Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 500

by Gustave Flaubert


  MARSEILLE.

  C’est à Toulouse qu’on s’aperçoit vraiment que l’on a quitté la montagne et qu’on entre en plein Midi. On se gorge de fruits rouges, de figues à la chair grasse. Le Languedoc est un pays de soûlas, de vie douce et facile ; à Carcassonne, à Narbonne, sur toute la ligne de Toulouse à Marseille, ce sont de grandes prairies couvertes de raisins qui jonchent la terre. Çà et là des masses grises d’oliviers, comme des pompons de soie ; au fond, les montagnes de l’Hérault. L’air est chaud, et le vent du Sud fait sourire de bien-être. Les gens sont doux et polis. Pays ouvert et qui reçoit grassement l’étranger, le Languedoc n’offre point de saillies bien tranchées ni dans les types, ni dans le costume, ni dans l’idiome. Tout le Midi en effet y a passé et y a laissé quelque chose : Romains, Goths, Francs du Nord aussi, dans la guerre des Albigeois, Espagnols à leur tour, tous y sont venus et y ont chassé sans doute tout élément national et primitif ; la nationalité s’est retirée plus haute et plus sombre dans les montagnes, ou plus acariâtre et violente dans la Provence. Quoique je n’aie rien retrouvé du Midi du moyen âge (à l’exception peut-être de quelques sculptures albigeoises à en juger par leur ressemblance avec les monuments persans à cause de la reproduction du cheval ailé et d’autres symboles ultracaucasiques que n’a point employés le Nord), la différence n’en reste pas moins sensible entre les deux provinces. En arrivante Nîmes, par exemple, qui est pourtant encore du Languedoc, tout est changé, et la population y est criarde et avide ; elle ressemble un peu, je crois, à ce que devait être le bas peuple à Rome, les affranchis, les barbiers, les souteneurs, tous les valets de Plaute. Cela tient sans doute à ce que je les ai vus à l’ombre des arènes et dans un pays tout romain.

  Le lendemain matin de mon arrivée à Carcassonne, j’ai été sur la grande place. C’est là une vraie place du Midi, où il fait bon dormir à l’ombre pour faire la sieste. Elle est plantée de platanes qui y jettent de l’ombre, et la grande fontaine au milieu, ornée de Naïades tenant entre leurs cuisses des dauphins, répand tout alentour cette suave fraîcheur des eaux que les pores hument si bien. On y tenait le marché : dans des corbeilles de jonc étaient dressées des pyramides de fruits, raisins, figues, poires ; le ciel était bleu, tout souriait, je sortais de table, j’étais heureux.

  En face de la ville moderne il y a la vieille, dont les pans de murs s’étendent en grandes lignes grises de l’autre côté du fleuve, comme une rue romaine. On y monte par une rampe qui suit la colline ; on passe les tours d’entrée et l’on se trouve dans les rues. Elles sont droites et petites, pleines de tas de fumier, resserrées entre de vieilles maisons la plupart abandonnées ; de temps en temps un petit jardin avec une vigne et un s olivier s’élève entre des toits plats. Sur une place il y a un grand puits roman dont le dedans est tout tapissé d’herbes ; personne n’y puise plus de l’eau, les plantes poussent au fond dans la source à moitié comblée. La ville est entourée d’un réseau de murs, romains par la base, gothiques par la tête ; on les répare, on les soutient du moins. Les portes aux mâchicoulis sont encore debout, mais je n’y ai trouvé ni soldat romain, ni archer latin, disparus également sous l’herbe des fossés. Si on regarde du côté de la campagne, tout est radieux et illuminé de soleil et flambe de vie. La vieille ville est ïà, assise sur la colline, et regarde les champs étendus à ses pieds depuis longtemps, comme un vieux terme dans un jardin.

  L’église est gothique d’extérieur, romane à l’intérieur. Quand nous y sommes entrés, on moulait une vieille sculpture illisible où l’on ne voyait que confusément des cavaliers, une tour, un assaut. Qu’est maintenant devenu le déblaiement de la chapelle latérale ?

  Dans la cathédrale de la ville neuve, chapelle très remarquable par deux statues, l’une de saint Benoist et l’autre de saint Jean.

  C’était vendanges tout le long de la route jusqu’à Nîmes, aussi avons-nous vu des charrettes couvertes de baquets rougis ; partout on cueillait la vigne dans les champs.

  Il était environ midi quand nous entrâmes à Narbonne. Le soleil dorait toute la campagne et la cathédrale se détachait sur l’azur du ciel, je n’avais pas l’idée de ce que c’était qu’un horizon.

  Pendant deux jours, c’est bien mieux, j’ai vécu en pleine antiquité, à Nîmes et à Arles.

  Rien ne se rattache au Pont du Gard que le vague souvenir qu’évoquent ces grands débris de grandeur romaine ; il ne coule plus rien dans l’aqueduc comblé en partie dans son long tuyau de pierre par les stalactites que les cours des eaux ont formées et qui font comme une double enceinte intérieure. Trois rangs d’arcades superposés les uns sur les autres supportent la rivière aérienne dans le lit de laquelle on se promène maintenant à pied sec. En bas et tout petit, coule le Gard qui ne passait alors que sous deux arches, tant le pont est grand et s’étend sur la campagne ; une partie s’est cachée et enfouie, des deux côtés du fleuve, dans les deux coteaux où l’édifice est appuyé, de sorte que ça fait comme un grand corps de pierre dont la tête et les pieds sont enfoncés dans le sable. En regardant d’en bas la hauteur du jet de ces voûtes, si fortes et si élégantes à la fois, il m’est venu à l’idée qu’on n’avait pas élevé de monument à l’ingénieur qui les avait élevées comme on l’a fait à M. Lebas pour le Luxor, et que les hommes qui ont fait tout cela ne sortaient pas de l’École polytechnique !

  Le soleil était presque couché quand nous fûmes de retour à Nîmes ; la grande ombre des arènes se projetait tout alentour ; le vent de la nuit s’élevant faisait battre au haut des arcades les figuiers sauvages poussés sous les assises des mâts du vélarium. C’était à cette heure-là que souvent le spectacle devait finir, quand il s’était bien prolongé et que lions et gladiateurs s’étaient longuement tués. Le gardien vint nous ouvrir la grille de fer et nous entrâmes seuls sous les galeries abandonnées où se. croisèrent et allèrent tant de pas dont les pieds sont ailleurs.

  L’arène était vide et on eût dit qu’on venait de la quitter, car les gradins sont là tout autour et dressés en amphithéâtre pour que tout le monde puisse voir. Voici la loge de l’Empereur, voici celle des chevaliers un peu plus bas, les vestales étaient en face ; voici les trois portes par où s’élançaient à la fois les gladiateurs et les bêtes fauves, si bien que si les morts revenaient, ils retrouveraient intactes leurs places laissées vides depuis deux mille ans, et pourraient s’y rasseoir encore, car personne ne la leur a prise, et le cirque a l’air d’attendre les vieux hôtes évanouis. Qui dira tout ce que savent ces pierres nues, tout ce qu’elles ont entendu, les jours qu’elles étaient neuves et quand la terre ne leur était pas montée jusqu’au cou ? cris féroces, trépignements d’impatience, tout ce qui s’est dit, sur ce seul coin de pierre, de triste, de gai, d’atroce et de folâtre, tous ceux qui ont ri, tous ceux qui sont venus, qui s’y sont assis et qui se sont levés ; il fut un temps où tout cela était retentissant de voix sonores, du bas jusqu’en haut, ce n’étaient que Iaticlaves bordés de rouge, manteaux de pourpre, sur l’épaule des sénateurs ; le vélarium flottait et le safran mouillait le sable,avant que la rosée de -sang n’en ait fait une boue. Que disait-on en attendant la venue de César ou du préteur, quand sous ses pieds dans les caveaux qui sont là rugissaient les panthères et que tout le monde se penchait en avant pour voir de quel air elles allaient sortir ? Qu’y disait Dave à Formion, Libertinus à Posthumus ? Quelle histoire racontait Hippia au consul ? de quel air riaient les sénateurs quand la place des chevaliers se trouvait prise ? Et là-haut, suspendus au plus haut, pourquoi les affranchis crient-ils si fort que tout le monde se tourne vers eux ? Et à cette heure-là, au crépuscule, quand tout était fini, que l’empereur se levait de sa loge, quand la vapeur grasse du théâtre montait au ciel toute chaude de sang et d’haleines, le soleil se couchait comme aujourd’hui dans son ciel bleu, le bruit s’écoulait peu à peu ; on venait enlever les morts, la courtisane remontait dans sa litière pour aller aux thermes avant souper, et Gito courait bien vite chez le barbier se faire nettoyer les ongles et �
�piler les joues, car la nuit va venir et on l’aime tant !

  Ce qu’on appelle la Fontaine à Nîmes est un grand jardin plein d’ombrage et de murmures. II n’y avait pas tant d’eau du temps qu’on se baignait sous les colonnes de marbre qui se trouvent suspendre une grande allée de jardin dans laquelle vous marchez. Au milieu il y a une île avec des Amours et des Naïades du temps de Louis XIV qui a fait, construire le canal qui conduit l’eau jusqu’à la ville. Au fond du jardin et à côté de la fontaine, à gauche, est le temple de Diane dont la voûte est écroulée ; on marche sur les frises et les corniches, les acanthes de marbre sont couvertes de mousse, les statues sont brisées et on n’en voit que des tronçons, morceaux de draperies qui semblent déchirés et qui se tiennent debout seuls comme des loques de marbre ; on se demande où est le reste.

  Du haut de la tour Magne on voit toute la plaine de Nîmes, ses maisonnettes éparses dans la campagne, à mi-côte, toutes entourées de jardins d’oliviers et de vignes, et chacune assise à son aise dans la verdure grise de ses touffes d’oliviers. De longues rues qui descendent vers la ville, encaissées dans deux couloirs de murs faits avec de la poussière et des cailloux, ressemblent à des lignes de craie serpentant sur un tapis vert.

  Je n’ai pas eu le temps de voir complètement la Maison Carrée.

  A Arles également j’aurais voulu rester plus longtemps et y savourer longuement toutes les délicatesses sans nombre du cloître Saint-Trophime, qu’il faut avoir vu pour aimer et pour désirer encore Arles. Souvenir romain, un souvenir triste et grave, surtout sur le soir. Son amphithéâtre n’est pas, comme celui de Nîmes, presque intact et retrouvé tout entier comme une statue déterrée, il est enfoui jusqu’au milieu dans la terre et les loges supérieures sont démantelées ; on dirait que les gradins qui s’écroulent veulent descendre dans l’arène. Malgré les tours de Charles Martel on ne pense guère aux Francs, et malgré la chaumière laissée comme spécimen de toutes celles qui emplissaient naguère le cirque, on ne pense guère non plus au moyen âge.

  Ces monuments romains sont comme un squelette dont les os çà et là passent à travers la terre ; aux ondulations du gazon on devine la forme du mort. Le théâtre est encore enfoui sous les maisons voisines et il n’y a qu’un coin qui se montre ; sur une plate-forme qui faisait face aux bancs de pierre et que j’ai jugée la scène, deux colonnes de marbre blanc sont encore debout, hautes toutes deux, décorées d’une collerette de feuilles d’acanthe, tandis que toutes les autres sont étendues, mutilées, à leurs pieds. C’est par là qu’on a joué Plaute et Térence et que les Mascarilles du monde latin ont fait rire le peuple ; l’ombre de la comédie latine palpite encore là. Au coin de la rue une fille sur sa porte attendait l’aventure (carnem bomini tenentem), mais les bougies du lupanar qui devaient brûler jour et nuit étaient éteintes, tant toute splendeur se perd ; pauvre ruine d’amour, à côté de la ruine de l’art et qui vivait dans son ombre. Les Arlésiennes sont jolies. On en voit peu, on m’a dit qu’on n’en voyait plus. On ne voit donc plus rien maintenant ! C’est là ce qu’on appelle le type gréco-romain ; leur taille est forte et svelte à la fois comme un fût de marbre, leur profil exquis est entouré d’une large bande de velours rouge qui leur passe sur le haut de la tête, se rattache sous leur cou et rehausse ainsi la couleur noire de leurs cheveux et fait nuance avec l’éclat de leur peau, toute chauffée de reflets de soleil.

  C’est le lendemain, en me réveillant, que j’ai aperçu la Méditerranée, toute couverte encore des vapeurs du matin qui montaient pompées par le soleil ; ses eaux azurées étaient étendues entre les parois grises des rochers de la baie avec un calme et une solennité antique. Toute la côte qui descend jusqu’au rivage est couverte de bastides éparses dans la campagne, leurs volets étaient fermés et le jour les surprenait tout endormies entre les oliviers et les figuiers qui les entourent.

  J’aime bien la Méditerranée, elle a quelque chose de grave et de tendre qui fait penser à la Grèce, quelque chose d’immense et de voluptueux qui fait penser à l’Orient. A la baie aux Oursins, où j’ai été pour voir pêcher le thon, je me serais cru volontiers sur un rivage d’Asie Mineure. II faisait si beau soleil, toute la nature en fête vous entrait si bien dans la peau et dans le cœur ! C’est la fille du patron Scard qui nous a reçus ; elle nous a fait monter dans sa maison, des filets étaient étendus par terre, et le jour qui entrait par la fenêtre faisait éclater de blancheur la peinture à la colle qui décorait la muraille. Mlle Scard n’est pas jolie, mais elle avait des mouvements de tête et de taille les plus gracieux du monde ; tout en causant, elle se tenait sur sa chaise d’une façon mignarde et naïve. J’ai pensé aux belles demoiselles de ville qui se lissent, qui se sanglent, qui jeûnent et qui, après tout, ne valent pas en esprit et en beauté le sans-façon cordial de la fille du bord de la mer. Elle est venue avec nous dans la barque et elle a causé tout le temps avec nous comme une bonne créature. Ses jeux sont du même azur que la mer. Pas un souffle d’air ne ridait les flots, et nous avancions à la rame doucement et tout en suivant la direction du filet ; l’eau est si transparente que je m’amusais à regarder la madrague qui filait sous notre barque et les petits poissons se jouer dans les mailles avec toutes les couleurs chatoyantes que leur donnait le soleil qui, passant à travers les flots, les colorait de mille nuances d’azur, d’or et d’émeraude ; ils frétillaient, passaient et revenaient avec mille petits mouvements les plus gentils du monde. A mesure qu’on s’avance, le filet se resserre et s’étrangle de plus en plus vers les trois barques placées au large, qui forment comme un cul-de-sac où doit se rendre tout le poisson pris dans le filet antérieur. Les nattes de jonc accrochées aux barques, plongées dans l’eau et sur les bords se relevant en coquille, avaient l’air du berceau d’une Naïade. Un dimanche soir j’ai vu le peuple se réjouir. Ce qui chagrine le plus les gens vertueux c’est de voir le peuple s’amuser. Il y a de quoi les chagriner fort à Marseille, car il s’y amuse tout à son aise, et boit le plaisir par tous les pores, sous toutes les formes, tant qu’il peut. J’en suis rentré le soir tout édifié et plein d’estime pour ces bonnes gens qui dînent sans causer politique et qui s’enivrent sans philosophie. La rue de la Darse était pleine de marins de toutes les nations, juifs, arméniens, grecs, tous en costume national, encombrant les cabarets, riant avec des filles, renversant des pots de vin, chantant, dansant, faisant l’amour à leur aise. Aux portes des guinguettes, c’était une foule mouvante, chaude et gaie, qui se dressait sur la pointe des pieds pour voir ceux qui étaient attablés, qui jouaient et qui fumaient. Nous nous y sommes mêlés et à travers les vitres obscurcies nous avons vu, tout au fond d’une grande pièce, la représentation d’un mystère provençal. Sur une estrade au fond se tenaient quatre à cinq personnages richement vêtus ; il y avait le roi avec sa couronne, la reine, le paysan à qui on avait enlevé sa fille et qui se disputait avec le ravisseur pendant que la mère désolée et s’arrachant les cheveux chantait une espèce de complainte avec des exclamations nombreuses, comme dans les tragédies d’Eschyle. Le dialogue était vif et animé, improvisé sans doute, plein de saillies à coup sûr à en juger par les éclats de rire et les applaudissements qui survenaient de temps à autre dans l’auditoire. Tous ces braves gens écoutaient et goûtaient l’air avec respect et recueillement d’une manière à réjouir un poète s’il fût passé là. J’ai remarqué que les tables étaient presque toutes vides ou à peu près, on se pressait pour entrer, et la foule s’introduisait flot à flot comme elle pouvait, mais sans troubler le spectacle. Des joueurs de mandoline ou des chanteurs étaient aussi dans la rue, il y avait des cercles autour d’eux. On n’entendait aucun chant d’ivrogne ; les tavernes du rez-de-chaussée, toutes ouvertes, fermaient la vue de ce qui se passait au dedans par un grand rideau blanc qui tombait depuis le haut jusqu’en bas ; lorsque quelqu’un allait ou venait, on I’entr’ouvrait, on voyait assis, sur des tabourets séparés, trois ou quatre hommes du peuple, les bras nus, tenant des femmes sur leurs genoux.

  A Toulon, j’ai revu,
au coin d’une rue, encore un de ces drames, mais cette fois en français ; la scène était plus simple : un nain fort laid causait avec une grande fille assez jolie et exerçait sa verve sur les riches et les gens d’esprit, ce qui faisait rire les pauvres et les sots. Pour un homme intelligent qui saurait le provençal ou qui voudrait l’apprendre, ce serait une chose à étudier que ces derniers restes du théâtre roman, où l’on retrouverait peut-être tout à la fois des romanceros espagnols, des canzone des troubadours, des atellanes latines et de la farce italienne du temps de Scaramouche, quand Molière y prit son Médecin barbouillé.

  Marseille est une jolie ville, bâtie de grandes maisons qui ont l’air de palais. Le soleil, le grand air du Midi entrent librement dans ses longues rues ; on y sent je ne sais quoi d’oriental, on y marche à l’aise, on respire content, la peau se dilate et hume le soleil comme un grand bain de lumière. Marseille est maintenant ce que devait être la Perse dans l’antiquité, Alexandrie au moyen âge : un capharnaùm, une babel de toutes les nations, où l’on voit des cheveux blonds, ras, de grandes barbes noires, la peau blanche rayée de veines bleues, le teint olivâtre de l’Asie, des yeux bleus, des regards noirs, tous les costumes, la veste, le manteau, le drap, la toile, la collerette rabattue des Anglais, le turban et les larges pantalons des Turcs. Vous entendez parler cent langues inconnues, le slave, le sanscrit, le persan, le scythe, l’égyptien, tous les idiomes, ceux qu’on parle au pays des neiges, ceux qu’on soupire dans les terres du Sud. Combien sont venus là sur ce quai où il fait maintenant si beau, et qui sont retournés auprès de leur cheminée de charbon de terre, ou dans leurs huttes au bord des grands fleuves, sous les palmiers de cent coudées, ou dans leur maison de jonc au bord du Gange ? Nous avons pris une de ces petites barques couvertes de tentes carrées, avec des franges blanches et rouges, et nous nous sommes fait descendre de l’autre côté du port où il y a des marchands, des voiliers, des vendeurs de toute espèce. Nous sommes entrés dans une de ces boutiques pour y acheter des pipes turques, des sandales, des cannes d’agave, toutes ces babioles étalées sous des vitres, venues de Smyrne, d’Alexandrie, de Constantinople, qui exhalent pour l’homme à l’imagination complaisante tous les parfums d’Orient, les images de la vie du sérail, les caravanes cheminant au désert, les grandes cités ensevelies dans le sable, les clairs de lune sur le Bosphore. J’y suis resté longtemps ; il y avait toutes sortes d’oiseaux venus de pays divers, enfermés dans des cages devant la boutique, qui battaient leurs ailes au soleil. Pauvres bêtes, qui regrettaient leur pays, leur nid resté vide à 2,000 lieues d’ici dans de grands arbres, bien hauts. Si j’ai maudit les bains de Bordeaux, je bénis ceux de Marseille. Quand j’y fus, c’était le soir, au soleil couchant ; il y avait peu de monde, j’avais toute la mer pour moi. Le grand calme qu’il faisait est des plus agréables pour nager, et le flot vous berce tout doucement avec un grand charme. Quelquefois j’écartais les quatre membres et je restais suspendu sur l’eau sans rien faire, regardant le fond de la mer tout tapissé de varechs, d’herbes vertes qui se remuent lentement, suivant le roulis qui les agite lentement comme une brise. Le soleil n’avait plus de rayons, et son grand disque rouge s’enfonçait sous l’horizon des flots, leur donnant des teintes roses et rouge pourpre ; quand il s’est couché, tout est devenu noir, et le vent du soir a fait faire du bruit aux flots en les poussant un peu sur les rochers qui se trouvaient sur le rivage.

 

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