Complete Works of Gustave Flaubert

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Complete Works of Gustave Flaubert Page 502

by Gustave Flaubert


  Nous avons quitté la mer au port de Sagone, vieille ville dont on ne voit même pas les ruines, pour continuer notre route vers Vico, où nous sommes enfin arrivés le soir après dix heures de cheval. Nous avons logé chez un cousin de M. Multedo, grand homme blond et doux, parlant peu et se contentant de répéter souvent le même geste de main. II s’est vaillamment battu contre les Anglais lorsque ceux-ci ont voulu faire une descente à Sagone ; il se sent tout prêt à recommencer. II y a en effet dans la Corse une haine profonde pour l’Angleterre et un grand désir de le prouver. Sur la route que nous avons faite pour aller à Vico, des paysans nous arrêtaient.

  — Va-t-on se battre, demandaient-ils ?

  — C’est possible.

  — Tant mieux.

  — Et contre qui ?

  — Contre les Anglais.

  A ce mot ils bondissaient de joie et nous montraient en ricanant un poignard ou un pistolet, car un Corse ne voyage jamais sans être armé, soit par prudence ou par habitude. On porte le poignard soit attaché dans le pantalon, mis dans la poche de la veste, ou glissé dans la manche ; jamais on ne s’en sépare, pas même à la ville, pas même à table. Dans un grand dîner à la préfecture et où se trouvait réuni presque tout le conseil général, on m’a assuré que pas un des convives n’était sans son stylet. Le cocher qui nous a conduits à Bogogna tenait un grand pistolet chargé sous le coussin de sa voiture. Tous les bergers de la Corse manquent plutôt de chemise blanche que de lame affilée.

  A Vico on commence à connaître ce que c’est qu’un village de la Corse. Situé sur un monticule, dans une grande vallée, il est dominé de tous les côtés par des montagnes qui l’entourent en entonnoir. Le système montagneux de la Corse à proprement parler, n’est point un système ; imaginez une orange coupée par le milieu, c’est là la Corse. Au fond de chaque vallée, de temps en temps un village, et pour aller au hameau voisin il faut une demi-journée de maVche et passer quelquefois trois ou quatre montagnes. La campagne est partout déserte ; où elle n’est pas couverte de maquis, ce sont des plaines, mais on n’y rencontre pas plus d’habitations, car le paysan cultive encore son champ comme l’Arabe : au printemps il descend pour l’ensemencer, à l’automne il revient pour faire la moisson ; hors de là il se tient chez lui sans sortir deux fors par an de son rocher où il vit sans rien faire, paresseux, sobre et chaste. Vico est la patrie du fameux Théodore dont le nom retentit encore dans toute là Corse avec un éclat héroïque ; il a tenu douze ans le maquis, et n’a été tué qu’en trahison. C’était un simple paysan du pays, que tous aimaient et que tous aiment encore. Ce bandit-là était un noble cœur, un héros. H venait d’être pris par la conscription et il restait chez lui attendant qu’on l’appelât ; le brigadier du lieu, son compère, lui avait promis de l’avertir à temps, quand un matin la force armée tombe chez lui et l’arrache de sa cabane au nom du roi. C’était le compère qui dirigeait sa petite compagnie et quf, pour se faire bien voir sans doute, voulut le mener rondement et prouver son zèle pour l’État en faisant le lâche et le traître. Dans la crainte qu’il ne lui échappât il lui mit les menottes aux mains en lui disant : “Compère, tu ne m’échapperas pas”, et tout le monde vous dira encore que les poignets de Théodore en étaient écorchés. II l’amena ainsi à Ajaccio où il fut jugé et condamné aux galères. Mais après la justice des juges, ce fut le tour de celle du bandit. H s’échappa donc le soir même et alla coucher au maquis ; le dimanche suivant, au sortir de la messe, il se trouva sur la place, tout le monde l’entourait et le brigadier aussi, à qui Théodore cria du plus loin et tout en le mirant : “Compère, tu ne m’échapperas pas”. II ne lui échappa pas non plus, et tomba percé d’une balle au cœur, première vengeance. Le bandit regagna le maquis d’où il ne descendait plus que pour continuer ses meurtres sur la famille de son ennemi et sur les gendarmes, dont il tua bien une quarantaine. Le coup de fusil parti il disparaissait le soir et retournait dans un autre canton. II vécut ainsi douze hivers et douze étés, et toujours généreux, réparant les torts, défendant ceux qui s’adressaient à lui, délicat à l’extrême sur le point d’honneur, menant joyeuse vie, recherché des femmes pour son bon cœur et sa belle mine, aimé de trois maîtresses à la fois. L’une d’elles, qui était enceinte lorsqu’il fut tué, chanta sur le corps de son amant une balIata que mon guide m’a redite. Elle commence par ces mots : “Si je n’étais pas chargée de ton fils et qui doit naître pour te venger, je t’irais rejoindre, ô mon Théodore !”

  Son frère était également bandit, mais il n’en avait ni la générosité ni les belles formes. Ayant mis plusieurs jours à contribution un curé des environs, il fut tué à la fin par celui-ci qui, harassé de ses exactions, sut l’attirer chez lui, et sauta dessus avec des hommes mis en embuscade. La sœur du bandit, attirée par le bruit de tous ces hommes qui se roulaient les uns sur les autres, entra aussitôt dans le presbytère. Le cadavre était là, elle se rua dessus, elle s’agenouilla sur le corps de son frère, et agenouillée, chantant une ballata avec d’épouvantables cris, elle suça longtemps le sang qui coulait de ses blessures.

  II ne faut point juger les mœurs de la Corse avec nos petites idées européennes. Ici un bandit est ordinairement le plus honnête homme du pays et il rencontre dans l’estime et la sympathie populaire tout ce que son exil lui a fait quitter de sécurité sociale. Un homme tue son voisin en plein jour sur la place publique, il gagne le maquis et disparaît pour toujours. Hors un membre de sa famille, qui correspond avec lui, personne ne sait plus ce qu’il est devenu. Ils vivent ainsi dix ans, quinze ans, quelquefois vingt ans. Quand ils ont fini leur contumace ils rentrent chez eux comme des ressuscites, ils reprennent leur ancienne façon de vivre, sans que rien de honteux ne soit attaché à leur nom. II est impossible de voyager en Corse sans avoir affaire avec d’anciens bandits, qu’on rencontre dans le monde, comme on dirait en France. Ils vous racontent eux-mêmes leur histoire en riant, et ils s’en glorifient tous plutôt qu’ils n’en rougissent ; c’est toujours à cause du point d’honneur, et surtout quand une femme s’y trouve mêlée, que se déclarent ces inimitiés profondes qui s’étendent jusqu’aux arrière-petitsfils et durent quelquefois plusieurs siècles, plus vivaces et tout aussi longues que les haines nationales.

  Quelquefois ils font des serments à la manière des barbares, qui les lient jusqu’au jour où la vengeance sera accomplie. On m’a parlé d’un jeune Corse dont le frère avait été tué à coups de poignard ; il alla dans le maquis à l’endroit où on venait de déposer le corps, il se barbouilla de sang le visage et les mains, jurant devant ses amis qu’il ne les laverait que le jour où le dernier de la famille ennemie serait tué. Il tint sa parole et les extermina tous jusqu’aux cousins et aux neveux.

  J’ai vu aujourd’hui, à Isolaccio, chez le capitaine Lauseler où je suis logé, un brave médecin des armées de la République dont le fils s’est enfui en Toscane et qui lui-même a été obligé de quitter le village où il habitait. Sa fille s’était laissé séduire ; le père de l’enfant néanmoins reconnaissait son fils, mais il refusait de lui donner son nom en se mariant avec la pauvre fille. Il joignit même l’ironie à l’outrage en assurant qu’il allait bientôt faire un autre mariage et en ridiculisant en place publique la famille de sa maîtresse, si bien qu’un jour le fils de la maison a vengé l’honneur de son nom, comme un Corse se venge, en plein soleil et en face de tous. Pour lui, il s’est enfui sur la terre d’Italie, mais son père et ses parents, redoutant la vendetta, ont émigré dans le Fiuoaorbo. ‘

  A Ajaccîo j’avais vu également un jeurie docteur qui a quitté Sartene, son pays, trois cousins à lui et son frère ayant déjà été les victimes du même homme et lui menacé d’en être ‘ la cinquième ; aussi marchait-il armé jusqu’aux dents dans les rues de la ville où nous nous promenions avec lui.

  On retrouve en Corse beaucoup de choses antiques : caractère, couleur, profils de têtes. On pense aux vieux bergers du Latium en voyant ces hommes vêtus de grosses étoffes rousses ; ils ont la tête pâle, l’œil
ardent et couleur de suie, quelque chose d’inactif dans le regard, de solennel dans tous les mouvements ; vous les rencontrez conduisant des troupeaux de moutons qui broutent les jeunes pousses des maquis, l’herbe qui pousse dans les fentes du granit des hautes montagnes ; ils vivent avec eux, seuls dans les campagnes, et le soir quand on voyage, on voit tout à coup leurs bêtes sortir d’entre les broussailles, çà et là sous les arbres, et mangeant les ronces. Eparpillés au hasard, ils font entendre le bruit de leurs clochettes qui remuent à chacun de leurs pas dans les broussailles . A quelque distance se tient leur berger, petit homme noir et trapu, véritable pâtre antique, appuyé tristement sur son long bâton. A ses pieds dort un chien fauve. La nuit venue, ils se réunissent tous ensemble et allument de grands feux que du fond des vallées on voit briller sur la montagne.Toutes les côtes chaque soir sont ainsi couronnées de ces taches lumineuses qui s’étendent dans tout l’horizon. J’ai vu dans toutes les forêts que j’ai traversées de grands pins calcinés encore debout, qu’ils allument sans les abattre pour passer la nuit autour de ces bûches de cent pieds. Ils reçoivent le baudet qui vient tranquillement se réchauffer à leur feu et ils attendent ainsi le jour tout en dormant ou en chantant. J’ai été surtout frappé de la physionomie antique du Corse dans un jeune homme qui nous a accompagnés le lendemain jusqu’à Guagno. II était monté sur un petit cheval qui s’emportait à chaque instant sous lui ; son bonnet rouge’brun retombait en avant comme un bonnet de la liberté. Une seule ligne seulement, interrompue par un sourcil noir faisant angle droit, s’étendait depuis le haut du front jusqu’au bout du nez ; bouche mince et fine, barbe noire et frisée comme dans les camées de César ; menton carré : un profil de médaille romaine.

  J’ai eu une transition brusque en fait de physionomie, en voyant à la sucrerie de bois de M. Dupuis la face grasse, réjouie et fleurie d’un beau Normand rebondi, qui est venu exprès de Rouen au fond de la Corse, pour être l’économe de l’établissement. M. François, quand nous l’avons vu, était vêtu d’une veste de tricot gris, un sale bonnet de coton lui couvrait les oreilles, et il s’appuyait en se dandinant sur une canne de jonc, convalescent encore de la fièvre intermittente qui a pincé tous mes compatriotes transplantés. Le vin, qui est ici à très bon marché, tout autant que les miasmes végétaux en ont été la cause, “néanmoins, me disait M. François, nous avons toujours mangé nos 250 livres de viande par semaine”. Ce petit homme, égrillard et gaillard, au ventre arrondi et aux couleurs rosées, regrettant du fond de la Corse les bals masqués de Rouen, et les restaurants de sa ville, la première du monde, m’assurait-il, pour la bonne chère, vu à côté de ces hommes du Midi, pâles, sobres, taciturnes, le cœur plein d’orgueil, d’élans purs, de passions ardentes, me semblait comme un vaudeville à côté d’une tragédie antique. Son grand œil bleu malicieux était réjoui de voir quelqu’un de son pays et en me disant adieu il m’a serré la main avec tendresse. Pauvre homme qui s’expatrie sans doute par dévouement pour lui-même et qui, sa bourse remplie, s’en ira bien vite se bouiotter en carnaval, au théâtre, des Arts, et manger la poule de Pavilly chez Jacquinot !

  En revenant à Vico, le jour baissait et toutes les montagnes prenaient des teintes vineuses et vaporeuses. Au crépuscule, le paysage agrandissait toutes ses lignes et ses perspectives, et des rayons de soleil couchant passaient en grandes lignes droites lumineuses entre les gorges des montagnes ; tout le ciel était rouge feu, comme incendié par le soleil.

  A notre gauche s’élevaient les sept pics de la Sposa avec la tête qui la couronne. Ces sept pics sont autant de cavaliers, et cette tête est la tête d’une femme. Au delà de ces monts, à droite de Vico, dans la forêt, il y a un village ; c’était le village de cette femme. On venait de la marier, mais son époux après les noces était retourné chez lui, et sa femme qui devait l’y suivre était restée seule chez sa mère dans son lit de fille. Sa mère la gardait toujours, et quand elle demandait à partir, elle lui répondait : demain. En vain chaque matin, quand le rossignol chantait dans le maquis, que les feux des bergers s’éteignaient sur les montagnes, les sept cavaliers, les amis de l’époux, arrivaient avec leurs chevaux tout sellés et bridés ; ce n’était pas encore aujourd’hui. Elle attendit donc un jour, deux jours, trois jours, jusqu’à quatre, et la voilà qui part heureuse, chantant sur son cheval, la couronne de myrte blanc sur la tête. Son mari l’attend sans- doute impatient, regardant la route où rien n’apparaît ; il soupire, tout malade d’amour. Déjà les raisins et les olives sont dans la corbeille, la lampe brûle au plafond, le lit est ouvert et attend les heureux. La fille galope sur son cheval, elle et ses cavaliers sont entrâmes avec une vitesse de démon. Sa mère pourtant est restée toute en pleurs sur le seuil de sa porte et elle lui crie : adieu, adieu, mais pour réponse elle n’entend toujours que le roulement du galop qui s’éloigne de plus en plus. Elle la vit encore une fois quand elle fut arrivée au haut de la montagne et qu’elle allait descendre.

  Encore une fois elle fit signe de la main, mais l’autre regardait en avant. Elle regardait le cœur tout palpitant, là-bas au fond de la vallée, un toit qui fumait à l’horizon ; elle enviait le torrent qui courait devant elle, les oiseaux qui volaient à tire d’aile vers la demeure de l’époux chéri. L’infâme, dit-on, ne regarda pas sa mère, ne détourna pas la tête, ne fit pas un signe de main ; avec fureur la voilà qui enfonce l’éperon dans le ventre de son cheval pour descendre la montagne plus vite encore qu’elle ne l’avait montée, mais sa bête ne veut pas avancer ; un cavalier qu’elle appelle pour l’aider ne peut descendre de sa sejle, ni le second non plus, ni aucun des sept cavaliers ne peut faire un mouvement ; ils se sentent tous entrer dans le granit, comme dans la vase ; ils poussent des cris de désespoir auxquels répond la voix de la mère irritée qui leur envoie une malédiction éternelle.

  Un paysan, monté sur un petit cheval maigre et chassant devant lui d’autres bêtes chargées d’outres, marchait devant nous depuis quelque temps ; il se détournait pour nous examiner et pour écouter ce que nous disions. Sa maigre et vieille figure était animée tout à la fois de ruse et de bonhomie gracieuse, mélange singulier d’expression que j’avais déjà observé sur quelques visages corses et surtout sur celui du bandit Bastianesi que j’avais vu quelques jours auparavant à l’hôpital d’Ajaccio. Son grand œil noir et sombre nous dévorait et épiait les moindres gestes de nos lèvres. Quand il a pu se rapprocher de M. Multedo, il lui a demandé qui nous étions, où nous allions, et tout ce que nous avions dit depuis qu’il marchait près de nous. Avec nos habitudes de politesse française, une telle curiosité eût été récompensée d’un refus net et formel d’y satisfaire. Rien n’est défiant, soupçonneux comme un Corse. Du plus loin qu’il vous voit, il fixe sur vous un regard de faucon, vous aborde avec précaution, et vous scrute tout entier de la tête aux pieds. Si votre air lui plah, si vous le traitez d’égal à égal, franchement, loyalement, il sera tout à vous dès la première heure, il se battra pour vous défendre, mentira auprès des juges, et le tout sans arrière-pensée d’intérêt, mais à charge de revanche. M. Multedo lui a donc dit qu’il nous l’avait montré comme étant l’oncle de Théodore et qu’il venait de nous raconter l’histoire de ses neveux : “Il n’y a rien de déshonorant, a-t-il dit, vous avez bien fait”. Puis il s’est retourné vers nous et a tâché de lier conversation en italien, nous faisant bonne mine et nous traitant en amis jusqu’au moment où il a pris un chemin de traverse dans le maquis. Nous sommes repartis pour Ajaccio le lendemain matin quand la lune nous éclairait encore ; le neveu de M. Multedo nous a fait la conduite jusqu’à Sagone, ainsi que le médecin du pays qui, tout en chevauchant près de nous, nous conte des histoires corses. Après avoir dit adieu à ces braves gens, nous avons repris le bord de la mer. C’était la même route, dans les mêmes maquis pleins d’arbousiers rouges et de myrtes en fleurs, le même azur sur les flots calmes que le soleil faisait resplendir. Çà et là nous voyions sur les eaux de grands cercles s’étendre et diminuer peu à peu, c’étaient des dauphins qu
i se jouaient, comme des chevaux dans une prairie et sortaient de leur retraite marine pour voir le soleil du matin.

  A Calcatoggio, nous avons déjeuné sous le même lit de fougères sèches, en vue des trois golfes à qui j’ai dit un tendre et dernier adieu.

  II y a à Ajaccio une maison que les hommes qui naîtront viendront voir en pèlerinage ; on sera heureux d’en toucher les pierres, on en gravira dans dix siècles les marches en ruines, et on recueillera dans des cassolettes le bois pourri des tilleuls qui fleurissent encore devant la porte, et, émus de sa grande ombre, comme si nous voyions la maison d’Alexandre, on se dira : c’est pourtant là que l’Empereur est né !

  Elle se trouve sur la place Laetitia et au coin de la rue Saint-Charles. A l’extérieur elle est peinte en blanc, toutes ses fenêtres ont des volets noirs ; la porte est basse et s’ouvre sur un escalier en marbre noir de même couleur, et dont la rampe en fer date de la même époque. La main de l’Empereur s’est appuyée dessus, à cette place où vous mettez la vôtre. Les chambres sont généralement belles, riches, ornées de rouge la plupart, et décorées dans le goût de la république ; le salôn est grand, un canapé à droite en entrant, des glaces, un lustre en verre. La chambre où il est né donne sur une terrasse ; les volets qui étaient fermés quand nous y entrâmes, nous laissaient à peine voir le plancher, et de grandes barres de jour se dessinaient en blanc sur le parquet ciré, et le portrait de Napoléon, don qu’il a fait de Sainte-Hélène, était suspendu au fond. Le manteau impérial, couvert d’abeilles d’or, saillissait dans l’ombre malgré le crépuscule. On nous a ouvert les fenêtres, et le jour est entré et a inondé toute la pièce, découvrant tout, comme un drap qu’on eût retiré. Alors nous avons vu la cheminée, les murs, les tableaux, le tapis, le sofa, les statues ; les meubles étaient adossés à la muraille tendue de papier grisâtre à petis pois verts ; tout était propre, rangé, habité encore. Mais il n’y a plus le fauteuil où sa mère le mit au monde, ce n’est plus le même lit non plus. Sur la table de nuit se trouvait un livre, et retourné de manière à ne pouvoir en lire le titre. Je le pris et je lus : “Manuel du cultivateur provençal indiquant les divers modes d’engrais, etc.” ; je reposai le livre avec dégoût et m’avançai dans l’autre pièce. C’est là, à l’entrée et près de la porte, le vieux canapé de la famille, fané, à franges arrachées, aux couleurs ternies ; il est encore souple, on enfonce dans son duvet et on s’y met à rêver à bien des choses grandes.

 

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