by Paul Valéry
Côte à côte, le long des chemins,
Nous nous sommes tenus par les mains
Sans dire … parmi les fleurs obscures ;
Nous marchions comme des fiancés
Seuls, dans la nuit verte des prairies ;
Nous partagions ce fruit de féeries
La lune amicale aux insensés
Et puis, nous sommes morts sur la mousse,
Très loin, tout seuls parmi l’ombre douce
De ce bois intime et murmurant ;
Et là-haut, dans la lumière immense,
Nous nous sommes trouvés en pleurant
Ô mon cher compagnon de silence!
THE FRIENDLY WOOD
Our thoughts were of the purest things,
Side by side, along the paths,
We wandered hand in hand, without
A word … by flowers lost in shadow;
We walked apart, as if betrothed,
Alone, through the green night of the fields;
We shared this fruit of fantasy,
The moon, dear comfort to the mad.
And lying on the moss we died,
Alone, and far, among the close
Soft shadows of this murmuring wood;
And then on high, in the vast light,
We found each other bathed in tears,
My friend in silence, my dear friend!
LES VAINES DANSEUSES
Celles qui sont des fleurs légères sont venues,
Figurines d’or et beautés toutes menues
Où s’irise une faible lune … Les voici
Mélodieuses fuir dans le bois éclairci.
De mauves et d’iris et de nocturnes roses
Sont les grâces de nuit sous leurs danses écloses.
Que de parfums voilés dispensent leurs doigts d’or!
Mais l’azur doux s’effeuille en ce bocage mort
Et de l’eau mince luit à peine, reposée
Comme un pâle trésor d’une antique rosée
D’où le silence en fleur monte … Encor les voici
Mélodieuses fuir dans le bois éclairci.
Aux calices aimés leurs mains sont gracieuses ;
Un peu de lune dort sur leurs lèvres pieuses
Et leurs bras merveilleux aux gestes endormis
Aiment à dénouer sous les myrtes amis
Leurs liens fauves et leurs caresses … Mais certaines,
Moins captives du rythme et des harpes lointaines,
S’en vont d’un pas subtil au lac enseveli
Boire des lys l’eau frêle où dort le pur oubli.
THE VAIN DANCERS
Here they are, the floating flowers have come,
Those golden figurines and slender beauties
Who catch the iridescence of the moon,
Fleeing melodious to the moonlit woods.
The graces of the night, wood-mallows, roses
And irises, unfurl beneath their dance.
What veiled perfumes their golden fingers strew!
But the azure fades and falls in this dead grove,
The barest trace of water gleams, at rest
Like the pale vestige of an ancient dew
Where silence blooms … And here they are again
Fleeing melodious to the moonlit woods.
Their hands are gracious to the brimming flowers;
A bit of moonlight strikes their pious lips,
Their arms, untamed and wonderful, unlace
With sleepy gestures, under the dear myrtles,
Their knots and their caresses … But a few,
Less captive to the sway of distant harps,
Slip softly away to find the sunken lake
And drink the lily water of pure forgetting.
UN FEU DISTINCT …
Un feu distinct m’habite, et je vois froidement
La violente vie illuminée entière …
Je ne puis plus aimer seulement qu’en dormant
Ses actes gracieux mélangés de lumière.
Mes jours viennent la nuit me rendre des regards,
Après le premier temps de sommeil malheureux ;
Quand le malheur lui-même est dans le noir épars
Ils reviennent me vivre et me donner des yeux.
Que si leur joie éclate, un écho qui m’éveille
N’a rejeté qu’un mort sur ma rive de chair,
Et mon rire étranger suspend à mon oreille,
Comme à la vide conque un murmure de mer,
Le doute—sur le bord d’une extrême merveille,
Si je suis, si je fus, si je dors ou je veille?
A CLEAR FLAME …
A clear flame burns inside me, and reveals
In cold relief the whole of violent life …
Except in sleep, I can no longer love
Its gracious movements interleaved with light.
My days return at night with their regards,
After the first few hours of troubled sleep;
When in the dark my troubles are dispersed
They come to live me and to give me eyes.
So if they burst, the echo of their joy
Washes me dead upon my body’s shore,
A stranger’s laughter dangling at my ear
Like murmurs of the sea in an old shell,
Doubt—on the brink of greatest wonder, whether
I am or was, am sleeping or awake?
NARCISSE PARLE
NARCISSÆ PLACANDIS MANIBUS.
Ô frères! tristes lys, je languis de beauté
Pour m’être désiré dans votre nudité,
Et vers vous, Nymphe, Nymphe, ô Nymphe des fontaines,
Je viens au pur silence offrir mes larmes vaines.
Un grand calme m’écoute, où j’écoute l’espoir.
La voix des sources change et me parle du soir ;
J’entends l’herbe d’argent grandir dans l’ombre sainte,
Et la lune perfide élève son miroir
Jusque dans les secrets de la fontaine éteinte.
Et moi! De tout mon cœur dans ces roseaux jeté,
Je languis, ô saphir, par ma triste beauté!
Je ne sais plus aimer que l’eau magicienne
Où j’oubliai le rire et la rose ancienne.
Que je déplore ton éclat fatal et pur,
Si mollement de moi fontaine environnée,
Où puisèrent mes yeux dans un mortel azur
Mon image de fleurs humides couronnée!
Hélas! L’image est vaine et les pleurs éternels!
À travers les bois bleus et les bras fraternels,
Une tendre lueur d’heure ambiguë existe,
Et d’un reste du jour me forme un fiancé
Nu, sur la place pâle où m’attire l’eau triste …
Délicieux démon, désirable et glacé!
Voici dans l’eau ma chair de lune et de rosée,
Ô forme obéissante à mes yeux opposée!
Voici mes bras d’argent dont les gestes sont purs! …
Mes lentes mains dans l’or adorable se lassent
D’appeler ce captif que les feuilles enlacent,
Et je crie aux échos les noms des dieux obscurs! …
Adieu, reflet perdu sur l’onde calme et close,
Narcisse … ce nom même est un tendre parfum
Au cœur suave. Effeuille aux mânes du défunt
Sur ce vide tombeau la funérale rose.
Sois, ma lèvre, la rose effeuillant le baiser
Qui fasse un spectre cher lentement s’apaiser,
Car la nuit parle à demi-voix, proche et lointaine,
Aux calices pleins d’ombre et de sommeils légers.
Mais la lune s’amuse aux myrtes allongés.
Je t’adore, sous ces myrtes, ô l’incertaine
Chair pour la solitude éclose tristement
Qui se mire dans le miroir au bois dormant.
Je me délie en vain de ta présence douce,
L’heure m
enteuse est molle aux membres sur la mousse
Et d’un sombre délice enfle le vent profond.
Adieu, Narcisse … Meurs! Voici le crépuscule.
Au soupir de mon cœur mon apparence ondule,
La flûte, par l’azur enseveli module
Des regrets de troupeaux sonores qui s’en vont.
Mais sur le froid mortel où l’étoile s’allume,
Avant qu’un lent tombeau ne se forme de brume,
Tiens ce baiser qui brise un calme d’eau fatal!
L’espoir seul peut suffire à rompre ce cristal.
La ride me ravisse au souffle qui m’exile
Et que mon souffle anime une flûte gracile
Dont le joueur léger me serait indulgent! …
Évanouissez-vous, divinité troublée!
Et, toi, verse à la lune, humble flûte isolée,
Une diversité de nos larmes d’argent.
NARCISSUS SPEAKS
NARCISSÆ PLACANDIS MANIBUS.
I found my beauty in your nakedness,
And languish there, my brothers, O sad lilies,
And for you, Nymph, O Nymph of fountains, I bring
My futile tears, an offering to the silence.
A great calm listens to me, where I listen for hope.
The water’s voice has changed, it speaks of evening;
I hear the silver grass growing in the holy shade,
And the faithless moon illumines with her glass
Even the secrets of the silenced fountain.
And I, with all my heart cast in these reeds,
I languish, O sapphire, from my own sad beauty!
Now I can only love the changeling water
Where I forgot past roses and my laughter.
How I deplore your pure and fatal glance,
Fountain so softly compassed by myself
Where in your deadly azure my eyes sought
My own reflection wreathed with dripping flowers!
Alas, the image is vain, the tears eternal!
Across the blue-tinged woods, their friendly arms,
Persists a glow of the ambiguous hour
That forms me from the day’s remains a bridegroom,
Naked upon the pale sad water calling …
Exquisite demon, cold to my desire!
Here in the water is my flesh of moon and dew,
Obedient form opposed to my own eyes!
Here are my silver arms, their movements pure …
My slow hands tire of calling in the gold
This prisoner of the twining leaves … I cry
Out to the echoes the names of unknown gods …
Farewell, reflection lost on the calm water,
Narcissus … that very name, to the suave heart,
Is musk. For the departed soul, scatter
The mournful rose upon this empty grave.
Become, my lip, the scattered rose whose kiss
Little by little soothes a cherished shade,
For near and far, the night, in whispers, speaks
To flowers brimming with shadow and light sleep.
But the moonlight plays about the resting myrtles.
I love you, underneath these myrtles, O
Uncertain flesh that blooms for solitude,
Beheld in the mirror of these sleeping woods.
I free myself in vain from your sweet presence;
The lying hour beguiles me on the moss
And swells with a dark pleasure the deep wind.
Farewell, Narcissus … Die! Twilight has come.
My likeness wavers at that heartfelt sigh,
The flute in buried azure modulates
The sonorous regrets of passing herds.
Accept, before a tomb of haze obscures
The icy darkness where the first star shines,
This kiss that breaks the water’s fatal calm!
Only hope can break this crystal. May ripples
Whisk me away at the estranging breath,
And may my breath infuse a lilting flute
Whose deft musician will be kind to me …
Vanish, vanish, stirred-up divinity!
And to the moon, you lonely, simple flute,
Pour out profusions of our silver tears.
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Narcissæ placandis manibus: “To placate the shades of Narcissa,” from a tombstone in the Montpellier Botanical Garden reputed to be the grave of the daughter of the English poet Edward Young.
ÉPISODE
Un soir favorisé de colombes sublimes,
La pucelle doucement se peigne au soleil.
Aux nénuphars de l’onde elle donne un orteil
Ultime, et pour tiédir ses froides mains errantes
Parfois trempe au couchant leurs roses transparentes.
Tantôt, si d’une ondée innocente, sa peau
Frissonne, c’est le dire absurde d’un pipeau,
Flûte dont le coupable aux dents de pierrerie
Tire un futile vent d’ombre et de rêverie
Par l’occulte baiser qu’il risque sous les fleurs.
Mais presque indifférente aux feintes de ces pleurs,
Ni se divinisant par aucune parole
De rose, elle démêle une lourde auréole ;
Et tirant de sa nuque un plaisir qui la tord,
Ses poings délicieux pressent la touffe d’or
Dont la lumière coule entre ses doigts limpides!
… Une feuille meurt sur ses épaules humides,
Une goutte tombe de la flûte sur l’eau,
Et le pied pur s’épeure comme un bel oiseau
Ivre d’ombre …
EPISODE
One sunlit evening graced with blissful doves
The maiden lingers, combing out her hair.
She dips one toe among the water lilies,
And from time to time, to warm her wandering hands,
She basks their lucid roses in the late sun.
If all at once her body quivers, flushed
With innocence, it’s from a chattering reed
Whose guilty piper, flashing gemstone teeth,
Draws from his flute a wind of shade and dream,
The secret kiss he dares beneath the flowers.
But nearly indifferent to his crafty tears,
And not transcending with some word of rose
This world, she frees the halo of her hair;
Drawing a twist of pleasure from her neck,
She presses with lovely hands that tuft of gold
Whose light spills out between her limpid fingers!
… A falling leaf alights on her moist shoulders,
A droplet falls from the flute and strikes the water,
And her pure foot takes fright, a splendid bird
Drunk on shadow …
VUE
Si la plage penche, si
L’ombre sur l’œil s’use et pleure
Si l’azur est larme, ainsi
Au sel des dents pure affleure
La vierge fumée ou l’air
Que berce en soi puis expire
Vers l’eau debout d’une mer
Assoupie en son empire
Celle qui sans les ouïr
Si la lèvre au vent remue
Se joue à évanouir
Mille mots vains où se mue
Sous l’humide éclair de dents
Le très doux feu du dedans.
VIEW
If the beach lists, if
The shadow wears and cries on the eye
If the azure is tear, then
The salt of the teeth is brushed by the pure
Virgin smoke or the air
She cradles and then breathes out
To the waters standing on end
Of a sea in its empire dozing softly
She who without hearing
When my lip stirs in the breeze
Lightly makes vanish
A thousand empty words where behind
&nb
sp; The moist flash of the teeth flickers
The very soft flame within.
VALVINS
Si tu veux dénouer la forêt qui t’aère
Heureuse, tu te fonds aux feuilles, si tu es
Dans la fluide yole à jamais littéraire,
Traînant quelques soleils ardemment situés
Aux blancheurs de son flanc que la Seine caresse
Émue, ou pressentant l’après-midi chanté,
Selon que le grand bois trempe une longue tresse,
Et mélange ta voile au meilleur de l’été.
Mais toujours près de toi que le silence livre
Aux cris multipliés de tout le brut azur,
L’ombre de quelque page éparse d’aucun livre
Tremble, reflet de voile vagabonde sur
La poudreuse peau de la rivière verte
Parmi le long regard de la Seine entr’ouverte.
VALVINS
If you let down the breezy woods like hair,
You mingle with the leaves, if you are in
The dancing, ever-literary skiff
Which trails against the whiteness of its side
That the Seine caresses fondly, ardent suns,
Or feels the coming afternoon in song
To which the forest dips a flowing braid
And blends your swelling veil to Summer’s gifts.
But always near you, whom the silence offers
To all the raucous azure’s bristling cries,
The shadow from some book of some loose page
Flutters, reflection of a roving sail
Against the greeny water’s dusty skin
In the long gaze of the unfolding Seine.
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Valvins: a small town upriver from Paris, where Mallarmé had a small country house. some book: Mallarmé’s “Grand Œuvre.”
ÉTÉ
À FRANCIS VIÉLÉ-GRIFFIN
Été, roche d’air pur, et toi, ardente ruche,
Ô mer! Éparpillée en mille mouches sur
Les touffes d’une chair fraîche comme une cruche,
Et jusque dans la bouche où bourdonne l’azur ;
Et toi, maison brûlante, Espace, cher Espace
Tranquille, où l’arbre fume et perd quelques oiseaux,
Où crève infiniment la rumeur de la masse
De la mer, de la marche et des troupes des eaux,
Tonnes d’odeurs, grands ronds par les races heureuses