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Crève, l'écran

Page 7

by Klopmann

– Effectivement. Jean Renoir, 1949.

  – Non, c'est de René Clair.

  – Vraiment ?

  – Vraiment !

  Vespa osait la contester. Pas question d'afficher quelque faiblesse. En fait, il réfléchissait à toute allure et découvrait que la situation venait de s'inverser. Faire entrer Robert Silverstein au Xanadu… Mais bien sûr ! Il serait le sésame du trio, et ni lui ni elle n'en avaient conscience ! Doit-on vraiment montrer patte blanche quand on porte la tête de Robert Silverstein ? et qu'en plus celle-ci s'affiche sur tous les murs ? (Maggie avait fait du bon travail : les meilleurs espaces et les plus chers.) Il prit l'air de celui qui a un gros problème.

  – Entrer à trois… Comme tu y vas !

  – Essâaye !

  – J'essayerai, minauda Vespa en masquant son soulagement. Il nous rejoint ici ? La limousine passe nous prendre ?

  – Oui et non. Oui, pâarce qu'on se retrouve ici. Il sait où c'est. Non, pâarce qu'il a renvoyé la voiture ôofficielle. Il dit qu'on n'est jamais tranquille dans une voiture ôofficielle et que celles du festival ne font qu'âattirer l'âattention. Il n'a pas tort. Surtout quand les vitres sont fumées. Tout le monde s'attend à voir des vedettes sortir de ces monstres. Or lui, il veut qu'on lui fiche la paix.

  – Vraiment ? Une soirée mondaine, c'est pas vraiment le lieu idoine…

  – Le lieu quoi ?

  – Idoine. Le bon endroit, si tu préfères. Pour la tranquillité.

  – Ah oui. Sans doute. Mais il y a une raison : on a choisi celle-ci parce que ce ne serâa pas la plus chiante (elle avait vite appris à transposer le slang) et qu'il ne peut pâas ne jamais se montrer. Sinon, à quoi bon venir à Cannes ? Je lui ai dit qu'il faut parâader un peu, et il connaît la musique. Il ferâa ce qu'il faut. Ni plus ni moins. Les interviews, ce n'est pas tout ! C'est surtout pour les grands critiques, les radios et les télés. En fait, il y a toute une autre presse qui le guette, surtout les photos d'ambiance, le people. On en a besoin aussi. Alors, comme il a beaucoup de respect pour White père, il a choisi de se montrer là plutôt qu'ailleurs… Pourquoi pas, hein ?

  – Et il est où, en ce moment, le petit génie ?

  – Il fait un tour dans Câannes. Il ne devrait pas tâarder.

  – Seul ? hoqueta Vespa qui n'en revenait pas (trois ans qu'il essayait de l'approcher !) et tentait de contenir sa joie. Tu ne dois pas l'accompagner, le protéger de tout, ô gardienne de sa précieuse sérénité ?

  – Pas toujours. Il est parti seul. C'est son choix.

  – Seul et… à pied ?

  – Sûrement pas. Tu imagines une cohue ? Il est aussi agorâaphobe que claustrôo. Non, il est à vélôo. Un beau mountain bike tout neuf qu'il avait demandé par fâax de New York déjà. Il y tenait. Il est comme un gôosse. On a fait le nécessaire… Si çâa peut le rendre heureux, il se plierâa plus facilement aux corvées de promôo, tu comprends ? Tout le monde le réclâame. Tu réalises ta chance, au moins ? Il va nous rejoindre ! Nous : toi et moi.

  S'il s'en rendait compte ! La providence personnifiée, Silverstein. Merci, l'Ange. Voilà la clé : se coller au petit homme à lunettes. Jouer de sa célébrité pour forcer les portes du Xanadu. Et en plus, il viendrait à vélo : des images à ne pas rater, se dit Vespa. Aussi fortes que l'entrée à cheval de Leonard Cohen sur la scène de l'Olympia. Quelque chose de puissant, de spectaculaire, de différent. Il se baissa pour armer sa caméra.

  – Jamais démuni ? se tortilla-t-elle.

  – Jamais. Toujours prêt ! Castor Junior…

  – Castôor Senior, je dirais plutôt, fit-elle, impertinente.

  Un bruit caractéristique leur fracassa les oreilles : celui d'un objet métallique violemment jeté, en l'occurrence sur un réverbère. Un vélo. Masqué par de vastes lunettes de soleil, un homme ramassa la bécane, lia son sort au luminaire en enroulant, trois fois, une chaîne gainée et se tourna droit vers Maggie qu'il regarda d'un air contrit. Il portait un drôle de chapeau mou qui lui tombait sur les sourcils.

  Silverstein !

  Selon une procédure rodée, Vespa se leva en attendant d'être présenté, faisant mine de trouver simple et naturelle cette rencontre qui ne l'était pas. Sourire aimable. L'autre ne le vit pas, ou à peine. Il monologuait.

  – J'ai perdu un verre de contact, tout à l'heure au Majestic. On s'est mis à quatre pour le retrouver. C'est très embêtant, ce genre d'histoires. Les verres de contact, on est perdu sans eux. Alors, j'ai mis des lunettes.

  Les deux opinèrent silencieusement du chef. Maggie prit ses mains dans les siennes.

  – Take a chair, my dear. Je vous présente mon âami Ginôo Vespâa. Je vous en ai parlé, vous vous souvenez ?

  – Non. Heureux de vous connaître, murmura-t-il, pas très convaincu.

  – Moi de même. J'adore vos films.

  L'autre se radoucit instantanément.

  – Oh, vraiment ? Vous aimez ? miaula-t-il d'un air sincèrement touché.

  – Vraiment.

  – C'est très gentil.

  Maggie scruta l'assistance d'un regard preste. Personne n'avait reconnu son protégé. Tout allait bien. Ce n'était pas le genre d'endroit pour un type comme lui. Les groupies se massaient plutôt sur les terrasses des grands hôtels. Elle comptait un peu sur ce phénomène : les enquiquineurs allaient former des troupeaux, mais ailleurs.

  – On ne risque pas de nous ennuyer, hasarda-t-elle afin de le rassurer (il roulait des yeux comme un gyrophare). Vous buvez quelque chôose, Rob… (elle se ravisa quand même prudemment) mon cher ?

  – Vous croyez vraiment qu'on ne nous embêtera pas ? que je peux m'installer tranquillement ? Il y a des tas de gens qui me cherchent, vous savez…

  – Avec nous, ici, ils ne vous trouveront pas.

  – Vous en êtes sûre, sûre, sûre ?

  – Sûre. Relisez La Lettre volée.

  C'est une nouvelle de Pœ qu'elle résuma en deux coups de cuillère à pot. On cherchait une missive dont on savait qui l'avait détournée, pourquoi et où elle se trouvait. Pas question d'intervenir sans déclencher un incident diplomatique. Une seule solution : attendre que l'habile escamoteur ait tourné le dos, puis démonter son appartement jusqu'à faire surgir le précieux document. Peine perdue… On explorait sous les lattes et dans les murs, au tréfonds des meubles et jusque dans les coussins les plus mœlleux la résidence du voleur qui ne crachait pas son trésor indu. La lettre était posée dans un porte-cartes, simplement, avec une telle évidence qu'elle échappait à tous.

  L'envie de filmer démangeait Vespa. Stoïque, il choisit de ne pas brusquer les choses. Pour la discrétion, une caméra, on ne fait pas pire. Difficile de se retenir, mais nécessaire. Tu investis, se dit-il. Maggie harponna le serveur qui se prenait pour Charlot patineur, remit une tournée et ajouta une verveine-menthe. L'Américain se tassa sur sa chaise. Les deux entreprirent une discussion professionnelle : Silverstein voulait tout savoir de ce qui l'attendait, quelle presse il allait rencontrer et s'assurer qu'on ne lui poserait aucune question indiscrète.

  – J'ai l'engâagement écrit des journalistes que j'ai pointés. Rien de privé. Ils se tiendront bien parce qu'ils sâavent que sinon je leur coupe les couilles.

  Derrière les lunettes, une paire d'yeux s'écarquilla.

  – Vous feriez ça ? s'inquiéta Silverstein.

  – Enfin, ils n'auront pas d'autres interviews. Pas par moi, en tout cas. Je ne leur donnerai plus rien.

  – Il faudrait tout de même leur en laisser une. Hitler n'en avait qu'une et Eva Braun s'en accommodait très bien.

  – Une interview ?

  – Une couille !

  – Elle devait se faire aussi sauter par Göring, risqua Vespa qui tentait de se mêler à la conversation.

  – Oui, reprit l'homme au chapeau. Avec son bâton de maréchal.

  – Je vous ai tendu la perche…

  – Quel esprit pénétrant !

  C'était comme s'ils jouaient au tennis (en pension). Ils avaient trouvé leur rythme. Lamentable mais efficace. Visiblement, la discussion semblait
amuser Silverstein qui se tortillait de plaisir sur sa chaise. Bingo ! La glace était rompue. Lorsque le voltigeur aux boissons survint à nouveau, son plateau chargé, Silverstein plongea le nez qu'il avait vaste dans un mouchoir qui l'était aussi, comme pris d'une subite rhinite. L'autre n'y vit que du feu et encaissa d'un air dédaigneux, comptant ostensiblement la monnaie avant d'esquisser un vague merci pour le pourboire, pourtant généreux : note de frais.

  Un grave problème se posa au trio qui ne savait que faire du vélo. Vespa espérait bientôt tirer une image du cinéaste sur sa bécane mais ne pipa mot : l'affaire aurait tourné à son désavantage. Maggie Blum exigeait d'aller à pied au Xanadu, escortant sa Lettre volée, Silverstein incognito : l'un à droite et l'autre à gauche. Prêts à faire face à toute sollicitation intempestive, quoique dans la foule ils continueraient probablement de passer inaperçus. Il y avait environ six cents mètres à franchir et la route était tracée. Éviter le quai, négliger le trottoir bordant les hôtels, emprunter l'allée centrale de la Croisette. Maggie déplia son plan tandis que les deux sifflaient leurs verres en se racontant de rafraîchissantes bêtises. Un petit groupe d'Italiens débarqua dans un tintamarre de téléphones portables. Les trois profitèrent de la diversion pour lever le camp. Traversant l'avenue en serrant de près son illustre compagnon, Maggie surprit quelques regards portés sur la caméra que Vespa tenait au poing… Heureux détournement d'attention. Elle promenait un œil exercé sur toutes les sources potentielles de danger. L'homme au chapeau scrutait les façades en admirant les tourelles et moulures des unes, les vastes terrasses des autres. L'effervescence cannoise lui semblait presque reposante. Des bâtiments courts. Une circulation minime, d'autant que la plupart des rues étaient bouchées. Pas de sirènes à tout va. On pouvait même traverser hors des passages sans risquer sa vie (encore qu'il laissait son escorte le précéder d'un pas, on ne sait jamais). Une brise légère et salée. Une débauche de pub qui lui paraissait, à lui, très ordinaire. Il songea à Bergman en avisant un porche grand style, rentra le cou dans son col remonté et finit par ressembler à l'inspecteur Clouseau dans les films de Blake Edwards.

  XIII

  L'œil méchant, les cerbères salivaient comme des bouledogues. Surtout, ne pas les contrarier. Toujours démuni de sésame, Vespa décida de jouer son va-tout. Il n'avait pas le choix. Juste quelques bonnes cartes, et encore. Il prit son souffle et concentra toute son énergie vers cet unique but… Tandis que Maggie Blum se frayait un chemin dans la foule compacte, il épaula sa caméra, collant comme son ombre à Silverstein et guettant le moment propice à son coup de bluff. Parvenu au pied d'un malabar soupçonneux, il commuta, d'un geste du pouce, l'interrupteur du flash et lança par l'arrière un rai puissant sur l'homme de plus en plus engoncé, sous son chapeau bizarre. Bien sûr, tous les regards se tournèrent vers lui. C'était prévu. Maggie n'eut pas le temps de comprendre ce qui se passait lorsqu'un cri fusa de la foule :

  – Silverstein !

  Reconnu si bruyamment, l'Américain frissonna et roula des billes affolées derrière ses grandes lunettes. Il regretta soudain son anonymat de cycliste – et même d'avoir quitté New York, son enveloppe protectrice depuis que sa maman n'était plus de ce monde pour veiller sur lui. La rumeur qui faisait frissonner la foule enveloppa son esprit comme une brume subite. Toutes les têtes l'observaient. Les gorilles furent un instant pris de court, figés. Malgré elle, de bonne guerre, la vedette ainsi démasquée saisit un stylo qu'on lui tendait et marqua de sa griffe deux ou trois papiers, tandis qu'un chef cerbère, prompt à comprendre qu'il avait affaire à une star, se mit en devoir d'escorter le trio jusqu'à la porte d'entrée. Sous l'enseigne du Xanadu (quelques lettres de néon bleu sur une grille forgée), un homme affable doté d'une crinière d'un gris luisant et d'une fine moustache tendit prestement sa main baguée à Maggie Blum, lui souhaitant la bienvenue tout en lorgnant son cavalier. Le directeur de la boîte. Il n'avait pas en tête la liste des invités et ne pouvait imaginer, bien sûr, qu'une telle pointure, face à lui en chair et en os, n'y figurât pas.

  – Nous sommes très honorés de votre visite. Je suis Édouard Martin. Nous aimons beaucoup M. Silverstein et j'espère qu'il se plaira chez nous.

  Décontenancée, Maggie ne pipa mot. Martin reprit :

  – Ce monsieur qui filme est avec vous, je pense…

  – Exclusif pour le Xanadu, fit Vespa en se collant de plus près.

  – C'est lui qui a nos invitâations, lâcha Maggie Blum en cherchant à se dépêtrer.

  – Ce ne sera pas nécessaire, trancha le directeur en toisant ses sbires.

  Jeu, set et match. Sa bonne étoile n'avait pas trahi Vespa.

  La porte dévoilait un vestibule tendu de velours bleu, et c'est presque en trébuchant sous la pression que Silverstein fit son entrée, accroché à Maggie dont il pétrissait le bras gauche de ses deux mains nerveuses, de peur de la perdre. De larges colonnes torsadées et de fausses fenêtres gothiques – derrière lesquelles des ampoules éclairaient une toile peinte de collines noirâtres dressées sous un ciel menaçant – constituaient le décor principal d'un endroit qui puait le stuc, le kitch et le bidon. Au second degré, tout à fait grandiose. Sauf que Martin, dans son sous-sol aménagé, se croyait réellement dans un palais des merveilles ; illusion que la présence de tant de personnalités connues au mètre carré renforçait très sérieusement.

  Vespa se mit en devoir de tourner quelques « plans mexicains », autrement dit bidon : cadrant l'entrée et le vestibule du Xanadu, il s'arrangea pour tenir au centre de son image le dénommé Martin, qui, visiblement flatté, prenait la pose. Une vraie caricature de laveur d'argent sale. Puis Vespa bondit près de la rampe, tandis que le couple chapeau-tignasse rousse descendait les escaliers qui menaient au night-club. Reconnaissant, dans son dos, le pas de Vespa malgré le brouhaha qui montait de la réception, Maggie se retourna et lui jeta un regard d'acier. Il affecta le pur angélisme, levant des yeux benêts vers les fausses moulures du plafond. C'est moins son stratagème – dont elle n'avait d'ailleurs pas conscience – que la brutale mise en lumière de son protégé qu'elle lui reprochait. Silverstein souhaitait rester discret et c'était raté. Toutefois, mis de bonne humeur par leur petite conversation de la terrasse du Vésuvien, le cinéaste ne semblait pas trop s'en formaliser : il avait compris, lui, et s'amusait du culot de son nouvel ami.

  Une nymphe argentée sortie d'on ne sait où se précipita sur les nouveaux venus afin de les débarrasser de leurs accessoires.

  – Si, si, je m'en occupe. Vestiaire…

  C'était comme dans un saloon : on était prié de laisser ses armes au vestiaire. Entendez qu'à la demande des White caméras et appareils photo étaient interdits. Un seul photographe autorisé, le leur. Vespa sentit rétrospectivement la frousse parcourir son échine. Il aurait pu se faire jeter comme un malpropre. Au lieu de cela, il commençait de gagner à petit feu l'amitié d'un mythe ambulant ! C'est bien volontiers qu'il remit son outil à la jeune femme, à laquelle il fit cependant toutes les recommandations d'usage, paternellement, à ce détail près qu'il avait l'œil plongé dans son décolleté tout à fait prodigieux. Deux superbes seins magnifiquement mis en valeur, ni trop ni trop peu. Juste de quoi fouetter l'imagination. Un buste rare.

  S'arrachant à sa contemplation qui devenait lourdement ostensible, Vespa fit mentalement le point. Dehors, il devait bien avoir saisi deux ou trois minutes d'images de Silverstein signant des autographes. C'était bien assez pour illustrer l'interview qu'il espérait obtenir plus tard. Il pouvait descendre enfin les mains dans les poches, prêt à se mêler aux convives mais sans perdre de vue Maggie, dont la rousseur, alors qu'elle pénétrait à contre-jour dans le saint des saints, lui parut aussi rayonnante que l'ampoule d'un phare.

  C'était bondé. Silverstein avala une gorgée d'air en se donnant une contenance. Vraiment pas un lieu pour lui. Mais puisqu'il le fallait. Il y avait là Vera Cipriani en lamé argent, et Brian Warren, le fameux producteur. Un type en jean, mèche faussement rebelle, cheveu soigneusement gominé, lui faisait f
ace une flûte à la main, tandis que des zombies se collaient à eux afin de ne rien perdre de cette conversation qui ne les regardait pas. Ils devaient se raconter des banalités. Sinon, ils n'auraient jamais laissé faire. Des projecteurs de cinéma accrochés au plafond donnaient un faux climat « septième art » à la pièce enfumée, sur les tentures de laquelle se prélassaient de grandes affiches : Basic Business, the Real One.

  Les White avaient investi une coquette somme dans la création de leur maison de production. Un coup de poker. Et une bonne main : pour le premier film, ils avaient fait affaire avec Werner Kœnig, l'illustre auteur du Septième Temps. Les studios allemands avaient ainsi perdu leur cinéaste fétiche, qui, sans états d'âme, s'en allait frayer avec l'ennemi… Autant dire qu'il n'y avait pas beaucoup de sincérité dans les « Bonne chance ! » et les « Je me tiens les pouces » dont les White père et fils s'emplissaient les oreilles. Ils s'en fichaient pas mal. Malins comme des singes et pas vraiment dupes, ils répondaient à leurs amis en distribuant leurs sourires toujours efficaces, d'une blancheur clinique. Une forte odeur de havane nimbait le tout. Un gentleman en queue de pie – le sommelier du restaurant, utilement recyclé par Martin – passait la boîte de vieux Davidoff (une réserve d'avant l'émigration du défunt maître cigarier à Saint-Domingue), tandis que de jolies filles passaient les plats… Sexisme criard. Une plante voluptueuse dont le QI devait avoisiner 0,5 suçait un cigare d'une façon provocante sous le nez d'un sexagénaire bronzé aux anges, la pupille grivoise, dont le niveau de fortune devait assurément dépasser de loin celui des capacités intellectuelles de la poule.

  Tandis que Maggie et Robert Silverstein se faufilaient en direction des White, des petits groupes pivotèrent pour mieux se placer sur leur chemin. Poignées de main. Silverstein ne connaissait pas une de ces têtes tournées vers lui. À chaque fois, pourtant, il parvenait à se fendre d'une parole aimable. Un vrai pro.

  Vespa contemplait la scène du haut d'un tabouret de bar. Deux médecins échappés du congrès proche – ils avaient gardé leurs badges – et entrés on ne sait comment trahissaient leur noviciat, dans ce monde-là, en s'efforçant de se fondre au milieu de la masse : ils n'avaient jamais vu cela. Autant de créatures irréelles, hommes et femmes, et autant de visages connus à portée immédiate du regard ajoutaient à leur première ivresse d'avoir été, simplement, invités. Vespa comprit : White Junior avait visiblement convié quelques pontes du congrès Psychiatrie et Cinéma. En fait, leur démarche l'intriguait beaucoup. L'idée de ces doctes mateurs passant leur journée devant des films de cul afin de dresser des constats analytiques de la représentation du fantasme masculin dans l'industrie érotique l'amusait assez. Il voulait les connaître, les entendre. Une vraie pâte à scénario, la science et le désir ! L'orchestre s'efforçait de jouer des standards des Beatles, non sans talent, mais peinait à s'imposer. La sono avait été réduite car on ne s'entendait plus.

 

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