by Klopmann
3.4. Commentaire : le genre de type, Visseur, qui peut se créer des ennemis larvés à tous les étages. Copain des machinistes comme des grands patrons de la chaîne, tout à fait capable, à force de parlote, de casser des ambitions ou contribuer au renversement des cotes personnelles. Membre du club d'échecs de la maison, pilier de la caf', y compris hors des heures de service, bref complètement imprégné de la culture General TV : boulot, loisirs, amante, amis. Efficace mais pas d'une intelligence subtile. Manipulable à l'envi pour diffuser des informations stratégiques. Bon cuisinier, recevait parfois ses collègues à la maison (spécialités exotiques).
4. Conclusion
4.1. Deux personnalités très différentes. Aucun lien apparent, les deux se connaissaient mais ne semblaient pas se fréquenter (agendas et mémos téléphoniques en cours d'examen). Le premier un peu timoré, le second un peu fanfaron. Le premier pas vraiment sociable. Deux personnalités fragiles, l'une à l'évidence (introvertie) et l'autre pas (extravertie).
4.2. Point commun : une certaine ressemblance physique et une pareille dégaine vestimentaire. A-t-on tué Verrat par erreur en voulant liquider Visseur, qui suivra ? Hypothèse à mentionner mais peu probable. Pour le mobile, je pencherais plutôt pour la détention d'informations dangereuses. Peut-être un chantage ? Visseur, je crois que c'était assez le genre. Verrat aurait-il vu ou appris quelque chose à son tour, fatalement ?
4.3. Il est impératif d'interroger Françoise Bolle. Je pense qu'il doit y avoir une connexion entre les DCD et que celle-ci nous mènera à plus de clarté.
Elle avait bien travaillé. Solnia observa que, dans ce premier brassage, Visseur sembler peser plus lourd que Verrat. Difficile cependant d'en tirer des conclusions. Malgré les apparences, les deux personnalités lui paraissaient également intéressantes. Ce qu'espérait Solnia, c'était qu'un des éléments relevés par Véro viendrait à tilter au contact de ceux de ses collègues. Comme une boussole dont l'aiguille se fige : l'indication d'une direction à prendre.
Le rapport de Béroud fut d'une lecture nettement plus rapide. Il valait surtout par les dépositions qui s'empilaient dans la chemise : la prose personnelle de l'enquêteur tenait plutôt, elle, du relevé d'horaires. Georges Béroud ne se risquait à aucune analyse et c'était mieux comme ça. Solnia considérait que Béroud ne saurait jamais prendre un poisson tout seul mais lui savait gré de contribuer à tisser le filet. Après tout, ce filet, c'était à lui de le manier. Béroud faisait un excellent mousse sur son chalutier mais il ne serait jamais patron pêcheur ! C'était aussi un excellent pilote forgé autrefois à la poussière des grands rallyes, talent bien appréciable lorsqu'il s'agissait de prendre un fuyard de vitesse. Béroud concentrait une partie de son intelligence dans les pieds. Alors que d'autres se contentaient de jouer sans grâce de l'accélérateur, il était capable, lui, de ruser en laissant aux autres une avance qu'il savait pouvoir compenser ensuite. Mû par un étonnant sens de l'orientation, il utilisait aussi à merveille les chemins de traverse. Son grand truc, c'était de laisser croire à l'adversaire qu'il était semé tout en se préparant, en fait, à le prendre de revers. Du grand art. Mais pour la déduction… nada ! Solnia jeta un œil plus distrait sur les dépositions qu'il avait amenées. Rien ne manquait dans la forme. La confirmation technique des faits relevés par Véronique Blanche, les hypothèses en moins et la précision en plus : le filet de sécurité, en quelque sorte.
Les papiers de Vernes l'intéressaient davantage. Le cinéphile de la bande était persuadé que c'est dans les rouages de General TV qu'il trouverait la clé. Il lui avait fallu s'imprégner du climat, ce qu'il avait fait en rôdant… Restait à présent à connaître mieux les têtes que Vernes avait compressées avec d'autant plus de plaisir qu'il détestait la télé, à ses yeux coupable de détourner le public des salles de cinéma. Un autre style, son rapport.
NOTE A MR SOLNIATCHEFF
SUR GENERAL TV
Combien de fois devrai-je lui dire qu'on n'écrit pas « Mr » en français, bougonna Solnia. Et cette manie de décliner mon nom complet. M'énerve. Lisons.
La préoccupation principale des cadres de la rédaction et des directeurs de General TV n'est pas le décès de nos clients. Ils craignent par-dessus tout la presse et croisent les doigts pour que notre enquête ne s'ébruite pas. Professionnellement, la mort de Mr Verrat profite à Mlle Jacqueline Popescu, 23 ans, qui prend sa place alors qu'elle était jusqu'ici pigiste. Elle bouchait les trous et gagne au change un contrat fixe. Active dans les milieux de la vidéo créative ; un jules graphiste à son compte ; pour le reste, RAS. Était absente ces jours. Le relevé des entrées démontre qu'elle n'a pas utilisé sa carte magnétique pour se rendre à General TV, et elle ne figure pas au registre des huissiers. La mort de Mr Visseur profite à plusieurs personnes. Mr Nicolas Perrière, chef de la téléthèque, affaire personnelle (Véro vous racontera). Mr François Berdat, son adjoint et successeur potentiel. Mais les deux étaient très liés. Choqué, Mr Berdat : lire déposition c/o Béroud. Et puis tous ceux qu'il avait mis dans la mouise en colportant des ragots. Jamais rien de très grave, mais souvent des histoires de fesses. Populaire, donc, mais craint. Vous m'avez demandé d'amuser les chefs : ils sont tous absorbés par la succession de Mr Bernard Depassy. Forment des petits groupes et des clans, passent des alliances et consacrent pas mal d'énergie à ça. Mr Antoine Marreux a toutes ses chances, semble-t-il. Le genre à créer des groupes de travail pour plancher sur ce qu'il a déjà décidé tout seul. Homme de pouvoir, sens du commandement.
La rédaction en chef et la base ne communiquent plus : les cadres passent leur temps en séances. Le présentateur principal, Mr Jean-Pierre Dor, semble avoir pris les commandes de l'actualité quotidienne. Mr Marreux me colle dans les pattes. Je crois que c'est pour éviter de choisir un camp. Habile manœuvrier, s'en méfier. L'ambiance est donc mauvaise. Mais aucun conflit particulier n'est à signaler au-delà des affaires d'ambition dans une profession qui n'est ni celle de Mr Verrat ni celle de Mr Visseur. Le seul point commun de ces deux, c'est qu'ils manipulent des images. J'aimerais d'ailleurs bien les voir, si vous me passez les cassettes. Pure curiosité. Ils travaillent tous les deux dans une petite pièce où il n'y a pas grand monde. La rédaction proprement dire grouille de monde. Ce relatif isolement me laisse penser que :
a) Ce n'est pas l'environnement mais leur activité qui nous donnera la clé. Ils ne sont pas journalistes et c'est ce qui les différencie des autres.
b) Ils sont morts parce qu'ils étaient faciles à tuer, isolés dans un lieu abrité et peu fréquenté.
Dans l'hypothèse b, je me demande si la chaîne elle-même ne serait pas soumise à chantage. Je sais que c'est un peu saugrenu, mais cela expliquerait les morts « non ciblées » – et je crois bien que c'est de cela qu'il s'agit. Je vous suggère de faire un tour à la direction. Sa peur panique d'une information dans la presse sur l'enquête en cours me semble abusive. Une télé doit communiquer, pas vrai ? Et si on lui réclamait quelque chose, une diffusion politique par exemple ?
Enfin, comme vous le savez, les analyses de l'air conditionné n'ont rien donné. J'ajoute que les deux pièces ne sont pas alimentées par le même circuit.
Suivait la signature. Solnia savait que toute institution déteste la publicité lorsque la police est dans le coup. Une chaîne de télé ne fera pas exception. Néanmoins les conclusions de Vernes l'intriguaient. Un chantage, pourquoi pas ? C'est fou ce qu'on peut gamberger autour d'un cadavre ! Et l'homicide qui n'était même pas démontré… Curieusement, il observa qu'aucun de ses collaborateurs n'avait mis en doute le caractère criminel des décès. Or rien, aucune preuve n'existait de ce simple fait. C'est donc qu'ils avaient, comme lui, le sentiment d'un excès d'anomalies dans cette affaire. Il lui faudrait faire vite. Le grand patron attendait la fermeture de ce dossier, qu'il jugeait, lui, ordinaire. Solnia pivota sur son fauteuil pour s'en extirper à grand-peine. Des fourmis dans la jambe droite. Une plaie. Il retrouva en claudiquant son jouet à café et changea le filtre en sautillant. La circulation sanguine reprit
doucement son cours normal alors qu'il se trémoussait sur sa jambe valide, ce qui lui fit penser qu'il faudrait redemander les dossiers médicaux. C'était quand même étrange…
Restait le rapport de Wolf. Un vrai foutoir. Wolf n'avait jamais eu le sens de l'orthographe et c'est tout juste s'il savait écrire son nom. En revanche, il disposait d'un assez large vocabulaire argotique. C'est pour cela que Solnia l'aimait bien. Un dandy voyou : parfait pour zoner dans les milieux branchés. Le côté dandy, il le réservait pour les bars gay qu'il fréquentait volontiers, de préférence quand le service ne le lui imposait pas. Parfois, quand il s'agissait de délier les langues, son petit côté voyou faisait merveille. Sa façon très Humphrey Bogart de toiser les gens. Comme une manière de dire : « Avec moi, mon gaillard, ça ne prend pas. Tu craches ou c'est trois beignes, dents non assurées par la caisse de la police. » En général, ça marchait. Sinon, ça ne faisait que prendre un peu plus de temps. Le temps des mandales. Wolf ne s'était jamais beaucoup embarrassé de subtilité. Il disposait en outre d'un solide sens de la déduction, bien terrien, carré. Mais, de toute évidence, il était en panne ce jour-là.
Désolé, pas eu le temps d'écrire mon raport. Voila les dépositions. On a afaire a deux afaires diférentes.
Wolf.
Demain, réunion dans mon bureau à 8 h 30 ! décida Solnia. Seul face au percolateur, les papiers étalés, la cervelle en bouillie, il se surprit à lâcher un filet de voix qui disait aux murs qu'on nageait en plein délire. Besoin de repos.
XV
Vespa n'avait eu aucun mal à obtenir une rallonge d'une minute : les propos volés à Silverstein, en exclusivité dans la baie de Cannes, c'était du pain bénit. La ligne était commandée. Le journal lui avait donné quatre minutes trente : une aubaine rare et bien à la mesure de l'importance qu'accordait la rédaction à ce petit scoop. Restait à le monter.
Le reporter avait retrouvé une Babette très en forme après sa séance de bronzage. Il l'entreprit poliment :
– Reposée ?
– Je crois bien que j'ai dormi un peu. Mais j'ai surtout lu. L'Esprit du pouvoir, tu connais ? Mes amis de Los Angeles m'ont passé une version en français. C'est de John Cornfeld, le fondateur de l'École d'équilibre.
Vespa n'était pas sûr qu'équilibre et pouvoir pouvaient faire bon ménage, mais il ne la contraria pas.
– Et ça dit quoi ?
– Que tout est volonté.
Il n'en avait jamais douté.
– Eh bien, tant mieux, parce que rayon volonté, tu vas être contente : on a deux heures pour monter quatre minutes trente.
La difficulté, c'est qu'il avait un peu forcé sur les rushes. Cinquante minutes d'images brutes, c'était beaucoup pour des news. Ils allaient, les deux, brûler presque la moitié du temps de travail rien qu'à visionner les images. Silverstein n'était pas de ceux à qui on dit « Faites une minute, top ! » et qui sortent de grandes phrases calibrées du premier coup. D'abord il s'était calfeutré sur une banquette en enfouissant son nombril sous trois coussins de soie. Puis il avait divagué en regardant les flots. Ensuite il s'était livré à une réflexion sur l'immensité qui disparaît, sur la grandeur des voyages en mer et sur l'injure que constituait pour l'âme humaine la fin de l'échelle du temps et de la distance dans la navigation sur Internet. Enfin il avait consenti à répondre en quelques phrases bourrées d'incises – qu'il faudrait comprimer à fond – aux questions de Vespa sur la névrose et sur son film. Vespa avait rusé pour y parvenir, et plus encore pour ne pas faire tourner inutilement sa cassette. Un vieux pro comme lui sentait quand allait venir la bonne déclaration. Son astucieuse diode rouge laissait penser à l'interlocuteur que la caméra roulait en continu ; il finissait par l'oublier. En réalité, les doigts de Vespa effleuraient le commutateur avec la grâce de Rubinstein sur un Steinway.
Babette buvait du petit-lait.
– J'adore ce type !
– Si tu l'avais vu à vélo ! C'est vraiment bête, mais je n'ai pas pu le filmer à ce moment-là. Bon. On va se la jouer classique : Silverstein arrive à la boîte, speech sur les White, topo sur le film et on lance un extrait. WPC m'a donné une cassette de promo. Après, bateau et interview. On verra pour la fin. Est-ce que ça te convient ?
– On y va.
Ils avaient laissé la porte ouverte pour travailler. Parfois, un passant jetait un regard étonné devant tant d'appareillage disposé dans si peu de place. Mais il n'y avait pas beaucoup de passants. L'aire était protégée et tous les festivaliers n'y avaient pas accès. Dans le fourgon, Babette et Vespa faisaient face à un mur de machines et d'écrans reposant sur un court tablard. Sur cette planche recouverte de velours on voyait, au centre, des boutons de commande et, à droite, les feuilles de notes de Vespa. Derrière leurs chaises de régisseurs posées côte à côte, des caisses s'empilaient près d'une banquette bleue : la réserve de câbles, fusibles, cassettes et outils variés. Sous la banquette, la climatisation occupait un renfoncement métallique qui ressemblait à une armoire de vestiaire. Les rares parois dépourvues d'appareillage étaient capitonnées pour favoriser la prise de son : à l'occasion, le car permettait aussi l'enregistrement de commentaires. Pas le grand luxe, mais juste ce qu'il fallait pour ficeler du début à la fin un sujet d'actualité. Tout avait été calculé pour loger un maximum d'appareils en un minimum de place.
Babette jouait habilement de ses commandes et ne perdait pas de temps. Avance, retour sur image, essai, proposition… Penché sur ses feuilles, Vespa suivait distraitement les opérations et préparait son commentaire. Une curieuse alchimie s'était établie avec le temps qui leur permettait de travailler ensemble pratiquement sans se parler : chacun dans ses pensées, tous deux avançaient à petits bruissements d'épaules, se lançant des regards dans une concentration nimbée de complicité. En fait de commentaire, il n'avait pas grand-chose à écrire. Des phrases courtes : à la télé, il faut faire « parlé ». Pas de mots savants et surtout pas trop de verbes. Un langage spécifique fleurissait ainsi dans nombre de commentaires plombés par la limitation du vocabulaire et la multiplication des fautes de français. Vespa, lui, se défendait de nourrir l'idiome télé et veillait à la précision des mots. Pédant ! disaient les ignares. Jalousie et perfidie des autres sont les révélateurs de ses propres capacités, se disait-il en faisant le gros dos.
Vespa avait bien fait les choses. Après avoir pris la peine d'installer son interlocuteur dans une sorte de bien-être propice au soulagement, il avait posé de bonnes questions, bien cadrées. Il respectait les silences et les hésitations, également sources d'informations. Il n'avait jamais de questions préparées sous les yeux et tenait à privilégier ainsi la qualité du contact. La tête remplie d'informations lui permettant de réagir à bon escient, il se contentait de guider et se laisser guider. Cette complicité-là se sentait, au visionnage. Elle renforçait le propos. C'était la technique de Vespa.
– Qu'est-ce que tu dirais de voir le sujet maintenant ? Je crois que ça tient la route comme ça.
Babette remit le compteur à zéro et proposa son prémontage au journaliste qui avait suivi d'un œil vague son travail. Babette ne s'était pas vantée, c'était une excellente petite séquence.
– Au poil ! Tu me repasses tout ça ? Je vais essayer de lire.
Et il plaqua son commentaire, l'ébarbant ici, l'allongeant là, pour que ça rentre :
« … Croisette, 22 heures. Des passants. Incognito, l'homme. Une star. Robert Silverstein… »
Pure illustration dramatisante. Il sentait qu'il ferait mouche.
L'enregistrement du commentaire fut rapide. Vespa l'avait bien en bouche et ne se reprit que deux fois. Un œil sur ses notes et l'autre sur les images de l'écran B, il parlait dans un micro qui pendait du plafond au bout d'une perche télescopique dépliée pour l'occasion. Babette bien sûr avait fermé la porte. Elle surveillait de mauvaise grâce les vu-mètres et manquait rarement de rappeler qu'elle n'était pas ingénieur du son. Vespa lui rétorquait en général que le car n'était pas non plus le studio Mondial mais qu'à e
ux trois, le car, Babette et lui, ils s'en sortiraient toujours. Piste 2, piste 1, elle déplaçait les curseurs qui, après tous les filtrages, garantissaient à la voix son bon équilibre. Le mixage ne prendrait pas plus d'un quart d'heure. Une affaire rondement menée. Babette pouvait continuer toute seule.
XVI
Vespa avait filé au service de presse chercher la paperasse qui devait encombrer son casier lorsque Bertrand Sillagy frappa à la porte du car et l'ouvrit sans attendre la réponse. Un peu plus tôt, il aurait perturbé l'enregistrement.
– T'es seule ? Comme ta diffusion est prévue dans vingt minutes, je venais voir où t'en es. Vous êtes les premiers. Après, j'ai les Suédois et les Hongrois.
Babette sursauta comme une gamine prise en faute. C'était plus qu'un collègue, un ami, mais tout de même.
– Tu m'as fait peur ! Tu vois : je finis.
– T'es bientôt en retard. C'est pas terminé ?
– Presque. Assieds-toi et ferme la porte, tu veux bien ?
Sûr qu'il voulait bien. Extinction des machines. Elle se leva pour ranger des cassettes sous le siège en se faufilant, pour y parvenir, entre les jambes de Bertrand qui avait pris place sur la banquette. Lorsqu'elle releva la tête, la situation ne manquait pas d'équivoque.
Un regard furtif leur rappela une vieille complicité : c'était à Mons, lors d'une réunion de l'OTAN. Sillagy louait déjà son antenne émettrice et plusieurs chaînes qui couvraient l'assemblée s'étaient associées pour employer ses services. La petite société Mobilnews qu'avait fondée Sillagy fournissait à toutes des prestations de qualité, politiquement neutres et économiquement acceptables. Une manière comme une autre de gagner sa vie. Babette avait découvert la Belgique en sa compagnie. Les deux s'étaient plu instantanément, dans leur isolement communicatif. Ils avaient écumé ensemble les petites rues si charmantes de Mons et de Bruxelles. On est souvent seul dans une ville étrangère. Ils avaient alors joint leurs solitudes : voilà ce que rappelaient ces regards échangés. Babette posa les mains sur les cuisses de Bertrand. Il lui prit la tête entre les siennes et lui décrocha un sourire gêné tandis qu'il administrait à ses cheveux, encore salés, une longue caresse. Elle baissa la tête, effleura le ventre de l'homme de ses lèvres mutines, frôla son sexe qui commençait de jouer la multiplication des pains sous le pantalon de coton léger, lui jeta un délicieux regard en contre-plongée, puis rompit le charme d'un ton iconoclaste :