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When I Go

Page 10

by Rainer Maria Rilke


  O orchard, O my brother?

  Approaching us is the same far-off wind

  that makes us both austere and tender.

  VII

  Heureux verger, tout tendu à parfaire

  de tous ses fruits les innombrables plans,

  et qui sait bien son instinct séculaire

  plier à la jeunesse d’un instant.

  Quel beau travail, quel ordre que le tien!

  Qui tant insiste dans les branches torses,

  mais qui enfin, enchanté de leur force,

  déborde dans un calme aérien.

  Tes dangers et les miens, ne sont-ils point

  tout fraternels, ô verger, ô mon frère?

  Un même vent, nous venant de loin,

  nous force d’être tendres et austères.

  All the Joys of the Ancestors

  All the joys of the ancestors

  flow through us and build,

  their hearts, high with hunting,

  their silent repose

  by a dying fire . . .

  and when life deserts us

  in moments of drought,

  we still have them, who fill us.

  How many women took refuge here

  to keep from falling apart,

  the way an intermission provides respite

  during a mediocre play.

  Dressed in sorrow no one

  wants to wear these days,

  they look stronger leaning

  on the blood of the old ones.

  And the children, the children!

  Those whom fate frowns upon

  find in us a pretext

  to keep on living.

  30

  Toutes les joies des aïeux

  ont passé en nous et s’amassent;

  leur cœur, ivre de chasse,

  leur repos silencieux

  devant un feu presque éteint . . . .

  Si dans les instants arides

  de nous notre vie se vide,

  d’eux nous restons tout pleins.

  Et combien de femmes ont du

  en nous se sauver, intactes,

  comme dans l’entr’acte

  d’une pièce qui n’a pas plu—

  parées d’un malheur qu’aujourd’hui

  personne ne veut ni ne porte,

  elles paraissent fortes

  appuyées sur le sang d’autrui.

  Et des enfants, des enfants!

  Tous ceux que le sort refuse,

  en nous exercent la ruse

  d’exister pourtant.

  Interior Portrait

  It’s not memories of you

  that hold you within me,

  nor the sheer

  force of longing.

  It’s the way any slow

  tender gesture

  takes my very blood

  on an ardent detour.

  I have no need

  to see you appear.

  Being born was enough

  to lose you a little less.

  31: Portrait Intérieur

  Ce ne sont pas des souvenirs

  qui, en moi, t’entretiennent;

  tu n’es pas non plus mienne

  par la force d’un beau désir.

  Ce qui te rend présente,

  c’est le détour ardent

  qu’une tendresse lente

  décrit dans mon propre sang.

  Je suis sans besoin

  de te voir apparaître;

  Il m’a suffi de naître

  pour te perdre un peu moins.

  This Hand

  How will I recognize

  the sweet life that was?

  Perhaps by studying

  the imagery in the lines

  and wrinkles of my palm,

  formed by closing

  this hand of nothing

  around the void.

  32

  Comment encore reconnaître

  ce que fut la douce vie?

  En contemplant peut-être

  dans ma paume l’imagerie

  de ces lignes et de ces rides

  que l’on entretient

  en fermant sur le vide

  cette main de rien.

  Elegy

  How many ports, I ask you, and in them

  how many doors might open to you,

  through how many windows

  can we see your life and your work.

  How many winged seeds of the future

  did the storm bring, according to its whim

  one balmy holiday,

  that will come to flower because of you.

  How many lives will continue to echo,

  and given the altitude at which you flew

  while in this world,

  a great void is no longer so hollow.

  34

  Combien de ports pourtant, et dans ces ports

  combien de portes, t’accueillant peut-être,

  combien de fenêtres

  d’où l’on voit ta vie et ton effort.

  Combien de grains ailés de l’avenir

  qui, transportés au gré de la tempête,

  un tendre jour de fête

  verront leur floraison t’appartenir.

  Combien de vies qui toujours se répondent;

  et par l’essor que prend ta propre vie

  en étant de ce monde,

  quel gros néant à jamais compromis.

  A Parting Melody

  Since everything passes,

  let’s sing a parting melody,

  a song of our own making

  that will quench our grief.

  Let’s use love and art

  to praise our losses,

  and let’s do it more quickly

  than what departs.

  36

  Puisque tout passe, faisons

  la mélodie passagère;

  celle qui nous désaltère

  aura de nous raison.

  Chantons ce qui nous quitte

  avec amour et art;

  soyons plus vite

  que le rapide départ.

  The Soul-Bird

  Often we plod

  through thick fog,

  while the soul-bird takes off

  before us, balances

  on a gentle sky.

  This is how

  our grief learns

  the art of falling.

  37

  Souvent au-devant de nous

  l’âme-oiseau s’élance;

  c’est un ciel plus doux

  qui déjà la balance,

  pendant que nous marchons

  sous des nuées épaisses.

  Tout en peinant, profitons

  de son ardente adresse.

  Angel-Eye View

  Seen by Angels, the crowns of trees

  are roots that drink the skies,

  and deep underground, the roots of the beech

  seem to them like silent peaks.

  Do they see a transparent earth

  opposite a body-solid sky?

  This ardent earth, where every wellspring

  laments the forgotten dead.

  38

  Vues des Anges, les cimes des arbres peut-être

  sont des racines, buvant les cieux;

  et dans le sol, les profondes racines d’un hêtre

  leur semblent des faîtes silencieux.

  Pour eux, la terre, n’est-elle point transparente

  en face d’un ciel, plein comme un corps?

  Cette terre ardente, où se lamente

&nbs
p; auprès des sources l’oubli des morts.

  Friends and Strangers

  My friends, I honor each of you,

  and this incomprehensible fleeting life

  opened little by little

  with every shy and gentle glance.

  How many times do we bring someone into being

  instead of halting his disappearance,

  when we take the trouble to hold him

  in a look or a gesture.

  Strangers. They play a leading role

  in the fate of each passing day.

  So take good aim at my worried heart,

  stranger, when you lift your gaze.

  39

  Ô mes amis, vous tous, je ne renie

  aucun de vous; ni même ce passant

  qui n’était de l’inconcevable vie

  qu’un doux regard ouvert et hésitant.

  Combien de fois un être, malgré lui,

  arrête de son œil ou de son geste

  l’imperceptible fuite d’autrui,

  en lui rendant un instant manifeste.

  Les inconnus. Ils ont leur large part

  à notre sort que chaque jour complète.

  Précise bien, ô inconnue discrète,

  mon cœur distrait, en levant ton regard.

  Seeing Double

  A swan moves on the water,

  surrounding itself entirely,

  a gliding tableau,

  like the moments

  when the one we love

  is all space in motion.

  She approaches, doubled

  like the swan, floating

  on the soul’s uneasy pond

  that superimposes upon her

  a wavy image

  of happiness and doubt.

  40

  Un cygne avance sur l’eau

  tout entouré de lui-même,

  comme un glissant tableau;

  ainsi à certains instants

  un être que l’on aime

  est tout un espace mouvant.

  Il se rapproche, doublé,

  comme ce cygne qui nage,

  sur notre âme troublée . . .

  qui à cet être ajoute

  la tremblante image

  de bonheur et de doute.

  Life Expressing Variety

  Take the horse drinking at the fountain,

  take a falling leaf that grazes our shoulder,

  a cupped hand, a mouth bursting

  with news it doesn’t dare tell—

  such is life expressing variety,

  such are the sleepwalking dreams of pain.

  Would someone with a peaceful heart

  please search humanity and console it?

  43

  Tel cheval qui boit à la fontaine,

  telle feuille qui en tombant nous touche,

  telle main vide, ou telle bouche

  qui nous voudrait parler et qui ose à peine—

  autant de variations de la vie qui s’apaise,

  autant de rêves de la douleur qui somnole:

  ô que celui dont le cœur est à l’aise

  cherche la créature et la console.

  Spring

  I

  Notes of rising sap

  that swell in the instrument

  of all these trees,

  accompany our song,

  all too brief!

  Nature, your abundance

  resounds in the intricate

  arpeggios of your abandon.

  We hum along

  for a few short measures,

  and when we are silenced

  others will carry on . . .

  but for now, how can I

  offer you this heart

  large with yielding?

  44: Printemps

  I

  Ô mélodie de la sève

  qui dans les instruments

  de tous ces arbres s’élève—

  accompagne le chant

  de notre voix trop brève.

  C’est pendant quelques mesures

  seulement que nous suivons

  les multiples figures

  de ton long abandon,

  ô abondante nature.

  Quand il faudra nous taire,

  d’autres continueront . . .

  mais à présent comment faire

  pour te rendre mon

  grand cœur complémentaire?

  II

  The arrival of joy

  is eagerly awaited:

  earth and everything in it

  will soon delight us.

  From our front row seat

  we can see and hear,

  and protect ourselves

  when it becomes too much.

  We think it’s not personal,

  but from where we sit

  this emotional drama hits a bit

  too close to home.

  II

  Tout se prépare et va

  vers la joie manifeste;

  la terre et tout le reste

  bientôt nous charmera.

  Nous serons bien placés

  pour tout voir, tout entendre;

  on devra même se défendre

  et parfois dire: assez!

  Encor si on était dedans;

  mais l’excellente place

  est un peu trop en face

  de ce jeu émouvant.

  III

  Suddenly, for the old, lifeblood

  mounting into capillaries means

  a year too steep to climb, a year

  that prepares them for departure.

  Nature thrusts forward.

  It boils in arteries

  intolerant of sharp demands,

  it lashes out against bodies

  that refuse such wild adventure,

  that harden instead, to survive.

  So the earth, enduring and indifferent,

  easily wins the game.

  III

  Montée des sèves dans les capillaires

  qui tout à coup démontre aux vieillards

  l’année trop raide qu’ils ne monteront guère

  et qui en eux prépare le départ.

  Leur corps (tout offensé par cet élan

  de la nature brute qui ignore

  que ces artères où elle bout encore

  supportent mal un ordre impatient)

  refuse la trop brusque aventure;

  et pendant qu’il se raidit, méfiant,

  pour subsister à sa façon, il rend

  le jeu facile à la terre dure.

  IV

  It’s the sap that kills,

  that sudden air of insolence

  floating through the streets,

  taking the old and the hesitant.

  All who lack the strength

  to beat their own wings

  are invited to the divorce

  that will marry them with the earth.

  It’s sweetness that stabs them

  with its sharpened point,

  and those who still resist

  are done in by a caress.

  IV

  C’est la sève qui tue

  les vieux et ceux qui hésitent,

  lorsque cet air insolite

  flotte soudain dans les rues.

  Tous ceux qui n’ont plus la force

  de se sentir des ailes,

  sont invités au divorce

  qui à la terre les mêle.

  C’est la douceur qui les perce

  de sa pointe suprême,

  et la caresse
renverse

  ceux qui résistent quand même.

  V

  What would the priceless

  sensation of sweetness

  be worth if it didn’t

  inspire fear?

  It is so far beyond

  every violence

  that when it pounces,

  we are defenseless.

  V

  Que vaudrait la douceur

  si elle n’était capable,

  tendre et ineffable,

  de nous faire peur?

  Elle surpasse tellement

  toute la violence

  que, lorsqu’elle s’élance,

  nul ne se défend.

  VI

  In winter, death the murderer

  enters all the houses

  looking for sister and father,

  playing his violin.

  But when the earth stirs

  under the spade of spring,

  death runs through the streets,

  greeting passers-by.

  VI

  En hiver, la mort meurtrière

  entre dans les maisons;

  elle cherche la sœur, le père,

  et leur joue du violon.

  Mais quand la terre remue

  sous la bêche du printemps,

  la mort court dans les rues

  et salue les passants.

  VII

  It was from Adam’s side

  that Eve was pulled,

  but where does she go to die

  when her life is full?

  Will Adam be her tomb?

  Is there no other way for her

  than to find her ultimate home

 

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