Les refuges de pierre
Page 98
Ayla baissa la tête puis la releva. La Première attendit, fixa la jeune femme dans les yeux.
— Je crois que tu n’as pas le choix. Tu sais que tu entendras l’appel un jour, peut-être plus tôt que tu ne le penses. Je serais désolée de voir tes capacités détruites, à supposer que tu parviennes à survivre sans soutien et sans formation.
Ayla tenta d’échapper au regard impérieux. Puis, dans les profondeurs de son être ou les chemins de son cerveau, elle trouva des ressources nouvelles. Elle sentit une force croître en elle et sut qu’elle n’était plus dominée par la doniate, que c’était elle au contraire qui avait pouvoir sur Celle Qui Était la Première. Elle soutint son regard avec un sentiment de puissance et d’autorité qu’elle n’avait jamais éprouvé auparavant.
Quand Ayla le lui permit, Zelandoni détourna un instant les yeux. Lorsqu’elle les ramena sur la jeune femme, l’impression d’être sous l’emprise d’une force gigantesque avait disparu, mais Ayla la regardait avec un sourire entendu. Le bébé s’agita dans ses bras comme si quelque chose le contrariait, et Ayla reporta son attention sur l’enfant.
Quoique ébranlée, Zelandoni recouvra rapidement sa maîtrise d’elle-même. Elle fit mine de partir mais revint sur ses pas et considéra de nouveau Ayla, non plus avec ce regard qui avait débouché sur un choc de deux volontés, mais d’une manière directe et pénétrante.
— Viens me dire maintenant que tu n’es pas Zelandoni, murmura la doniate.
Ayla rougit, regarda autour d’elle d’un air incertain comme si elle cherchait une échappatoire. Quand elle posa de nouveau les yeux sur la doniate, Zelandoni était redevenue la présence imposante qu’elle avait toujours connue.
— Je vais prévenir Jondalar, dit-elle avant de baisser la tête vers son bébé.
Le Chant de la Mère
Des ténèbres, du Chaos du temps
Le tourbillon enfanta la Mère suprême.
Elle s’éveilla à Elle-Même sachant la valeur de la vie
Et le néant sombre affligea la Grande Terre Mère
La Mère était seule. La Mère était la seule.
De la poussière de Sa naissance, Elle créa l’Autre,
Un pâle ami brillant, un compagnon, un frère.
Ils grandirent ensemble, apprirent à aimer et chérir
Et quand Elle fut prête, ils décidèrent de s’unir.
Il tournait autour d’Elle constamment, son pâle amant.
Ayla se rendit compte que le chant racontait une histoire familière que tout le monde connaissait et attendait. Captivée, elle voulut en savoir davantage et écouta avec attention tandis que Zelandoni chantait un autre couplet et que la communauté tout entière lui répondait dans le dernier vers.
De ce seul compagnon Elle se contenta d’abord
Puis devint agitée et inquiète en Son cœur.
Elle aimait Son pâle ami blond, cher complément d’Elle-Même
Mais Son amour sans fond demeurait inemployé
La Mère Elle était, quelque chose Lui manquait.
Elle défia le grand vide, le Chaos, les ténèbres
De trouver l’antre froid de l’étincelle source de vie.
Le tourbillon était effroyable, l’obscurité totale.
Le Chaos glacé chercha Sa chaleur.
La Mère était brave, le danger était grave.
Elle tira du Chaos froid la source créatrice
Et conçut dans ce Chaos. Elle s’enfuit avec la force vitale
Grandit avec la vie qu’Elle portait en Son sein,
Et donna d’Elle-Même avec amour, avec fierté.
La Mère portait Ses fruits, Elle partageait Sa vie.
Le vide obscur et la vaste Terre nue
Attendaient la naissance.
La vie but de Son sang, respira par Ses os.
Elle fendit Sa peau et scinda Ses roches.
La Mère donnait. Un autre vivait.
Les eaux bouillonnantes de l’enfantement emplirent rivières et mers
Inondèrent le sol donnèrent naissance aux arbres.
De chaque précieuse goutte naquirent herbes et feuilles
Jusqu’à ce qu’un vert luxuriant renouvelle la Terre.
Ses eaux coulaient. Les plantes croissaient.
Dans la douleur du travail crachant du feu,
Elle donna naissance à une nouvelle vie.
Son sang séché devint la terre d’ocre rouge.
Mais l’enfant radieux justifiait toute cette souffrance.
Un bonheur si grand, un garçon resplendissant.
Les roches se soulevèrent, crachant des flammes de leurs crêtes.
La Mère nourrit Son fils de Ses seins montagneux.
Il tétait si fort, les étincelles volaient si haut
Que le lait chaud traça un chemin dans le ciel.
La Mère allaitait, Son fils grandissait.
Il riait et jouait, devenait grand et brillant.
Il éclairait les ténèbres à la joie de la Mère.
Elle dispensa Son amour, le fils crût en force,
Mûrit bientôt et ne fut plus enfant.
Son fils grandissait, il Lui échappait.
Elle puisa à ta source pour la vie qu’Elle avait engendrée.
Le vide froid attirait maintenant son fils.
La Mère donnait l’amour, mais le jeune avait d’autres désirs.
Connaître, voyager, explorer.
Le. Chaos La faisait souffrir, le fils brûlait de partir.
Il s’enfuit de Son flanc pendant que la Mère dormait
Et que le Chaos sortait en rampant du vide tourbillonnant.
Par ses tentations aguichantes l’obscurité le séduisit.
Trompé par le tourbillon, l’enfant tomba captif.
Le noir l’enveloppa, le jeune fils plein d’éclat.
L’enfant rayonnant de la Mère, d’abord ivre de joie,
Fut bientôt englouti par le vide sinistre et glacé.
Le rejeton imprudent, consumé de remords,
Ne pouvait se libérer de la force mystérieuse.
Le Chaos refusait de lâcher le fils coupable de témérité.
Mais au moment où les ténèbres l’aspiraient dans le froid
La Mère se réveilla, et se ressaisit.
Pour L’aider à retrouver Son fils resplendissant,
La Mère fit appel à Son pâle ami.
Elle tenait bon, Elle ne perdait pas de vue Son rejeton.
Elle rappela auprès d’elle Son amour d’antan.
Le cœur serré, Elle lui conta Son histoire.
L’ami cher accepta de se joindre au combat
Pour arracher l’enfant à son sort périlleux.
Elle parla de Sa douleur, et du tournoyant voleur.
La Mère était épuisée, Elle devait se reposer.
Elle relâcha Son étreinte sur Son lumineux amant
Qui, pendant Son sommeil, affronta la force froide,
Et la refoula un moment vers sa source.
Son esprit était puissant, mais trop long l’affrontement.
Le pâle ami lutta de toutes ses forces
Le combat était âpre, la bataille acharnée.
Sa vigilance déclina, il ferma son grand œil.
Le noir l’enveloppa, lui vola sa lumière.
Du pâle ami exténué, la lumière expirait.
Quand les ténèbres furent totales, Elle s’éveilla avec un cri.
Le vide obscur cachait la lumière du ciel.
Elle se jeta dans la mêlée, fit tant et si bien
Qu’elle arracha Son ami à l’obscurité.
Mais de la nuit le visage terrible gardait Son fils invisible.
Prisonnier du tourbillon, le fils ardent de la Mère
Ne réchauffait plus la Terre. Le Chaos froid avait gagné.
La vie fertile et verdoyante n’était plus que glace et neige.
Un vent mordant soufflait sans trêve.
La Terre était abandonnée, aucune plante ne poussait plus.
&nb
sp; Bien que lasse et épuisée de chagrin, la Mère tenta encore
De reprendre la vie qu’Elle avait enfantée.
Elle ne pouvait renoncer, il fallait qu’Elle se batte
Pour que renaisse la lumière de Son fils.
Elle poursuivit Sa quête guerrière pour ramener la lumière.
Son lumineux ami était prêt à combattre
Le voleur qui gardait captif l’enfant de Ses entrailles.
Ensemble ils luttèrent pour le fils qu’Elle adorait.
Leurs efforts aboutirent, sa lumière fut restaurée.
Sa chaleur réchauffait, sa splendeur rayonnait.
Les lugubres ténèbres s’accrochaient à l’éclat du fils
La Mère ripostait, refusait de reculer.
Le tourbillon tirait, Elle ne lâchait pas.
Il n’y avait ni vainqueur ni vaincu.
Elle repoussait l’obscurité, mais Son fils demeurait prisonnier.
Quand Elle repoussait le tourbillon et faisait fuir le Chaos,
La lumière de Son fils brillait de plus belle.
Quand Ses forces diminuaient, le néant noir prenait le dessus,
Et l’obscurité revenait à la fin du jour.
Elle sentait la chaleur de Son fils, mais le combat demeurait indécis.
La Grande Mère vivait la peine au cœur
Qu’Elle et Son fils soient à jamais séparés.
Se languissant de Son enfant perdu,
Elle puisa une ardeur nouvelle dans Sa force de vie
Elle ne pouvait se résigner à la perte du fils adoré.
Quand Elle fut prête, Ses eaux d’enfantement
Ramenèrent sur la Terre nue une vie verdoyante.
Et Ses larmes, abondamment versées,
Devinrent des gouttes de rosée étincelantes.
Les eaux apportaient la vie, mais Ses pleurs n’étaient pas taris.
Avec un grondement de tonnerre, Ses montagnes se fendirent
Et par la caverne qui s’ouvrit dessous
Elle fut de nouveau mère,
Donnant vie à toutes les créatures de la Terre.
D’autres enfants étaient nés, mais la Mère était épuisée.
Chaque enfant était différent, certains petits, d’autres grands.
Certains marchaient, d’autres volaient, certains nageaient, d’autres rampaient.
Mais chaque forme était parfaite, chaque esprit complet.
Chacun était un modèle qu’on pouvait répéter.
La Mère le voulait, la Terre verte se peuplait.
Les oiseaux, les poissons, les autres animaux,
Tous restèrent cette fois auprès de l’Eplorée.
Chacun d’eux vivait là où il était né
Et partageait le domaine de la Mère.
Près d’Elle ils demeuraient, aucun ne s’enfuyait.
Ils étaient Ses enfants, ils La remplissaient de fierté
Mais ils sapaient la force de vie qu’Elle portait en Elle.
Il Lui en restait cependant assez pour une dernière création,
Un enfant qui se rappellerait qui l’avait créé,
Un enfant qui saurait respecter et apprendrait à protéger.
Première Femme naquit adulte et bien formée,
Elle reçut les Dons qu’il fallait pour survivre.
La Vie fut le premier, et comme la Terre Mère,
Elle s’éveilla à elle-même en en sachant le prix.
Première Femme était née, première de sa lignée.
Vint ensuite le Don de Perception, d’apprendre,
Le désir de connaître, le Don de Discernement.
Première Femme reçut le savoir qui l’aiderait à vivre
Et qu’elle transmettrait à ses semblables.
Première Femme saurait comment apprendre, comment croître
La Mère avait presque épuisé Sa force vitale.
Pour transmettre l’Esprit de la Vie,
Elle fit en sorte que tous Ses enfants procréent,
Et Première Femme reçut aussi le Don d’enfanter.
Mais Première Femme était seule, elle était la seule.
La Mère se rappela Sa propre solitude,
L’amour de Son ami, sa présence caressante.
Avec la dernière étincelle, Son travail reprit,
Et, pour partager la vie avec Femme, Elle créa Premier Homme.
La Mère à nouveau donnait, un nouvel être vivait.
Femme et Homme la Mère enfanta
Et pour demeure, elle leur donna la Terre,
Ainsi que l’eau, le sol, toute la création,
Pour qu’ils s’en servent avec discernement.
Ils pouvaient en user, jamais en abuser.
Aux Enfants de la Terre, la Mère accorda
Le Don de Survivre, puis Elle décida
De leur offrir celui des Plaisirs
Qui honore la Mère par la joie de l’union.
Les Dons sont mérités quand la Mère est honorée.
Satisfaite des deux êtres qu’Elle avait créés,
La Mère leur apprit l’amour et l’affection.
Elle insuffla en eux le désir de s’unir,
Le Don de leurs Plaisirs vint de la Mère.
Avant qu’Elle eût fini, Ses enfants L’aimaient aussi.
Les Enfants de la Terre étaient nés, la Mère pouvait se reposer.
Fin provisoire de la Saga
* * *
[1]Techn. Orifice percé dans la paroi d'un réservoir ou d'une canalisation pour permettre l'écoulement d'un fluide. (NScan)
[2]Le pin cembro (Pinus cembra), également pin des Alpes, arolle (ou arole), est l'arbre symbolique de la haute montagne, car il se développe entre 1 700 et 2 400 mètres d'altitude, là où les hivers sont très longs et les températures rigoureuses. (NScan)
[3]Chant alterné dans l'office liturgique romain. (NScan)
[4]Organe écailleux soutenant ou enveloppant les fruits des arbres de l'ordre des cupulifères. (NScan)