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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 131

by Gustave Flaubert


  Vers la douzième heure, elle aperçut au fond des sycomores un vieillard aveugle, la main appuyée sur l'épaule d'un enfant qui marchait devant lui, et de l'autre il portait contre sa hanche une espèce de cithare en bois noir. Les eunuques, les esclaves, les femmes avaient été scrupuleusement éloignés : aucun ne pouvait savoir le mystère qui se préparait.

  Taanach alluma dans les angles de l'appartement quatre trépieds pleins de strobus et de cardamone ; puis elle déploya de grandes tapisseries babyloniennes et elle les tendit sur des cordes, tout autour de la chambre : car Salammbô ne voulait pas être vue, même par les murailles. Le joueur de kinnor se tenait accroupi derrière la porte, et le jeune garçon, debout, appliquait contre ses lèvres une flûte de roseau. Au loin la clameur des rues s'affaiblissait, des ombres violettes s'allongeaient devant le péristyle des temples, et, de l'autre côté du golfe, les bases des montagnes, les champs d'oliviers et les vagues terrains jaunes, ondulant indéfiniment, se confondaient dans une vapeur bleuâtre ; on n'entendait aucun bruit, un accablement indicible pesait dans l'air.

  Salammbô s'accroupit sur la marche d'onyx, au bord du bassin ; elle releva ses larges manches qu'elle attacha derrière ses épaules, et elle commença ses ablutions, méthodiquement, d'après les rites sacrés.

  Enfin Taanach lui apporta, dans une fiole d'albâtre, quelque chose de liquide et de coagulé ; c'était le sang d'un chien noir, égorgé par des femmes stériles, une nuit d'hiver, dans les décombres d'un sépulcre. Elle s'en frotta les oreilles, les talons, le pouce de la main droite, et même son ongle resta un peu rouge, comme si elle eût écrasé un fruit.

  La lune se leva ; alors la cithare et la flûte, toutes les deux à la fois, se mirent à jouer.

  Salammbô défit ses pendants d'oreilles, son collier, ses bracelets, sa longue simarre blanche ; elle dénoua le bandeau de ses cheveux, et pendant quelques minutes elle les secoua sur ses épaules, doucement, pour se rafraîchir en les éparpillant. La musique au-dehors continuait ; c'étaient trois notes, toujours les mêmes, précipitées, furieuses ; les cordes grinçaient, la flûte ronflait ; Taanach marquait la cadence en frappant dans ses mains ; Salammbô, avec un balancement de tout son corps, psalmodiait des prières, et ses vêtements, les uns après les autres, tombaient autour d'elle.

  La lourde tapisserie trembla, et par-dessus la corde qui la supportait, la tête du python apparut. Il descendit lentement, comme une goutte d'eau qui coule le long d'un mur, rampa entre les étoffes épandues, puis, la queue collée contre le sol, il se leva tout droit ; et ses yeux, plus brillants que des escarboucles, se dardaient sur Salammbô.

  L'horreur du froid ou une pudeur, peut-être, la fit d'abord hésiter. Mais elle se rappela les ordres de Schahabarim, elle s'avança ; le python se rabattit et lui posant sur la nuque le milieu de son corps, il laissait pendre sa tête et sa queue, comme un collier rompu dont les deux bouts traînent jusqu'à terre. Salammbô l'entoura autour de ses flancs, sous ses bras, entre ses genoux ; puis le prenant à la mâchoire, elle approcha cette petite gueule triangulaire jusqu'au bord de ses dents, et, en fermant à demi les yeux, elle se renversait sous les rayons de la lune. La blanche lumière semblait l'envelopper d'un brouillard d'argent, la forme de ses pas humides brillait sur les dalles, des étoiles palpitaient dans la profondeur de l'eau ; il serrait contre elle ses noirs anneaux tigrés de plaques d'or. Salammbô haletait sous ce poids trop lourd, ses reins pliaient, elle se sentait mourir ; et du bout de sa queue il lui battait la cuisse tout doucement ; puis la musique se taisant, il retomba.

  Taanach revint près d'elle ; et quand elle eut disposé deux candélabres dont les lumières brûlaient dans les boules de cristal pleines d'eau, elle teignit de lausonia l'intérieur de ses mains, passa du vermillon sur ses joues, de l'antimoine au bord de ses paupières, et allongea ses sourcils avec un mélange de gomme, de musc, d'ébène et de pattes de mouches écrasées.

  Salammbô, assise dans une chaise à montants d'ivoire, s'abandonnait aux soins de l'esclave. Mais ces attouchements, l'odeur des aromates et les jeûnes qu'elle avait subis, l'énervaient. Elle devint si pâle que Taanach s'arrêta.

  — " Continue ! " dit Salammbô, et, se roidissant contre elle-même, elle se ranima tout à coup. Alors une impatience la saisit ; elle pressait Taanach de se hâter, et la vieille esclave en grommelant :

  — " Bien ! bien ! Maîtresse ! ... Tu n'as d'ailleurs personne qui t'attende ! "

  — " Oui ! " dit Salammbô, " quelqu'un m'attend. "

  Taanach se recula de surprise, et, afin d'en savoir plus long :

  — " Que m'ordonnes-tu, Maîtresse ? car si tu dois rester partie... "

  Mais Salammbô sanglotait ; l'esclave s'écria :

  — " Tu souffres ! qu'as-tu donc ? Ne t'en va pas ! emmène-moi ! Quand tu étais toute petite et que tu pleurais, je te prenais sur mon coeur et je te faisais rire avec la pointe de mes mamelles ; tu les as taries, Maîtresse ! " Elle se donnait des coups sur sa poitrine desséchée. " Maintenant, je suis vieille ! je ne peux rien pour toi ! tu ne m'aimes plus ! tu me caches tes douleurs, tu dédaignes ta nourrice ! " Et de tendresse et de dépit, des larmes coulaient le long de ses joues, dans les balafres de son tatouage.

  — " Non ! " dit Salammbô, " non, je t'aime ! console-toi ! "

  Taanach, avec un sourire pareil à la grimace d'un vieux singe, reprit sa besogne. D'après les recommandations de Schahabarim, Salammbô lui avait ordonné de la rendre magnifique ; et elle l'accommodait dans un goût barbare, plein à la fois de recherche et d'ingénuité.

  Sur une première tunique, mince, et de couleur vineuse, elle en passa une seconde, brodée en plumes d'oiseaux. Des écailles d'or se collaient à ses hanches, et de cette large ceinture descendaient les flots de ses caleçons bleus, étoilés d'argent. Ensuite Taanach lui emmancha une grande robe, faite avec la toile du pays des Sères, blanche et bariolée de lignes vertes. Elle attacha au bord de son épaule un carré de pourpre, appesanti dans le bas par des grains de sandastrum ; et par-dessus tous ces vêtements, elle posa un manteau noir à queue traînante ; puis elle la contempla, et, fière de son oeuvre, ne put s'empêcher de dire :

  — " Tu ne seras pas plus belle le jour de tes noces ! "

  — " Mes noces ! " répéta Salammbô ; elle rêvait, le coude appuyé sur la chaise d'ivoire.

  Mais Taanach dressa devant elle un miroir de cuivre si large et si haut qu'elle s'y aperçut tout entière. Alors elle se leva, et, d'un coup de doigt léger, remonta une boucle de ses cheveux, qui descendait trop bas.

  Ils étaient couverts de poudre d'or, crépus sur le front et par-derrière ils pendaient dans le dos, en longues torsades que terminaient des perles. Les clartés des candélabres avivaient le fard de ses joues, l'or de ses vêtements, la blancheur de sa peau ; elle avait autour de la taille, sur les bras, sur les mains et aux doigts des pieds une telle abondance de pierreries que le miroir, comme un soleil, lui renvoyait des rayons ; — et Salammbô, debout à côté de Taanach, se penchant pour la voir, souriait dans cet éblouissement.

  Puis elle se promena de long en large, embarrassée du temps qui lui restait.

  Tout à coup, le chant d'un coq retentit. Elle piqua vivement sur ses cheveux un long voile jaunes, se passa une écharpe autour du cou, enfonça ses pieds dans des bottines de cuir bleu, et elle dit à Taanach :

  — " Va voir sous les myrtes s'il n'y a pas un homme avec deux chevaux. "

  Taanach était à peine rentrée qu'elle descendait l'escalier des galeries.

  — " Maîtresse ! " cria la nourrice.

  Salammbô se retourna, un doigt sur la bouche, en signe de discrétion et d'immobilité.

  Taanach se coula doucement le long des proues jusqu'au bas de la terrasse ; et de loin, à la clarté de la lune, elle distingua, dans l'avenue des cyprès, une ombre gigantesque marchant à la gauche de Salammbô obliquement, ce qui était un présage de mort.

  Taanach remonta dans la chambre. Elle se jeta par terre, en se déchirant le visage avec ses ongles ; elle s'arrachait les cheveux, et à pleine poitrine pou
ssait des hurlements aigus.

  L'idée lui vint que l'on pouvait les entendre ; alors elle se tut. Elle sanglotait tout bas, la tête dans ses mains et la figure sur les dalles.

  Chapitre 11 SOUS LA TENTE

  L'homme qui conduisait Salammbô la fit remonter au-delà du phare, vers les Catacombes, puis descendre le long faubourg Molouya, plein de ruelles escarpées. Le ciel commençait à blanchir. Quelquefois, des poutres de palmier, sortant des murs, les obligeaient à baisser la tête. Les deux chevaux, marchant au pas, glissaient ; et ils arrivèrent ainsi à la porte de Teveste.

  Ses lourds battants étaient entrebâillés ; ils passèrent ; elle se referma derrière eux.

  D'abord ils suivirent pendant quelque temps le pied des remparts, et, à la hauteur des Citernes, ils prirent par la Taenia, étroit ruban de terre jaune, qui, séparant le golfe du lac, se prolonge jusqu'au Rhadès.

  Personne n'apparaissait autour de Carthage, ni sur la mer, ni dans la campagne. Les flots couleur d'ardoise clapotaient doucement, et le vent léger, poussant leur écume çà et là, les tachetait de déchirures blanches. Malgré tous ses voiles, Salammbô frissonnait sous la fraîcheur du matin ; le mouvement, le grand air l'étourdissaient. Puis le soleil se leva ; il la mordait sur le derrière de la tête, et, involontairement, elle s'assoupissait un peu. Les deux bêtes, côte à côte, trottaient l'amble en enfonçant leurs pieds dans le sable muet.

  Quand ils eurent dépassé la montagne des Eaux-Chaudes, ils continuèrent d'un train plus rapide, le sol étant plus ferme.

  Mais les champs, bien qu'on fût à l'époque des semailles et des labours, d'aussi loin qu'on les apercevait, étaient vides comme le désert. Il y avait, de place en place, des tas de blé répandus ; ailleurs des orges roussies s'égrenaient. Sur l'horizon clair, les villages apparaissaient en noir, avec des formes incohérentes et découpées.

  De temps à autre, un pan de muraille à demi calciné se dressait au bord de la route. Les toits des cabanes s'effondraient, et, dans l'intérieur, on distinguait des éclats de poteries, des lambeaux de vêtements, toutes sortes d'ustensiles et de choses brisées méconnaissables. Souvent un être couvert de haillons, la face terreuse et les prunelles flamboyantes, sortait de ces ruines. Mais bien vite il se mettait à courir ou disparaissait dans un trou. Salammbô et son guide ne s'arrêtaient pas.

  Les plaines abandonnées se succédaient. Sur de grands espaces de terre toute blonde s'étalait, par traînées inégales, une poudre de charbon que leurs pas soulevaient derrière eux. Quelquefois ils rencontraient de petits endroits paisibles, un ruisseau qui coulait parmi de longues herbes ; et, en remontant sur l'autre bord, Salammbô, pour se rafraîchir les mains, arrachait des feuilles mouillées. Au coin d'un bois de lauriers-roses, son cheval fit un grand écart devant le cadavre d'un homme, étendu par terre.

  L'esclave, aussitôt, la rétablit sur les coussins. C'était un des serviteurs du Temple, un homme que Schahabarim employait dans les missions périlleuses.

  Par excès de précaution, maintenant il allait à pied, près d'elle entre les chevaux ; et il les fouettait avec le bout d'un lacet de cuir enroulé à son bras, ou bien il tirait d'une panetière suspendue contre sa poitrine des boulettes de froment, de dattes et de jaunes d'œufs, enveloppées dans des feuilles de lotus, et il les offrait à Salammbô, sans parler, tout en courant.

  Au milieu du jour, trois Barbares, vêtus de peaux de bêtes, les croisèrent sur le sentier. Peu à peu, il en parut d'autres, vagabondant par troupes de dix, douze, vingt-cinq hommes ; plusieurs poussaient des chèvres ou quelque vache qui boitait. Leurs lourds bâtons étaient hérissés de pointes en airain ; des coutelas luisaient sur leurs vêtements d'une saleté farouche, et ils ouvraient les yeux avec un air de menace et d'ébahissement. Tout en passant, quelques-uns envoyaient une bénédiction banale ; d'autres, des plaisanteries obscènes ; et l'homme de Schahabarim répondait à chacun dans son propre idiome. Il leur disait que c'était un jeune garçon malade allant pour se guérir vers un temple lointain.

  Cependant le jour tombait. Des aboiements retentirent ; ils s'en rapprochèrent.

  Puis, aux clartés du crépuscule, ils aperçurent un enclos de pierres sèches, enfermant une vague construction. Un chien courait sur le mur. L'esclave lui jeta des cailloux ; et ils entrèrent dans une haute salle voûtée.

  Au milieu, une femme accroupie se chauffait à un feu de broussailles dont la fumée s'envolait par les trous du plafond. Ses cheveux blancs, qui lui tombaient jusqu'aux genoux, la cachaient à demi ; et sans vouloir répondre, d'un air idiot, elle marmottait des paroles de vengeance contre les Barbares et contre les Carthaginois.

  Le coureur furetait de droite et de gauche. Puis il revint près d'elle, en réclamant à manger. La vieille branlait la tête, et, les yeux fixés sur les charbons, murmurait :

  — " J'étais la main. Les dix doigts sont coupés. La bouche ne mange plus. "

  L'esclave lui montra une poignée de pièces d'or. Elle se rua dessus, mais bientôt elle reprit son immobilité.

  Enfin il lui posa sous la gorge un poignard qu'il avait dans sa ceinture. Alors, en tremblant, elle alla soulever une large pierre et rapporta une amphore de vin avec des poissons d'Hippo-Zaryte confits dans du miel.

  Salammbô se détourna de cette nourriture immonde, et elle s'endormit sur les caparaçons des chevaux étendus dans un coin de la salle.

  Avant le jour, il la réveilla.

  Le chien hurlait. L'esclave s'en approcha tout doucement ; et d'un seul coup de poignard, lui abattit la tête. Puis il frotta de sang les naseaux des chevaux pour les ranimer. La vieille lui lança par-derrière une malédiction. Salammbô l'aperçut, et elle pressa l'amulette qu'elle portait sur son coeur.

  Ils se remirent en marche.

  De temps à autre, elle demandait si l'on ne serait pas bientôt arrivé. La route ondulait sur de petites collines. On n'entendait que le grincement des cigales. Le soleil chauffait l'herbe jaunie ; la terre était toute fendillée par des crevasses, qui faisaient, en la divisant, comme des dalles monstrueuses. Quelquefois une vipère passait, des aigles volaient ; l'esclave courait toujours ; Salammbô rêvait sous ses voiles, et malgré la chaleur ne les écartait pas, dans la crainte de salir ses beaux vêtements.

  A des distances régulières, des tours s'élevaient, bâties par les Carthaginois, afin de surveiller les tribus. Ils entraînaient dedans pour se mettre à l'ombre, puis repartaient.

  La veille, par prudence, ils avaient fait un grand détour. Mais, à présent, on ne rencontrait personne ; la région étant stérile, les Barbares n'y avaient point passé.

  La dévastation peu à peu recommença. Parfois, au milieu d'un champ, une mosaïque s'étalait, seul débris d'un château disparu ; et les oliviers, qui n'avaient pas de feuilles, semblaient au loin de larges buissons d'épines. Ils traversèrent un bourg dont les maisons étaient brûlées à ras du sol. On voyait le long des murailles des squelettes humains. Il y en avait aussi de dromadaires et de mulets. Des charognes à demi rongées barraient les rues. La nuit descendait. Le ciel était bas et couvert de nuages.

  Ils remontèrent encore pendant deux heures dans la direction de l'Occident, et, tout à coup, devant eux, ils aperçurent quantité de petites flammes.

  Elles brillaient au fond d'un amphithéâtre. Çà et là des plaques d'or miroitaient, en se déplaçant. C'étaient les cuirasses des Clinabares, le camp punique ; puis ils distinguèrent aux alentours d'autres lueurs plus nombreuses, car les armées des Mercenaires, confondues maintenant, s'étendaient sur un grand espace.

  Salammbô fit un mouvement pour s'avancer. Mais l'homme de Schahabarim l'entraîna plus loin, et ils longèrent la terrasse qui fermait le camp des Barbares. Une brèche s'y ouvrait, l'esclave disparut.

  Au sommet du retranchement, une sentinelle se promenait avec un arc à la main et une pique sur l'épaule.

  Salammbô se rapprochait toujours ; le Barbare s'agenouilla, et une longue flèche vint percer le bas de son manteau. Puis, comme elle restait immobile, en criant, il lui demanda ce qu'elle vou
lait.

  — " Parler à Mâtho ", répondit-elle. " Je suis un transfuge de Carthage. "

  Il poussa un sifflement, qui se répéta de loin en loin.

  Salammbô attendit ; son cheval, effrayé, tournoyait en reniflant.

  Quand Mâtho arriva, la lune se levait derrière elle. Mais elle avait sur le visage un voile jaune à fleurs noires et tant de draperies autour du corps qu'il était impossible d'en rien deviner. Du haut de la terrasse, il considérait cette forme vague se dressant comme un fantôme dans les pénombres du soir.

  Enfin elle lui dit :

  — " Mène-moi dans ta tente ! Je le veux ! "

  Un souvenir qu'il ne pouvait préciser lui traversa la mémoire. Il sentait battre son coeur. Cet air de commandement l'intimidait.

  — " Suis-moi ! " dit-il.

  La barrière s'abaissa ; aussitôt elle fut dans le camp des Barbares.

  Un grand tumulte et une grande foule l'emplissaient. Des feux clairs brûlaient sous des marmites suspendues ; et leurs reflets empourprés, illuminant certaines places, en laissaient d'autres dans les ténèbres, complètement. On criait, on appelait ; des chevaux attachés à des entraves formaient de longues lignes droites au milieu des tentes ; elles étaient rondes, carrées, de cuir ou de toile ; il y avait des huttes en roseaux et des trous dans le sable comme en font les chiens. Les soldats charriaient des fascines, s'accoudaient par terre, ou, s'enroulant dans une natte, se disposaient à dormir ; et le cheval de Salammbô, pour passer par-dessus, quelquefois allongeait une jambe et sautait.

  Elle se rappelait les avoir déjà vus ; mais leurs barbes étaient plus longues, leurs figures encore plus noires, leurs voix plus rauques. Mâtho, en marchant devant elle, les écartait par un geste de son bras qui soulevait son manteau rouge. Quelques-uns baisaient ses mains ; d'autres, en pliant l'échine, l'abordaient pour lui demander des ordres ; car il était maintenant le véritable, le seul chef des Barbares ; Spendius, Autharite et Narr'Havas étaient découragés, et il avait montré tant d'audace et d'obstination que tous lui obéissaient.

 

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