Book Read Free

The Idea of Perfection

Page 14

by Paul Valéry

Salut! encore endormies

  À vos sourires jumeaux,

  Similitudes amies

  Qui brillez parmi les mots!

  Au vacarme des abeilles

  Je vous aurai par corbeilles,

  Et sur l’échelon tremblant

  De mon échelle dorée,

  Ma prudence évaporée

  Déjà pose son pied blanc.

  Quelle aurore sur ces croupes

  Qui commencent de frémir!

  Déjà s’étirent par groupes

  Telles qui semblaient dormir :

  L’une brille, l’autre bâille ;

  Et sur un peigne d’écaille

  Égarant ses vagues doigts,

  Du songe encore prochaine,

  La paresseuse l’enchaîne

  Aux prémisses de sa voix.

  Quoi! c’est vous, mal déridées!

  Que fîtes-vous, cette nuit,

  Maîtresses de l’âme, Idées,

  Courtisanes par ennui?

  —Toujours sages, disent-elles,

  Nos présences immortelles

  Jamais n’ont trahi ton toit!

  Nous étions non éloignées,

  Mais secrètes araignées

  Dans les ténèbres de toi!

  Ne seras-tu pas de joie

  Ivre! à voir de l’ombre issus

  Cent mille soleils de soie

  Sur tes énigmes tissus?

  Regarde ce que nous fîmes :

  Nous avons sur tes abîmes

  Tendu nos fils primitifs,

  Et pris la nature nue

  Dans une trame ténue

  De tremblants préparatifs …

  Leur toile spirituelle,

  Je la brise, et vais cherchant

  Dans ma forêt sensuelle

  Les oracles de mon chant.

  Être! Universelle oreille!

  Toute l’âme s’appareille

  À l’extrême du désir …

  Elle s’écoute qui tremble

  Et parfois ma lèvre semble

  Son frémissement saisir.

  Voici mes vignes ombreuses,

  Les berceaux de mes hasards!

  Les images sont nombreuses

  À l’égal de mes regards …

  Toute feuille me présente

  Une source complaisante

  Où je bois ce frêle bruit …

  Tout m’est pulpe, tout amande,

  Tout calice me demande

  Que j’attende pour son fruit.

  Je ne crains pas les épines!

  L’éveil est bon, même dur!

  Ces idéales rapines

  Ne veulent pas qu’on soit sûr :

  Il n’est pour ravir un monde

  De blessure si profonde

  Qui ne soit au ravisseur

  Une féconde blessure,

  Et son propre sang l’assure

  D’être le vrai possesseur.

  J’approche la transparence

  De l’invisible bassin

  Où nage mon Espérance

  Que l’eau porte par le sein.

  Son col coupe le temps vague

  Et soulève cette vague

  Que fait un col sans pareil …

  Elle sent sous l’onde unie

  La profondeur infinie,

  Et frémit depuis l’orteil.

  DAWN

  FOR PAUL POUJAUD

  The murky disarray

  That scarcely counts as sleep

  Disperses at the rosy

  Emergence of the sun.

  I glide through waking, borne

  On wings of confidence:

  The peal of morning prayer!

  Just risen from the sands

  My steps, already sure,

  Follow in reason’s steps.

  Greetings! Still fast asleep

  Behind your matching smiles,

  Friendly resemblances

  That flash from word to word!

  I’ll have you by the basket

  Amid the droning bees,

  And on my ladder’s first

  Unsteady rung of gold,

  My caution, light as air,

  Poses a white foot.

  Dawn breaks across these croups

  That, quivering in the light,

  Seemed sleeping still. Already

  Dispersed in twos and threes,

  One yawns, another gleams;

  And one who idly trails

  Her fingers’ vague designs

  Along a pearly comb,

  Threads it, still near the dream,

  To the premise of her voice.

  So, where were you last night!

  Still bleary-eyed Ideas,

  Coy darlings of the soul

  And charmers by ennui?

  They answer—We’ve been good,

  Our immemorial presence

  Has not betrayed your roof!

  Nor did we stray, but hung

  Like spiders, hidden among

  The rafters of your dark!

  You’ll surely reel with joy,

  To see ten thousand suns

  Of silk spun out from shadow

  To cover your enigmas!

  Just look what we have done:

  We strung our simple threads

  Across your dark abyss

  And caught bare nature: there

  She hangs, in woof and weft

  Prepared with trembling care …

  I brush their mystic web

  Aside, and go to find

  In the forest of my senses

  The oracles of my song.

  Being! Universal Ear!

  My soul casts off into

  The reaches of desire …

  And trembles, listening to

  Itself, and there are moments

  My lip might catch its stir.

  These are my dark vineyards,

  The cradle of my surprise!

  The images divide

  Each time I turn my eyes …

  In every leaf there flows

  A yielding spring where I

  May drink this feeble sound …

  All is almond, all is pulp,

  The brimming flowers all bid me

  Await their ripened fruit.

  I do not fear the thorns!

  Waking, though hard, is good!

  These rapines of the mind

  Would rather us unsure:

  In ravishing a world,

  There is no wound so deep

  That, for the ravisher,

  Is not a fertile wound.

  His flowing blood is proof

  That it is all his own.

  I come to the transparence

  Of the invisible pool

  Where my Hope is swimming, breast

  Borne on the water; her neck

  Cleaving the misty air

  Stirs up such waves as makes

  A peerless neck … She feels

  Beneath the glossy pool

  Those deep infinities,

  And shivers head to toe.

  AU PLATANE

  À ANDRÉ FONTAINAS

  Tu penches, grand Platane, et te proposes nu,

  Blanc comme un jeune Scythe,

  Mais ta candeur est prise, et ton pied retenu

  Par la force du site.

  Ombre retentissante en qui le même azur

  Qui t’emporte, s’apaise,

  La noire mère astreint ce pied natal et pur

  À qui la fange pèse.

  De ton front voyageur les vents ne veulent pas ;

  La terre tendre et sombre,

  Ô Platane, jamais ne laissera d’un pas

  S’émerveiller ton ombre!

  Ce front n’aura d’accès qu’aux degrés lumineux

  Où la sève l’exalte ;

  Tu peux grandir, candeur, mais non rompre les nœuds

  De l’éternelle halte!

  Pressens autour de toi d’autres vivants liés

  Par l’hydre vénérable ;

  Tes pareil
s sont nombreux, des pins aux peupliers,

  De l’yeuse à l’érable,

  Qui, par les morts saisis, les pieds échevelés

  Dans la confuse cendre,

  Sentent les fuir les fleurs, et leurs spermes ailés

  Le cours léger descendre.

  Le tremble pur, le charme, et ce hêtre formé

  De quatre jeunes femmes,

  Ne cessent point de battre un ciel toujours fermé,

  Vêtus en vain de rames.

  Ils vivent séparés, ils pleurent confondus

  Dans une seule absence,

  Et leurs membres d’argent sont vainement fendus

  À leur douce naissance.

  Quand l’âme lentement qu’ils expirent le soir

  Vers l’Aphrodite monte,

  La vierge doit dans l’ombre, en silence, s’asseoir,

  Toute chaude de honte.

  Elle se sent surprendre, et pâle, appartenir

  À ce tendre présage

  Qu’une présente chair tourne vers l’avenir

  Par un jeune visage …

  Mais toi, de bras plus purs que les bras animaux

  Toi qui dans l’or les plonges,

  Toi qui formes au jour le fantôme des maux

  Que le sommeil fait songes,

  Haute profusion de feuilles, trouble fier

  Quand l’âpre tramontane

  Sonne, au comble de l’or, l’azur du jeune hiver

  Sur tes harpes, Platane,

  Ose gémir! … Il faut, ô souple chair du bois,

  Te tordre, te détordre,

  Te plaindre sans rompre, et rendre aux vents la voix

  Qu’ils cherchent en désordre!

  Flagelle-toi! … Parais l’impatient martyr

  Qui soi-même s’écorche,

  Et dispute à la flamme impuissante à partir

  Ses retours vers la torche!

  Afin que l’hymne monte aux oiseaux qui naîtront,

  Et que le pur de l’âme

  Fasse frémir d’espoir les feuillages d’un tronc

  Qui rêve de la flamme,

  Je t’ai choisi, puissant personnage d’un parc,

  Ivre de ton tangage,

  Puisque le ciel t’exerce, et te presse, ô grand arc,

  De lui rendre un langage!

  Ô qu’amoureusement des Dryades rival,

  Le seul poète puisse

  Flatter ton corps poli comme il fait du Cheval

  L’ambitieuse cuisse! …

  —Non, dit l’arbre. Il dit : Non! par l’étincellement

  De sa tête superbe,

  Que la tempête traite universellement

  Comme elle fait une herbe!

  TO THE PLANE TREE

  FOR ANDRÉ FONTAINAS

  You lean, great Plane Tree, offering the white

  Splendor of naked youth,

  Yet in your innocence you are restrained,

  Your foot held fast in place.

  Resounding shade in which the very azure

  That riles you comes to rest,

  The dark mother grips your pure and native foot

  Which the mire detains.

  The winds will have no traffic with your brow;

  The dark and tender earth

  Will not, O Plane Tree, give your shadow leave

  To revel in a step!

  Your brow will climb no farther than its bright

  And sap-exalted heights;

  Pure, you may grow, but never break the ropes

  Of the eternal rest!

  Yet feel how all around you life is bound;

  The venerable Hydra

  Holds your many fellows, poplar and pine,

  Maple and holly oak,

  Who, seized by the dead, disheveled feet among

  The mingled ashes,

  Endure as their blossoms slip away, their seeds

  Sift down on fleeting wings.

  The pure aspen, the hornbeam, this beech tree formed

  Of four young women

  Endlessly churn like oars the heedless sky,

  Their boughs arrayed in vain.

  They live apart and weep together, joined

  In a single absence;

  Their silver limbs are vainly cleft at their sweet

  Moment of birth.

  And when the soul which they exhale at evening

  To Aphrodite rises,

  The virgin in their shade must sit in silence,

  Burning with shame.

  She is taken by surprise, and, pale, belongs

  To the tender sign

  Her present flesh confronts the future with

  In lines of a young face …

  But you whose arms, more pure than animal arms,

  You plunge into the gold,

  You who by daylight trace the ghostly forms

  Of evils we will dream,

  Towering profusion of leaves, proud disorder,

  When the bitter north wind

  Rings early winter’s azure stretched to gold

  Across your harps,

  Dare groan! … O Plane Tree, your supple flesh of wood

  Must twist, untwist,

  Complain without breaking, give the winds the voice

  They hunt for in the fury!

  Whip yourself … as the martyr in impatience

  Flays his own skin,

  And defy the flame that reaches for the torch,

  Helpless to draw away!

  So that a hymn will rise to birds unborn,

  And the purest of the soul

  Might lift with quivering hope the leaves of a trunk

  Dreaming of flame,

  I chose you, striking figure of the park,

  Drunk on your pitching wave,

  Since heaven strains and bends you back, great bow,

  To give the skies a tongue!

  O might the rival of the Dryads’ loves,

  The poet alone

  Caress your lacquered body as he does

  The Horse’s striving thigh! …

  —No, says the tree. No! with a grand flourish

  Of its lofty crest

  That is lashed by the storm indifferently

  As a blade of grass!

  CANTIQUE DES COLONNES

  À LÉON-PAUL FARGUE

  Douces colonnes, aux

  Chapeaux garnis de jour,

  Ornés de vrais oiseaux

  Qui marchent sur le tour,

  Douces colonnes, ô

  L’orchestre de fuseaux!

  Chacun immole son

  Silence à l’unisson.

  —Que portez-vous si haut,

  Égales radieuses?

  —Au désir sans défaut

  Nos grâces studieuses!

  Nous chantons à la fois

  Que nous portons les cieux!

  Ô seule et sage voix

  Qui chantes pour les yeux!

  Vois quels hymnes candides!

  Quelle sonorité

  Nos éléments limpides

  Tirent de la clarté!

  Si froides et dorées

  Nous fûmes de nos lits

  Par le ciseau tirées,

  Pour devenir ces lys!

  De nos lits de cristal

  Nous fûmes éveillées,

  Des griffes de métal

  Nous ont appareillées.

  Pour affronter la lune,

  La lune et le soleil,

  On nous polit chacune

  Comme ongle de l’orteil!

  Servantes sans genoux,

  Sourires sans figures,

  La belle devant nous

  Se sent les jambes pures.

  Pieusement pareilles,

  Le nez sous le bandeau

  Et nos riches oreilles

  Sourdes au blanc fardeau,

  Un temple sur les yeux

  Noirs pour l’éternité,

  Nous allons sans les dieux

  À la divinité!

  Nos antiques jeunesses,

  Chair mate
et belles ombres,

  Sont fières des finesses

  Qui naissent par les nombres!

  Filles des nombres d’or,

  Fortes des lois du ciel,

  Sur nous tombe et s’endort

  Un dieu couleur de miel.

  Il dort content, le Jour,

  Que chaque jour offrons

  Sur la table d’amour

  Étale sur nos fronts.

  Incorruptibles sœurs,

  Mi-brûlantes, mi-fraîches,

  Nous prîmes pour danseurs

  Brises et feuilles sèches,

  Et les siècles par dix,

  Et les peuples passés,

  C’est un profond jadis,

  Jadis jamais assez!

  Sous nos mêmes amours

  Plus lourdes que le monde

  Nous traversons les jours

  Comme une pierre l’onde!

  Nous marchons dans le temps

  Et nos corps éclatants

  Ont des pas ineffables

  Qui marquent dans les fables …

  HYMN OF THE COLUMNS

  FOR LÉON-PAUL FARGUE

  Fair columns, lightly crowned

  By day, and garlanded

  With living birds that mill

  About your capitals,

  Fair columns, orchestra

  Of spindles! Each one

  Relinquishes its silence

  To burn in unison.

  —O you resplendent equals,

  What do you bear so high?

  —Our studious graces to

  Immaculate desire!

  We sing as one, of how

  We hold in place the sky,

  O wise and single voice

  That sings for the eyes alone!

  Behold what purest hymns

  And what sonorities

  Our limpid elements

  Have filtered from the light!

  The chisel broke us out

  From beds where we long lay,

  And brought us here to flower,

  Lilies gilded and cold!

  Out of our crystal beds

  When we were forced awake

  And by those metal claws

  Dressed, we were arrayed

  For challenging the moon,

  The moon and then the sun,

  By polishing each one

  As lustrous as a nail!

  Servants without knees,

  Smiles without a face,

  Before us, beauty feels

  The pureness of her thighs.

  Each piously alike,

  Our noses hidden under

  The molded band, rich ears

  Deaf to the luminous weight,

  A temple weighing upon

  The darkness of our eyes,

  We go without the gods

  To seek divinity!

  Our antique youth, its matte

  Flesh and graceful shadows,

  Is proud of the elegance

  That emerges out of numbers!

  Daughters of harmony,

  Bred on Heaven’s laws,

  Upon us falls and sleeps

  A honey-colored god.

  The Day sleeps peacefully

 

‹ Prev