— Ne m’accuse pas de cela. Ton vampire a juste piqué des commentaires méprisants dans ma tête.
Elle sourit.
— Je ne m’attendais pas à te revoir.
— Ouais. Je suis le premier surpris.
C’était bizarre de se tenir debout dans cette pièce. Les vampires avaient poussé tous les meubles pour installer leur batterie d’équipements médicaux. Pour eux, quelle différence ? Assis ou debout, quand on était de pierre, ça ne changeait pas grand-chose. D’ordinaire, ça m’était égal aussi, mais j’étais vraiment épuisé.
— Edward m’a expliqué ce qui est arrivé à la meute. Je suis navrée.
— T’occupe. Ce n’était sans doute qu’une histoire de temps. Tôt ou tard, j’aurais refusé d’exécuter un ordre de Sam.
Pieux mensonge.
— Il y a Seth.
— Il est ravi d’aider.
— Je déteste te causer des ennuis.
Je m’esclaffai – plus un aboiement qu’un rire, d’ailleurs. Elle émit un faible soupir.
— Mais rien de neuf sous le soleil, hein ?
— Non, en effet.
— Tu n’es pas obligé d’assister à ce qui va suivre.
Je pouvais partir, oui. C’était sans doute une bonne idée, même. Mais, vu son apparence, je risquais de rater les quinze dernières minutes de son existence.
— Je n’ai pas vraiment d’autre endroit où aller, répondis-je en m’efforçant de parler sans laisser cours à mon émotion. Ce truc de loup est bien moins intéressant depuis que Leah s’est jointe à nous.
— Leah ? haleta-t-elle.
— Tu ne l’as pas avertie ? reprochai-je à Edward.
Il se borna à hausser les épaules sans quitter des yeux le visage de Bella. Pour lui, le ralliement de Leah n’était pas une nouvelle excitante qui méritait qu’on la partage, alors que des événements autrement plus importants se déroulaient ici. Bella ne prit pas les choses aussi à la légère.
— Pourquoi ? souffla-t-elle.
Inutile de lui servir la version longue.
— Pour veiller sur Seth.
— Mais elle nous déteste.
Nous. Super ! Sa peur ne m’échappa pas, toutefois.
— Leah n’embêtera personne. (Sauf moi.) Elle est membre de ma meute (je grimaçai), donc elle obéit à mes ordres. (Pff !) Écoute, ajoutai-je, car elle n’avait pas l’air convaincu, tu crains Leah alors que tu fraternises avec la psychopathe blonde ?
Un sifflement nous parvint du premier étage. Elle m’avait entendu. Tant mieux ! Bella plissa le front.
— Ne dis pas ça. Rose… comprend.
— Ben tiens ! Elle pige surtout que tu vas mourir, et elle s’en moque, du moment qu’elle met la main sur le petit mutant.
— Arrête de te comporter comme un imbécile, Jake, souffla-t-elle.
Elle était trop faible pour que je me mette en colère contre elle. À la place, je risquai une plaisanterie.
— Tu as l’air de croire que c’est possible.
Pendant une seconde, Bella essaya de ne pas sourire, mais elle craqua, et les coins de ses lèvres crayeuses se retroussèrent.
À cet instant, Carlisle et la psychopathe de service revinrent. Carlisle tenait une tasse en plastique blanc, équipée d’un couvercle et d’une paille tordue. Oh ! Évite le transparent… d’accord ! Edward ne voulait pas que Bella pense plus que nécessaire à ce qu’elle allait boire. On ne voyait rien, dans cette tasse. L’odeur, en revanche…
Le médecin hésita, la tasse à demi tendue vers Bella. Cette dernière la regardait, effrayée.
— Nous pouvons tenter une autre méthode, proposa doucement Carlisle.
— Non. Je vais d’abord essayer ça. Le temps presse…
Je crus qu’elle avait enfin pris conscience de son état. Lorsque sa main voleta sur son ventre, je me rendis compte que je m’étais trompé. Elle s’empara de la tasse. Ses doigts tremblaient un peu, et je perçus un clapotis. Elle voulut s’appuyer sur son coude, mais elle avait à peine la force de soulever la tête. Une vague chaleur m’envahit quand je constatai à quel point elle s’était affaiblie en moins d’un jour. Rosalie passa un bras sous ses épaules et la soutint, comme on ferait avec un bébé. Vraiment branchée gamins, la Blondie !
— Merci, murmura Bella.
Ses yeux firent le tour de la pièce. Elle restait suffisamment consciente pour être gênée. Si elle n’avait pas été aussi frêle, elle aurait rougi.
— Ne t’occupe pas d’eux, souffla Rosalie.
Je me sentis gauche. J’aurais dû partir quand Bella me l’avait suggéré. Ma place n’était pas ici. Je n’avais aucun rôle à jouer dans ce drame. J’envisageai de m’esquiver, puis songeai que pareil geste risquait de rendre la situation encore pire pour Bella, de lui donner davantage de mal à accomplir ce qui devait l’être. Elle prendrait ma réaction pour du dégoût. Ce qui ne serait pas faux.
N’empêche. Si je refusais d’endosser la responsabilité de cette idée, je n’avais pour autant pas l’intention de la mettre en péril.
Elle approcha la tasse de sa bouche et renifla l’extrémité de la paille. Elle grimaça.
— Bella, ma chérie, il y a sans doute un moyen plus facile, dit Edward en voulant la lui reprendre.
— Pince-toi le nez, suggéra Rosalie.
Elle toisa son frère, l’air de vouloir lui mordre la main. J’aurais bien aimé qu’elle cède à son impulsion. Je parie qu’Edward n’aurait pas encaissé sans réagir, et j’aurais adoré voir Blondie être amputée d’un membre.
— Non, ce n’est pas ça, protesta Bella en respirant un bon coup. Ça sent bon.
Cet aveu fut émis d’une toute petite voix penaude. Je déglutis pour cacher mon écœurement.
— Tant mieux, l’encouragea Rosalie. C’est que nous sommes sur la bonne voie. Allez, essaye.
Vu l’expression ravie qu’arborait Blondie, je fus surpris qu’elle ne se mette pas à danser sur place.
Bella se fourra la paille dans la bouche, ferma fort les yeux et fronça le nez. Le sang clapota une nouvelle fois, sous l’effet des tremblements de sa main. Elle sirota une seconde, puis gémit, les paupières toujours closes. Edward et moi avançâmes en même temps. Il effleura sa joue, je croisai mes doigts dans mon dos.
— Bella, mon amour…
— Tout va bien.
Elle ouvrit les yeux et le regarda. Elle semblait… s’excuser. Supplier. Avoir peur.
— C’est bon.
La bile s’agita au fond de mon estomac, menaçant de déborder. Je serrai les dents.
— Formidable, assura Blondie, aux anges. Encore un bon signe.
Edward se contenta d’enrouler ses doigts autour des pommettes fragiles de Bella. En soupirant, elle recommença. Cette fois, elle aspira fort et longtemps. Le geste était plus déterminé, comme si une sorte d’instinct se réveillait.
— Tu tiens le coup ? s’enquit Carlisle. Tu ne te sens pas nauséeuse ?
— Non. Je vais bien. Une vraie première, hein ?
— Excellent ! s’enthousiasma Rosalie.
— Ne nous précipitons pas, Rose, la calma son père.
Bella avala une nouvelle gorgée de sang.
— Est-ce que cela va bousiller mon dossier ? lança Bella à Edward. Ou les points ne seront-ils comptabilisés qu’une fois que je serai vampire ?
Il lui adressa un sourire sans joie.
— Ça ne compte pas, chérie. Et puis, personne n’est mort pour ça. Ton dossier est encore vierge.
J’étais paumé.
— Je t’expliquerai plus tard, me dit Edward, si bas que ses mots ne furent qu’un souffle.
— Quoi ? demanda Bella.
— Rien, je me parlais à moi-même, mentit-il sans effort.
S’ils réussissaient, et si Bella survivait, il ne s’en tirerait pas aussi facilement quand les sens de sa femme seraient aussi aiguisés que les siens. Il allait devoir travailler sa franchise. Les lèvres d’Edward frémirent, luttant contre l’amusement que provoquait ma r
éflexion.
Bella but encore, le regard fixé sur la fenêtre, au-delà de nous. Elle imaginait sûrement que nous n’étions pas là. Ou alors, juste moi. J’étais le seul du groupe à être dégoûté par ce qu’elle faisait. Eux, en revanche, devaient avoir du mal à se retenir de lui arracher la tasse. Edward leva les yeux au ciel.
Nom d’une pipe ! Comment supportaient-ils de vivre sous le même toit que lui ? Dommage qu’il soit incapable de lire l’esprit de Bella. Celle-ci en serait tellement agacée qu’elle se lasserait de lui et le quitterait.
Il gloussa. Aussitôt, Bella se tourna vers lui, et la bonne humeur qu’elle vit sur ses traits lui tira un petit sourire. Apparemment, c’était plutôt rare chez lui, ces derniers temps.
— J’ai loupé quelque chose de drôle ? lança-t-elle.
— Jacob, répondit-il.
— Jake est un vrai boute-en-train, reconnut-elle en m’adressant à mon tour un sourire las.
Super ! Voilà que j’étais le fou du roi, maintenant. J’émis un son qui se voulait une imitation – plutôt mauvaise – d’un roulement de tambour. Sans cesser de sourire, Bella avala une gorgée de sang. Quand la paille fut vide et qu’un bruit de succion résonna, je frémis.
— J’y suis arrivée ! dit-elle, contente d’elle, d’une voix certes encore rauque, mais plus audible. Si je parviens à ne pas vomir, Carlisle, accepterez-vous de retirer toutes ces aiguilles de mon corps ?
— Dès que possible, promit-il. D’ailleurs, elles ne servent pas à grand-chose.
Rosalie tapota le front de Bella, et toutes deux échangèrent un regard plein d’espérance. Il était évident que le sang humain avait eu des effets immédiats. Bella reprenait des couleurs, ses joues cireuses se teintaient d’un soupçon de rose. Elle paraissait ne plus avoir besoin que Blondie la soutienne, elle respirait mieux, et j’aurais juré que son cœur battait avec plus de régularité.
Tout s’accélérait.
L’espoir fantomatique qui avait traversé les prunelles d’Edward était revenu, réel cette fois.
— En veux-tu encore ? demanda Rosalie.
Les épaules de Bella s’affaissèrent. Edward fusilla sa sœur des yeux.
— Tu n’es pas forcée d’en boire plus maintenant.
— Je sais… mais j’en ai envie, avoua-t-elle, maussade.
— Tu n’as pas à être gênée, lui dit Rosalie en peignant ses cheveux ternes avec ses doigts. Ton corps a des besoins. C’est une chose que nous comprenons tous. Enfin, précisa-t-elle sur un ton soudain plus dur, qui ne comprendrait pas n’aurait rien à faire ici.
Cette phrase m’était évidemment destinée. Sauf que je n’allais pas me laisser démonter par la psychopathe. J’étais soulagé que l’état de Bella se soit amélioré. Quelle importance si la méthode me répugnait ? Et puis, je ne m’étais permis aucun commentaire.
— Je reviens tout de suite, annonça Carlisle en prenant la tasse des mains de Bella.
Cette dernière me contempla.
— Tu as mauvaise mine, Jake, me lança-t-elle.
— C’est l’hôpital qui se moque de la charité.
— Sérieux. Quand as-tu dormi pour la dernière fois ?
— Euh… je ne me souviens pas.
— Ah, Jake ! Voilà que je détruis ta santé aussi. Ne fais pas l’idiot.
Je me contins. Elle était autorisée à se tuer pour un monstre, mais je n’avais pas le droit de manquer quelques nuits de sommeil pour assister à cela ?
— Tâche de te reposer un peu, s’il te plaît, enchaîna-t-elle. Il y a des lits, à l’étage. N’hésite pas à en utiliser un.
L’expression de Rosalie me laissa clairement entendre qu’il valait mieux pour moi que je n’utilise pas un de ces fameux lits. Ce qui m’amena à me demander l’usage que la Belle au bois veillant pouvait en avoir. Souffrait-elle d’un sens de la propriété excessif ?
— Merci, Bella, mais je préfère dormir par terre. Loin de la puanteur.
— Ah oui !
Carlisle réapparut à cet instant, et elle s’empara de la tasse avec distraction, comme si elle pensait à autre chose. Et c’est avec une identique distraction qu’elle se mit à siroter.
Elle avait vraiment meilleure mine. Elle se redressa pour s’asseoir en prenant soin de ne pas arracher ses per fusions. Rosalie rôdait alentour, prête à la rattraper en cas d’accès de faiblesse. Cependant, c’était inutile. Respirant profondément entre deux gorgées, Bella ne tarda pas à vider sa deuxième tasse.
— Comment te sens-tu, maintenant ? s’enquit Carlisle.
— Pas nauséeuse. Plutôt affamée, même… sauf que j’ignore si c’est de la faim ou de la soif.
— Regarde-la, Carlisle, murmura Rosalie avec un contentement de soi qui lui donnait des airs du chat qui vient de manger le canari. Il est évident que c’est ce que réclamait son corps. Elle devrait en boire encore.
— Elle reste humaine, objecta son père. Il faut aussi qu’elle s’alimente. Attendons de voir les effets, puis essayons un peu de nourriture. As-tu envie de quelque chose en particulier, Bella ?
— Des œufs, répondit-elle aussitôt.
Ses yeux croisèrent ceux d’Edward, et ils se sourirent. Celui d’Edward était un tantinet forcé, mais ses traits étaient plus animés qu’avant. Je clignai des paupières, oubliai presque de les garder ouvertes.
— Jacob, murmura Edward. Tu devrais te coucher, vraiment. Comme te l’a dit Bella, tu es le bienvenu ici, même si tu serais sûrement plus à l’aise dehors. Ne t’inquiète pas, je te promets que je te trouverai s’il se passe quelque chose.
— D’accord, d’accord.
À présent que Bella semblait avoir quelques heures de répit, je pouvais m’échapper. Me rouler en boule sous un arbre, assez loin de l’odeur. Le buveur de sang me réveillerait en cas de besoin. Il me devait bien ça.
— Oui, acquiesça-t-il.
Hochant la tête, je mis ma main sur celles de Bella. Elles étaient glacées.
— Porte-toi bien.
— Merci, Jacob.
Elle serra mes doigts, et je sentis le fin anneau de son alliance, qui était devenu trop large.
— Prends une couverture, un pull, marmonnai-je en me dirigeant vers la porte.
Je n’y étais pas encore quand deux hurlements retentirent. L’urgence de l’appel ne prêtait à aucune confusion, cette fois.
— Bon Dieu ! grognai-je.
Je me ruai dehors en laissant le feu me transformer en plein vol. Mon short se déchira bruyamment. Flûte ! Je n’avais pas d’autres vêtements. Mais bon, ce n’était pas grave, pour l’instant. Atterrissant sur mes pattes, je déguerpis vers l’ouest.
Qu’y a-t-il ? criai-je mentalement.
Des intrus, me renseigna Seth. Trois au moins.
En groupe ou séparément ?
Je vais rejoindre Seth à la vitesse de l’éclair, annonça Leah.
Je perçus l’air qui s’engouffrait dans ses poumons tandis qu’elle se propulsait avec une vélocité incroyable dans la forêt.
Je ne vois rien pour l’instant, précisa-t-elle.
Ne les provoque pas, Seth. Attends-moi.
Ils ralentissent. Pff ! C’est pénible de ne pas capter leurs pensées. Je crois…
Quoi ?
Ils se sont arrêtés.
Pour que le reste de la meute les rattrape ?
Chut ! Tu sens ça ?
Je me plongeai dans ses impressions. Un frémissement silencieux et ténu de l’atmosphère.
Une transformation ?
On dirait bien.
Leah déboula dans la petite clairière où Seth se tenait. Elle planta ses griffes dans la terre, dérapant comme une voiture de course.
Me voici, frangin.
Ils approchent, dit Seth avec nervosité. Lentement. Ils marchent, ils ne courent plus.
J’y suis presque.
Je m’efforçai de voler comme Leah. Il était horrible d’être séparé des Clearwater quand ces derniers se trouvaient plus proches du danger que moi. J’aurais dû être avec
eux, entre eux et ce qui se profilait.
Tiens, tiens, tiens, marmonna Leah. On devient paternaliste.
Concentre-toi, la morigénai-je.
Ils sont quatre, intervint Seth, qui avait décidément de bonnes oreilles. Trois loups et un homme.
Je les rejoignis et me postai immédiatement à leur tête. Seth poussa un soupir de soulagement et carra les épaules quand il se plaça sur ma droite. Leah s’installa à ma gauche, un peu réticente.
Me voici donc à un rang plus bas que Seth, grommela-t-elle.
Le premier arrivé est le premier servi, riposta-t-il, tout content. Et puis, c’est la première fois que tu es troisième dans la hiérarchie. C’est quand même une promotion.
Derrière mon bébé de frangin ? Tu parles d’une promotion !
Chut ! ordonnai-je. Je me fiche de votre rang. Fermez-la et préparez-vous.
Les intrus surgirent quelques secondes plus tard. Jared ouvrait la marche, sous sa forme humaine, les mains levées. Paul, Quil et Collin le suivaient sur leurs pattes de loup. Aucune agressivité dans leur attitude. Ils restaient sagement derrière leur guide, les oreilles bien droites, alertes mais calmes.
Je jugeai étrange que Sam ait choisi Collin plutôt qu’Embry. Aurais-je dû envoyer une ambassade en territoire ennemi, je n’aurais pas préféré un môme sans expérience à un guerrier accompli.
Une diversion ? s’interrogea Leah.
Sam, Embry et Brady étaient-ils en train d’avancer de leur côté ? Peu probable, à mon avis.
Tu veux que je vérifie ? Je peux parcourir le périmètre en deux minutes.
Faut-il prévenir les Cullen ? proposa Seth.
Et si le but était de nous séparer, justement ? répondis-je. Les Cullen savent que quelque chose se prépare. Ils sont prêts.
Sam ne serait pas assez bête pour…, chuchota Leah.
Elle avait peur. Elle imaginait Sam attaquant les vampires avec seulement deux combattants.
Non, la rassurai-je, même si, moi aussi, je n’osais envisager le pire.
Pendant ce temps, Jared et les trois loups nous contemplaient patiemment. Il était bizarre de ne pas entendre les échanges entre Quil, Paul et Collin. Leurs expressions étaient vides, indéchiffrables. Jared se racla la gorge et hocha la tête dans ma direction.
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