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Complete Works of Gustave Flaubert

Page 470

by Gustave Flaubert


  D’illustres hôtes ont dormi sous ces murs : VaJentine de Milan, Isabeau de Bavière, Anne de Bretagne, Charles VIII, Louis XII, François Ier, Claude de France, Henri III, Catherine et Marie de Médicis, et les Guise qui y ont laissé leur sang ; il a coulé à cette place. Vainement l’œil le cherche encore sur le plancher, avec les prunes de Damus que le Balafré avait jetées à côté dans la salle des gardes en disant « qui en veut » ; on a bouché l’escalier par où il descendit dans la chambre du roi, on ne voit plus rien, et cependant on regarde.

  Après avoir servi aux noces du duc d’Alençon avec Marguerite d’Anjou, à celles d’Henri IV avec Marguerite de Valois, et aux sanglantes tragédies des Guise, le château de Blois resta tout ouvert pour recevoir d’autres fortunes : Marie de Médicis y fut enfermée et s’enfuit par cette fenêtre qu’on montre encore ; en 1716, Marie-Casimir, reine de Pologne, l’habita ; en 1814, Marie-Louise s’y réfugia après la prise de Paris, et aujourd’hui les touriourous y fument leur pipe et chantent la gaudriole ; le sang a été lavé, le bruit des sarabandes et des menuets s’est évanoui avec le rire des pages et les frôlements des robes à queue. Que reste-t-il de ce que l’histoire en sait ? et de tout ce qu’elle ne sait pas ? Ce qui est plus tentant à connaître et ce qu’on s’en va demandant aux vieux lambris, aux vieux portraits muets qui vous regardent, aux tombeaux vides qui bâillent, secret qu’ils gardent pour eux seuls et qu’ils se murmurent dans leur solitude. L’histoire est, comme la mer, belle par ce qu’elle efface : le flot qui vient enlève sur le sable la trace du flot qui est venu, on se dit seulement qu’il y en a eu, qu’il y en aura encore ; c’est là toute sa poésie et sa moralité peut-être ?

  Le lendemain nous visitâmes une ruine plus ruinée : je parle de Chambord. Après nous être perdus dans la sotte campagne qui l’environne, nous y arrivâmes enfin par un long chemin dans le sable, au milieu d’un bois maigre, propriété de rentier gêné qui fait des coupes anticipées ; le château n’a ni jardin ni parc, pas le moindre arbuste, pas une fleur autour de lui ; il montre sa façade devant une grande place d’herbe grêle, au bas de laquelle coule une petite rivière. Quand nous sommes entrés un jeune chien s’est mis à aboyer ; la pluie tombait, l’eau coulait sur les toits et passait par les fenêtres brisées. On nous a introduits dans le logement du garde, où, en attendant que sa bonne, qui tient lieu de concierge, fût revenue de la messe, nous avons parcouru le livre des visiteurs.

  Il est rempli de doléances légitimistes, jérémiades sur le maître et la maison, vœux pour le retour de l’auguste exilé, etc. Un certain abbé Sam..., aumônier du presbytère de X..., a écrit ce vers magnifique :

  On peut être boiteux sans cesser d’être droit.

  Un anonyme plus hardi a fait cette variante :

  On peut être exilé sans cesser d’être roi. Quelqu’un, indigné sans doute, a écrit au beau milieu du livre : “ô mania”. Mais ce qui nous a le plus arrêtés, ce sont deux seuls mots : “Louise et Alfred” qui se trouvent perdus sous les marquis, les comtes, les chevaliers de Saint-Louis, les fils des victimes de Quiberon, les pèlerins de Belgrave-Square et toute cette racaille de noblesse postiche qui vit, comme le romantisme de M. de Marchangy, sur la sempiternelle poésie des tourelles, des damoiselles, du palefroi, des fleurs de lis de l’oriflamme de saint Louis, du panache blanc, du droit divin et d’un tas d’autres sottises aussi innocentes. Parmi tant de prétentions pleurardes, grimacières, arrogantes, ces simples noms d’inconnus nous ont paru avoir quelque chose de simple et de bon et de meilleur goût que tout le reste.

  Château de Chambord. — Nous nous sommes promenés le long des galeries vides et dans les chambres abandonnées où l’araignée étend sa toile sur les salamandres de François Ier. Ce n’est pas la ruine de partout, avec le luxe de ses débris noirs et verdâtres, la broderie de ses fleurs coquettes et ses draperies de verdure ondulant au vent, comme des lambeaux de damas. C’est au contraire une misère honteuse qui brosse son habit râpé et fait la décente. On répare le parquet dans cette pièce, on le laisse pourrir dans cette autre. Vous sentez partout un effort stérile pour con- server ce qui meurt et pour rappeler ce qui a fui. Chose étrange ! cela est triste et cela n’est pas grand.

  Et puis, on dirait que tout a voulu contribuer à lui jeter l’outrage, à ce pauvre Chambord, que le Primatice avait dessiné, que Germain Pilon et Jean Cousin avaient ciselé et sculpté. Bâti par François Ier, à son retour d’Espagne, après l’humiliant traité de Madrid (1526), monument de l’orgueil qui veut s’étourdir lui-même, pour se payer de ses défaites, c’est d’abord Gaston d’Orléans, un prétendant vaincu, qu’on y exile ; puis c’est Louis XIV qui d’un seul étage en fait trois, gâtant ainsi l’admirable escalier double qui allait d’un seul jet, lancé comme une spirale, du sol au faîte. Et enfin, c’est Molière qui y joue pour la première fois le Bourgeois gentilhomme, au deuxième étage, côté qui donne sur la façade, sous ce beau plafond couvert de salamandres et d’ornements peints dont les couleurs s’en vont. Ensuite on l’a donné au maréchal de Saxe ; on l’a donné aux Polignac, on l’a donné à un simple soldat, à Berthier ; on l’a racheté par souscription et on l’a donné au duc de Bordeaux. On l’a donné à tout le monde, comme si personne n’en voulait ou ne pouvait le garder. II semble n’avoir jamais servi et avoir été toujours trop grand. C’est comme une hôtellerie abandonnée où les voyageurs n’ont pas même laissé leurs noms aux murs. Je n’y ai vu qu’un seul meuble, un jouet d’enfant ; un modèle de parc d’artillerie offert par le colonel Langlois au duc de Bordeaux, et précieusement conservé sous des couvertures de toile.

  En allant par une galerie extérieure vers l’escalier d’Orléans, pour examiner les cariatides qui sont censées représenter François Ier, Mme de Châteaubriant et Mme d’Étampes, et tournant autour de la fameuse lanterne qui termine le grand escalier, nous avons, à plusieurs reprises, passé la tête par-dessus la balustrade, pour regarder en bas : dans la cour, un petit ânon, qui tétait sa mère, se frottait contre elle, secouait ses oreilles, allongeait son nez, sautait sur ses sabots. Voilà ce qu’il y avait dans la cour d’honneur du château de Chambord ; voilà ses hôtes maintenant : un chien qui joue dans l’herbe et un âne qui tette, ronfle, brait, fiente et gambade sur le seuil des rois !

  (*> Le temps s’était radouci ; la pluie s’en était allée et le doux soleil du soir brillait quand nous arrivâmes à Amboise. Ici encore ce sont de ces bonnes rues de province comme à Blois : on y cause sur les portes, on y travaille dehors ; les femmes, presque toutes brunes, de figure douce et remarquablement jolies, ont d’excellents airs féminins, pleins d’une bénignité voluptueuse. Vous êtes en effet dans ce gras et doux pays de Touraine, pays du bon petit vin blanc et des beaux vieux châteaux et qu’arrose la Loire, le plus français des fleuves français. Les poses et les

  ‘*’ Inédit, pages 20 à 22. allures retiennent quelque chose du calme du Nord ; tandis que la vivacité du Midi anime, dans l’expression, le sourire ; et cependant, malgré le caractère bâtard qui résulte ordinairement de la fusion de nuances opposées, la Touraine me paraît avoir une originalité distincte, pas bien forte il est vrai, mais fine, intime, qui n’est ni prose ni poésie et qui s’exprimerait, je crois, d’un seul mot, si je ne craignais qu’on ne le prît dans une acception trop élevée : ce serait celui de prose chantée.

  Comme nous traversions le pont d’Amboise — il y en a deux, la ville étant bâtie sur les deux rives de son fleuve et au milieu ayant une île ; — il y a deux ponts, disons-nous, mais c’est le second qui est beau, un de ces vénérables ponts, un de ces vieux ponts bossus, étroits, gris, racornis au soleil et à l’eau, où il semble, on ne sait pourquoi, qu’une traînée de cavaliers passant dessus avec des bruits d’armures et de pieds de chevaux allant au pas ferait un bon effet et où on regrette de ne pas entendre chanter, assis sur la borne, un mendiant aveugle tournant sa vielle, ou une gitana nu-pieds dans la poussière, secouant son tambourin dont le son court et brusque est emporté par le bruit large de l’eau qui pas
se sous les arches. Donc, pendant que nous étions sur le pont, nous vîmes apparaître, débusquant de la promenade au pied du château, la garde nationale du lieu qui s’en revenait de la revue. Sur trente hommes environ qu’ils étaient, cinq ou six portaient l’uni- forme, les officiers seulement, le reste n’était que bisets, mais des bisets rares, vraiment en grande tenue avec des habits à queue de morue, des gilets jaunes et des gants noirs. Le dandysme du lieu consiste, je crois, dans cette affectation à mépriser le costume civique. Je dois avouer, à l’honneur d’Amboise, que je n’ai pas vu dans les rangs ou dans le rang (et je m’y attendais) aucun enfant habillé en artilleur tenant son papa par la main. Est-ce que cette monstruosité serait inconnue à cette bienheureuse ville ? ou bien la mode en est-elle passée ? ou bien les fortunes des particuliers ne sont-elles pas assez considérables pour atteindre à cette folle dépense ? N’importe, c’est honorable pour Amboise, car l’enfant habillé en artilleur et récitant des fables est le dernier degré de l’ignominie humaine.

  Château d’Amboise. — Le château d’Amboise, dominant la ville qui semble jetée à ses pieds comme un tas de petits cailloux au bas d’un rocher, a une noble et imposante figure de château fort, avec ses grandes et grosses tours percées de longues fenêtres étroites, à plein cintre ; sa galerie arcade qui va de l’une à l’autre, et la couleur fauve de ses murs rendue plus sombre par les fleurs qui pendent d’en haut, comme un panache joyeux sur le front bronzé d’un vieux soudard. Nous avons passé un grand quart d’heure à admirer, à chérir la tour de gauche qui est superbe, qui est bistrée, jaune par places, noire dans d’autres, qui a des ravenelles adorables appendues à ses créneaux et qui est, enfin, un de ces monuments parlants qui semblent vivre et qui vous tiennent tout béants et rêveurs sous eux, ainsi que ces portraits dont on n’a pas connu les originaux et qu’on se met à aimer sans savoir pourquoi. Riez de cela, braves gens, on n’a pas écrit cette phrase pour vous.

  On monte au château par une pente douce qui mène dans un jardin élevé en terrasse, d’où la vue s’étend en plein sur toute la campagne d’alentour. Elle était d’un vert tendre ; les lignes de peupliers s’étendaient sur les rives du fleuve ; les prairies s’avançaient au bord, estompant au loin leurs limites grises dans un horizon bleuâtre et vaporeux qu’enfermait vaguement le contour des collines. La Loire coulait au milieu, baignant ses îles, mouillant la bordure des prés, passant sous les ponts, faisant tourner les moulins, laissant glisser sur sa sinuosité argentée les grands bateaux attachés ensemble qui cheminaient, paisibles, côte à côte, à demi endormis au craquement lent du large gouvernail qui les remue, et au fond il y avait deux grandes voiles éclatantes de blancheur au soleil.

  Des oiseaux partaient du sommet des tours, des angles des mâchicoulis, allaient se nicher ailleurs, volaient, poussaient leurs petits cris dans l’air, et passaient. A cent pieds sous nous, on voyait les toits pointus de la ville, les cours désertes des vieux hôtels et le trou noir des cheminées fumeuses. Accoudés dans l’anfractuosité d’un créneau, nous regardions, nous écoutions, nous aspirions tout cela, jouissant du soleil qui était beau, de l’air qui était doux et tout imbibé de la bonne odeur des plantes des ruines. Et là, sans méditer sur rien du tout, sans phraser, même intérieurement, sur quoi que ce soit, je songeais aux cottes de mailles souples comme des gants, aux baudriers de buffle trempés de sueur, aux visières fermées sous lesquelles brillaient des regards rouges ; aux assauts de nuit, hurlants, désespérés, avec des torches qui incendiaient les murs, des haches d’armes qui coupaient les corps ; et à Louis XI, à la guerre des amoureux, à d’Aubigné, et aux ravenelles, aux oiseaux, aux beaux lierres lustrés, aux ronces toutes chauves, savourant ainsi dans ma dégustation rêveuse et nonchalante, des hommes, ce qu’ils ont de plus grand : leur souvenir ; de la nature, ce qu’elle a de plus beau : ses envahissements ironiques et son éternel sourire.

  Dans le jardin, au milieu des lilas et des touffes d’arbustes, s’élève la chapelle, bijou d’orfèvrerie lapidaire du XVIe siècle, plus travaillé encore au dedans qu’au dehors, taillé à jour comme un manche d’ombrelle chinoise. Sur la porte un bas-relief très réjouissant représente la rencontre de saint Hubert avec le cerf mystique qui porte un crucifix entre les cornes. Le saint est à genoux ; plane au-dessus un ange qui va lui mettre une couronne sur son bonnet ; à côté, son cheval regarde de sa bonne figure d’animal ; ses chiens jappent, et, sur la montagne dont les tranches et les facettes figurent des cristaux, le serpent qui rampe avance sa tête plate au pied d’arbres ressemblant à des choux-fleurs. C’est l’arbre qu’on rencontre dans les vieilles bibles, sec de feuillages, gros de branches et de tronc, qui a du bois et du fruit, mais pas de verdure ; l’arbre symbolique, l’arbre théologique et dévot, presque fantastique dans sa laideur impossible. Non loin de là, saint Christophe porte Jésus sur ses épaules et saint Antoine est dans sa cellule, bâtie sur un rocher ; le cochon rentredans son trou ; on n’en aperçoit que son derrière et sa queue terminée en trompette, tandis que près de lui un lièvre sort les oreilles de son terrier.

  Ce bas-relief sans doute est un peu lourd et d’une plastique qui n’est pas rigoureuse. Mais il y a tant de vie et de mouvement dans ce bonhomme et ses animaux, tant de gentillesse et de bonne foi dans les détails, qu’on donnerait beaucoup pour emporter ça et pour l’avoir chez soi. Ça vaudrait bien les statuettes genre moyen âge qu’on trouve chez les coiffeurs, les sujets équestres d’Alfred de Dreux qu’on trouve chez les filles entretenues, et la Putiphar de M. Steuben qu’on ne trouve, Dieu merci, nulle part.

  Dans l’intérieur du château, l’insipide ameublement de l’Empire se reproduit dans chaque pièce avec ses pendules mythologiques ou historiques et ses fauteuils de velours à clous dorés. Presque toutes sont ornées des bustes de Louis-Philippe et de Mme Adélaïde. La famille régnante actuelle a la rage de se reproduire en portraits. Elle peuple de sa figure tous les pans de murs, toutes les consoles et les cheminées où elle peut l’y établir ; mauvais goût de parvenu, manie d’épicier enrichi dans les affaires et qui aime à se considérer avec du rouge, du blanc et du jaune, avec ses breloques au ventre, ses favoris au menton et ses enfants à ses côtés.

  On a construit sur une des tours, en dépit du bon sens le plus vulgaire, une rotonde vitrée pour faire une salle à manger. De là, la vue qu’on découvre est superbe. Mais le bâtiment est d’un si choquant effet, qu’on aimerait mieux, je crois, ne rien voir ou aller manger à la cuisine.

  Pour regagner la ville, nous avons descendu par une tour qui servait aux voitures à monter jusque dans la place. La pente douce, garnie de sable, tourne autour d’un axe de pierres comme les marches d’un escalier et la voûte est, de place en place, éclairée par le jour rare des meurtrières. Les consoles où s’appuie l’extrémité intérieure de l’arc de voûte portent des sujets grotesques ou obscènes. Une intention dogmatique semble avoir présidé à leur composition. II faudrait prendre l’œuvre à partir d’en bas, qui commence par l’Aristoteles equitatus (sujet traité déjà sur une des miséricordes du chœur de la cathédrale de Rouen), et l’on arrive, en suivant les transitions, à un monsieur qui s’amuse avec une dame dans la posture perfide recommandée par Lucrèce et par l’Amour conjugal. La plupart des sujets intermédiaires ont du reste été enlevés, au grand désespoir des chercheurs de fantaisies drolatiques, enlevés de sang- froid, exprès, par décence, et comme nous le disait, d’un ton convaincu, le domestique de Sa Majesté, “parce qu’il y en avait beaucoup qui étaient inconvenants pour les dames”.

  (*) Personne ne peut m’accuser de m’avoir entendu gémir sur n’importe quelle dévastation que ce soit, sur n’importe quelle ruine ni débris ; je n’ai jamais soupiré à propos du ravage des révolutions ni des désastres du temps ; je ne serais même pas fâché que Paris fût retourné sens dessus dessous par un tremblement de terre ou se réveillât un beau matin avec un volcan au beau milieu de ses maisons, comme un gigantesque brûle-gueule qui fumerait dans sa barbe : il en résulterait peut-être des
aquarelles assez coquettes et des ratatouilles grandioses dans le goût de Martins. Mais je porte une haine aiguë et perpétuelle à quiconque taille un arbre pour l’embellir, châtre un cheval pour l’affaiblir ; à tous ceux qui coupent les oreilles ou la queue des chiens, à tous ceux qui font des paons avec des ifs, des sphères et des pyramides avec du buis ; à tous ceux qui restaurent, badigeonnent, corrigent, aux éditeurs d’expurgata, aux chastes voileurs de nudités profanes, aux arrangeurs d’abrégés et de raccourcis ;

  (*) Inédit, pages 27 à 29. à tous ceux qui rasent quoi que ce soit pour lui mettre une perruque, et qui, féroces dans leur pédantisme, impitoyables dans leur ineptie, s’en vont amputant la nature, ce bel art du bon Dieu, et crachant sur l’art, cette autre nature que l’homme porte en lui comme Jéhovah porte l’autre et qui est la cadette ou peut-être l’aînée. Qui sait ? C’est du moins l’idée d’Hegel que l’école empirique a toujours trouvée fort ridicule — et moi ?

  Moi, j’ai des remords d’avoir eu la lâcheté de n’avoir pas étranglé de mes dix doigts l’homme qui a publié une édition de Molière “que les familles honnêtes peuvent mettre sans danger dans les mains de leurs enfants” ; je regrette de n’avoir pas à ma disposition, pour le misérable qui a sali Gil Blas des mêmes immondices de sa vertu, des supplices stercoraires et des agonies outrageantes ; et quant au brave idiot d’ecclésiastique belge qui a purifié Rabelais, que ne puis-je dans mon désir de vengeance réveiller le colosse pour lui voir seulement souffler dessus son haleine et pour lui entendre pousser sa hurlée titanique !

  Le beau mal, vraiment, quand on aurait laissé intactes ces pauvres consoles où l’on devait voir de si jolies choses ; ça faisait donc venir bien des rougeurs aux fronts des voyageurs, ça épouvantait donc bien fort les vieilles Anglaises en boa, avec des engelures aux doigts et leurs pieds en battoirs, ou ça scandalisait dans sa morale quelque notaire honoraire, quelque monsieur décoré qui a des lunettes bleues et qui est cocu ! On aurait pu au moins comparer ça aux coutumes anciennes, aux idées de la Renaissance et aux manières modernes, qu’on aurait été retremper aux bonnes traditions, lesquelles ont furieusement baissé, depuis le temps qu’on s’en sert. N’est-ce pas, monsieur ? Qu’en dit madame ?

 

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