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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 240

by Gustave Flaubert


  Tout cela était nouveau pour Frédéric. Compain n’en savait pas davantage. Il le quitta, en disant :

  — “A bientôt, n’est-ce pas, car vous en êtes ?”

  — “De quoi ?”

  — “De la tête de veau”

  — “Quelle tête de veau ?”

  — “Ah ! farceur !” reprit Compain, en lui donnant une tape sur le ventre.

  Et les deux terroristes s’enfoncèrent dans un café.

  Dix minutes après, Frédéric ne songeait plus à Deslauriers. Il était sur le trottoir de la rue Paradis, devant une maison ; et il regardait au second étage, derrière des rideaux, la lueur d’une lampe.

  Enfin, il monta l’escalier.

  — “Arnoux y est-il ?”

  La femme de chambre répondit :

  — “Non ! mais entrez tout de même.”

  Et, ouvrant brusquement une porte :

  — “Madame, c’est M. Moreau !”

  Elle se leva plus pâle que sa collerette. Elle tremblait.

  — “Qui me vaut l’honneur… d’une visite… aussi imprévue ?”

  — " Rien ! Le plaisir de revoir d’anciens amis Et, tout en s’asseyant :

  — “Comment va ce bon Arnoux ?”

  — “Parfaitement ! Il est sorti.”

  — “Ah ! je comprends ! toujours ses vieilles habitudes du soir ; un peu de distraction !”

  — “Pourquoi pas ? Après une journée de calculs, la tête a besoin de se reposer !”

  Elle vanta même son mari, comme travailleur. Cet é loge irritait Frédéric ; et, désignant sur ses genoux un morceau de drap noir, avec des soutaches bleues :

  — “Qu’est-ce que vous faites là ?”

  — “Une veste que j’arrange pour ma fille.”

  — “A propos, je ne l’aperçois pas, où est-elle donc ?”

  — “Dans une pension”, reprit Mme Arnoux.

  Des larmes lui vinrent aux yeux — , elle les retenait, en poussant son aiguille rapidement. Il avait pris par contenance un numéro de l’Illustration, sur la table, près d’elle.

  — “Ces caricatures de Cham sont très drôles, n’est-ce pas ?”

  — “Oui.”

  Puis ils retombèrent dans leur silence.

  Une rafale ébranla tout à coup les carreaux.

  — “Quel temps !” dit Frédéric.

  — “En effet ; c’est bien aimable d’être venu par cette horrible pluie !”

  — “Oh ! moi, je m’en moque ! Je ne suis pas comme ceux qu’elle empêche, sans doute, d’aller à leurs rendez-vous !”

  — “Quels rendez-vous ?” demanda-t-elle naïvement.

  — “Vous ne vous rappelez pas ?”

  Un frisson la saisit, et elle baissa la tête.

  Il lui posa doucement la main sur le bras.

  — “Je vous assure que vous m’avez fait bien souffrir !”

  Elle reprit, avec une sorte de lamentation dans la voix :

  — “Mais j’avais peur pour mon enfant !”

  Elle lui conta la maladie du petit Eugène et toutes les angoisses de cette journée.

  — “Merci ! merci ! Je ne doute plus ! je vous aime comme toujours !”

  — “Eh non ! ce n’est pas vrai !”

  — “Pourquoi ?”

  Elle le regarda froidement.

  — “Vous oubliez l’autre ! Celle que vous promenez aux courses ! La femme dont vous avez le portrait, votre maîtresse !”

  — “Eh bien, oui !” s’écria Frédéric, “Je ne nie rien Je suis un misérable ! écoutez-moi !” S’il l’avait eue, c’était par désespoir, comme on se suicide. Du reste, il l’avait rendue fort malheureuse, pour se venger sur elle de sa propre honte. “Quel supplice ! Vous ne comprenez pas ?”

  Mme Arnoux tourna son beau visage, en lui tendant la main ; et ils fermèrent les yeux, absorbés dans une ivresse qui était comme un bercement doux et infini. Puis ils restèrent à se contempler, face à face, l’un près de l’autre.

  — “Est-ce que vous pouviez croire que je ne vous aimais plus ?”

  Elle répondit d’une voix basse, pleine de caresses :

  — " Non ! En dépit de tout, je sentais au fond de mon cœur que cela était impossible et qu’un jour l’obstacle entre nous deux s’évanouirait !

  — “Moi aussi ! et j’avais des besoins de vous revoir, à en mourir !”

  — “Une fois”, reprit-elle, “dans le Palais-Royal, j’ai suis passé à côté de vous !”

  — “Vraiment ?”

  Et il lui dit le bonheur qu’il avait eu en la retrouvant chez les Dambreuse.

  — “Mais comme je vous détestais le soir, en sortant de là !”

  — “Pauvre garçon !”

  — “Ma vie est si triste.”

  — “Et la mienne !… S’il n’y avait que les chagrins, les inquiétudes, les humiliations, tout ce que j’endure comme épouse et comme mère, puisqu’on doit mourir, je ne me plaindrais pas ; ce qu’il y a d’affreux, c’est ma solitude, sans personne…”

  — “Mais je suis là, moi !”

  — “Oh ! oui !”

  Un sanglot de tendresse l’avait soulevée. Ses bras s’écartèrent ; et ils s’étreignirent debout, dans un long baiser.

  Un craquement se fit sur le parquet. Une femme était près d’eux, Rosanette. Mme Arnoux l’avait reconnue ; ses yeux, ouverts démesurément, l’examinaient, tout pleins de surprise et d’indignation. Enfin, Rosanette lui dit :

  — “Je viens parler à M. Arnoux, pour affaires.”

  — “Il n’y est pas, vous le voyez.”

  — “Ah ! c’est vrai !” reprit la Maréchale, “votre bonne avait raison ! Mille excuses !”

  Et, se tournant vers Frédéric :

  — “Te voilà ici, toi ?”

  Ce tutoiement, donné devant elle, fit rougir Mme Arnoux, comme un soufflet en plein visage.

  — “Il n’y est pas, je vous le répète !”

  Alors, la Maréchale, qui regardait çà et là, dit tranquillement :

  — “Rentrons-nous ? J’ai un fiacre, en bas.”

  Il faisait semblant de ne pas entendre.

  — “Allons, viens !”

  — “Ah ! oui ! c’est une occasion ! Partez ! partez !” dit Mme Arnoux.

  Ils sortirent. Elle se pencha sur la rampe pour les voir encore ; et un rire aigu, déchirant, tomba sur eux, du haut de l’escalier. Frédéric poussa Rosanette dans le fiacre, se mit en face d’elle, et, pendant toute la route, ne prononça pas un mot.

  L’infamie dont le rejaillissement l’outrageait, c’était lui-même qui en était cause. Il éprouvait tout à la fois la honte d’une humiliation écrasante et le regret de sa félicité ; quand il allait enfin la saisir, elle était devenue irrévocablement impossible ! — et par la faute de celle-là, de cette fille, de cette catin. Il aurait voulu l’étrangler ; il étouffait. Rentrés chez eux, il jeta son chapeau sur un meuble, arracha sa cravate.

  — “Ah ! tu viens de faire quelque chose de propre, avoue-le !”

  Elle se campa fièrement devant lui.

  — “Eh bien, après ? Où est le mal ?”

  — “Comment ! Tu m’espionnes ?”

  — “Est-ce ma faute ? Pourquoi vas-tu te divertir chez les femmes honnêtes ?”

  — “N’importe ! Je ne veux pas que tu les insultes.”

  — “En quoi l’ai-je insultée ?”

  Il n’eut rien à répondre ; et, d’un accent plus haineux :

  — “Mais, l’autre fois, au Champ-de-Mars…”

  — “Ah ! tu nous ennuies avec tes anciennes !”

  — “Misérable !”

  Il leva le poing.

  — “Ne me tue pas ! Je suis enceinte !”

  Frédéric se recula.

  — “Tu mens !”

  — “Mais regarde-moi !”

  Elle prit un flambeau, et, montrant son visage :

  — “T’y connais-tu ?”

  De petites taches jaunes maculaient sa peau, qui était singuliè
rement bouffie. Frédéric ne nia pas l’évidence. Il alla ouvrir la fenêtre, fit quelques pas de long en large, puis s’affaissa dans un fauteuil.

  Cet événement était une calamité, qui d’abord ajournait leur rupture, — et puis bouleversait tous ses projets. L’idée d’être père, d’ailleurs, lui paraissait grotesque, inadmissible. Mais pourquoi ? Si, au lieu de la Maréchale… ? Et sa rêverie devint tellement profonde, qu’il eut une sorte d’hallucination. Il voyait là, sur le tapis, devant la cheminée, une petite fille. Elle ressemblait à Mme Arnoux et à lui-même, un peu ; — brune et blanche, avec des yeux noirs, de très grands sourcils, un ruban rose dans ses cheveux bouclants ! (Oh ! comme il l’aurait aimée ! ) Et il lui semblait entendre sa voix : “Papa ! papa !”

  Rosanette, qui venait de se déshabiller, s’approcha de lui, aperçut une larme à ses paupières, et le baisa sur le front, gravement. Il se leva, en disant :

  — " Parbleu ! On ne le tuera pas, ce marmot !

  Alors, elle bavarda beaucoup. Ce serait un garçon, bien sûr ! On l’appellerait Frédéric. Il fallait commencer son trousseau ; — et, en la voyant si heureuse, une pitié le prit. Comme il ne ressentait, maintenant, aucune colère, il voulut savoir la raison de sa démarche, tout à l’heure.

  C’est que Mlle Vatnaz lui avait envoyé, ce jour-là même, un billet protesté depuis longtemps ; et elle avait couru chez Arnoux pour avoir de l’argent.

  — “Je t’en aurais donné !” dit Frédéric.

  — “C’était plus simple de prendre là-bas ce qui m’appartient, et de rendre à l’autre ses mille francs.” — “Est-ce au moins tout ce que tu lui dois ?” Elle répondit :

  — “Certainement !”

  Le lendemain, à neuf heures du soir (heure indiquée par le portier), Frédéric se rendit chez Mlle Vatnaz.

  Il se cogna dans l’antichambre contre les meubles entassés. Mais un bruit de voix et de musique le guidait. Il ouvrit une porte et tomba au milieu d’un raout. Debout, devant le piano que touchait une demoiselle en lunettes, Delmar, sérieux comme un pontife, déclamait une poésie humanitaire sur la prostitution et sa voix caverneuse roulait, soutenue par les accords plaqués. Un rang de femmes occupait la muraille, vêtues généralement de couleurs sombres, sans col de chemises ni manchettes. Cinq ou six hommes, tous des penseurs, étaient çà et là, sur des chaises. Il y avait dans un fauteuil un ancien fabuliste, une ruine ; — et l’odeur âcre de deux lampes se mêlait à l’arôme du chocolat, qui emplissait des bois encombrant la table à jeu.

  Mlle Vatnaz, une écharpe orientale autour des reins, se tenait à un coin de la cheminée. Dussardier était à l’autre bout, en face ; il avait l’air un peu embarrassé de sa position. D’ailleurs, ce milieu artistique l’intimidait.

  La Vatnaz en avait-elle fini avec Delmar ? non peut-être. Cependant, elle semblait jalouse du brave commis ; et, Frédéric ayant réclamé d’elle un mot d’entretien, elle lui fit signe de passer avec eux dans sa chambre. Quand les mille francs furent alignés, elle demanda, en plus, les intérêts.

  — “Pas la peine !” dit Dussardier.

  — “Tais-toi donc !”

  Cette lâcheté d’un homme si courageux fut agréable à Frédéric comme une justification de la sienne. Il rapporta le billet, et ne reparla jamais de l’esclandre chez Mme Arnoux. Mais, dès lors, toutes les défectuosités de la Maréchale lui apparurent.

  Elle avait un mauvais goût irrémédiable, une incompréhensible paresse, une ignorance de sauvage, jusqu’à considérer comme très célèbre le docteur Desrogis ; et elle était fière de le recevoir, lui et son épouse, parce que c’étaient — des gens mariés “. Elle régentait d’un air pédantesque sur les choses de la vie Mlle Irma, pauvre petite créature douée d’une petite voix, ayant pour protecteur un monsieur” très bien “, ex-employé dans les douanes, et fort aux tours de cartes ; Rosanette l’appelait” mon gros loulou “. Frédéric ne pouvait souffrir, non plus, la répétition de ses mots bêtes tels que” Du flan ! A Chaillot. On n’a jamais pu savoir, etc. "-, et elle s’obstinait à épousseter le matin ses bibelots avec une paire de vieux gants blancs ! Il était révolté surtout par ses façons envers sa bonne, — dont les gages étaient sans cesse arriérés, et qui même lui prêtait de l’argent. Les jours qu’elles réglaient leurs comptes, elles se chamaillaient comme deux poissardes, puis on se réconciliait en s’embrassant. Le tête-à-tête devenait triste. Ce fut un soulagement pour lui, quand les soirées de Mme Dambreuse recommencèrent.

  Celle-là, au moins, l’amusait ! Elle savait les intrigues du monde, les mutations d’ambassadeurs, le personnel des couturières ; et, s’il lui échappait des lieux communs, c’était dans une formule tellement convenue, que sa phrase pouvait passer pour une déférence ou pour une ironie. Il fallait la voir au milieu de vingt personnes qui causaient, n’en oubliant aucune, amenant les réponses qu’elle voulait, évitant les périlleuses ! Des choses très simples, racontées par elle, semblaient des confidences ; le moindre de ses sourires faisait rêver ; son charme enfin, comme l’exquise odeur qu’elle portait ordinairement, était complexe et indéfinissable. Frédéric, dans sa compagnie, éprouvait chaque fois le plaisir d’une découverte ; et cependant, il la retrouvait toujours avec sa même sérénité, pareille au miroitement des eaux limpides. Mais pourquoi ses manières envers sa nièce avaient-elles tant de froideur ? Elle lui lançait même, par moments, de singuliers coups d’oeil.

  Dès qu’il fut question de mariage, elle avait objecté à M. Dambreuse la santé de “la chère enfant”, et l’avait emmenée tout de suite aux bains de Balaruc. A son retour, des prétextes nouveaux avaient surgi : le jeune homme manquait de position, ce grand amour ne paraissait pas sérieux, on ne risquait rien d’attendre. Martinon avait répondu qu’il attendrait. Sa conduite fut sublime. Il prôna Frédéric. Il fit plus : il le renseigna sur les moyens de plaire à Mme Dambreuse, laissant même entrevoir qu’il connaissait, par la nièce, les sentiments de la tante.

  Quant à M. Dambreuse, loin de montrer de la jalousie, il entourait d’égards son jeune ami, le consultait sur différentes choses, s’inquiétait même de son avenir, si bien qu’un jour, comme on parlait du père Roque, il lui dit à l’oreille, d’un air finot :

  “Vous avez bien fait.”

  Et Cécile, miss John, les domestiques, le portier, pas un qui ne fût charmant pour lui, dans cette maison. Il y venait tous les soirs, abandonnant Rosanette. Sa maternité future la rendait plus sérieuse, même un peu triste, comme si des inquiétudes l’eussent tourmentée. A toutes les questions, elle répondait :

  — “Tu te trompes ! Je me porte bien !”

  C’étaient cinq billets qu’elle avait souscrits autrefois et, n’osant le dire à Frédéric après le payement du premier, elle était retournée chez Arnoux, lequel lui avait promis, par écrit, le tiers de ses bénéfices dans l’éclairage au gaz des villes du Languedoc (une entreprise merveilleuse ! ), en lui recommandant de ne pas se servir de cette lettre avant l’assemblée des actionnaires ; l’assemblée était remise de semaine en semaine.

  Cependant, la Maréchale avait besoin d’argent. Elle serait morte plutôt que d’en demander à Frédéric. Elle n’en voulait pas de lui. Cela aurait gâté leur amour. Il subvenait bien aux frais du ménage ; mais une petite voiture louée au mois, et d’autres sacrifices indispensables depuis qu’il fréquentait les Dambreuse, l’empêchaient d’en faire plus pour sa maîtresse. Deux ou trois fois, en rentrant à des heures inaccoutumées, il crut voir des dos masculins disparaître entre les portes ; et elle sortait souvent sans vouloir dire où elle allait. Frédéric n’essaya pas de creuser les choses. Un de ces jours, il prendrait un parti définitif. Il rêvait une autre vie, qui serait plus amusante et plus noble. Un pareil idéal le rendait indulgent pour l’hôtel Dambreuse.

  C’était une succursale intime de la rue de Poitiers. Il y rencontra le grand M. A., l’illustre B., le profond C., l’éloquent Z., l’immense Y., les vieux ténors du centre gauche, les paladins de la droite, les burgraves du juste-m
ilieu, les éternels bonshommes de la comédie. Il fut stupéfait par leur exécrable langage, leurs petitesses, leurs rancunes, leur mauvaise foi, — tous ces gens qui avaient voté la Constitution s’évertuant à la démolir ; et ils s’agitaient beaucoup, lançaient des manifestes, des pamphlets, des biographies ; celle de Fumichon par Hussonnet fut un chef-d’œuvre. Nonancourt s’occupait de la propagande dans les campagnes, M. de Grémonville travaillait le clergé, Martinon ralliait de jeunes bourgeois. Chacun, selon ses moyens, s’employa, jusqu’à Cisy lui-même. Pensant maintenant aux choses sérieuses, tout le long de la journée il faisait des courses en cabriolet, pour le parti.

  M. Dambreuse, tel qu’un baromètre, en exprimait constamment la dernière variation. On ne parlait pas de Lamartine sans qu’il citât ce mot d’un homme du peuple : “Assez de lyre !” Cavaignac n’était plus, à ses yeux, qu’un traître. Le Président, qu’il avait admiré pendant trois mois, commençait à déchoir dans son estime (ne lui trouvant pas “l’énergie nécessaire” ) — , et, comme il lui fallait toujours un sauveur, sa reconnaissance, depuis l’affaire du Conservatoire, appartenait à Changarnier : “Dieu merci, Changarnier… Espérons que Changarnier… Oh ! rien à craindre tant que Changarnier…”

  On exaltait avant tout M. Thiers pour son volume contre le Socialisme, où il s’était montré aussi penseur qu’écrivain. On riait énormément de Pierre Leroux, qui citait à la Chambre des passages des philosophes. On faisait des plaisanteries sur la queue phalanstériennel. On allait applaudir la Foire aux Idées ; et on comparait les auteurs à Aristophane. Frédéric y alla, comme les autres.

  Le verbiage politique et la bonne chère engourdissaient sa moralité. Si médiocres que lui parussent ces personnages, il était fier de les connaître et intérieurement souhaitait la considération bourgeoise. Une maîtresse comme Mme Dambreuse le poserait.

  Il se mit à faire tout ce qu’il faut.

  Il se trouvait sur son passage à la promenade, ne manquait pas d’aller la saluer dans sa loge au théâtre ; et, sachant les heures où elle se rendait à l’église, il se campait derrière un pilier dans une pose mélancolique. Pour des indications de curiosités, des renseignements sur un concert, des emprunts de livres ou de revues, c’était un échange continuel de petits billets. Outre sa visite du soir, il lui en faisait quelquefois une autre vers la fin du jour ; et il avait une gradation de joies à passer successivement par la grande porte, par la cour. par l’antichambre par les deux salons ; enfin, il arrivait dans son boudoir, discret comme un tombeau, tiède comme une alcôve, où l’on se heurtait aux capitons des meubles parmi toutes sortes d’objets çà et là : chiffonnières, écrans. coupes et plateaux en laque, en écaille, en ivoire, en malachite, bagatelles dispendieuses, souvent renouvelées. Il y en avait de simples : trois galets d’Etretat pour servir de presse-papier, un bonnet de Frisonne suspendu à un paravent chinois ; toutes ces choses s’harmoniaient cependant ; on était même saisi par la noblesse de l’ensemble, ce qui tenait peut-être à la hauteur du plafond, à l’opulence des portières et aux longues crépines de soie, flottant sur les bâtons dorés des tabourets.

 

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