Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 475

by Gustave Flaubert


  II avait en meubles plus de cent mille écus d’or, trente mille livres de rente, et les profits de ses fiefs, et les gages de son office de maréchal ; cinquante hommes magnifiquement vêtus l’escor- taient à cheval. II tenait table ouverte, on y ser- vait les viandes les plus rares, les vins les plus lointains, et on représentait des mystères chez lui comme dans les villes aux entrées des rois. Quand” n’eut plus d’argent, il vendit ses terres ; quand” eut vendu ses terres, il chercha l’or ; et quand il eut détruit ses fourneaux, il appela le diable. II lui écrivit qu’il lui donnerait tout, sauf son âme et sa vie. II fit des sacrifices, des encensements, des aumônes et des solennités en son honneur. C’était là que vivait cet homme. Ces caveaux se rougis- saient sous le vent incessant des soufflets ma- giques, ces murs s’illuminaient la nuit à l’éclat des torches qui brûlaient au milieu des hanaps pleins de vin des îles, et parmi les jongleurs bohèmes ; on invoquait l’enfer, on se régalait avec la mort, on égorgeait des enfants, on avait d’épouvantables joies et d’atroces plaisirs ; le sang coulait, les in- struments jouaient, tout retentissait de voluptés, d’horreurs et de délires.

  Quand il fut mort, quatre ou cinq demoiselles firent ôter son corps du bûcher, l’ensevelirent et le firent porter aux Carmes où, après des ob- sèques fort honorables, il fut inhumé solennelle- ment.

  On lui éleva sur un des ponts de la Loire, en face de l’Hôtel de la BouIe-d’Or, un monument expiatoire ; c’était une niche dans laquelle se trou- vait la statue de la bonne Vierge de Crée-lait qui avait la vertu d’accorder du lait aux nourrices ; °n y apportait du beurre et d’autres offrandes rustiques. La niche y est encore, mais la statue n’y est plus, de même qu’à l’hôtel de ville la boîte °iui contenait le cœur de la reine Anne est vide aussi. Nous étions peu curieux de voir cette boîte, nous n’y avons pas seulement songé. J’aurais pré- féré contempler la culotte du maréchal de Retz, que le cœur de madame Anne de Bretagne ; il y a eu plus de passions dans l’une que de grandeur dans l’autre. IV

  De Nantes À Saint-NazAire. — La Loire, large et plate.

  De Saint-Nazajre à Pornichet, aubépines,ajoncs. — Che- mins à travers les haies de Pornichet au Pouliguen. — La baie déserte ; au bord des flots, sur le sable dur, des coquilles roses et blanches ; dunes couvertes de joncs. — Le bac. — Le Pouliguen. — Jusqu’au Bourg-de-Batz, marais salins, pas un arbre ; paludiers. — Cabaret de Baz, bar- riques, deux lits hauts ; sur la cheminée une Vierge en cos- tume ; à une fenêtre le mari, la mariée, trogne rouge d’un homme. — Vieille abbaye d’un bon gothique, toute décou- verte. — Surprise et curiosité des enfants à nos aspects. — Femme qui met sur les murs de la bouse de vache, ça remet les pierres et sert de mortier. — Jusqu’au Croisic plus rien que des plaines de sable recouvertes d’une herbe maigre ; le ciel bleu pâle à grandes lignes blanches ; les vaches sont petites, les moutons noirs.

  Le Croisic. — Le beau temps. — Dune ; varech sous l’eau en allant au bout de la jetée. — Charlotte, bonnet égyptien.

  Do Croisic à Guérande. — Au bord de la mer et à tra- vers les marais. — Guérande sur une hauteur qui domine le pays ; les fortifications entourées d’arbres, petits peu- pliers ; à gauche de l’entrée Nord l’eau baigne le pied des tours ; nous retrouvons ce que nous avons vu à Clisson. — Caractère doux de ces ruines ; ces fortifications me font

  6 penser à Avignon. — Moucharabieh éventré, lierres ; mais la beauté naturelle est au pied, dans l’eau sur laquelle les petites plantes vertes ont fait comme une grande couche de peinture.

  Église anglaise de caractère ; portail haut, d’une ogive assez pure et pas trop ornementée pour son époque. A la place de la rosace on a accolé l’orgue. Sur un cartouche, il y a, presque illisible, « le peuple français reconnaît un Dieu suprême et l’immortalité de l’âme ». Les deux entrées laté- rales ont un portique couvert comme l’église de Louviers, à laquelle du reste celle-ci ressemble. A droite du portail d’entrée, en dehors du mur, une chaire en pierre, cou- verte. — Intérieur : un mauvais tableau qui représente des membres du parlement en costume et un personnage ado- rant Jésus-Christ sur la croix ( la coiffure indique le com- mencement du XVII* siècle) ; au pied du Christ agonisant, un évêque avec la crosse et la mitre ; dans l’air, des anges qui volent.

  Vitraux beaux. — Montreur de phénomènes curieux ; enseigne. — C’était une large figure animée, intelligente, dents blanches ; sa manœuvre avec les enfants qu’il faisait mettre à genoux ; vaches et moutons ; nous avons été désil- lusionnés de ce que le phénomène fût vrai ! Comme d’autres l’auraient été s’ils l’avaient reconnu faux, tant il est vrai qu’on n’aime pas à changer ses idées toutes faites et à voir ce à quoi on ne s’attendait pas. — Nous avons fait une deuxième fois le tour de la ville. — Caractère doux ; nous trouvons que c’est un lieu propre aux promenades amou- reuses par la taille, sans parler, le soir, à cette heure-ci. — Marché encombré de paysans et de bœufs accouplés deux à deux.

  Nous partons le jeudi 20 à 6 h. du matin, avec un verre de madère et une croûte dans le ventre et nous filons les- tement sur Piriac. La campagne est nue, le chemin monte et descend ; à gauche, une grande vue de mer ; au fond, et jusqu’à la mer, une plaine immense tachée çà et là de flaques d’un brun acier. Ce sont les marais salins. PiRiAc. — Désert ; bon air de la mer ; les rues pleines de sable ; pas même de filets aux portes ; jolie baie avec du sable ; deux ou trois barques sans mâture ni voiles, échouées silr le rivage. — Inconcevable auberge : du veau et des œufs ; le soir à manger du veau et des oeufs ! toujours le veau ! toujours le veau ! — Maire dudit endroit chez lequel nous étions adressés par M. Mérès, bonne robe de chambre, bonne tabatière, bon cabinet du solitaire, collec- tion du Moniteur, les manuels Roret, livres de droit, l’His- toire de Tbiers, un gros livre relié à clous de cuivre sur le- quel était écrit “Arrêtés et délibérations”.

  Excursion à l’île. — Canot ; le vieux pilote blanc, barbe longue ; le matelot, le mousse ; un jeune homme fils de l’entrepreneur des travaux, figure singulièrement bru- tale, tenait la barre, il a déserté ; les travaux n’ont pas l’air de mordre. — Beaux rochers presque tous noirs et marbres. — Je rejouis de la mer, je repense à Trouville et à mes vacances au cottage ; comme autrefois j’ai fumé au soleil dans un trou de rocher. — Rocher en arc, avec des petites marguerites roses et blanches, il y avait sur les roches une verdure pâle comme celle qui vient aux marbres, une verdure de velours vert tirant sur le jaune ; beau fucus que nous avons pris et manié, jabot, festons dentelés et remuants. — Retour vent arrière. — Odeur du suif et chanson de la mère qui endormait son enfant pendant que je bouclais nos sacs. — Le vieux mendiant paralysé à mi-chemin de Piriac ; un vagabond estropié qui espère coucher dans les métairies, qui ramasse des mor- ceaux de pain ; il était hier au marché de Guérande. — Sieste au soleil, sur l’herbe de la falaise. — Dans un che- min ombragé, charrette de deux bœufs avec l’enfant ; ils sont entrés dans une grande ferme où l’on voit des restes de vieilles constructions ; portail ruiné.

  ^eMesquerà Herbignac, route assez laide, montante et

  descendante ; la lande rousse pâle sous un ciel bleu blanc.

  Grandes masses de sapins qui enclosent un parc. —

  6. La charrette Herbignac. — A i kilomètre d’Herbignac, le château du maréchal de Rieux (qumrouet) ; pas de lierres ni d’arbres sur les murs, de la mousse sèche qui est rouge ; tours démantelées se baignant dans une mare ; nous sommes entrés par une fenêtre. — Dans l’intérieur un plant de choux. Les murs ont l’air démantelés régulièrement ; les pans se tiennent debout. Tout la ruine. Elle a quelque chose de bourgeois comme le maréchal de Rieux lui-même. L’enfant qui nous conduisait grimpait pour dénicher des nids et avec un bâton en faisait tomber la poussière à nos pieds. — Déjeuner à Herbignac dans la boutique de l’épicier.

  La Roche-Bernard. — La Vilaine sans arbre au bord, entre les rochers d’un vert pâle recouverts d’ajoncs
d’or. — Le pont gâte la simplicité du paysage. — Souterrain bête. — A l’entrée un mendiant aveugle et manchot récitant son chapelet ; une inscription adressée à la bourse des voya- geurs indique que c’est un mineur du port que le travail de l’endroit a ainsi favorisé. — Dîner. — M. Poulman (Balzac), l’employé des contributions indirectes un Mont- morency !

  Vannes. — Sarzeau ; maison de Le Sage.

  Sucinio, dans la campagne, en vue de la mer, percé de larges fenêtres, semble avoir été plutôt une habitation qu’une forteresse. — Tours. — On pourrait facilement le reconstruire ; escaliers dont les degrés restent. — L’intérieur de la cour avec ses mâchicoulis, ses pans de mur percés de fenêtres et de jours, et le soleil et le ciel bleu, ça avait un air moresque. — Sur la tour de droite, en regardant la façade (du dehors), fenêtre trilobée dans un cadre carré. — Des animaux sont entrés comme nous étions sur l’herbe, petits bœufs, moutons, deux chèvres.

  Retour à Sarzeau. — Promenade dans la campagne. — M......capitaine d’état-major.

  De Sarzeau À Logeot. — Dans les champs paysannes se rendant à la messe, avec leur bavolet noir ; presque toutes en noir ; grand tablier quelquefois en soie gorge-pigeon.

  Logeot. — Les exécrables brutes ; haine des médailles d’hon- neur.

  L’Île d’Arz. — L’église. — Cimetière, tombes avec un pot de fleurs couvert par une ardoise ; ossuaire à travers des barreaux au milieu des futailles et des bouts de bois. — Bordées que nous avons courues sur la mer.

  L’Île de Gavr’inis couverte de longues fleurs bleues à clo- chette sur tige.

  Galgal, avec une allée couverte. Dessous, l’entrée du sou- terrain est décorée par deux grandes touffes de genêts. L’allée a quelque trente pieds de long. Toutes les pierres sont couvertes de lignes faites au ciseau, régulières et figu- rant assez d’innombrables côtes ou branches partant d’un thorax ou tronc, et dans le bas les lignes remontent. Du reste il faudrait avoir bonne volonté pour y voir la repro- duction de quoi que ce soit. — L’allée est plus profonde au fond qu’à l’entrée, les pierres aussi y sont plus larges ; sur la gauche, dans une pierre, comme les courroies d’un bouclier creusées à même.

  En nous rembarquant nous avons admiré avec amour de grandes plantes qui, partant d’une unique racine, s’irra- diaient en fusées comme des chevelures et s’étalaient sur la surface de l’eau ; au fond, à travers un jour vert bleu, on voyait des mousses, des herbes.

  LocmariAquer. — Peulvan abattu, brisé dans sa largeur (7 pieds environ), long de 7a. — Deux allées couvertes : dans l’une, nous retrouvons des dessins pareils, mais plus effacés que ceux de Gavr’inis ; dans l’autre, un tronc pour les pauvres.

  De Locmariaquer à Carnac, genêts,genêts, haies d’ajoncs, avec des aubépines par places. — La route monte et des- cend, se perd. — On ne parle presque plus français. — On voit la mer. — Passage en bac à la pointe d’une pres- qu’île. — Vieillard grave, figure maigre avec son énorme chapeau.

  Le clocher de Carnac de loin semblant sur une hauteur quoique Carnac soit au bord de la mer. — Chapelle Saint- Michel bâtie sur un borran ; on monte par un escalier, on descend par une pente. — La mer. — La campagne verte, séparée en” carrés bruns ou gris par des haies et des murs en pierres sèches. — Une croix avec un christ sculpté si mal que ça en a du caractère et rappelle, si ce n’est que c’est plus lourd, le vieux roman. En venant, nous avions vu une autre croix du même genre érigée à l’endroit où fut tué en 1800 un certain M. Lebaron, recteur.

  Ce sommaire a été développé par Maxime Du Camp. V

  Carnac. — Chez fa veuve Gitdas. — Logés dans une grande chambre à deux lits, nous arrêtons d’y séjourner ; les lits sont à baldaquin et on ne borde pas par le pied la couverture afin qu’on puisse la plier et montrer la large raie rouge qui en fait la bordure. Les murs sont tapissés de l’histoire de Joseph, de gravures religieuses : portraits de saint Stanislas, de saint Louis de Gonzague, etc., certifi- cats de première communion avec vignettes représentant l’intérieur de l’église et des communiants ; une dame qui

  revient de la Sainte Table a l’air de d........ dans ses

  mains. Sur la cheminée sont rangées des tasses à café dorées sur lesquelles il y a écrit « liberté, ordre public », et aux deux bouts deux carafes dans lesquelles il y a la repré- sentation en bois peint, enrichi de perles et de plumes, du tombeau de l’empereur, entouré de six troupiers de divers grades portant des couronnes vertes oblongues comme des cornichons. Dans l’autre on voit le Saint Sacrifice de la messe, avec deux enfants de chœur ayant des pains de sucre rouges sur la tête en guise de calottes ; l’autel est entouré de quatre colonnes en perles. Sur une grande armoire, quatre cuvettes de Russie. Au plafond sur ma tête deux paniers d’osier.

  Après avoir fumé une pipe et bu une bonne bouteille de bière blanche, nous avons été voir les pierres. — Femme en casaquin rouge, nu-pieds, avec son long bonnet qui volait au vent ; c’était vigoureux et hardi. — Les pierres de Carnac nous ont peu émus ( nous y avons causé de Very et de Chemery ! ) ; elles vont grandissant vers le côté de la mer à mesure qu’elles s’en éloignent et elles diminuent et finissent par devenir presque des bornes.

  On avait retrouvé un homme perdu à la mer il y avait trois semaines ; on l’a apporté à l’église sur une charrette à boeufs. 11 faisait presque nuit, quatre cierges aux coins du cata- falque, enfant avec sa chandelle tenant la porte ouverte, clochettes des porteurs ; les femmes se sont mises au fond, les hommes au haut, plus près, ordre qui a été conservé au cimetière ; les femmes du reste en bien plus grande quantité. L’office fut court, tout le monde à genoux dans le cimetière sur la terre des tombes. Froid des soirs d’été, crépuscule vert, bonnets se levant au vent. Une femme noire gloussait, c’étaient des pleurs. Le bruit étouffé des san- glots ressemble au rire. On a jeté de la terre sur la fosse, on s’en est allé. Un jeune homme a dit près de moi en fran- çais : « Nom de Dicul le bougre pue-t-il ! il est presque tout pourri ; depuis trois semaines c’est pas étonnant.” En rentrant nous avons trouvé notre jeune hôtesse donnant à teter à son enfant.

  Aujourd’hui 2$, nous avons été fumer une pipe sur le sable en plein soleil ; nous nous sommes joués avec le sable, nous avons fait des trous avec nos bâtons, Max a poussé un bon somme en rentrant, j’ai repassé mes notes.

  Depuis Sarzeau environ jusqu’ici les femmes portent par-dessus un petit bonnet plissé une ample cape blanche très avançante comme celle des religieuses et retombant sur le dos. Ce vêtement couvre au moins la moitié du corps aux petites filles. Quant au corsage un ruban de velours noir collé sur l’étoffe (noire) fait le contour de l’omoplate,pre- nant ainsi l’épaule dans une espèce de bracelet plat qui attire l’œil sur l’aisselle ; souliers à bout rond, orné de longs rubans plats tombant des deux côtés presque jusqu’à terre.

  Par un beau temps, mer bleue et brise à peine sensible, nous nous embarquons à Pô pour Saint-Pierre. — Vieux douanier, bonne figure douce et saige, vivant de la pêche, tranquille dans sa barque, aimant peu les prêtres et peu dévot.

  De Saint-Pierre à Quiberon. — Terrains nus et sablon- neux ; le soleil tapait, la mer brillait en bleu. — L’au- berge ; grande femme noire et grosse. — L’hôte : Rohan- Belisle, un vrai noble, en chemise et nu-pieds dans ses souliers vu la chaleur, trinquant avec M. Léon, entrepre- neur du lieu, et me battant des biftecks. — Un troupier est entré avec un gendarme, air pourfendant et crâne, le gendarme borgne. — Après le déjeuner bain de soleil. En faisant un long somme sur le sable dans un coin de rocher, ça a réchauffé mes souliers et mes bas que j’avais mouillés en allant de Carnac à Pô.

  Cimetière bourré de tombes ; ossuaire au milieu. Sur les quatre faces, petites boîtes en bois noir avec un cœur au milieu par lequel on voit une tête de mort. II n’y a que les gens riches qu’on traite ainsi ; c’est la piété filiale du pays. Le milieu de l’ossuaire rempli d’os pêle-mêle ; on les voit très aisément
. Effet effrayant que fait là dedans le clair de lune, au dire de notre hôtesse qui nous explique cet usage. — Les marins pour Belle-Isle attendaient dans l’auberge ; importance de l’heure de la poste. — Le courrier d’Auray (Callot, Bellanger). Aspect singulièrement pittoresque varié de la barque, les rameurs entrecroisés debout sur les bancs, passagers, deux soldats qu’on envoyait en discipline, la petite casquette ; l’autre un paysan ; deux caractères dis- tincts du troupier ; gendarme, soldat qui les moralisait. Peu à peu la blague du flambart tomba. — Avilissement de la discipline. — Un vieux grand chapeau dormant à mes pieds. — Calme plat. — Aviron. — Le soir à Belle- Isle qui a la tristesse du soldat qui s’ennuie. Nous avons été voir des roches. — Deux ou trois cavernes ; refuges de la Naïade ou du monstre marin. — Hôtel : portraits xviii’ : Je chevalier d’Éon.

 

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