et son antique bouche mutilée. . . .
La grappe devant lui devient pesante
et semble fatiguée de sa lourdeur,
un court moment on frôle l’épouvante
de cet heureux été trompeur.
Et son sourire cru, comme il l’infuse
à tous les fruits de son fier décor;
partout autour il reconnaît sa ruse
qui doucement le berce et l’endort.
IV
It isn’t justice that balances the scales,
it’s you, O God of undivided envy,
who weigh our mistakes.
You take two hearts, mash them to a pulp,
and make one immense preternatural heart
that wants to continue
to swell . . . . You, indifferent and superb,
humble the mouth and exalt the word
to an ignorant sky . . . .
You break apart the living and send
their fragments to the void where they belong.
IV
Ce n’est pas la justice qui tient la balance précise,
c’est toi, ô Dieu à l’envie indivise,
qui pèses nos torts,
et qui de deux cœurs qu’il meurtrit et triture
fais un immense cœur plus grand que nature,
qui voudrait encor
grandir . . . . Toi, qui indifférent et superbe,
humilies la bouche et exaltes le verbe
vers un ciel ignorant . . . .
Toi qui mutiles les êtres en les ajoutant
à l’ultime absence dont ils sont des fragments.
May the God Be Satisfied
May the god be satisfied
with our brief shining moment
before sending a malevolent wave
that smashes us to pieces.
There was a time when we saw eye to eye,
but he survived, persisted,
while our downcast hearts
were astonished at his energy.
20
Que le dieu se contente de nous,
de notre instant insigne,
avant qu’une vague maligne
nous renverse et pousse à bout.
Un moment nous étions d’accord:
lui, qui survit et persiste,
et nous dont le cœur triste
s’étonne de son effort.
What We Are
Let us recognize each nuance
of each thing we encounter,
so that, amidst randomness,
order will reveal itself.
What surrounds us wants to be heard.
Let’s listen to the very end,
for orchard and road are no different
from anything we are!
21
Dans la multiple rencontre
faisons à tout sa part,
afin que l’ordre se montre
parmi les propos du hasard.
Tout autour veut qu’on l’écoute—
écoutons jusqu’au bout;
car le verger et la route
c’est toujours nous!
Equilibrium
By the sacred law of opposites
the pope, with all his pomp and finery,
attracts the devil
without being any less venerable.
We often forget that things
naturally find equilibrium.
The Tiber has its currents;
all play wants counter-play.
I remember Rodin one day
telling me in his cocky way
(we were leaving Chartres by train)
that, at its purest, the cathedral
stirs up a wind of disdain.
23
Combien le pape au fond de son faste,
sans être moins vénérable,
par la sainte loi du contraste
doit attirer le diable.
Peut-être qu’on compte trop peu
avec ce mouvant équilibre;
il y a des courants dans le Tibre:
tout jeu veut son contre-jeu.
Je me rappelle Rodin
qui me dit un jour d’un air mâle
(nous prenions, à Chartres, le train)
que, trop pure, la cathédrale
provoque un vent de dédain.
The Turn
We make a great show of repenting.
Still, we are much too proud.
If we surrendered
to all the strong forces,
what threatens us
would become changeable:
calm would turn to hurricane,
the abyss to an angel’s crucible.
Don’t be afraid of the turn.
It’s natural for the Organ to growl
so that every note of music
can abound with love.
24
C’est qu’il nous faut consentir
à toutes les forces extrêmes;
l’audace est notre problème
malgré le grand repentir.
Et puis, il arrive souvent
que ce qu’on affronte, change:
le calme devient ouragan,
l’abîme le moule d’un ange.
Ne craignons pas le détour.
Il faut que les Orgues grondent,
pour que la musique abonde
de toutes les notes de l’amour.
We Forget
So often we forget
the gods’ habit of fighting,
that we envy pious souls
their naïve proceedings.
Pleasing them or being converted
are both beside the point:
we must know how to obey
contradictory orders.
25
On a si bien oublié
les dieux opposés et leurs rites,
qu’on envie aux âmes confites
leur naïf procédé.
Il ne s’agit pas de plaire,
ni de se convertir,
pourvu que l’on sache obéir
aux ordres complémentaires.
The Fountain
Yours is the only lesson I want,
fountain, the one where you fall backward
into yourself, where everything is risked
on the celestial return to earth.
Nothing could serve as a better example
than the overtones in your murmur,
O weightless column of the temple,
who take yourself down by nature!
Each spout of water falls, and falling,
changes by the end of its dance.
I feel like a student trying to emulate
your richly layered nuance.
What moves me even more than your song
is that moment of delirious silence, at night,
when your headlong momentum stops itself
like an indrawn breath.
26: La Fontaine
Je ne veux qu’une seule leçon, c’est la tienne,
fontaine, qui en toi-même retombes—
celle des eaux risquées auxquelles incombe
ce céleste retour vers la vie terrienne.
Autant que ton multiple murmure
rien ne saurait me servir d’exemple;
toi, ô colonne légère du temple
qui se détruit par sa propre nature.
Dans ta chute, combien se module
chaque jet d’eau qui termine sa danse.
Que je me sens l’élève, l’émule
de ton innombrable nuance!
Mais ce qui plus q
ue ton chant vers toi me décide
c’est cet instant d’un silence en délire
lorsqu’à la nuit, à travers ton élan liquide
passe ton propre retour qu’un souffle retire.
My Body
How sweet sometimes to agree with you,
O my body, my elder brother,
how sweet to be strong
with your strength,
to feel you, leaf, branch and bark
and all that you are still becoming,
you, so close to the spirit,
so free, so at one
with the obvious joy
of being this tree of gestures.
You slow heaven down
for a moment, and give it
a place to call home.
27
Qu’il est doux parfois d’être de ton avis,
frère aîné, ô mon corps,
qu’il est doux d’être fort
de ta force,
de te sentir feuille, tige, écorce
et tout ce que tu peux devenir encor,
toi, si près de l’esprit.
Toi, si franc, si uni
dans ta joie manifeste
d’être cet arbre de gestes
qui, un instant, ralentit
les allures célestes
pour y placer sa vie.
Verger [Orchard]
I
Perhaps, dear borrowed language,
I’ve been emboldened to use you because
of the rustic word whose unique domain
has taunted me forever: Verger.
Pity the poet who must settle for less
than this comprehensive word, choosing
between some vague, sinking equivalent,
and worse, an armed fortress.
Verger. Only a musical instrument
could utter such a simple word:
nectar to bees, a word without equal,
a word that breathes and waits,
big enough for the whole history of spring,
bright, dense and yet transparent,
a word whose symmetrical syllables
multiply out of sheer abundance.
29: Verger
I
Peut-être que si j’ai osé t’écrire,
langue prêtée, c’était pour employer
ce nom rustique dont l’unique empire
me tourmentait depuis toujours: Verger.
Pauvre poète qui doit élire
pour dire tout ce que ce nom comprend,
un à peu près trop vague qui chavire,
ou pire: la clôture qui défend.
Verger: ô privilège d’une lyre
de pouvoir te nommer simplement;
nom sans pareil qui les abeilles attire,
nom qui respire et attend . . . .
Nom clair qui cache le printemps antique,
tout aussi plein que transparent,
et qui dans ses syllabes symétriques
redouble tout et devient abondant.
II
Which sun pulls
such heavy desire into its orbit?
This ardor you speak of,
where is its firmament?
Why do we struggle so
to feel one another’s pleasure?
Let us all tread lightly.
The earth is already spinning
with too much enmity.
Take a good look at the orchard
with its undeniable heaviness.
From that malaise
comes the happiness of summer.
II
Vers quel soleil gravitent
tant de désirs pesants?
De cette ardeur que vous dites,
où est le firmament?
Pour l’un à l’autre nous plaire,
faut-il tant appuyer?
Soyons légers et légères
à la terre remuée
par tant de forces contraires.
Regardez bien le verger:
c’est inévitable qu’il pèse;
pourtant de ce même malaise
il fait le bonheur de l’été.
III
Earth was never so real
as in the light of your branches, O orchard,
and earth was never lighter
than in the lacy shadows on your grass.
You are the meeting place between
what’s left for us, heaviness, nourishment,
and the passing touch
of infinite tenderness.
The water in the fountain at your center
is so confused by the marriage
of this paradox, it barely speaks of it,
drowsing in its ancient circle.
III
Jamais la terre n’est plus réelle
que dans tes branches, ô verger blond,
ni plus flottante que dans la dentelle
que font tes ombres sur le gazon.
Là se rencontre ce qui nous reste,
ce qui pèse et ce qui nourrit
avec le passage manifeste
de la tendresse infinie.
Mais à ton centre, la calme fontaine,
presque dormant en son ancien rond,
de ce contraste parle à peine,
tant en elle il se confond.
IV
What becomes of the grace
of all those irrelevant gods,
obliged by their rough beginnings
to behave like good little children?
They make fruit round
(a divine occupation), they play
hide-and-seek behind a curtain
of noise from hungry insects.
They never disappear
no matter how often they’re abandoned;
the ones who sometimes threaten us
are the gods with idle hands.
IV
De leur grâce, que font-ils,
tous ces dieux hors d’usage,
qu’un passé rustique engage
à être sages et puérils?
Comme voilés par le bruit
des insectes qui butinent,
ils arrondissent les fruits
(occupation divine).
Car aucun jamais ne s’efface,
tant soit-il abandonné;
ceux qui parfois nous menacent
sont des dieux inoccupés.
V
What memories are evoked, what hopes, dear orchard,
when I look around at you?
You are a flock of abundance; your shepherd meditates
as you graze.
Let me look through your branches, contemplate
the day turning toward night.
It’s Sunday: you worked and I rested,
but did resting do me any good?
What could be more right than being this shepherd?
Is it possible that today I left
a trace of my peace on your apples?
Because, as you know, I am leaving . . . .
V
Ai-je des souvenirs, ai-je des espérances,
en te regardant, mon verger?
Tu te repais autour de moi, ô troupeau d’abondance,
et tu fais penser ton berger.
Laisse-moi contempler au travers de tes branches
la nuit qui va commencer.
Tu as travaillé; pour moi c’était un dimanche—
mon repos, m’a-t-il avancé?
D’être berger, qu’y a-t-il de plus juste en somme?
Se peut-il qu’un peu de ma paix
>
aujourd’hui soit entrée doucement dans tes pommes?
Car tu sais bien, je m’en vais . . . .
VI
Wasn’t this whole orchard
the bright dress around your shoulders?
And didn’t you feel the comfort
of sinking your feet into its grass?
How often it refused to boast,
impressed us instead by expanding;
it was the orchard and the waning hour
that broke through your reluctance.
Sometimes you had a book. But your gaze,
haunted by many distractions,
followed the slow play of patterns
changing in the mirror of shadows.
VI
N’était-il pas, ce verger, tout entier,
ta robe claire, autour de tes épaules?
Et n’as-tu pas senti combien console
son doux gazon qui pliait sous ton pied?
Que de fois, au lieu de promenade,
il s’imposait en devenant tout grand;
et c’était lui et l’heure qui s’évade
qui passaient par ton être hésitant.
Un livre parfois t’accompagnait . . . .
Mais ton regard, hanté de concurrences,
au miroir de l’ombre poursuivait
un jeu changeant de lentes ressemblances.
VII
Glad orchard, expanding, perfecting
the countless designs of all these fruits,
confident that your ancient instincts
will bow to the urgency of youth,
what beautiful work, what order is yours!
It expresses itself in your twisted limbs
that then, charmed by power,
burst into the quiet air.
Your dangers and mine, aren’t they brothers,
When I Go Page 9