Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 450

by Gustave Flaubert

VALENTINE

  Les premiers temps du mariage...

  THÉRÈSE (ironiquement)

  La lune de miel !

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Du miel qui coûte cher !

  VALENTINE

  Mais, petite maman adorée, tu ne songes pas que bientôt sa place...

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Toi et lui, vois-tu, vous n’êtes que deux enfants sans aucune idée de la vie, et il est réellement fort heureux que je vous aie tout sacrifié : goûts, repos, habitudes... sacrifié est le mot, car si j’habite, avec vous, cette maison, c’est grâce aux instances de ton mari.

  Bien sûr !

  VALENTINE

  Aussi notre reconnaissance...

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Sans moi, pauvre fille, il t’aurait dominée, tu es trop bonne.

  Dieu merci, j’étais là ; mon expérience m’avait appris qu’il fallait d’abord lui tenir tête et se poser dès le premier jour carrément. C’est pour son bien, après tout ; il a été singulièrement élevé, ce garçon.

  THÉRÈSE

  Oh ! oui !

  VALENTINE (vivement)

  Quand tu ne seras pas sans cesse à renforcer les accusations...

  Mrae DE GRÉMONVILLE

  Elle a raison ; rappelle-toi les premiers temps de votre mariage ! comme il était pliant, respectueux, empressé !

  Depuis son retour de Nice, il manifeste en toutes choses je ne sais quel esprit d’indépendance ; vendredi, c’était une grimace devant le dîner maigre, tu l’as vu ; l’autre jour, il a refusé de m’accompagner au sermon. A chaque instant, on dirait qu’il prend à tâche de combattre mes principes ; mais sois tranquille, une mère se doit au bonheur de ses enfants. Il y a ici un besoin urgent de réformes, d’abord votre train de maison.

  VALENTINE

  Mais, petite mère, puisqu’il va avoir cette place, aujourd’hui peut-être ? il est même descendu...

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Tant mieux ! Quoi qu’il en soit, je vous sauverai, et comme premier point j’exige... (Bruit de pas précipités dans la coulisse.)

  VALENTINE

  Ecoute donc ! mais oui, c’est lui !

  Scène 2

  PAUL

  Le journal ! le journal ! il y est, le décret ! j’ai respecté la bande, je n’ai pas voulu lire ma nomination tout seul.

  (Valentine lui saute au cou.)

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Etes-vous sûr au moins ?

  PAUL (montrant le journal)

  Parbleu ! tenez, là ! regardez !

  Mme DE GRÉMONVILLE (prenant les mains de Paul)

  Cette excellente dame de Mérilhac ! quel noble caractère !

  et une influence...

  VALENTINE

  Oh ! la bonne comtesse ! il faut aller la remercier, maman.

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Tout de suite ! (prenant la main de Paul qui va déployer le journal) Vous aussi ! [à Valentine) Mets ton chapeau.

  (Valentine sort.) Tu nous accompagnes, Thérèse ?

  THÉRÈSE (avec humeur)

  Moi ?

  Mme DE GRÉMONVILLE

  (iaprès avoir sonné, revenant vers Paul et l’arrêtant dans sa lecture commencée)

  Oui, l’expression de notre reconnaissance doit avoir un caractère de spontanéité.

  PAUL

  Sans doute.

  VALENTINE (revenant avec son châle et son chapeau)

  Me voilà ! (Victoire entre.)

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Faites atteler, Victoire, et donnez-nous d’abord à moi et à Mademoiselle tout ce qu’il faut pour sortir. (Victoire sort.)

  PAUL (feuilletant avec anxiété)

  Mais... mais... ah ! l’autre page...

  Mme DE GRÉMONVILLE (pendant qu’il lit)

  Une place pareille ! et pour un début ! c’est splendide !...

  Oh la protection des femmes ! Vous avez maintenant le pied à l’étrier, mon ami !

  PAUL (balbutiant et parcourant fiévreusement le journal)

  Comment ?

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Eh bien, qu’arrive-t-il ? (Paul s’affaisse dans un fauteuil.)

  Vous pâlissez.

  VALENTINE (courant à lui)

  Paul ! Paul !

  PAUL (d’une voix faible et laissant tomber le journal)

  Je ne suis pas nommé !

  Mme DE GRÉMONVILLE (ramassant le journal)

  C’est impossible !

  VALENTINE (bas à Paul)

  Du courage, mon ami !

  Mme DE GRÉMONVILLE (froissant le journal)

  Non ! rien !

  THÉRÈSE (avec amertume)

  Ah ! ah ! cette excellente dame de Mérilhac !

  Mme DE GRÉMONVILLE (éclatant)

  Mais c’est une trahison, mais c’est une infamie ! mais on ne se moque pas ainsi des personnes de notre rang ! (Victoire revient avec deux chapeaux et deux manteaux.)

  VICTOIRE (à part)

  Oh ! oh ! tempête !

  Mme DE GRÉMONVILLE (à Victoire)

  Allez-vous rester plantée comme ça une heure devant moi ?

  Mettez tout ici, laissez-nous ! Ah ! Madame de Mérilhac !

  THÉRÈSE (allant à sa mère)

  Chère maman, ne te fais donc pas tant de mal pour une...

  intrigante de cette espèce.

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Embrasse-moi, Thérèse ; tu as vu clair, toi ! tu es la seule tête forte de la maison. (désignant Paul et Valentine avec dédain) On n’arrive à rien avec des caractères comme ceux-là.

  PAUL (se relevant)

  Madame !

  VALENTINE (à sa mère)

  Mais, ce n’est pas sa faute.

  MME DE GRÉMONVILLE

  Qu’en sais-tu ? que veux-tu que je te dise, moi ? Monsieur a ses idées, Monsieur a ses allures... Monsieur est un libre penseur ! tout cela peut fort bien ne pas convenir à tout îe monde ! et si Madame de Mérilhac est inexcusable d’avoir agi de cette façon-là à mon égard, je suis bien forcée de reconnaître qu’elle n’a peut-être pas complètement tort envers Monsieur.

  PAUL

  J’excuse votre injustice en considération de votre désappointement.

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Une place sans laquelle, certainement, je n’aurais pas consenti...

  PAUL

  A quoi ?

  Mme DE GRÉMONVILLE (détournant la tête)

  Car enfin, la dot que Madame Duvernier vous a donnée...

  PAUL

  Oh ! Madame, il me semble que vous-même vous n’avez pas été d’une générosité...

  Mme DE GRÉMONVILLE (fondant en larmes)

  Des reproches ! Mon Dieu ! c’est le dernier coup ! [Elle tombe dans un fauteuil.)

  THÉRÈSE

  Ma pauvre maman !

  Mme DE GRÉMONVILLE (gémissant)

  Me faire un crime, à moi, de l’exiguïté de mes ressources présentes ! me reprocher les immenses sacrifices que m’impose la malheureuse santé de mon mari.

  VALENTINE

  Il n’a pas voulu dire cela, je t’assure.

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Ce n’était pas la peine de m’attirer chez lui, à mon âge, s’il n’avait que des insultes...

  VALENTINE (bas à Paul)

  Demande-lui pardon, Paul.

  PAUL

  Moi ?

  VALENTINE

  Je t’en supplie...

  PAUL

  Jamais !

  VALENTINE (s’agenouillant)

  Tiens, comme cela, près de moi !

  PAUL

  Tu le veux ?

  VALENTINE

  Oui, je t’en prie.

  PAUL (s’avançant gravement vers Mmede Grémonville)

  Je vous fais mes excuses, Madame.

  Mme DE GRÉMONVILLE

  Ah ! Monsieur, la vie en commun n’était qu’un beau rêve !

  Je vois bien maintenant qu’il vaut mieux nous séparer...

  dans notre intérêt réciproq
ue.

  VALENTINE

  Oh ! chère maman, ne nous quitte jamais, jamais !

  PAUL

  Je vais joindre ma prière à la sienne, Madame.

  Mme DE GRÉMONVILLE

  (,laissant prendre sa main par Valentine, qui la met dans celle de Paul)

  Ah ! Monsieur, vous ne connaissez pas le cœur d’une mère !

  THÉRÈSE

  Quoi qu’il en soit, je pense que notre visite à Madame de Mérilhac est toute faite ?

  Mme DE GRÉMONVILLE (se relevant convulsivement)

  Non pas ! j’ai des compliments à lui adresser. Allons, mes filles (Elle se coiffe ainsi que Thérèse.) nous avons dit que nous irions, nous irons, (à Paul) Vous n’avez pas besoin de vous déranger pour elle, Monsieur Paul. (Elle sort avec Valentine et Thérèse.)

  Scène 3

  PAUL [seul, regardant la porte du fond)

  Tu peux bien compter que j’ai fait cela pour toi, Valentine.

  Me rendre responsable des boutades de Madame de Mérilhac !... Voyons ! il s’agit désormais de régler un peu ses affaires. Il est impossible qu’avec mes rentes... Mais pouvais-je soupçonner qu’une femme comme la comtesse !...

  Allons, un peu de courage ! Puisque ce n’est pas ma faute, je peux bien exposer à ma mère... (Il réfléchit.) Oh ! je n’oserai jamais lui avouer en face, écrivons. (Il s’assoit pour écrire.)

  Scène 4

  AMÉDÉE (entrant avec hésitation)

  Seul ?

  PAUL (se retournant)

  Amédée !

  AMÉDÉE

  Maison du bon Dieu, porte ouverte.

  PAUL (regardant, à part)

  Elles auront oublié de la fermer.

  AMÉDÉE

  Ma visite de noces est légèrement en retard ; mille compliments, d’ailleurs ; femme adorable, mère charmante, belle petite sœur en sucre, bonne affaire. Moi, voilà bien huit jours que je n’ai pas salué mes pénates, ma tante doit être furieuse ; j’ai passé la nuit, je meurs de faim.

  PAUL

  Tu vas manger, parbleu !

  AMÉDÉE

  Sans refus.

  PAUL (tire une des sonnettes de la cheminée)

  Ce cher Amédée ! toujours gai.

  AMÉDÉE

  Mais oui ; pourquoi pas ? Et toi ?

  PAUL (re-sonne)

  Moi aussi !

  AMÉDÉE

  Et le mariage ? est-ce aussi bon qu’on le prétend ?

  PAUL

  Délicieux.

  (Il sonne plus fort.)

  AMÉDÉE

  Cette fois, on a entendu, ne t’inquiète pas, on va venir.

  (Il s’assoit.) Ce doit être bien agréable, en effet, d’avoir une petite femme toujours là, auprès de soi, pour vous dorloter.

  PAUL

  Sans doute, (à la cantonade) Dominique !

  AMÉDÉE

  Un garçon, on a beau dire, n’est jamais aussi bien servi.

  PAUL

  Certainement. (à la cantonade) Joséphine !

  AMÉDÉE

  Du reste, tout le monde n’est pas comme toi ; au lieu d’une femme, tu en as deux.

  PAUL (à la cantonade)

  Victoire !

  AMÉDÉE

  C’est un double avantage, car une belle-mère doit avoir toutes sortes d’attentions.

  PAUL

  Mais... (appelant) Victoire !

  AMÉDÉE

  L’intérêt de sa famille, naturellement, lui fait soigner le bonheur de son gendre.

  Scène 5

  PAUL

  Ah ! enfin ! où étiez-vous donc ?

  AMÉDÉE (à part)

  Eh ! elle est appétissante, cette esclave !

  VICTOIRE

  Monsieur, c’est que ces dames...

  PAUL

  Oui... Quand ces dames ne sont pas là, les domestiques ne se gênent guère ! Vous allez dire à la cuisine qu’on fasse à déjeuner pour Monsieur.

  VICTOIRE (embarrassée)

  C’est que...

  PAUL

  Eh bien, quoi ?

  VICTOIRE

  Entre les repas, Madame a expressément défendu...

  PAUL

  Quelle madame ?

  VICTOIRE

  Madame de Grémonville a expressément défendu qu’on fasse jamais...

  PAUL

  Eh bien, moi j’ordonne !...

  AMÉDÉE (voulant s’en aller)

  Non ! j’ai regret, vois-tu, j’aime mieux...

  PAUL

  Vous avez compris, n’est-ce pas ? allons ! vite !

  VICTOIRE (s’en allant)

  Bien, Monsieur, bien !

  AMÉDÉE

  Oh ! la moindre des choses ! Je ne suis pas difficile.

  (à Paul)

  Véritablement, mon bonhomme, je te cause un embarras.

  VICTOIRE (revenant)

  Monsieur... mais, pour le vin ?

  Quoi, encore ?

  VICTOIRE

  C’est que Madame serre toujours la clef de la cave.

  PAUL (exaspéré)

  Ah ! qu’on prenne un serrurier... ou qu’on enfonce la porte !

  VICTOIRE

  Cependant... Madame... (coup de cloche d’antichambre)

  Tenez ! c’est elle qui rentre. (Elle sort.)

  AMÉDÉE

  Dans ce cas, mon bon, je m’éclipse.

  PAUL

  Au contraire, je tiens à ce que tu restes. Parbleu ! ce serait trop fort si un vieil ami ne pouvait pas, chez moi...

  VICTOIRE (rentrant)

  Monsieur, Madame la comtesse de Mérilhac !

  AMÉDÉE

  Ma tante ! je me dérobe à son courroux... dans la salle à manger, (à Victoire) Vous me tiendrez compagnie, jeune fille ! (sur le seuil de la porte) Après vous, s’il vous plaît.

  (Victoire passe la première, Amédée lui pince la taille.)

  PAUL

  Il faut se montrer, à la fin ! et il n’est pas dit que les femmes me gouverneront toujours !

  Scène 6

  PAUL (d’un air contraint)

  Madame !

  MME DE MÉRILHAC

  Vous ne m’attendiez pas aujourd’hui, n’est
  J’avoue...

  Etes-vous seul ?

  PAUL

  Ces dames, précisément, sont sorties pour aller vous voir (il pousse un siège devant elle), mais faites-moi l’honneur...

  Mme DE MÉRILHAC (s’asseyant)

  Merci ! (Silence ; elle le considère.) Vous m’avez battue, l’autre jour.

  PAUL

  Comment cela ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Mais oui ! c’est une histoire piquante, on s’en amuse. Moi qui ai une réputation d’habileté, je passe pour une dupe ; les petits journaux ont raconté votre demande de mariage d’une manière très drôle, sans omettre les initiales ; la chose a pris les proportions d’un événement, c’est pour le Pouvoir presque un échec, en tous cas un ridicule.

  PAUL

  Et votre vengeance est retombée sur moi.

  Mme DE MÉRILHAC

  Parfaitement !

  PAUL

  Pour quelle raison ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Je voulais marier Amédée à Valentine.

  PAUL

  Lui ? Amédée ? Avec ses opinions...

  Mme DE MÉRILHAC

  On change d’opinion tous les jours. Fausse honte, vous dis-je ; je suis sûre de ses sentiments, il a été peiné de votre mariage.

  PAUL

  Ah ! par exemple !

  Mme DE MÉRILHAC

  Je vous l’affirme ; il plaisait à la belle-mère, il regardait même Thérèse.

  PAUL

  Eh ! qu’il l’épouse ! elle est libre.

  Mme DE MÉRILHAC (comme réfléchissant)

  Thérèse ! tiens, voilà une idée (silence), malheureusement impraticable.

  PAUL

  Vous pensiez bien à Valentine.

  Mme DE MÉRILHAC

  Oh ! Valentine, c’est autre chose.
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br />   PAUL

  Que voulez-vous dire ?

  Mme DE MÉRILHAC (haussant les épaules)

  Vous le savez.

  PAUL

  Pas le moins du monde.

  Mme DE MÉRILHAC

  Valentine, votre femme, sera beaucoup plus riche que sa sœur.

  PAUL

  Comment cela ?

  Mme DE MÉRILHAC

  Madame de Grémonville ne vous a rien dit ?

  PAUL

  Pas un mot.

  Mme DE MÉRILHAC

  (réfléchissant et comme se parlant à elle-même)

  C’est possible après tout, de peur des explications ; mais le père ayant dénaturé ses biens...

  PAUL

  Je marche absolument dans les ténèbres.

  Mme DE MÉRILHAC

  Monsieur de Grémonville a juré de laisser toute sa fortune à Valentine, au détriment de sa sœur.

 

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