre ne furent même pas entendus. Quand les mains étaient vides, on s'étreignait corps à corps ; les poitrines craquaient contre les cuirasses et des cadavres pendaient la tête en arrière, entre deux bras crispés. Il y eut une compagnie de soixante Ombriens qui, fermes sur leurs jarrets, la pique devant les yeux, inébranlables et grinçant des dents, forcèrent à reculer deux syntagmes à la fois. Des pasteurs épirotes coururent à l'escadron gauche des Clinabares, saisirent les chevaux à la crinière en faisant tournoyer leurs bâtons ; les bêtes, renversant leurs hommes, s'enfuirent par la plaine. Les frondeurs puniques, écartés çà et là, restaient béants. La phalange commençait à osciller, les capitaines couraient éperdus, les serre-files poussaient les soldats, et les Barbares s'étaient reformés ; ils revenaient ; la victoire était pour eux.

  Mais un cri, un cri épouvantable éclata, un rugissement de douleur et de colère : c'étaient les soixante-douze éléphants qui se précipitaient sur une double ligne, Hamilcar ayant attendu que les Mercenaires fussent tassés en une seule place pour les lâcher contre eux ; les Indiens les avaient si vigoureusement piqués que du sang coulait sur leurs larges oreilles. Leurs trompes, barbouillées de minium, se tenaient droites en l'air, pareilles à des serpents rouges ; leurs poitrines étaient garnies d'un épieu, leur dos d'une cuirasse, leurs défenses allongées par des lames de fer courbes comme des sabres, — et pour les rendre plus féroces, on les avait enivrés avec un mélange de poivre, de vin pur et d'encens. Ils secouaient leurs colliers de grelots, criaient ; et les éléphantarques baissaient la tête sous le jet des phalariques qui commençaient à voler du haut des tours.

  Afin de mieux leur résister les Barbares se ruèrent, en foule compacte ; les éléphants se jetèrent au milieu, impétueusement. Les éperons de leur poitrail, comme des proues de navire, fendaient les cohortes ; elles refluaient à gros bouillons. Avec leurs trompes, ils étouffaient les hommes, ou bien les arrachant du sol, par-dessus leur tête ils les livraient aux soldats dans les tours ; avec leurs défenses, ils les éventraient, les lançaient en l'air, et de longues entrailles pendaient à leurs crocs d'ivoire comme des paquets de cordages à des mâts. Les Barbares tâchaient de leur crever les yeux, de leur couper les jarrets ; d'autres, se glissant sous leur ventre, y enfonçaient un glaive jusqu'à la garde et périssaient écrasés ; les plus intrépides se cramponnaient à leurs courroies ; sous les flammes, sous les balles, sous les flèches, ils continuaient à scier les cuirs, et la tour d'osier s'écroulait comme une tour de pierre. Quatorze de ceux qui se trouvaient à l'extrémité droite, irrités de leurs blessures, se retournèrent sur le second rang ; les Indiens saisirent leur maillet et leur ciseau et l'appliquant au joint de la tête, à tour de bras, ils frappèrent un grand coup.

  Les bêtes énormes s'affaissèrent, tombèrent les unes par-dessus les autr
es. Ce fut comme une montagne ; et sur ce tas de cadavres et d'armures, un éléphant monstrueux qu'on appelait Fureur de Baal pris par la jambe entre des chaînes, resta jusqu'au soir à hurler, avec une flèche dans l'oeil.

  Cependant les autres, comme des conquérants qui se délectent dans leur extermination, renversaient, écrasaient, piétinaient, s'acharnaient aux cadavres, aux débris. Pour repousser les manipules serrés en couronnes autour d'eux, ils pivotaient sur leurs pieds de derrière, dans un mouvement de rotation continuelle, en avançant toujours. Les Carthaginois sentirent redoubler leur vigueur, et la bataille recommença.

  Les Barbares faiblissaient ; des hoplites grecs jetèrent leurs armes, une épouvante prit les autres. On aperçut Spendius penché sur son dromadaire et qui l'éperonnait aux épaules avec deux javelots. Tous alors se précipitèrent par les ailes et coururent vers Utique.

  Les Clinabares, dont les chevaux n'en pouvaient plus, n'essayèrent pas de les atteindre. Les Ligures, exténués de soif, criaient pour se porter sur le fleuve. Mais les Carthaginois, placés au milieu des syntagmes, et qui avaient moins souffert, trépignaient de désir devant leur vengeance qui fuyait ; déjà ils s'élançaient à la poursuite des Mercenaires ; Hamilcar parut.

  Il retenait avec des rênes d'argent son cheval tigré tout couvert de sueur. Les bandelettes attachées aux cornes de son casque claquaient au vent derrière lui, et il avait mis sous sa cuisse gauche son bouclier ovale. D'un mouvement de sa pique à trois pointes, il arrêta l'armée.

  Les Tarentins sautèrent vite de leur cheval sur le second, et partirent à droite et à gauche vers le fleuve et vers la ville.

  La phalange extermina commodément tout ce qui restait de Barbares. Quand arrivaient les épées, ils tendaient la gorge en fermant les paupières. D'autres se défendirent à outrance ; on les assomma de loin, sous des cailloux, comme des chiens enragés, Hamilcar avait recommandé de faire des captifs. Mais les Carthaginois lui obéissaient avec rancune, tant ils sentaient de plaisir à enfoncer leurs glaives dans les corps des Barbares. Comme ils avaient trop chaud, ils se mirent à travailler nu-bras, à la manière des faucheurs ; et lorsqu'ils s'interrompaient pour reprendre haleine, ils suivaient des yeux, dans la campagne, un cavalier galopant après un soldat qui courait. Il parvenait à le saisir par les cheveux, le tenait ainsi quelque temps, puis l'abattait d'un coup de hache.

 

‹ Prev