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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 336

by Gustave Flaubert


  Les colonnes frêles vont se casser comme un roseau sous le poids de leur cathédrale, qui s’abaissera tout à l’heure comme un flot de la mer qui s’est monté bien haut, et qui tombe ensuite sur la surface unie et vide. p85

  Et vous, mes dalles, comme vous êtes vieilles, on pavera les rues avec vos faces plates et carrées ; et le pied de la courtisane, le pas du mulet, les roues des chars vous useront si bien que vous ne serez plus que de la poussière qu’enlèveront les vents. Et toi, ma grosse cloche, on va encore te fondre et te ronger ; tu vas hurler et bondir dans la plaine ; chaque fois que tu chanteras, ta voix tuera des hommes sur son passage.

  Et mes vitraux bigarrés, vous allez tous vous casser, vous aurez le plaisir de vous voir sauter et rebondir, en vous brisant de nouveau sur la terre. Les gargouilles vont tomber pierre à pierre, vous assommerez toutes quelqu’un dans votre chute ; mais on vous ramassera avec soin, on vous grattera, on vous blanchira pour en bâtir quelque entrepôt, quelque lupanar immonde où je vous reverrai souvent. Il dit, et aussitôt l’église s’écroula tout entière, depuis son sommet jusqu’à sa base ; elle s’écroula d’un seul coup, ce fut un fracas horrible. Mais il y eut un immense rire qui accueillit cette chute, les philosophes battaient des mains ; mais un autre rire les domina tellement qu’ils disparurent tout à fait. Celui-là, vous le connaissez, c’était celui de Yuk. Et Smarh se trouva seul dans une plaine aride, avec de la cendre jusqu’au ventre ; il s’y enfonçait à mesure qu’il tâchait de s’élever. Tout était morne, mort et détruit autour de lui.

  Il disait :

  — où suis-je ? Où suis-je ? J’ai monté dans l’infini, et j’ai eu vite un dégoût de l’infini ; je suis redescendu sur la terre, et j’ai assez de la terre. Aussi que faire ? La nature et les hommes me sont odieux. Oh ! Quelle pitoyable création ! p86

  Et il se mettait à rire aussi. — je suis las de tout ; il faut donc mourir. Quels sont ces esprits qui m’ont conduit où j’ai été ? Satan se présente à lui et lui dit : — c’est moi, c’est moi, je suis le diable ! Smarh fut tout épouvanté et faillit mourir.

  SATAN.

  D’où te vient cette horreur ? Pourquoi me craindre ? Si je voulais, je t’emmènerais déjà dans mon enfer, où ta chair repousserait toujours pour brûler toujours, car tu t’es donné à moi depuis longtemps. N’as-tu pas maudit la vie ? N’as-tu pas ri de la création ? N’es-tu pas plein de doute et d’ennui ? Il n’y a de bonheur que pour ceux qui espèrent dans la joie de leur foi. As-tu compris une seule des choses que tu as vues ? As-tu senti tout ce dont tu dis que tu as dégoût ? Que sais-tu de la vie ?

  SMARH.

  Je croyais l’avoir connue et, en effet, je vois qu’à peine je l’ai vue ; je crois toujours voir la lumière, et puis tu me replonges dans l’ombre. Non ! Je ne vois plus qu’un horizon noir, obscur et vague.

  Tiens, regarde ! La cendre me vient jusqu’au ventre, le soleil s’est couché, il n’y a plus sur la plaine qu’une teinte morne et rouge, comme le reflet d’un incendie éteint. Dis-moi donc si l’horizon ne s’éclairera pas et si le soleil dormira toujours dans les ténèbres ? Où veux-tu que j’aille ? Et pour quoi faire ? Me donneras-tu des prairies pures, des océans sans tempête, une vie sans amertume et sans vanité ?

  SATAN.

  Non ! Je veux au contraire que les tempêtes et les vanités soufflent dans ton existence comme le vent dans la voile, t’entraînent vers quelque chose d’immense, d’inconnu, et que moi seul je sais. p87

  SMARH.

  Mais ne suis-je pas déjà assez ployé comme un roseau ? Tu veux donc que l’orage aille toujours jusqu’à ce qu’il m’ait brisé tout à fait ?

  SATAN.

  Oui ! Pour te laisser sur quelque grève déserte, où le désespoir, comme un vautour, viendra manger ton âme.

  SMARH.

  J’irai donc ainsi de dégoûts en dégoûts, repu et toujours traîné aux festins ! Tu vas me conduire ainsi par les mondes ! Oh ! J’en ai assez. Grâce ! Toujours de l’ennui morne et sombre ! Toujours le doute aux entrailles ! Pitié ! Pitié !

  SATAN.

  Non ! Non ! Je veux que tu n’aies plus de doute, et que ta pensée s’arrête et ne tournoie plus sur elle-même comme la terre dans sa course ivre et chancelante.

  SMARH.

  Et que vas-tu me faire ? Vas-tu me changer, me donner un autre corps ? Car le mien est déjà vieux ; j’ai en moi le souvenir de dix existences passées, et déjà je me suis heurté à tant de choses que si je vais ainsi je tomberai en poussière.

  SATAN.

  Ton sang est vieux, dis-tu ? J’y ferai couler du poison dedans, qui nourrira ta chair flétrie ; je te soutiendrai jusqu’au jour où tu pourras aller seul, jusqu’au jour où je te lâcherai de ma griffe. Maintenant va, cours, bondis dans les vices, les crimes et les passions. Oh ! Je vais animer ton existence, je vais te gonfler le cœur jusqu’à ce qu’il crève p88

  percé ; je vais t’en donner, t’en donner jusqu’à ce que tu n’en puisses plus ; tu vas courir sous un soleil de plomb, tu vas traverser des mares de sang et des océans de boue, tu vas vivre. N’as-tu pas un but ? N’es-tu pas destiné à accomplir une mission ? Mission de souffrance et d’angoisses ! Quand tes membres seront usés, que tes pieds eux-mêmes seront réduits en poudre, je te pousserai toujours, et tu iras ainsi dans cet infini des douleurs jusqu’à ce que tu ne sois plus rien, rien. Entends-tu cela ?

  Tu croyais donc que tu pouvais regarder la vie, t’approcher du bord et puis t’en éloigner pour toujours ? Non ! Non ! Je vais t’y plonger longtemps, et tu vas en sonder toutes les fanges, en boire toute l’amertume.

  Dis-moi, que veux-tu ? Forme un rêve, creuse une idée, désire quelque chose, et ton rêve aussitôt va devenir une réalité que tu palperas des mains ; je te ferai descendre jusqu’au fond du gouffre de ta pensée, j’accomplirai ton désir.

  SMARH.

  Que sais-je ? Car j’ai mille passions sans but, mille instincts confus ; j’ai comme, dans mon âme, les débris de vingt mondes, et je ne sens pas un souffle qui puisse ranimer toutes ces fleurs flétries de croyance et d’amour, d’illusions perdues ; mon cœur est sec comme un roc brûlé du soleil et battu de la tempête, je suis lassé comme si j’avais marché depuis des siècles sur une route de fer.

  Et pourtant j’ai encore besoin de vivre ! Je sens, tout au fond de mon âme, quelque chose qui remue encore, et qui palpite, et qui veut vivre, quelque chose qui demande et qui appelle comme une voix d’enfant dans la nuit, cherchant sa mère. Parfois mon sang bouillonne comme si mes veines étaient d’airain rouge. p89

  Oh ! Si quelque rosée du ciel, toute humide et toute fumeuse de parfums, venait baigner mon cœur et l’endormir ! Si le vent frais des nuits d’été pouvait ranimer mes yeux usés et fatigués de veilles et de fatigues !

  SATAN.

  Viens, viens, mon maître, ta course n’est pas finie ; tu te plaindras quand tu seras vieux ; sois ferme, aie le cœur dur pour vivre longtemps et ne désespère pas de l’avenir, si tu veux être heureux. Regarde le monde, il y a bien quelque six mille ans qu’il sue et qu’il travaille dans le cercle de l’infini, et il croit avancer parce qu’il tourne.

  Allons ! Allons ! Tout est à toi, l’enfer va te servir ; le monde, pour te plaire, s’étale comme une nappe. Que veux-tu manger ? De quoi veux-tu te nourrir ? De gloire ? Des voluptés ? Des crimes ? Tout, tout est à toi !

  Satan siffla, et deux chevaux ailés se présentèrent, leur dos était long et se pliait comme un serpent, leur large queue noire battait la terre, leur crinière flottait et sifflait au vent, leurs ailes se déployaient comme des ailes de chauves-souris, et, quand ils furent emportés par eux, on n’entendait que le bruit des vagues d’air que remuait leur vol, et celui de leurs naseaux qui lançaient la fumée. Ils couraient à pas de géant sur le monde ; sous eux étaient perdus les villes, les campagnes, les tours, les clochers, les mers ; ils allaient traversant les empires, et ce vol de l’enfer passait aussi vite que la poudre, ils semblaient eux-mêmes emportés par la tempête avec le sable du rivage. Satan
se tenait immobile, droit, plein de majesté et d’orgueil, il regardait tout disparaître derrière lui, tout apparaître devant ; Smarh se tenait couché sur la crinière, à laquelle il se cramponnait pour se soutenir. Ils allaient côte à côte, dans cette course effrénée p90

  du monde. Emportés par leurs chevaux, tout passait devant eux : pyramides, armées, tombeaux, ruisseaux, manteaux de pourpre, empires, tout cela passait comme l’espace qu’ils franchissaient. Leurs coursiers faisaient battre leurs ailes et baissaient la tête pour mieux bondir, mais Satan les pressait du flanc : — allons, disait-il, allons plus vite, ou je vous attacherai à la queue de quelque comète qui, dans sa course éternelle, vous fera mourir de fatigue. Plus vite ! Mangez donc l’air ! êtes-vous fatigués déjà pour quelques mille lieues que vous avez été toute une heure à faire ? Allons ! Plus vite, ou je vous casse la tête d’un coup de pied. Les nuages roulent, la neige tombe sur les montagnes, la mer se tord et mugit, l’air siffle, étendez-vous plus long, d’un bond franchissez-moi cette montagne, d’un coup d’aile passez-moi cet océan. Quand vous serez fatigués, vous irez vous reposer sur le coin de quelque nuée, et quand vous aurez faim, je vous donnerai à manger le marbre de quelque sépulcre.

  Et la course recommençait, plus vive, plus longue, plus silencieuse, plus terrible. On les voyait de loin, dans les airs, marcher sur le vide et courir dans l’infini.

  Quand les chevaux furent bien las, que leur crinière eut bien battu leur croupe, et que leurs flancs pressés furent couverts d’écume et de sang, ils finirent par tournoyer en planant dans les airs et s’abattirent sur la terre.

  C’était le soir, le soleil se couchait, et ses teintes cuivrées illuminaient les coteaux ; c’était dans un cimetière de village, parmi les tombes grasses et les herbes. Les coursiers se traînaient sur le sol jonché de pierres brisées étendues, et leurs ailes raclaient sur la terre ; ils étaient haletants et se traînaient comme des lézards, couchés sur le ventre. p91

  L’église était vieille, toute ridée, toute grise ; on voyait, à travers ses vitraux, quelques lampes s’allumer et s’éteindre ; des paysans jouaient et couraient devant le porche.

  Smarh et Satan s’étaient assis au pied de l’if dont les rameaux allaient tout alentour, comme une large rose verte. Il se fit un silence, les hommes se turent, le vent cessa de souffler ; la nuit vint, Satan et Smarh se regardèrent longtemps l’un l’autre sans rien dire.

  Satan était étendu sur l’herbe, il promenait son regard fauve sur l’horizon, et sa griffe entrait machinalement dans une fente de tombeau et remuait sa cendre. Smarh le regardait, plein d’effroi, il tremblait comme la feuille, jamais il ne s’était senti si faible.

  La nuit vint, une nuit toute splendide, pleine de clartés ; les feux rouges et bleus sortaient et rentraient de terre, la terre remuait et semblait s’agiter comme les vagues ; les hommes se mirent à fuir, mais la terre du cimetière montait sur les corps et les engloutissait. Les vitraux de l’église parurent s’agiter eux-mêmes et prendre vie, les lampes, allumées et vacillantes, les frappaient par derrière et semblaient les faire remuer, comme si les fleurs peintes eussent été des fleurs vertes et que quelque vent d’enfer les eût agitées.

  Les personnages se mirent à marcher d’eux-mêmes, et Smarh vit le Christ dans le désert. Il était seul. Tout à coup le diable se présentait à lui, il avait une tête monstrueuse et ricanait horriblement, le Christ avait peur, Satan ouvrait la bouche, étendait les mains et faisait claquer ses ongles.

  Smarh se détourna vivement vers lui, il lui semblait le voir ainsi, mais plus horrible ; il marchait dans le feu, et une sueur de sang coulait sur son corps. Les tombeaux semblaient s’agiter comme des débris de navire, sur les vagues vertes du gazon, qui ondulait mollement et laissait voir des quartiers de squelettes et p92

  de cadavres, qu’allaient déterrer les coursiers ailés, et ils les mâchaient lentement.

  Puis tout disparut, les ténèbres reparurent et l’on n’entendit qu’une pluie éternelle d’un sang bouillant et plein d’écume, qui brûlait la terre en tombant. Smarh tout à coup vit Yuk se berçant, en riant et en se tordant dans les convulsions d’un rire immense, à une longue corde qui partait du ciel et descendait jusqu’à l’enfer.

  Ils reprirent leur route, et ils allaient par la nuit obscure, si loin qu’ils changèrent de monde et qu’ils arrivèrent au bord d’un beau fleuve.

  On entendait le bruit de l’eau dans les bambous, dont les têtes ployaient sous le souffle du vent ; les ondes bleues roulaient, éclairées par la lune qui se reflétait sur elles ; au ciel les nuages l’entouraient et roulaient emportés en se déployant, et les eaux du fleuve aussi s’en allaient lentement, entre les prairies toutes pleines de silence, de fleurs. Les flots étaient si calmes qu’on eût pris le courant pour quelque serpent monstrueux qui s’allongeait lentement sur les herbes pour aller mordre au loin l’océan. Cependant on voyait glisser dessus les ombres scintillantes des étoiles et les masses noires des nuages ; souvent aussi les deux ailes blanches des cygnes disparaissaient dans les joncs verts. La nuit était chaude, limpide, toute vaporeuse de parfums, toute humide de la rosée des fleurs ; elle était transparente et bleue, comme si un grand feu d’étoiles l’eût éclairée par derrière. C’était un horizon large et grand, qui baisait au loin le ciel d’un baiser d’amour et de volupté.

  Smarh se sentit revivre ; je ne sais quelle perception, jusque-là inconnue, de la nature entra dans son âme comme une faculté nouvelle, comme une jouissance p93

  intime et transparente, au dedans de laquelle il voyait se mouvoir confusément des pensées riantes, des images tendres, vagues, indécises. Il resta longtemps plongé dans la béatitude de l’extase et se laissant enivrer par tout cela, laissant son âme humer par tous ses pores l’harmonie et les délices de ce ciel diaphane, si large et si pur ; de cette campagne, avec ses herbes courbées par la brise embaumante, avec les fleurs balançant leurs calices et laissant échapper le parfum qui s’envole ; de cette onde de lait murmurante et douce dans les roseaux, avec ces cygnes dont le pied bat mollement les flots endormis, qui viennent mouiller d’un baiser tout fumant le sable doré et jonché de coquilles blanches.

  Son âme se déployait et nageait à l’aise, elle étendait ses ailes et planait au milieu de cette création, toute ivre de parfums, toute dormeuse et nonchalante, comme une sultane sur des lits de roses. On sentait que la terre toute tiède grandissait en beauté dans son sommeil.

  Voilà que les ondes s’arrêtent et semblent une lame d’argent qui est demeurée sur l’herbe, les joncs se taisent, les fleurs s’ouvrent, la nuit devient encore plus transparente, plus longue, plus voluptueuse ; et tandis que Smarh restait là, on voit s’élever, sortir, apparaître et s’enfuir, parmi la clarté douteuse, comme des ombres qui passent. De vagues formes de femmes nues, blanches, venaient autour de lui, marchant avec leurs pieds nus sur le tapis vert et frais ; elles l’entouraient, le regardaient, l’appelaient, puis elles s’en allaient bien vite, bien vite, en courant ; les unes se courbaient jusqu’à terre, et l’on voyait leur dos blanc, tout couvert de cheveux noirs, se plier avec un mouvement de fleur sous la brise ; les autres s’étendaient sur ses genoux, et leur tête retombait par terre et laissait voir leur gorge palpitante et brune ; elles étaient vives, folâtres, errantes, douteuses p94

  comme une suite d’images dans un songe d’amour. Elles venaient lui jeter des fleurs à la figure, en dansant autour de lui ; elles s’entrelaçaient avec leurs bras ronds et blancs sur leurs hanches de marbre, on voyait leur cou de cygne se ployer en arrière et leur gorge remuer comme si elles eussent chanté. Car elles chantaient, mais si bas, si confusément que Smarh n’entendait que des sons doux et faibles, comme ceux d’une flûte au dernier soupir d’une vibration mourante. Elles allaient dans le fleuve, et en ressortaient avec leurs beaux corps tout humides et leurs cheveux mouillés sur leurs seins ; souvent le flot d’azur les apportait devant lui, comme dans des bras invisibles et embaumés.

  Smarh alors sentit en lui quelque chose
qui montait comme une vague géante ; il avait devant lui je ne sais quelles illusions, qui éclairaient son cœur et le menaient déjà dans un avenir tout plein de délices, il voulait courir après, mais il lui échappait toujours et il courait toujours.

  Elles étaient si belles ! Il y en avait qui descendaient de la nue grise, d’autres qu’apportaient les flots, d’autres qui sortaient de dessous terre, d’entre les herbes, les fleurs, et qui semblaient venir soit d’un rayon de la lune, soit du parfum d’une rose, oh ! Belles ! Belles ! Et si fines, si transparentes, qu’on les aurait prises pour les plus beaux rêves d’un poète ! Il y en avait de blanches avec des cheveux d’or, d’autres qui étaient brunes, ardentes, et qui avaient des yeux noirs qui semblaient lancer des jets de flammes.

  C’était si beau de voir cette guirlande de femmes nues, entrelacées et remuant toutes, que Smarh courait dévoré par la rage. Elles lui échappaient des mains, et puis elles revenaient devant lui. Il avait un désir, un désir immense ; son âme était une chaudière rouge où se brûlait, toute torturée, une passion gigantesque ; p95

  il y avait un démon en lui, qui le poussait en avant, lui disait cent choses infinies et lui chantait des chants sans mots, sans phrases, sans idées, mais quelque chose d’ardent, de dévorant, de large et de plein de colère, de frénésie, de plus rapide que la poudre, plus brûlant que le feu. Il allait, courait, venait ; tout son sang bouillonnait ; sa chair remuait et semblait se repétrir dans cette passion, ses os étaient broyés, sa pensée malade courait dans un cercle de fer et se brisait la tête en voulant le franchir.

  Enfin Satan en eut pitié, il frappa la terre avec son pied et il en sortit un palais.

  Smarh se trouva dans une large salle, assis à une table toute couverte de mets ignorés ; il se précipitait dessus en savourant avec délices les premières bouchées, et buvait quelques gouttes des liqueurs les plus parfumées. Les lambris de marbre blanc, les pavés d’or étaient sculptés, ciselés ; il y avait de place en place des femmes nues et belles comme des statues, elles se confondaient avec elles ; des clartés ruisselantes illuminaient tout cela. C’étaient des chants sans fin, doux et purs comme celui de l’alouette dans les blés, comme la voix qui dit : je t’aime, dans un baiser ; c’était partout formes de rose, seins d’albâtre, beautés sans nombre, ivresses infinies.

 

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