RÉVÉLATION

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RÉVÉLATION Page 52

by Stephenie Meyer


  Absorbée par mes pensées, je ne remarquai pas l’échange silencieux qu’eurent Edward et Eleazar, jusqu’à ce qu’il se transforme en conversation orale.

  — As-tu une seule exception en tête ? demanda Edward.

  Revenant à la situation présente, je constatai que tout le monde contemplait les deux hommes, penchés l’un vers l’autre. Edward arborait une expression soupçonneuse, tandis qu’Eleazar suintait le mécontentement et la répugnance. Le brusque changement d’atmosphère me surprit.

  — Je refuse d’y croire, grogna le vampire brun. Si tu as raison…

  — C’est ton idée, pas la mienne, l’interrompit Edward.

  — D’accord. Si j’ai raison… je n’arrive même pas à en appréhender les répercussions. Cela changerait complètement le monde que nous avons créé. Et le sens de ma vie, ce à quoi j’ai participé.

  — Tu as toujours été guidé par les meilleures intentions qui soient.

  — Quelle importance ? Combien d’existences aurai-je…

  Tanya posa une main réconfortante sur l’épaule de son ami.

  — Qu’avons-nous loupé ? demanda-t-elle. Je tiens à savoir, Eleazar. Tu ne t’es jamais rendu coupable de quoi que ce soit qui mérite que tu te fustiges ainsi.

  — C’est toi qui le dis, maugréa l’intéressé.

  Se dégageant, il recommença à arpenter la pièce, encore plus nerveusement que tout à l’heure. Tanya l’observa un instant avant de se tourner vers Edward.

  — Explique-nous.

  Il hocha la tête, sans cesser d’observer l’autre homme.

  — Eleazar essayait de comprendre pourquoi les Volturi s’apprêtent à débarquer au grand complet pour nous punir. Ils ne procèdent pas comme ça, normalement. Certes, nous sommes le clan le plus important en nombre. Pour autant, dans le passé, d’autres familles ont noué des alliances pour se protéger, et ils ne les ont jamais considérées comme un défi méritant de mobiliser l’ensemble de leurs troupes. Par ailleurs, des liens très forts nous unissent, ce qui n’est pas la norme chez les vampires. Mais cela ne suffit pas à expliquer leur décision. Alors, Eleazar s’est souvenu d’autres expéditions punitives, et il lui est revenu à l’esprit un élément particulier, qu’aucun autre soldat n’aura remarqué, puisqu’il était le seul à transmettre certains renseignements vitaux à Aro. Un élément qui ne se reproduit qu’une fois par siècle environ.

  — Lequel ? s’enquit Carmen.

  — Aro se déplace rarement en personne pour rendre justice. L’histoire a montré que, quand il s’intéressait à quelque chose de précis, tel ou tel clan ne tardait pas à être accusé d’un crime impardonnable, preuves à l’appui. Les anciens décidaient alors d’accompagner la garde afin d’assister au châtiment. Une fois la tribu détruite, Aro pardonnait à l’un de ses membres, sous prétexte qu’il s’était montré plus repentant que les autres. Il se trouvait que le vampire en question était toujours doué d’un talent admiré par Aro et qu’il était intégré dans les troupes des Volturi. Le miraculé était reconnaissant pour l’éternité d’un tel honneur. Ce schéma n’a connu aucune exception.

  — Il est sûrement vertigineux d’être élu, suggéra Kate.

  — Ha ! ricana Eleazar.

  — Il existe un soldat qui s’appelle Chelsea, reprit Edward. Elle est en mesure d’influer sur les liens affectifs que tissent les gens. Soit elle les défait, soit elle les renforce. Elle peut amener une personne à se sentir particulièrement connectée aux Volturi, à vouloir leur appartenir, à souhaiter leur plaire…

  — Nous savions tous combien Chelsea était importante, le coupa Eleazar en s’arrêtant net. En cas de conflit, si nous réussissions à séparer les familles alliées, nous les vainquions plus facilement. En éloignant les innocents des coupables, nous permettions à la justice de s’exercer sans brutalité inutile. Les coupables étaient condamnés, les innocents épargnés. Sans Chelsea, nous n’aurions pu empêcher un clan de se battre comme un seul homme. Je considérais cela comme un beau geste, de la bonté, la preuve de la mansuétude d’Aro. Je soupçonnais aussi que Chelsea renforçait artificiellement les liens au sein de nos propres rangs, mais cela aussi était positif, car notre efficacité n’en était que plus réelle, notre cohabitation facilitée.

  Voilà qui clarifiait certains de mes souvenirs. Auparavant, je n’avais pas bien saisi pourquoi les gardes obéissaient à leurs maîtres au doigt et à l’œil, avec dévotion, presque.

  — Son pouvoir est-il très fort ? demanda Tanya d’une voix anxieuse en regardant brièvement chacun des membres de sa famille.

  — Je n’ai eu aucun mal à quitter les Volturi et à partir avec Carmen, répondit Eleazar en haussant les épaules. Mais, en théorie, toute relation plus faible que celle d’un couple est menacée. Dans un clan normal, du moins. Pour ce qui nous concerne, cette règle ne s’applique pas forcément : en nous abstenant de boire du sang humain, nous devenons plus civilisés. Nous tissons des rapports basés sur l’amour et l’affection. Je doute que Chelsea réussirait à les briser.

  Tanya hocha la tête, visiblement rassurée, cependant que son ami poursuivait son analyse.

  — Je ne vois qu’une raison ayant pu pousser Aro à venir ici en personne et avec autant de monde. Son but n’est pas de punir, mais d’acquérir. Il doit être présent afin de contrôler la situation. Mais il a aussi besoin de toutes ses troupes pour se protéger d’une famille aussi puissante et talentueuse que les Cullen. Comme il ne peut courir le risque de laisser les anciens seuls et sans défense à Volterra, quelqu’un pouvant en profiter, ils viendront tous. Je pense que sa motivation première est la convoitise.

  — D’après ce que j’ai lu de ses pensées l’an dernier, intervint Edward, Aro désire par-dessus tout mettre la main sur Alice.

  Je sentis ma mâchoire se décrocher, me rappelant les images cauchemardesques que j’avais imaginées longtemps auparavant : Edward et Alice en capes noires, les prunelles écarlates, les visages froids et figés, telles des ombres. Les mains d’Aro sur les leurs… Était-ce cette vision qu’Alice avait eue, le soir de sa disparition ? Avait-elle vu Chelsea annihilant l’amour qu’elle éprouvait pour nous afin de la lier à Aro, Caïus et Marcus ?

  — Est-ce pour cela qu’Alice est partie ? soufflai-je.

  — Je crois, oui, admit Edward. Elle ne veut pas qu’Aro s’empare de son pouvoir.

  Tanya et Kate se mirent à discuter à voix basse. Elles n’étaient pas au courant de la défection d’Alice, ce qui les perturbait.

  — Il te convoite également, murmurai-je à l’adresse d’Edward.

  — Dans une moindre mesure, tempéra-t-il. Je ne peux guère lui offrir plus qu’il n’a déjà. Par ailleurs, il faudrait qu’il trouve un moyen de me forcer à lui obéir. Or, il me connaît et sait que c’est improbable.

  — Il connaît également tes faiblesses, objecta Eleazar en me désignant.

  — Inutile d’aborder ce sujet maintenant, s’empressa d’éluder Edward.

  — Il désire aussi s’approprier ta compagne, insista cependant le brun. Qu’elle lui ait résisté alors qu’elle était encore humaine n’aura pas manqué de l’intriguer.

  L’intérêt de l’ancien pour moi me mettait aussi mal à l’aise qu’Edward. Si Aro exigeait quelque chose de moi, n’importe quoi, il lui suffirait de menacer mon mari pour que j’obtempère. Et vice versa. La mort était-elle préférable à la capture, finalement ?

  — À mon avis, reprit Edward en passant à autre chose, les Volturi guettaient cet instant depuis longtemps. Ils cherchaient un prétexte. Ils ne pouvaient deviner quelle forme il prendrait, mais le plan était déjà en place quand Irina est allée les trouver. Voilà pourquoi Alice a vu leur décision avant même l’arrivée d’Irina en Italie. Ils n’attendaient que cette occasion.

  — Si les Volturi commencent à abuser de la confiance qu’ont placée en eux tous les immortels…, soupira Carmen.

  — Quelle importance ? répliqua son compagnon. Qui croira cela ? Et, quand bien même nous réussirions à con
vaincre les gardes qu’on exploite leurs dons sans vergogne, quelle différence cela fera-t-il ? Les Volturi sont imbattables.

  — Même si certains parmi nous sont assez fous pour s’en prendre à eux, marmonna Kate.

  — Vous n’êtes ici que comme témoins, Kate, protesta Edward. Quelles que soient les motivations d’Aro, je ne pense pas qu’il soit prêt à ternir la réputation des Volturi pour les satisfaire. Si nous parvenons à contrer ses arguments, il sera obligé de nous laisser tranquilles.

  — Ben tiens ! ricana Tanya.

  Personne n’avait l’air très convaincu. Soudain, dans le silence qui s’était installé, je perçus des bruits de pneus sur le sentier.

  — Flûte, Charlie ! râlai-je. Vous devriez peut-être vous réfugier à l’étage pendant que je…

  — Non, m’interrompit Edward d’une voix distante, les yeux fixés sur la porte. Ce n’est pas ton père. Alice nous envoie Peter et Charlotte. Préparons-nous pour le deuxième round.

  32

  RENFORTS

  L’énorme maison des Cullen était remplie de plus d’invités qu’elle ne pouvait en accueillir confortablement. Heureusement, aucun d’eux ne dormait. Les repas étaient hasardeux, en revanche. Nos invités coopérèrent de leur mieux, évitant Forks et La Push pour ne chasser qu’en dehors de l’État. Edward se montra un hôte charmant, prêtant sans sourciller ses voitures quand besoin était. Ce compromis me mettait très mal à l’aise, même si je me répétais qu’ils chassaient tous quelque part dans le monde, quand ils n’étaient pas chez nous.

  Jacob le prit plus mal. L’existence des loups-garous se justifiait par leur mission : empêcher la mort d’êtres humains. Or, des meurtres endémiques se produisaient juste au-delà du territoire de la meute. Toutefois, vu les circonstances, vu le péril qui menaçait Renesmée, il ferma son bec et fusilla du regard le plancher plutôt que les vampires.

  La tolérance de nos invités envers lui m’étonna. Les problèmes qu’avait redoutés Edward ne se manifestèrent pas. À leurs yeux, Jacob était plus ou moins invisible, ni franchement une personne, ni véritablement un en-cas. Ils se comportaient envers lui comme les gens qui n’aiment pas les bêtes traitent les animaux de compagnie de leurs amis. Leah, Seth, Quil et Embry furent chargés de patrouiller avec Sam. Jacob se serait volontiers joint à eux, d’ailleurs, si ce n’est qu’il était inséparable de Renesmée. Laquelle était occupée à fasciner l’étrange ramassis des connaissances de Carlisle.

  Nous rejouâmes la scène de la présentation de notre fille au clan de Denali une demi-douzaine de fois environ. Au bénéfice de Peter et Charlotte d’abord, qu’Alice et Jasper nous avaient expédiés sans leur fournir plus d’explications. Comme tous ceux qui connaissaient Alice, ils avaient accueilli ses ordres succincts sans barguigner. Elle ne leur avait rien confié non plus de l’endroit où elle et Jasper se rendaient. Elle avait encore moins promis qu’ils se reverraient un jour. Ni Peter ni Charlotte n’avaient jamais vu d’enfant immortel. Bien qu’ils fussent au courant de la loi, leur réaction négative n’atteignit pas l’ampleur de celle des vampires de Denali. La curiosité les poussa à autoriser Renesmée à « s’expliquer », cela suffit. Ils étaient à présent aussi désireux de témoigner que la famille de Tanya.

  Carlisle avait envoyé des amis d’Irlande et d’Égypte. Les Irlandais arrivèrent les premiers et se montrèrent d’une facilité déconcertante à convaincre. Siobhan, une femme à la présence impressionnante dont le corps imposant était tout autant magnifique qu’hypnotisant quand il bougeait en ondulant sans heurts, en était le chef, même si elle et son compagnon au visage inquisiteur, Liam, avaient pris l’habitude de se fier au jugement du plus récent membre de leur clan. La petite Maggie, avec ses boucles rousses et souples, était physiquement moins frappante que ces deux-là. Elle possédait le don de deviner quand on lui mentait, cependant, et ses verdicts n’étaient jamais discutés. Elle décréta qu’Edward disait la vérité, et Siobhan et Liam acceptèrent notre histoire avant même de toucher Renesmée.

  Amun et les autres vampires égyptiens nous posèrent bien plus de difficultés. Les deux jeunes membres de leur tribu, Benjamin et Tia, eurent beau accepter la version montrée par notre fille, Amun refusa de s’approcher d’elle et exigea de partir. Benjamin – un vampire d’un naturel étonnamment joyeux, qui semblait à peine plus âgé qu’un adolescent et paraissait doté d’une absolue confiance en lui qui n’avait d’égal que son absolue insouciance – le convainquit de rester en quelques paroles subtiles évoquant la fin de leur alliance. Si Amun fut contraint de céder, il s’entêta dans son refus de toucher Renesmée et interdit à sa compagne, Kebi, de le faire. Ces Égyptiens formaient un groupe disparate, même si tous se ressemblaient ; avec leurs cheveux d’un noir de jais et leur peau à la matité pâle, ils auraient aisément pu passer pour une famille biologique. Amun, le plus âgé, était leur chef non officiel. Kebi le suivait comme son ombre, et je ne l’entendis jamais prononcer un seul mot. Tia, la maîtresse de Benjamin, était une femme taciturne elle aussi ; quand elle s’exprimait, c’était toujours avec perspicacité et sérieux. Tous trois semblaient néanmoins graviter autour de Benjamin, comme si ce dernier avait été doté d’un magnétisme invisible, sans lequel les autres auraient perdu l’équilibre. Remarquant qu’Eleazar observait le garçon avec des yeux écarquillés, j’en déduisis qu’il était doué d’un talent qui attirait ses compagnons à lui.

  — Ce n’est pas ça, m’apprit Edward quand nous nous retrouvâmes seuls, cette nuit-là. Son don est tellement singulier qu’Amun est terrifié à l’idée de le perdre. De la même façon que nous escomptions cacher l’existence de Renesmée à Aro, Amun s’arrange pour détourner l’attention des Volturi de Benjamin. C’est lui qui l’a créé, sachant qu’il serait spécial.

  — De quoi est-il capable ?

  — D’une chose qu’Eleazar n’a encore jamais vue, et dont je n’ai jamais entendu parler. Même ton bouclier serait impuissant contre Benjamin. (Il me gratifia de son sourire en biais.) Il peut influencer les éléments – la terre, le vent, l’eau et le feu. Il s’agit bien de manipulations physiques, pas d’illusions mentales. Il en est encore au stade des expérimentations, et Amun aimerait bien le transformer en arme. Mais tu as noté à quel point Benjamin est indépendant. Il ne se laissera pas manipuler.

  — Tu l’aimes bien, devinai-je au ton de sa voix.

  — Il a un sens très développé du bien et du mal. Cette attitude me plaît.

  L’hostilité d’Amun ne faiblit pas, et Kebi et lui restèrent à l’écart des autres, alors que Benjamin et Tia ne tardèrent pas à se lier d’amitié avec ceux de Denali et les Irlandais. Nous espérions que le retour de Carlisle apaiserait les tensions avec le vieil Égyptien.

  Emmett et Rose nous envoyèrent des individus indépendants – tous les nomades qu’ils avaient pu dénicher. Garrett surgit le premier. C’était un grand vampire élancé aux avides prunelles rubis et aux longs cheveux blonds qu’il nouait dans le dos à l’aide d’un cordon de cuir. Sa nature d’aventurier nous apparut immédiatement. Lui aurions-nous lancé n’importe quel défi qu’il l’aurait relevé, ne serait-ce que pour se mettre à l’épreuve. Il s’entendit très vite avec les sœurs de Denali, ne cessant de les interroger sur leur mode de vie inhabituel. J’eus l’impression qu’il était prêt à s’essayer au régime « végétarien », rien que pour voir s’il était capable de s’y tenir.

  Suivirent Mary et Randall. Ils se connaissaient déjà, avaient sympathisé, bien qu’ils ne voyagent pas ensemble. Comme les autres, ils écoutèrent Renesmée et promirent de témoigner. À l’instar de Tanya et de Kate, ils réfléchirent aux moyens dont ils disposaient, au cas où les Volturi refuseraient de se ranger à nos arguments. Les trois nomades envisageaient également de rester avec nous, par la suite.

  Il va de soi que Jacob devint de plus en plus revêche à chaque nouvelle arrivée. Il gardait ses distances dans la mesure du possible ; sinon, il marmonnait à Renesmée que quelqu’un allait devoir lui fournir un index si l’on vo
ulait qu’il mémorise correctement les noms impossibles de tous ces buveurs de sang.

  Carlisle et Esmé revinrent une semaine après leur départ, Emmett et Rosalie quelques jours plus tard. Nous nous sentîmes tous mieux de leur retour. Carlisle était accompagné d’un ami supplémentaire, même si « ami » n’était pas forcément le bon terme. En effet, Alistair était un vampire anglais misanthrope qui considérait Carlisle comme sa connaissance la plus proche, bien qu’il ne tolérât pas qu’on lui rendît visite plus d’une fois l’an. Il chérissait sa solitude, et Carlisle avait eu bien du mal à le décider d’entreprendre le voyage. Comme il fuyait toute compagnie, il n’eut guère d’admirateurs parmi les différents clans rassemblés à la villa.

  Ce lugubre vampire aux cheveux bruns accepta sans discuter ce que lui raconta Carlisle des origines de Renesmée et, comme Amun, refusa de la toucher. Edward nous apprit, à Carlisle, Esmé et moi, qu’Alistair avait peur d’être ici, et qu’il était encore plus effrayé de ce qu’il ressortirait du conflit. Il se méfiait de toute forme d’autorité et n’avait jamais apprécié les Volturi. Ce qui était en train de se produire confirmait toutes ses craintes.

  — Bien sûr, maintenant ils sauront que j’ai mis les pieds ici, l’entendîmes-nous grommeler dans le grenier (son lieu de prédilection pour abriter ses bouderies). Impossible de cacher ça à Aro. Ça promet des siècles de traque. Tous ceux à qui Carlisle aura adressé la parole ces dix dernières années seront sur leur liste. Je n’arrive pas à croire que je me suis fourré dans ce pétrin. Quelle jolie façon de traiter ses amis !

 

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