Les chasseurs de mammouths

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Les chasseurs de mammouths Page 32

by Jean M. Auel


  Le géant finit par se lever, se dirigea à grandes enjambées vers le Foyer du Lion. Lorsqu’il revint, il portait un bâton d’ivoire, plus grand que lui, qui, plus gros à la base, s’effilait en pointe vers le sommet. Il était orné d’un objet en forme de petite roue à rayons, qui avait été attaché au bâton à peu près au tiers de la hauteur, vers le haut. Des plumes de grue blanches étaient fixées, en forme d’éventail, à la moitié supérieure de cette roue. Entre les rayons de la moitié inférieure, pendaient au bout de lanières de mystérieux sachets, des objets d’ivoire sculpté, des morceaux de fourrure. En y regardant de plus près, Ayla vit que le bâton était fait d’une seule défense de mammouth dont on avait, par quelque méthode inconnue, supprimé la courbe. Comment, se demanda-t-elle, avait-on pu redresser la courbure d’une défense de mammouth ?

  Tout le monde se tut pour concentrer son attention sur le chef. Il regarda Tulie. Elle répondit à son regard par un signe de tête. Il frappa alors par quatre fois le sol de l’extrémité la plus grosse du bâton.

  — J’ai une grave question à soumettre au Camp du Lion, commença Talut. Une question qui concerne tout le monde. Je prends donc la parole avec le Bâton Qui Parle, afin que chacun écoute attentivement, et que personne n’interrompe. Quiconque souhaitera intervenir pourra demander le Bâton Qui Parle.

  Il y eut un frémissement d’excitation parmi les assistants qui se redressèrent et tendirent l’oreille.

  — Il n’y a pas très longtemps, Ayla et Jondalar sont arrivés au Camp du Lion. Quand j’ai fait le compte des jours de leur présence, j’ai été étonné de constater que cela faisait si peu de temps. Nous avons déjà l’impression que ce sont de vieux amis, comme s’ils étaient ici chez eux. La plupart d’entre vous, je crois, partagent cette opinion. A cause de cette chaleureuse amitié que nous éprouvons pour notre parent, Jondalar, et pour notre amie, Ayla, j’avais espéré les voir prolonger leur visite et je pensais leur demander de passer tout l’hiver avec nous. Mais, pendant leur court séjour, ils nous ont montré plus que de l’amitié. Tous deux sont venus avec des connaissances et des talents précieux et nous les ont offerts sans réserve, comme s’ils faisaient vraiment partie de notre peuple.

  « Wymez a reconnu, en Jondalar, un tailleur de pierre expérimenté qui a généreusement partagé ses connaissances avec Danug et Wymez lui-même. Mieux encore, il a apporté une nouvelle arme de chasse, un lance-sagaies qui augmente à la fois la portée et la force d’une sagaie.

  Il y eut des signes d’approbation, des commentaires. Une fois encore, Ayla remarqua que les Mamutoï écoutaient rarement en silence : ils participaient activement au discours.

  — Ayla possède de nombreux talents exceptionnels, reprit Talut. Elle se sert avec adresse et précision du lance-sagaies et de l’arme qui lui est particulière, la fronde. Mamut déclare qu’elle a le don de Recherche. Si j’en crois Nezzie, elle pourrait posséder aussi le don d’Appel, pour les animaux. Peut-être n’en est-il rien, mais il est sûr qu’elle sait se faire obéir des chevaux, et qu’ils lui permettent de monter sur leur dos. Elle nous a même enseigné une manière de nous exprimer sans paroles qui nous a aidés à comprendre Rydag d’une façon toute nouvelle. Mais, ce qui est peut-être plus important encore, c’est une guérisseuse. Elle a déjà sauvé la vie de deux enfants... et elle possède un remède merveilleux contre les maux de tête !

  La dernière remarque provoqua une tempête de rires.

  — Tous deux sont source de tant d’avantages que je ne veux pas voir le Camp du Lion ni les Mamutoï les perdre. Je leur ai demandé de rester parmi nous, non seulement pour l’hiver mais pour toujours. Au nom de Mut, Mère de toutes choses...

  Talut abattit le bâton d’ivoire sur le sol, une seule fois, fermement.

  — ... je demande qu’ils se joignent à nous, et que vous les acceptiez comme Mamutoï.

  Talut fit signe à Ayla et à Jondalar. Ils se levèrent, s’approchèrent de lui, avec toute la dignité voulue par le cérémonial. Tulie, qui avait attendu un peu à l’écart, s’avança pour se tenir à côté de son frère.

  — Je demande le Bâton Qui Ordonne du Camp du Lion, je déclare mon accord avec tout ce qu’a dit Talut. Jondalar et Ayla feraient de précieuses recrues pour le Camp du Lion et pour les Mamutoï.

  Elle fit face au grand homme blond.

  — Jondalar, reprit-elle, en frappant par trois fois le sol avec le Bâton Qui Parle, Tulie et Barzec t’ont demandé de devenir un fils du Foyer de l’Aurochs. Nous avons parlé en ta faveur. Comment parles-tu, Jondalar ?

  Il s’approcha d’elle, prit le Bâton qu’elle lui tendait, frappa trois coups.

  — Je suis Jondalar de la Neuvième Caverne des Zelandonii, fils de Marthona, ancienne Femme Qui Ordonne de la Neuvième Caverne, né au foyer de Dalanar, chef des Lanzadonii, commença-t-il.

  En de telles circonstances, il avait décidé de prendre son ton le plus cérémonieux et d’énumérer ses attaches, ce qui lui valut des sourires et des signes approbateurs. Tous ces noms étrangers apportaient à la cérémonie une saveur nouvelle, importante.

  — Je suis grandement honoré par votre invitation mais je dois être franc et vous dire que j’ai de fortes obligations. Je devrai un jour rentrer chez les Zelandonii. Je dois apprendre à ma mère la mort de mon frère, et il faudra aussi que je l’annonce à Zelandoni, notre mamut, afin que la Recherche de son esprit puisse être entreprise pour le guider vers le monde des esprits. J’accorde une grande valeur à nos liens de parenté, votre amitié me réchauffe le cœur, je n’éprouve pas le désir de partir. Je souhaite rester avec vous, mes amis et mes parents, aussi longtemps qu’il me sera possible.

  Jondalar rendit à Tulie le Bâton Qui Parle.

  — Nous regrettons que tu ne puisses faire partie de notre foyer, Jondalar, mais nous comprenons tes obligations. Tu as notre respect. Puisque nous sommes parents, par ton frère qui était second compagnon de Tholie, tu pourras rester ici aussi longtemps que tu le souhaiteras, dit Tulie.

  Elle donna le Bâton à Talut. Il en frappa trois fois le sol.

  — Ayla, dit-il, nous désirons, Nezzie et moi, t’adopter comme fille du Foyer du Lion. Nous avons parlé en ta faveur. Comment parles-tu ?

  Ayla prit le Bâton, frappa trois fois sur le sol.

  — Je suis Ayla. Je n’ai pas de peuple. Je suis très honorée et très heureuse que vous me demandiez de devenir l’une d’entre vous. Je serais fière d’être Ayla des Mamutoï.

  Elle avait longuement répété son texte. Talut reprit le Bâton, frappa quatre coups.

  — S’il n’y a pas d’objections, je vais annoncer la fin de cette réunion extraordinaire.

  — Je demande le Bâton Qui Parle, dit une voix au sein de l’assistance. La surprise se peignit sur tous les visages quand on vit Frébec s’avancer.

  Il prit le Bâton des mains du Chef, frappa trois fois.

  — Je ne suis pas d’accord, déclara-t-il. Je ne veux pas d’Ayla.

  14

  La stupeur réduisit au silence les gens du Camp du Lion. Suivit un brouhaha de surprise scandalisée. Le chef avait soutenu Ayla, avec le plein accord de la Femme Qui Ordonne. Tout le monde connaissait l’opinion de Frébec sur Ayla, mais personne, semblait-il, ne la partageait. Par ailleurs, Frébec et le Foyer de la Grue ne paraissaient guère en position de s’opposer au projet. Ils avaient eux-mêmes été acceptés assez récemment par le Camp du Lion, après avoir été repoussés par plusieurs autres Camps, et c’était uniquement parce que Talut et Nezzie avaient pris leur défense. Le Foyer de la Grue avait joui naguère d’un grand prestige, et certains Camps auraient été disposés à les accueillir, mais, chaque fois, il s’était trouvé des adversaires, et il ne devait pas y en avoir un seul. Tout le monde devait être d’accord. Après tout l’appui que lui avait apporté le chef, Frébec faisait preuve d’ingratitude en se dressant contre lui, et personne ne s’attendait à cela, Talut moins que quiconque.

  L’agitation s’apaisa très vite quand Talut prit le Bâton Qui Parle, le brandit, le secou
a, en invoquant son pouvoir.

  — Frébec a le Bâton. Laissez-le parler, dit-il. Il rendit à Frébec la défense d’ivoire.

  Frébec frappa trois fois le sol et reprit :

  — Je ne veux pas d’Ayla parce que, à mon avis, elle ne nous a pas offert assez pour que nous en fassions une Mamutoï.

  Il y eut un mouvement de protestation contre cette déclaration, surtout après les paroles louangeuses de Talut, mais la rumeur ne suffit pas à interrompre l’orateur.

  — Demandons-nous au premier étranger venu qui nous fait visite de devenir mamutoï ?

  Même sous l’autorité du Bâton Qui Parle, il était malaisé d’empêcher le Camp de s’exprimer.

  — Où prends-tu qu’elle n’a rien à offrir ? Que dis-tu de ses talents à la chasse ? cria Deegie, en proie à une juste colère.

  Sa mère, la Femme Qui Ordonne, n’avait pas accepté d’emblée Ayla. C’était seulement après mûre réflexion qu’elle avait décidé de se ranger à l’avis de Talut. Comment ce Frébec pouvait-il se permettre de s’élever contre cette décision ?

  — Elle chasse, bon, et alors ? répliqua Frébec. Ce n’est pas une raison suffisante. Faisons-nous du premier venu qui sait chasser l’un d’entre nous ? D’ailleurs, elle ne chassera plus bien longtemps, pas après avoir eu des enfants.

  — Avoir des enfants est ce qu’il y a de plus important ! explosa Deegie. Elle en tirera plus de prestige encore.

  — Ne croîs-tu pas que j’en sois conscient ? Nous ne savons même pas si elle est capable d’avoir des enfants, et, si elle n’en a pas, elle n’aura plus grande valeur. Mais nous ne parlions pas d’enfants, nous parlions de chasse. Le seul fait qu’elle chasse ne constitue pas une raison suffisante pour faire d’elle une Mamutoï, maintint Frébec.

  — Et le lance-sagaies ? C’est une arme de grande valeur, tu ne peux le nier, et elle s’en sert avec habileté. Elle commence même à montrer aux autres comment l’utiliser, dit Tornec.

  — Ce n’est pas elle qui l’a apporté. C’est Jondalar, et il ne veut pas se joindre à nous.

  Danug éleva la voix.

  — Elle a peut-être le don de Recherche et le don d’Appel. Elle sait se faire obéir des chevaux, elle monte même sur leur dos.

  — Les chevaux sont de la nourriture. La Mère les a créés pour que nous les chassions, et non pas pour que nous vivions avec eux. Je ne suis même pas sûr que nous ayons le droit de monter sur leur dos. Et personne ne sait précisément qui est Ayla. Elle possède peut-être le don de Recherche, elle est peut-être capable d’appeler les animaux. Elle pourrait même être la Mère descendue sur la terre. Mais elle n’est peut-être rien de tout ça. Depuis quand des « peut-être » sont-ils une raison suffisante pour faire de quelqu’un l’un d’entre nous ?

  Personne n’était en mesure de battre en brèche ses objections. Frébec commençait à être fier de lui-même et de toute l’attention qu’il suscitait. Mamut le considérait avec une certaine surprise. Le chaman était en complet désaccord avec l’homme, mais les arguments de Frébec étaient habiles, il devait en convenir. Il était seulement dommage que son zèle fût si mal employé.

  Nezzie entra dans le débat.

  — Ayla a appris à Rydag à parler, quand personne ne l’en croyait capable ! cria-t-elle.

  — Parler ! ricana l’autre. Tu peux bien, si ça te plaît, appeler « parler » toutes ces gesticulations. Moi, je ne suis pas d’accord. A mon avis, il n’y a rien de plus inutile que d’adresser à une Tête Plate des gestes stupides. Là encore, ce n’est pas une raison pour accepter Ayla. Ce serait plutôt le contraire.

  — Et, en dépit de l’évidence, tu ne crois toujours pas qu’elle soit guérisseuse, je suppose ? intervint Ranec. Tu comprends, j’espère, que, si tu chasses d’ici Ayla, tu pourrais bien t’en repentir quand il n’y aura personne pour aider Fralie quand elle mettra son enfant au monde.

  Aux yeux de Frébec, Ranec avait toujours représenté une anomalie. Ranec avait beau jouir d’un grand prestige et d’une belle renommée de sculpteur, Frébec ne savait que trop penser de lui et il n’était pas très à l’aise au voisinage de l’homme à la peau sombre. Quand celui-ci adoptait ce ton subtilement ironique, Frébec avait toujours l’impression qu’il se montrait dédaigneux ou qu’il se moquait de lui. Il n’aimait pas ça. Par ailleurs, cette peau presque noire avait probablement quelque chose de contre-nature.

  — Tu as raison, Ranec, riposta-t-il d’une voix forte. Je ne crois pas que ce soit une guérisseuse. Comment une fille élevée parmi ces animaux aurait-elle appris à être guérisseuse ? Pour ce qui est de Fralie, elle a déjà mis des enfants au monde. Pourquoi serait-ce différent, cette fois-ci ? A moins que la présence ici de cette femme-animal ne lui porte malheur. Ce garçon à la tête plate amoindrit déjà le prestige de ce camp. Vous ne comprenez donc pas ? Elle le fera tomber plus bas encore. Pourquoi quelqu’un voudrait-il d’une femme élevée par des animaux ? Et, si quelqu’un passait par ici et découvrait des chevaux dans la galerie, qu’en penserait-il ? Non, je ne veux pas voir une femme-animal, qui a vécu chez les Têtes Plates, devenir membre du Camp du Lion.

  L’assemblée réagit avec violence à ces déclarations, mais la voix de Tulie domina le tumulte.

  — Où prends-tu que le prestige de ce Camp ait été amoindri ? Rydag ne m’enlève aucun prestige. J’ai toujours une voix proéminente au Conseil des Sœurs. Et Talut n’a rien perdu, lui non plus.

  — Les gens font toujours allusion à « ce Camp où vit la Tête Plate ». J’ai honte de reconnaître que j’en fais partie, cria Frébec pour toute réponse.

  Tulie se redressa de toute sa taille devant l’homme assez frêle.

  — Libre à toi de partir d’ici quand tu voudras, fit-elle de son ton le plus froid.

  Crozie se récria.

  — Vois ce que tu as fait ! Fralie attend un enfant, et tu vas la forcer à partir, par ce froid, sans savoir où aller. Pourquoi ai-je jamais accepté votre Union ? Comment ai-je pu croire qu’un homme qui donnait un prix aussi bas serait assez bon pour Fralie ? Ma pauvre fille, ma pauvre Fralie...

  Les gémissements de Crozie furent couverts par le tapage des voix furieuses et des arguments qui s’élevaient contre Frébec. Ayla tourna le dos à l’assemblée, se dirigea vers le Foyer du Mammouth. Au passage, elle vit Rydag qui regardait la réunion avec de grands yeux tristes, au Foyer du Lion, et elle changea d’idée, alla le rejoindre. Elle s’assit près de lui, lui palpa la poitrine, l’examina avec attention pour s’assurer qu’il se sentait bien. Après quoi, sans essayer d’entamer une conversation, parce qu’elle ne savait que lui dire, elle le prit sur ses genoux, le berça en fredonnant à mi-voix un petit air monocorde. Elle avait bercé ainsi son fils autrefois, et, plus tard, seule dans sa caverne de la vallée, elle s’était souvent endormie de cette manière.

  — N’y a-t-il donc personne qui respecte le Bâton Qui Parle ? rugit Talut, dominant le tumulte.

  Ses yeux étincelaient. Il était furieux. Ayla ne l’avait jamais vu dans un tel état mais elle admira sa maîtrise sur lui-même quand il reprit la parole.

  — Crozie, jamais nous ne mettrions Fralie dehors par ce froid, et tu nous fais injure, à moi-même et au Camp du Lion, en suggérant que nous en serions capables.

  La vieille femme, bouche bée, dévisagea le chef. Elle n’avait pas vraiment cru qu’on chasserait Fralie. Elle s’était simplement laissée emporter par sa harangue contre Frébec, sans songer qu’on pouvait prendre ses paroles pour une insulte. Elle eut le bon goût de rougir de honte, ce qui en surprit certains, mais, au fond, elle connaissait fort bien les subtilités des relations humaines. Après tout, Fralie tenait d’abord d’elle son prestige. Crozie bénéficiait par elle-même d’une haute estime, du moins jusqu’au jour où elle avait tant perdu, ce qui l’avait amenée à se rendre malheureuse ainsi que tous ceux qui l’entouraient. Elle pouvait encore revendiquer la distinction, sinon la substance.

  — Frébec, reprit Talut, il se peut que tu sois gêné d’appartenir au Camp du Lion, mais, si c
e Camp a perdu de son prestige, c’est parce qu’il a été le seul à bien vouloir t’accueillir. Comme l’a dit Tulie, personne ne t’oblige à y rester. Tu es libre de partir quand tu voudras, mais nous ne te mettrons pas dehors, pas avec une femme malade qui va mettre un enfant au monde cet hiver. Peut-être n’as-tu jamais fréquenté beaucoup de femmes grosses, mais, que tu t’en rendes compte ou non, ce n’est pas seulement son état qui rend Fralie malade. Même moi, je sais cela.

  « Mais là n’est pas l’objet de cette assemblée. Peu importe ce que tu en penses, ou ce que nous en pensons, tu fais partie du Camp du Lion. J’ai exposé mon désir d’adopter Ayla dans mon foyer, de faire d’elle une Mamutoï. Mais tout le monde doit être d’accord, et toi, tu t’y es opposé.

  Frébec, à présent, commençait à se tortiller. C’était une chose que de se donner de l’importance en s’opposant à tout le monde, en prenant le contre-pied de l’opinion générale, mais Talut venait de lui rappeler son humiliation, son désespoir, à l’époque où il s’efforçait de trouver un Camp où établir un nouveau foyer avec sa précieuse nouvelle compagne, qui lui avait valu un statut plus élevé qu’il n’en avait connu de toute sa vie.

  Mamut l’observait avec attention. Frébec n’avait jamais rien eu de particulièrement remarquable. Il avait peu de prestige, puisque sa mère n’en avait guère eu à lui transmettre. Il ne possédait ni talents particuliers ni vertus notoires. On ne le détestait pas mais on ne l’aimait pas non plus. Il avait l’air d’un homme assez médiocre. Mais, dans la discussion, il savait être habile. Ses arguments étaient faux mais ils avaient de la logique. Il avait peut-être plus d’intelligence qu’on ne lui en attribuait et, apparemment, il nourrissait de grandes aspirations. Pour un homme comme lui, s’unir à Fralie avait constitué une belle réussite. Il serait bon de le surveiller de près.

  Déjà, faire une offre pour une femme comme elle prouvait une certaine audace. Le Prix de la Femme était à la base des valeurs économiques, chez les Mamutoï. La place d’un homme dans sa société lui venait de la femme qui lui avait donné le jour et de celle – ou de celles – qu’il pouvait attirer par son statut, par ses prouesses de chasseur, par son habileté, ses talents, son charme, et persuader de vivre avec lui. Frébec avait découvert une femme de grand prestige disposée à devenir sa compagne. C’était comme s’il avait trouvé un trésor, et il n’allait pas la laisser lui échapper.

 

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