Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 422

by Gustave Flaubert


  C’est lourd, hein ? mon brave... Mettez cela ici ; bon ! (L’homme dépose son ballot par terre, près d’un autre beaucoup plus grand) Et descendez vous rafraîchir à la cuisine. On y boit du champagne dans des pots à confiture ; rien ne coûte, vu la circonstance ! Ce soir, l’élection, et la semaine prochaine, Paris ! Voilà assez longtemps que j’en rêve le séjour, principalement pour les huîtres et le bal de l’Opéra ! (Considérant les deux tas de journaux) L’article de M. Julien, encore ! A qui en distribuer ? Tout le monde en a, sans exagération, au moins trois exemplaires ! Et il nous en reste !... N’importe, à l’ouvrage ! Il commence à diviser le tas par petits paquets. Entre le garde champêtre.

  Ah ! père Morin, aujourd’hui vous êtes en retard !

  LE GARDE CHAMPETRE : C’est qu’il y a eu, chez M. Murel, une espèce d’émeute ; les ouvriers maintenant, sont contre lui [on parle même de faire venir la troupe]. Ah ! ça ne va pas ! ça ne va pas ! (Il se met à aider Pierre. Entre Félicité)

  PIERRE : Tiens, Félicité ! Bonjour, madame Gruchet.

  FELICITE : Malhonnête !

  PIERRE : Je vous croyais fâchée depuis que votre maître nous fait concurrence ?

  FELICITE, sèchement : Ça ne me regarde pas !... J’ai une commission pour le vôtre.

  PIERRE : Il est sorti.

  FELICITE : Mais il rentrera pour déjeuner ?

  PIERRE : Est-ce qu’on déjeune ? Est-ce qu’on a le temps ! Monsieur, du matin au soir, n’arrête pas, Madame porte des secours à domicile, et Mademoiselle, avec un grand tablier, distribue des potages aux pauvres !

  FELICITE : Et l’institutrice ?

  PIERRE : Oh ! plus gnian-gnian que jamais ! (Au garde champêtre) Non ! comme cela ! (Pliant un journal) C’est Monsieur qui m’a appris, de manière à ce que l’on voie, du premier coup d’oeil, l’article.

  LE GARDE CHAMPETRE : Il cause dans l’arrondissement une agitation !...

  PIERRE : Pour être tapé, il l’est.

  FELICITE : En attendant, n’y aurait-il pas moyen de lui dire un mot, à votre Anglaise ?

  PIERRE, désignant la porte de gauche : Sa chambre est par là, au fond du corridor, à droite.

  FELICITE : Oh ! je sais. (Elle se dirige vers la porte)

  PIERRE : Notre patron !

  Scène II : les mêmes, Rousselin

  ROUSSELIN, en entrant, presse chaleureusement la main de Pierre : Mon cher ami...

  PIERRE, étonné : Mais, Monsieur ?...

  ROUSSELIN : Une distraction, c’est vrai. L’habitude de donner au premier venu des poignées de main est plus forte que moi... J’en ai la paume enflée (Au garde champêtre) Ah ! très bien ! (Lui glissant de l’argent de manière discrète) Merci !... et... ne craignez pas... si jamais vous aviez besoin...

  LE GARDE CHAMPETRE, avec un geste pour le rassurer : Oh ! (Il sort avec Pierre qui l’aide à porter les journaux)

  ROUSSELIN : Il enfonce toutes les objections, l’article ! - démontrant, fort bien qu’il est absurde d’avoir des opinions arrêtées d’avance, et que ma conduite est par là plus sage et plus loyale. Il vante mes lumières administratives ; il dit même que j’ai fait mon droit. - J’ai poussé jusqu’au premier examen. - Et avec des tournures de style !... - C’est pourtant à ma femme que je dois cela !

  FELICITE, s’avançant, et lui remettant une lettre : De la part de M. Gruchet !

  ROUSSELIN : Ah ! (Lisant) “La quittance, et je me désiste. Vous pouvez la confier à ma bonne.” Diable ! Voilà ce qu’on appelle vous mettre le couteau sous la gorge. Mais, s’il se retire, pas d’autre concurrent, et je suis nommé ! Mon Dieu, oui ! C’est bien clair ! La somme est lourde, cependant, et je n’aurai plus contre lui aucun moyen... Eh ! quand il sera élu, la belle avance ! Pour six mille francs, dont je ne parlais pas, que j’avais oubliés... A quoi me serviraient-ils ? Bah ! on n’a rien sans sacrifice ! (Il ouvre son bureau) Tenez ! (Donnant un petit papier à Félicité) Dépéchez-vous ! votre maître attend !

  FELICITE : Merci, Monsieur ! (Elle sort)

  ROUSSELIN : La démission est tardive ! Bah ! le scrutin ne fait que d’ouvrir, et quand j’y perdrais quelques voix...

  Scène III : Rousselin, Murel, Dodart

  MUREL : Ah ! maintenant vous me croirez. Je vous amène le notaire avec toutes ses preuves.

  DODART : Voici les actes de l’état civil, et l’extrait d’inventaire établissant les droits et qualités de mon client la succession de Mme veuve Murel de Montélimart, sa tante.

  ROUSSELIN : Mes compliments !

  MUREL : Ainsi, rien ne s’oppose plus à ce que...

  ROUSSELIN : Quoi ? Qu’est-ce que vous dites ?

  MUREL : Mon mariage ?

  ROUSSELIN : Et comment voulez-vous que dans un jour pareil ?

  MUREL : Sans doute ! Cependant, sans rien décider, on pourrait convenir...

  ROUSSELIN, à Dodart : Savez-vous quelque chose de nouveau ? On ne vous a pas dit, par hasard, que Gruchet...

  MUREL : Mon cher, il me semble que vous pourriez accorder plus d’attention...

  ROUSSELIN : Non ! pas de bavardage ! Vous feriez mieux de ne pas quitter vos hommes ; le bruit court même qu’ils se disposent...

  MUREL : Mais j’ai amené exprès Dodart !

  ROUSSELIN : Allez-vous en ! Nous causerons ensemble de votre affaire !

  MUREL : Vous consentez, alors ? c’est bien sûr ?

  ROUSSELIN : Oui, mais ne perdez pas votre temps !

  MUREL, sortant vivement : Ah ! comptez sur moi ! Quand je devrais leur donner de ma bourse une augmentation !... (Il sort)

  Scène IV : Rousselin, Dodart, puis Marchais, puis Pierre, puis Arabelle

  ROUSSELIN : Un bon enfant, ce Murel !

  DODART : Néanmoins, il se trompe ! Les ouvriers maintenant se moquent de lui ! Quant à sa fortune, par exemple...

  MARCHAIS : Serviteur ! M. de Bouvigny m’envoie chercher votre réponse.

  ROUSSELIN : Comment ?

  MARCHAIS : La réponse à la chose que M. Dodart vous a communiquée ?

  DODART, se frappant le front : Quelle étourderie ! la première peut-être, qui m’arrive dans la carrière du notariat !

  MARCHAIS, à Rousselin : Et il demande un mot d’écrit.

  ROUSSELIN : Mais ?...

  DODART, à Rousselin : Je vais vous dire. (A Marchais) Patientez quelques minutes dans la cour, n’est-ce pas ? (Marchais sort) M. de Bouvigny est donc venu, il y a trois jours, m’affirmer encore une fois qu’il tenant à votre alliance...

  ROUSSELIN : Je le sais.

  DODART : Et que si vous vouliez, - dame ! on se sert des moyens que l’on a, on utilise les armes que l’on possède ! Ce n’est peut-être pas toujours extrêmement bien... mais...

  ROUSSELIN : Ah ! vous avez une façon de parler !

  DODART : Sans l’affaire de Murel, qui est tombée dans mon étude, et qui a pris tous mes instants, je serais vite accouru.

  ROUSSELIN : Au fait, je vous prie !

  DODART : Si vous accordez votre fille à son fils, il est sûr, entendez-vous, le comte m’a dit qu’il était sûr de vous faire élire, ne serait-ce qu’en amenant aux urnes soixante-quatre laboureurs.

  ROUSSELIN : Cet envoi de Marchais est une sommation ?

  DODART : Absolument.

  ROUSSELIN : Eh bien ?... et Murel !

  DODART : En effet, vous venez de lui promettre.

  ROUSSELIN : Lui ai-je promis ?

  DODART : Oh ! légèrement !

  ROUSSELIN : Pour ainsi dire, presque pas !... Cependant... Enfin, que me conseillez-vous ?

  DODART : C’est grave ! très grave ! Des liens d’amitiés, des rapports d’intérêt même m’attachent à M. de Bouvigny, et je serais enchanté pour moi... D’autre part, je ne vous cache pas que M. Murel, maintenant... (A part) Un contrat ! (Haut) C’est à vous de réfléchir, de voir, de peser les considérations ! D’un côté le nom, de l’autre, la fortune. Certainement, Murel devient un parti. Cependant, le jeune Onésime...

  ROUSSELIN : Que faire ? Eh ! ma femme, que j’oubliais !
D’ailleurs, je ne peux pas agir sans sa volonté. (Il sonne) Tout le monde est donc mort, aujourd’hui ! (Il crie) Ma femme ! Pierre ! (A Pierre qui accourt) Dites à Madame que j’ai besoin d’elle !

  PIERRE : Madame n’est pas dans la maison !

  ROUSSELIN : Voyez au jardin ! (Pierre sort) Elle découvrira un expédient ; elle est quelquefois d’un tact...

  DODART : En de certaines circonstances, je consulte, comme vous, mon épouse, et je dois lui rendre cette justice...

  PIERRE rentre : Monsieur, je n’ai pas vu Madame !

  ROUSSELIN : N’importe ! trouvez-là !

  PIERRE : La cuisinière suppose que Madame est sortie depuis longtemps.

  ROUSSELIN : Pour où aller ?

  PIERRE : Elle ne l’a pas dit !

  ROUSSELIN : Vous en êtes sûr ?

  PIERRE : Oh ! (il sort)

  ROUSSELIN : C’est extraordinaire ! jamais de sa vie !...

  ARABELLE, entrant fort émue : Monsieur ! Monsieur ! Il faut que je vous parle ! écoutez-moi ! une chose importante ! oh ! très sérieuse, Monsieur !

  DODART : Dois-je me retirer, Mademoiselle ? (Signe affirmatif d’Arabelle ; il sort)

  Scène V : Rousselin, Miss Arabelle

  ROUSSELIN : Que me voulez-vous ? dépéchons !

  MISS ARABELLE : Mon Dieu, Monsieur, pardonnez-moi si j’ose... c’est dans votre intére^t ! L’absence de Madame paraît vous... contrarier ? et je crois pouvoir...

  ROUSSELIN : Est-ce que par hasard ?...

  MISS ARABELLE : Oui, Monsieur, le hasard précisément ! - Votre femme est avec M. Julien !

  ROUSSELIN, abasourdi : Comment ?... (Puis tout à coup) Sans doute ! pour mon élection !

  MISS ARABELLE : Je ne crois pas ! car je les ai rencontrés à la Croix bleue, entrant dans le petit pavillon, - vous savez, le rendez-vous de chasse, - et j’ai entendu cette phrase de M. Julien, - sans la comprendre peut-être, malgré l’explication que cherchait à m’en donner M. Gruchet, à qui j’en parlais tout à l’heure, et qui, lui, avait l’air de comprendre mieux que moi : “J’en sortirai avant vous, et pour vous faire connaître si vous pouvez rentrer sans crainte, j’agiterai, derrière moi, mon mouchoir !”

  ROUSSELIN : Impossible ! !... des preuves, miss Arabelle ! J’exige des preuves !

  Scène VI : les mêmes, Dodart, puis Louise

  DODART, entre vivement : Marchais ne veut plus attendre ! Du haut de votre vignot dans le parc, il croit même apercevoir M. de Bouvigny qui descent la côte, au milieu d’une grande foule !

  ROUSSELIN : Les soixante-quatre laboureurs !

  DODART : Le comte peut les faire voter pour Gruchet !

  ROUSSELIN : Eh ! non ! puisque Gruchet... après tout, ce misérable-là... on ne sait pas !

  DODART : Ou mettre des bulletins blancs !

  ROUSSELIN : C’est assez pour me perdre !

  DODART : Et l’heure avance !

  ROUSSELIN, regardant la pendule : D’un quart sur la Mairie, heureusement ! Que Marchais retourne vers le comte, le supplier, pour qu’il m’accorde au moins... Où est Louise ? Miss Arabelle, appelez Louise ! (Arabelle sort) Comment la convaincre ?

  DODART : Si vous pensez que mon intervention...

  ROUSSELIN : Non, ça la blesserait ! Tenez-vous en bas, et dès que j’aurai son consentement... Mais Bouvigny demande une lettre ! Est-ce que je pourrai jamais...

  DODART : La parole d’honneur suffira. Et puis, je reviendrai vous dire...

  ROUSSELIN : Eh ! vous n’aurez pas le temps ! A 4 heures, le scrutin ferme. Courez vite !

  DODART : Alors, j’irai tout de suite à la Mairie...

  ROUSSELIN : Que je voudrais y être, pour savoir plus tôt...

  DODART : Ce sera vite fait !

  ROUSSELIN : Eh ! avec votre lenteur...

  DODART : En cas de succès, je vous ferai de loin un signal.

  ROUSSELIN : Convenu !

  LOUISE, entrant : Tu m’as fait demander ?

  ROUSSELIN : Oui, mon enfant (A Dodart) Allez vite, cher ami !

  DODART, indiquant Louise : Il faut bien que j’attende la décision de Mademoiselle !

  ROUSSELIN : Ah ! c’est vrai ! (Dodart sort)

  Scène VII : Rousselin, Louise

  ROUSSELIN : Louise ! tu aimes ton père, n’est-ce pas ?

  LOUISE : Oh, cette question !

  ROUSSELIN : Et tu ferais tout pour lui...

  LOUISE : Tout ce qu’on voudrait !

  ROUSSELIN : Eh bien, écoute-moi. Dans les existences les plus tranquilles, des catastrophes surviennent. Un honnête homme, quelquefois, se laisse aller à des égarements. Supposons, par exemple, - c’est une supposition, pas autre chose, - que j’aie commis une de ces actions, et que pour me tirer de là...

  LOUISE : Mais vous me faites peur !

  ROUSSELIN : N’aie pas peur, ma mignonne ! C’est moins grave ! Enfin, si on te demandait un sacrifice, tu te résignerais !... ce n’est pas un sacrifice que je te demande, une concession seulement ! Elle te sera facile. Les rapports entre vous sont nouveaux ! Il faudrait donc, ma pauvre chérie, ne plus songer à Murel !

  LOUISE : Mais je l’aime !

  ROUSSELIN : Comment ! Tu t’es laissé prendre à ses manières, à tous les embarras qu’il fait ?

  LOUISE : Moi, je lui trouve très bon genre !

  ROUSSELIN : Et puis, je ne peux pas donner des détails, mais entre nous, il a des moeurs...

  LOUISE : Ce n’est pas vrai !

  ROUSSELIN : Cousu de dettes ! Au premier jour, on le verra décamper !

  LOUISE : Pourquoi ? Maintenant il est riche !

  ROUSSELIN : Ah ! si tu tiens à la fortune, je n’ai rien à dire. Je te croyais des sentiments plus nobles !

  LOUISE : Mais le premier jour, je l’ai aimé !

  ROUSSELIN : Tu as ton petit amour-propre aussi, toi ! avoue-le ! Tu ne dédaignes pas le flafla, tout ce qui brille, les titres ; et tu serais bien aise, à Paris, - quand je vais être député, - de faire partie du grand monde, de fréquenter le faubourg Saint-Germain... Veux-tu être comtesse ?

  LOUISE : Moi ?

  ROUSSELIN : Oui, en épousant Onésime.

  LOUISE : Jamais de la vie ! un sot qui ne fait que regarder la pointe de ses bottines, [dont on ne voudrait pas pour valet de chambre], incapable de dire deux mots ! Et j’aurais de charmantes belles-soeurs ! [Elles ne savent pas l’orthographe !] et un joli beau-père ! qui ressemble à un fermier. Avec tout cela un orgueil, et une manière de s’habiller ! Elles portent des gants de bourre de soie !

  ROUSSELIN : Tu es bien injuste ! Onésime, au fond, a beaucoup plus d’instruction que tu ne penses. Il a été elevé par un ecclésiastique éminent, et la famille remonte au XIIe siècle. Tu peux voir dans le vestibule un arbre généalogique. Pour ces dames, parbleu, ce ne sont pas des lionnes... mais enfin !... et quant à M. Bouvigny, on n’a pas plus de loyauté, de...

  LOUISE : Mais vous le déchiriez depuis la candidature ; et il vous le rendait. Ce n’est pas comme Murel, qui vous a défendu, celui-là ! Il vous défend encore ! Et c’est lui que vous me dites d’oublier ! Je n’y comprends rien ! Qu’est-ce qu’il y a ?

  ROUSSELIN : Je ne peux pas t’expliquer ; mais pourquoi voudrais-je ton malheur ? Doutes-tu de ma tendresse, de mon bon sens, de mon esprit ? Je connais le monde, va ! Je sais ce qui te convient ! Tu ne nous quitteras pas ! Vous vivrez chez nous ! Rien ne sera changé ! Je t’en prie, ma Louise chérie, tâche !

  LOUISE : Ah ! vous me torturez !

  ROUSSELIN : Ce n’est pas un ordre, mais une supplication ! (Il se met à genoux) Sauve-moi !

  LOUISE, la main sur son coeur : Non !je ne peux pas !

  ROUSSELIN, avec désespoir : Tu te reprocheras, bientôt, d’avoir tué ton père !

  LOUISE, se levant : Ah ! faites comme vous voudrez, mon Dieu ! (Elle sort)

  ROUSSELIN, courant au fond : Dodart, ma parole d’honneur, vivement ! (Il redescend) - Voilà de ces choses qui sont pénibles ! Pauvre petite ! Après tout, pourquoi n’aimerait-elle pas ce mari-là ? Il est aussi bien qu’un aut
re ! Il sera même plus facile à conduire que Murel. Non, je n’ai pas mal fait, tout le monde sera content, car il plait à ma femme !... Ma femme !... Ah ! encore ! C’est ce serpent d’Arabelle avec ses inventions !... Malgré moi... je...

  Scène VIII : Rousselin, et successivement Voinchet, Hombourg, Beaumesnil, Ledru

  ROUSSELIN, apercevant Voinchet : Vous n’êtes pas à voter, vous ?

  VOINCHET : Tout à l’heure ! Nous sommes quinze de Bonneval qui s’attendent au Café Français, pour aller de là tous ensemble à la Mairie !

  ROUSSELIN, d’un air gracieux : En quoi puis-je vous être utile ?

  VOINCHET : L’ingénieur vient de m’apprendre que le chemin de fer passera décidément par Saint-Mathieu ! J’avais donc acheté, tout exprès, un terrain ; et pour en avoir une indemnité plus forte, j’avais même créé une pépinière ! Si bien que me voilà dans l’embarras. Je veux changer d’industtrie ; et comment me défaire, tout de suite, d’environ cinq cents bergamottes, huit cents passe-colmar, trois cents empereurs de la Chine, plus de cent soixante pigeons ?

  ROUSSELIN : Je n’y peux rien !

  VOINCHET : Pardon ! Comme vous avez derrière votre parc un sol excellent, - rien d’autre que du terreau, - à raison de trente sous l’un dans l’autre, je vous céderais avec facilité...

  ROUSSELIN, le reconduisant : Bien ! bien ! Nous verrons plus tard !

  VOINCHET : Le marché est fait, n’est-ce pas ? Vous recevrez demain la première voiture ! Oh ! ça ira ! Je vais rejoindre les amis ! (Il sort par le fond)

  HOMBOURG, entrant par la gauche : Il n’y a pas à dire, monsieur Rousselin, il faut que vous me preniez...

  ROUSSELIN : Mais je les ai, vos alezans ! Depuis trois jours ils sont dans mon écurie !

  HOMBOURG : C’est leur place ! Mais pour les charrois, les gros ouvrages, M. Bouvigny (vous le battrez toujours, celui-là) m’avait refusé une forte jument ! qui n’est pas une affaire, - quarante pistoles !

  ROUSSELIN : Vous voulez que je l’achète !

  HOMBOURG : Ça me ferait plaisir !

 

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